Stratégies de réduction de l’impact environnemental des soins de santé – une vision systémique

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David Grimaldi (1), François Roucoux (2), Anne Berquin (3) Publié dans la revue de : Janvier 2024 Rubrique(s) : Durabilité et Soins de Santé: Quels Défis pour le Futur
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Résumé de l'article :

Dans une perspective systémique, le système des soins de santé peut être considéré comme un système ouvert, traversé par des flux d’énergie et de matériaux et produisant, outre les soins, des gaz à effets de serre et des déchets. On estime que les soins de santé consomment entre 4 et 7% des ressources minérales, des métaux et des énergies fossiles utilisés chaque année sur terre et qu’ils produisent plus de 5% de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Pour réduire cet impact, il est nécessaire de combiner une approche dite « poste par poste » avec une approche plus globale, systémique, qui nécessitera des transformations profondes. Quelques exemples sont donnés, notamment concernant l’usage des technologies de l’information et de la communication.

Mots-clés

Déchets de soins de santé, impact environnemental, mondial, approche systémique

Article complet :

Introduction : une vision systémique des soins de santé

Le système de soins – ensemble des activités visant à promouvoir, entretenir ou restaurer la santé des personnes – peut être schématisé comme un système dont l’objectif (la sortie) est de prodiguer des soins (efficaces si possible). Le système répond à une « consigne » qui est la demande de soins. Pour ce faire, un œil naïf considérera que le système nécessite du travail humain et du capital, immobilisé (bâtiments, matériel…) ou non (flux financier). Cependant, cette vision néglige le fait que les soins de santé sont ce qu’on appelle en physique un « système ouvert », qui repose par définition sur un flux d’énergie pour maintenir son organisation. Concrètement, un établissement de soin ne peut fonctionner que par un apport permanent d’électricité, d’énergie de chauffage des locaux, de pétrole pour transporter soignants, usagers, matériel et médicaments. Ces derniers sont produits dans usines qui utilisent de l’énergie pour transformer de la matière première, etc.

Les entrées du système sont donc une association de travail humain, de matières premières issues de la croûte terrestre (métaux, minerais, végétaux etc.) et d’énergie sous forme primaire ou transformée en électricité. En corollaire, il faut inclure dans les sorties du système les déchets et les gaz à effet de serre (GES) émis tout au long de ce processus (et pas seulement dans le lieu final du soin). Déchets et GES sont ainsi un co-produit des soins (figure 1).

Le système comprend diverses boucles de rétroaction positives ou négatives. Par exemple, l’impact environnemental des soins de santé a des conséquences sanitaires (traitées dans d’autres articles de cette série) qui augmentent la demande de soins.

Cet article – en partie basé sur les travaux du Shift Project (1) – analysera essentiellement les mesures visant la décarbonation du système des soins de santé, au prisme de cette analyse systémique simple. Il ne traitera pas spécifiquement de la pollution liée aux déchets ni de la dynamique (comportement évolutif) du système de soins.

L’empreinte énergétique et matérielle des soins de santé : une réalité

Contrairement au coût financier des soins de santé, leur consommation énergétique et matérielle n’était pas étudiée jusqu’il y a peu, en partie en raison de 3 phénomènes : 1) une énergie abondante et peu chère au XXe siècle, 2) une part relativement faible du coût énergétique dans le prix final de la prestation de soin même lorsque le prix de l’énergie augmente (car les coûts en recherche et développement et ressources humaines sont beaucoup plus importants dans le prix final) et enfin 3) une invisibilisation des flux physiques utilisés par le système de soin liée à leur éloignement du consommateur final (le patient) et à une certaine pensée magique sanctuarisant ce secteur particulier dans son usage : « la santé n’a pas de prix ».

Une étude récente a estimé l’empreinte énergétique et matérielle des soins de santé dans différents pays en analysant des bases de données mondiales de type « entrée sortie » croisées avec les bases de données de santé de l’OMS et de l’OCDE (2). On observe que les systèmes de soins consomment entre 4 et 7% des ressources minérales, des métaux et des énergies fossiles. Il existe des différences majeures (d’un facteur 1 à 100) entre régions du monde. Lorsque la consommation énergétique du système de soins est comparée à son efficacité en utilisant le Healthcare Access and Quality index (HAQi), une association exponentielle est observée entre le HAQi et la consommation énergétique dédiée aux soins. Autrement dit, à ce jour chaque augmentation incrémentielle des performances des systèmes de soin est associée à un coût marginal énergétique croissant. Ce résultat se transpose dans la figure 1 comme le fait que les systèmes ayant une sortie plus importante sont ceux qui ont l’entrée d’énergie la plus élevée ce qui est somme toute assez logique. Il est probable qu’il en soit de même avec les autres paramètres d’entrée (travail humain et matières premières).

