Une foisonnante histoire de la médecine

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Carl Vanwelde Publié dans la revue de : Décembre 2019 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Mais où cet homme trouve-t-il tant de savoir ? On connaissait le chirurgien généreux de son temps, boulimique des défis impossibles et des techniques à réinventer, l’enseignant passionné de transmettre ses connaissances, mais qui connaissait l’érudit soigneusement dissimulé sous son manteau de vieux carabin facétieux ?

Article complet :

Mais où cet homme trouve-t-il tant de savoir ? On connaissait le chirurgien généreux de son temps, boulimique des défis impossibles et des techniques à réinventer, l’enseignant passionné de transmettre ses connaissances, mais qui connaissait l’érudit soigneusement dissimulé sous son manteau de vieux carabin facétieux ? Quand Roger Detry se lance dans le récit de l’histoire de la médecine et des traitements médicaux depuis l’Egypte antique jusqu’à nos jours, fondé sur de nombreux témoignages et extraits de la littérature d’époque, tristes s’abstenir. En une vingtaine de chapitres, commençant à la Préhistoire « période a priori reposante pour l’auteur car sans écrits ni citations, sans recherches bibliographiques, aux rares témoignages fossilisés » pour se terminer au début du XXIème siècle, vont se succéder comme dans une fresque les personnages de la petite et de la grande histoire qui ont transformé la vie des hommes.

Il y a du Rabelais dans cette écriture d’une pensée libre de médecin et de bon vivant, aux multiples facettes parfois contradictoires, récit qui alterne à la fois la chronique, le conte et les portraits hauts en couleur. Comme son illustre et gargantuesque maître, versé aussi bien dans la médecine que dans l’histoire ou la philosophie, Roger Detry témoigne dans son œuvre d’une curiosité insatiable et fait l’éloge du savoir qui sait se remettre en cause. Comme en témoigne chez celui qui initia avec brio la technique de la vagotomie super sélective pour guérir les ulcères bulbaires pour la ranger aux ornières in tempore non suspecto, la description de son traitement actuel par antibiothérapie afin d’éradiquer l’Hélicobacter pylori. « Devant le scepticisme général, Marshall avala une pleine culture du microbe, en contracta une gastrique ulcéreuse sévère qui fut jugulée par antibiotiques. C’était le prix qu’il paya pour convaincre, et décrocher plus tard le prix Nobel de Médecine/Physiologie en 2005. » Une véritable révolution, mettant fin au dogme absolu de l’acidité, de l’écart de régime et même du sacro-saint stress, et risquant de faire s’effondrer un pan entier de l’activité chirurgicale.

Etrange prose qui peut mêler dans le même chapitre, la même page, le même paragraphe voire la même ligne des extraits inspirés des Ecritures « La nuit, le mal perce mes os, les plaies qui me rongent ne dorment pas… Ma peau sur moi s’est noircie, mes os sont brûlés par la fièvre » (Job, 30, 17 et 30), des aphorismes grinçants « Plus grave encore, la médecine a fait tellement de progrès que plus personne n’est en bonne santé » (A. Huxley), des traits lumineux extraits de la prière de Maïmonide et des anecdotes graveleuses de salle de garde. Un même regard amusé embrasse le ciel et le caniveau : si l’homme peut être un dieu, rien ne nous sera épargné non plus de la condition humaine la plus quotidienne, de l’élimination des selles à la cautérisation des plaies d’amputation au fer rouge ou à la poix bouillante. Les conseils aux opérés proscrivant les boissons effervescentes car « tout gaz ingéré ressort inexorablement à l’air libre. Par le haut, et surtout par le bas », ou celui « d’éviter toute complication la nuit, car la nuit tous les chats sont gris et il est parfois difficile de distinguer l’interne de garde du plombier de service » ont l’accent de sincérité de celui qui a fréquenté durant toute sa vie les quartiers opératoires de jour et de nuit. Et au moment où on s’y attend le moins surgit une réflexion métaphysique sur le sens d’une vie, la profession médicale, les honneurs, la poursuite du profit et l’insignifiance des choses. La lecture de la saga des héritiers de Thot s’apparente ainsi au merveilleux récit d’un sage qu’on aurait invité un soir à sa table et qui raconte, se raconte, vous raconte ce qu’il a retenu de son métier, de ses rencontres de patients mais aussi de ses innombrables lecture.

La question demeure : quand Roger Detry a-t-il trouvé le temps de lire tout ce qu’il nous restitue avec gourmandise, mêlant les références les plus sérieuses sur l’évolution de son métier aux passages laissant toute sa place à l’éternel humain ? Tel ce minime extrait de Ronsard (1524-1585) « Hé que je porte et de haine et d’envie / Au médecin qui vient soir et matin / Sans nul propos, tâtonner le tétin, / Le sein, le ventre et les flancs de ma mye ! (Ronsard).

D’une curiosité insatiable, passionné de savoir, facétieux autant qu’érudit, Roger Detry nous livre avec sa « curieuse histoire de la médecine » un récit fouillé des capacités d’invention dont a su faire preuve l’être humain pour se guérir.