Vaccination contre le SARS-CoV-2 chez le patient greffé rénal

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Hélène Georgery (1*), Arnaud Devresse (1*), Jean Cyr Yombi (2), Eric Goffin (1), Nada Kanaan (1) Publié dans la revue de : Septembre 2021 Rubrique(s) : Néphrologie
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Résumé de l'article :

Les patients greffés rénaux sont plus à risque que la population générale de développer une forme sévère - fatale - de la COVID-19 contre laquelle l’arsenal thérapeutique actuel reste limité.

Mots-clés

Patient greffé rénal, COVID-19, vaccination

Article complet :

Introduction

Les patients greffés rénaux sont plus à risque que la population générale de développer une forme sévère - fatale - de la COVID-19 contre laquelle l’arsenal thérapeutique actuel reste très limité (1). Aux Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL), 11% des patients greffés rénaux infectés par le SARS-CoV-2 ont nécessité une hospitalisation aux soins intensifs et 11% sont décédés lors de la première vague (2). Lors de la deuxième vague, ces chiffres ont augmenté à 44% et 22%, respectivement, malgré l’utilisation de la dexamethasone (3).

Alors que de grands espoirs avaient été placés dans la vaccination des greffés rénaux afin de leur offrir une protection rapide et efficace contre la COVID-19, de nombreuses études ont montré une efficacité modeste d’un schéma standard à deux injections de vaccin ARN messager (ARNm) (Pfizer-BioTech ou Moderna) anti-SARS-CoV-2. De plus, des cas de COVID-19, parfois sévères voire mortels, ont été rapportés chez des patients greffés rénaux complètement vaccinés (4).

Face à ces résultats décevants, d’autres stratégies sont nécessaires pour les patients greffés rénaux et immunodéprimés, incluant l’utilisation d’une troisième dose de vaccin et éventuellement l’utilisation d’anticorps monoclonaux en cas d’infection précoce.

Le but de ce travail est de réaliser une revue de la littérature sur ces questions et de rapporter notre expérience locale.

Schéma standard de vaccination anti-SARS-CoV-2 chez les greffés rénaux : résultats décevants

Les taux de réponse humorale après une dose du vaccin ARNm chez les patients greffés rénaux sont médiocres. En effet, une équipe française a rapporté un taux de réponse humorale après 1 dose de vaccin Moderna de seulement 11.7% dans une cohorte de 205 patients greffés rénaux naïfs d’infection à SARS-CoV-2 (5). Aux USA, Boyakorski et al. ont montré un taux de réponse de 17% 20 jours après une dose de vaccin à ARNm (Pfizer-BioTech et Moderna) parmi 436 patients transplantés (6). Ils ont également montré que les patients plus âgés et sous traitement immunosuppresseurs par anti-métabolites répondaient moins bien à la vaccination que les autres.

Aux CUSL, nos résultats furent encore plus mauvais avec un taux de séroconversion d’à peine 3.8% 28 jours après une première dose de vaccin Pfizer-BioTech dans une cohorte de 78 patients greffés rénaux (7).

Après deux doses de vaccin ARNm, les résultats, quoique meilleurs, restent décevants : 29.9% 2 semaines après la deuxième dose de Moderna chez 148 greffés d’organe solide chez Cucciari et al. (8), 48% un mois après la deuxième dose de Moderna chez 205 patients chez Bentomane et al. (5) et 54% 29 jours après la deuxième dose de vaccin ARNm (47% Moderna et 53% Pfizer) parmi 658 patients greffés d’organe solide chez Boyakorski et al. (9). Les patients porteur d’une première greffe, avec un plus long délai depuis la greffe, une meilleure fonction rénale et une immunosuppression de moindre intensité avaient plus tendance à développer une réponse humorale que les autres (9).

Aux CUSL, nous avons observé des résultats similaires, avec un taux de séroconversion de 49% 28 jours après la deuxième dose de Pfizer-BioTech parmi 79 patients greffés rénaux (10).