Quelques précisions s’imposent face à ces résultats : 1) l’étude montre une association mais ne permet pas d’affirmer de lien de causalité ; 2) les résultats basés sur des données macroéconomiques « entrées-sorties » sont de nature top-down. Il ne s’agit donc pas de données issues d’un recueil de terrain qui reflèteraient plus fidèlement les flux physiques (mais qui à l’échelle du monde seraient impossible à réaliser) ; 3) il existe une grande hétérogénéité de consommation énergétique pour un même indice de performance, montrant que d’autres facteurs sont à l’œuvre (gaspillages, efficience etc). Il n’en reste pas moins que cette étude objective le lien conceptuel de la figure 1 entre système de soins et énergie.

L’empreinte carbone des soins de santé

Avec le même type d’analyse « top-down » la commission du Lancet Countdown a estimé que les émissions de GES des systèmes de soins au niveau mondial étaient de 2,7 Gt eq-CO2 soit 5,2% de toutes les émissions.

Des analyses basées sur des données macroéconomiques ont également été publiées pour certains pays (Pays-Bas (3), Australie (4), Royaume-Uni (5)) mais pas en Belgique. Le bilan carbone du système de soins français réalisé par l’équipe du Shift Project pour son rapport 2023 (1), est celui qui a recueilli le plus de données de terrain. Il faut noter qu’une grande incertitude entoure les empreintes carbones des médicaments, avec des estimations globales basées sur les flux financiers et non physiques. À cette limite près, le Shift Project estime que le bilan carbone du secteur des soins de santé en France est de 46 à 50 Mégatonnes d’équivalent CO2 (MT CO2e), soit environ 8% des émissions annuelles françaises (le secteur des transports en représentant quant à lui environ 20%). La répartition de ces émissions entre différents postes et secteurs d’activité est donnée dans le tableau 1. Les médicaments et le matériel médical représentent environ la moitié des émissions de notre secteur. Autrement dit ce sont des composantes majeures des soins, celles qui constituent les soins dit techniques, qui sont la principale cause du problème.

Stratégies de réduction carbone des soins de santé : la planification est nécessaire

La décarbonation nécessite une démarche organisée, priorisée et quantifiée : il s’agit de faire baisser une variable physique selon un rythme annuel dicté par les objectifs de réchauffement à ne pas dépasser (au moins une baisse de 80% d’ici 2050 soit 5% par an). Cette réalité rend indispensable la planification de la transition. Un peu comme quand un ménage (ou un hôpital) se lance dans un « plan d’économie », il ne le fait pas « au feeling » mais en planifiant ses recettes et ses dépenses. C’est ce qui a été réalisé par le NHS (6).

Comment réduire l’impact carbone des soins de santé, sachant qu’on ne peut pas simplement arrêter de soigner ? La réponse à cette question n’est pas facile lorsque l’on a compris ce qui précède. Nous ne prétendons pas détenir la solution ou une quelconque vérité mais simplement donner des exemples de mesures permettant une décarbonation. Nous décrirons tout d’abord une approche par secteur du système dite « poste par poste » puis nous essaierons à nouveau d’utiliser une approche systémique pour comprendre les leviers de la décarbonation.

Stratégies de réduction carbone des soins de santé : l’approche poste par poste

Cette approche assez intuitive consiste à baisser les émissions de chacune des unités du système de soin. Elle est très opérationnelle pour des décideurs (décarbonation d’un cabinet, d’un hôpital…) mais a l’inconvénient de favoriser une approche en silo, le médecin ou le directeur de l’hôpital pouvant se dire qu’il ne peut rien aux émissions associées aux médicaments par exemple, que cela n’est pas de son ressort. Pour minimiser cet inconvénient, le Shift Project (1) propose d’associer à ces mesures des approches plus transversales (tableau 2).

L’effet de ces mesures est chiffrable par données réelles pour certaines d’entre elles, majoritairement non spécifiques aux secteurs des soins de santé (alimentation, bâtiments, déplacements, gaz médicaux, déchets) mais pas pour d’autres, notamment les soins en tant que tels (médicaments et dispositifs médicaux).

Si l’on additionne les mesures chiffrables décrites dans le tableau 2, on pourrait réduire l’empreinte carbone des soins de 27%. Une diminution des facteurs d’émission des médicaments et dispositifs médicaux de 60% permettrait d’obtenir une diminution de 52%, loin des 80% nécessaires pour limiter le réchauffement global à 2°C. Les modèles établis par le NHS (seul système national de santé qui ait un plan décarbonation) aboutissent à des résultats similaires, montrant que les mesures de décarbonation prévues jusqu’ici permettent de réduire l’empreinte carbone des soins de 50% environ, sans atteindre l’objectif de 80% de réduction des GES. Il est donc nécessaire de proposer d’autres mesures, diminuant en volume la consommation de médicaments et biens médicaux et ciblant tant l’organisation des soins, que les pratiques cliniques ou la société dans son ensemble. L’impact de ces mesures est très difficile à estimer mais pourrait être très important. Des actions de transformation du système de santé sont donc nécessaires.