Outre ce faible taux de réponse, en tout cas nettement inférieur à ce qui est rapporté dans la population générale (11), les taux d’anticorps atteints semblent assez faibles chez la plupart des patients. Néanmoins, ceci doit être interprété avec prudence étant donné que les kits utilisés pour détecter et mesurer les anticorps sont différents d’une étude à l’autre et peu d’études ont comparé les taux obtenus avec ceux d’un groupe contrôle immunocompétent. De plus, le taux d’anticorps à atteindre pour être protecteur n’est pas totalement connu avec les méthodes utilisées en routine vu que ces dernières ne mesurent par les anticorps neutralisants.

Par ailleurs, l’évolution à long terme de ces anticorps chez les immunodéprimés est peu connue étant donné que la plupart de ces études avaient un suivi assez court d’un mois maximum. Or, nous avons récemment observé que 31% des non-répondeurs un mois après la seconde dose du vaccin Pfizer développaient des anticorps 2 mois plus tard et que 45% des répondeurs voyaient leur taux d’anticorps augmenter. Ces données ont été publiées depuis lors (12).

Cela suggère qu’un certain nombre de patients immunodéprimés ont une réponse humorale retardée par rapport à la population générale. Cette réponse semble cependant plus faible que dans la population générale. à noter que le taux d’anticorps reste bas et que ces données doivent encore être validées à plus large échelle.

Immunité cellulaire

L’exploration de l’immunité cellulaire induite par la vaccination est intéressante. En effet, il n’est pas exclu qu’un certain nombre de patients n’ayant pas de réponse humorale induite par la vaccination ait quand même une réponse cellulaire qui pourrait avoir un effet au moins partiellement protecteur. Nous avons montré dans une cohorte de 90 greffés rénaux que 32% des patients développent une réponse interféron-gamma (en utilisant un test IGRA) après 2 doses de vaccin Pfizer. Par ailleurs, 20% des patients qui n’avaient pas de réponse humorale avait bien une réponse cellulaire. Au total 72% des patients avaient une réponse cellulaire et/ou humorale (13). Ces résultats sont néanmoins inférieurs à ceux publiés par d’autres équipes montrant une réponse cellulaire de l’ordre de 55% après 2 doses de vaccin ARN (en utilisant un test ELISpot) (8, 14). Cette différence s’explique probablement par une sensibilité supérieure de l’ELISpot par rapport à l’IGRA. Il est cependant important de noter que la relevance clinique d’une réponse cellulaire, notamment isolée, reste à définir.

Troisième dose de vaccin chez les greffés rénaux

Compte tenu de ces résultats médiocres, la Belgique vient d’autoriser la réalisation d’une 3ème dose de vaccin ARNm chez les patients immunodéprimés incluant les greffés rénaux. Des pays comme la France et les USA ont déjà adopté cette stratégie il y a plusieurs mois et ont publié leurs premiers résultats.

Benotmane et al. ont montré un taux de réponse humorale de 49% après la 3ème dose (administrée après une médiane de 51 jours après la seconde injection) parmi 159 greffés rénaux français non ou faiblement répondeurs après 2 doses du vaccin Moderna. Les non-répondeurs répondaient moins que les faibles répondeurs, de même que les greffés avec une triple immunosuppression par rapport aux autres schémas immunosuppresseurs (15).

Parmi une cohorte de 101 patient transplantés d’un organe solide dont 78 greffés rénaux sans anticorps détectés au moment de la 1ère dose du vaccin, un autre groupe français a montré des taux de réponse humorale de 4% avant la 2ème dose, 40% avant la 3ème dose (intervalle de 61 jours) et 68% un mois après la 3ème dose du vaccin Pfizer. 49% des 59 patients non répondeurs après 2 doses ont répondu après la 3ème dose. Les patients n’ayant pas développé d’anticorps après 3 doses étaient plus âgés, avec une immunosuppression plus forte et une fonction rénale moins bonne (16).

Aux USA, Werbel et al. ont montré dans une cohorte de 30 patients greffés d’organe solide qu’une troisième dose de vaccin ARNm permettait d’augmenter significativement le taux d’anticorps de 6 patients 1 mois après la dernière dose de vaccin. Par contre, parmi les patients n’ayant pas répondu à un schéma conventionnel, seuls 25% présentaient une séroconversion après la troisième dose. (17).

Récemment, Hall et al. ont publié les résultats d’une étude randomisée contrôlée incluant 120 greffés rénaux naïfs d’infection à SARS-CoV-2 et ayant reçu 2 doses de vaccin ARNm Moderna. Les patients ont été randomisés en 1 :1 pour recevoir soit une troisième dose de vaccin soit un placebo 2 mois après la seconde dose. Les caractéristiques au baseline ainsi que le taux de séroconversion après deux doses étaient identiques. Ils ont démontré que, un mois après, le groupe de patients ayant reçu une troisième dose avait une augmentation significative du taux de séroconversion et du titre d’anticorps anti-Spike et neutralisants par rapport au groupe placebo (18).

Perspectives

Plusieurs questions importantes restent à l’heure actuelle en suspens.

Le taux d’anticorps protecteurs anti SARS-CoV-2 induit par la vaccination reste inconnu. Or, pour des études cliniques et afin d’informer au mieux les patients, il est crucial que ce taux minimum soit défini. Pour ce faire, il serait idéal qu’une harmonisation des kits utilisés pour la détection et la mesure des taux d’anticorps ait lieu et/ou l’utilisation de kits mesurant les anticorps neutralisants qui sont protecteurs. Récemment, l’OMS a réalisé un travail de standardisation aboutissant à la définition du BAU (Binding Arbitrary Unit). La valeur du BAU protecteur n’est cependant pas définitivement fixée ni validée.

Une autre question importante est la prise en charge des patients n’ayant pas-ou peu-répondu à une troisième dose. La société francophone de Transplantation (SFT) vient de publier un avis intéressant et innovant sur la question, mais peu étayé scientifiquement à l’heure actuelle. Elle inclut l’utilisation de deux anticorps monoclonaux anti-spike, casirivimab et imdevimab (Ronapreve. Roche-Regeneron). La SFT prévoit plusieurs cas de figure : (1) patient ne présentant aucune immunisation après un schéma vaccinal complet de 3 doses et à risque d’être exposé au virus : indication au Ronapreve; (2) patient ayant développé un taux d’anticorps après trois injections de vaccin mais < 260 BAU : 4ème dose de vaccin ; (3) patient ayant développé un taux d’anticorps < 260 BAU après la 4éme injection et à risque élevé d’être exposé au virus : indication au Ronapreve. Cette attitude n’est pas encore d’actualité en Belgique. Néanmoins, dans notre pays, nous avons accès à un traitement par anticorps monoclonal chez des patients greffés rénaux en cas d’infection précoce et ne nécessitant pas une hospitalisation.

Conclusions

Les résultats actuels de la vaccination contre le SARS-CoV-2 chez le patient greffé rénal sont insuffisants. Des alternatives sont étudiées pour augmenter la protection vaccinale de ces patients particulièrement fragiles qu’il sera urgent d’adopter. à l’heure actuelle, le port du masque, l’hygiène des mains et la distanciation sociale restent des mesures cruciales pour nos patients.

Affiliations

1. Service de Néphrologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles, Belgique
2. Médecine interne et maladies infectieuses, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles, Belgique
*Ces auteurs ont contribué équitablement à ce travail

Correspondance

Pr. Arnaud Devresse, MD, PhD <
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Néphrologie
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles, Belgique
Arnaud.devresse@uclouvain.be

Conflit d’intérêt : aucun

Références

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