Stratégies de réduction carbone des soins de santé vues sous l’angle systémique

Il s’agit d’analyser les composantes du système que l’on peut modifier pour réduire les GES en maintenant l’objectif de sortie (efficacité des soins) (figure 1). Voici quelques exemples concrets.

Déchets

Le tri et le recyclage des déchets diminue la partie « déchet » des sorties du système mais ne joue pas sur les GES (Figure 2). Par ailleurs, le processus de recyclage nécessite de l’énergie : il faut refondre le verre, transformer le plastique en microbilles qui doivent être à leur tour thermoformées pour obtenir la nouvelle forme souhaitée etc. Le recyclage est une circularité de la matière mais pas de l’énergie ! Ainsi l’impact sur la consommation énergétique et les émissions de GES est faible (voire légèrement supérieur en fonction des process), estimé globalement à – 14% par le Shift project. Les bénéfices environnementaux autres peuvent cependant être importants.

Par ailleurs, le recyclage n’aurait qu’un impact limité puisque les déchets représentent moins de 5% des émissions totales du système de soins. Ces données se retrouvent dans la fameuse phrase « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas ».

Ces limites illustrent que le véritable objectif doit être d’essayer de découpler la production de soins de la production de déchets et de GES.

Réusage vs usage unique

Le réusage consiste à réintroduire dans le système le matériel utilisé avant qu’il ne devienne un déchet. Il crée donc une boucle dans le système et génère une économie circulaire qui s’affranchit du coût énergétique du process de fabrication, tout en réduisant les coûts. Par exemple, l’utilisation de lames et manches de laryngoscope réutilisables permet une économie substantielle (7). À la différence d’autres secteurs, en santé la ré-utilisation ajoute un processus de nettoyage voire de stérilisation et donc un cout énergétique qui ne doit pas être négligé. Une base de données en accès libre regroupe les études d’impact environnemental de plusieurs centaines de dispositifs et processus médicaux (8). Globalement on estime que la réutilisation et la stérilisation de matériel médical ont un impact environnemental moindre que l’utilisation de matériel à usage unique, sans compromettre la sécurité des malades.

Une autre limite de l’économie circulaire vient également des pertes, inévitables, « à chaque tour » : ainsi un taux de perte faible de 10% par exemple, signifierait qu’après 10 cycles il ne reste plus que 38% de la quantité initiale en circulation.

Efficacité énergétique/matérielle

Il faut également augmenter l’efficacité des processus industriels sur lesquels reposent certains soins (en diminuer la consommation d’énergie et de matières premières) et/ou chercher des alternatives à impact réduit. Par exemple, la fabrication de gants en nitrile produits en France génère 16.7 g CO2e par gant, contre 23.5 pour des gants produits en Malaisie (9). Le choix des inhalateurs est également important, selon qu’ils utilisent une poudre sèche que le patient inhale lui-même ou un gaz propulseur (qui multiplie l’empreinte carbone par 15 à 20) (10). Dans la production des principes actifs des médicaments, des optimisations sont possibles, comme le montre une étude sur l’ibuprofène (11). Les laboratoires pharmaceutiques doivent engager un important effort de recherche en ce sens. On peut également penser à grouper des consultations avec différents soignants afin que le patient ne se déplace qu’à une seule reprise, au (télé) suivi des malades polypathologiques ou chroniques, au diagnostic précoce, à la coordination et la continuité des soins, afin de limiter les hospitalisations … L’efficacité énergétique a cependant des limites physiques infranchissables (on ne peut pas descendre sous une consommation d’énergie de 0.5 mv2 pour déplacer un mobile de masse m à la vitesse v) et les gains, faciles à obtenir au début, sont de plus en plus difficile à obtenir ensuite.

Modification de la répartition énergie/travail humain

L’analyse systémique suggère qu’à sortie égale on peut modifier l’importance relative de chaque entrée. Privilégier le travail humain (examen clinique soigneux, raisonnement médical rigoureux) peut permettre de réduire le recours aux examens paracliniques ou à certaines machines. Par exemple, une bonne auscultation pulmonaire pour localiser un foyer infectieux aura bien entendu un impact bien moindre que le recours à l’imagerie. Une infirmière qui a le temps de rassurer son patient diminuera la consommation d’anxiolytique, l’hypnose a un effet antalgique démontré qui évitera les émissions liées à la fabrication des médicaments antalgiques etc.

Réduire le gaspillage

S’il faut aller plus loin vers la « sobriété » (réduire l’utilisation d’un service), la question devient « peut-on réduire l’utilisation des soins tout en maintenant égale la santé des personnes ? » Cela renvoie à la partie « sombre » de notre activité, celle des soins inutiles et des effets indésirables des soins. Les soins inutiles représenteraient jusqu’à 20% des soins administrés (12) même si l’on manque d’études globales. Par exemple, la Belgique consomme deux fois plus d’antibiotiques que les Pays-Bas, pour une espérance de vie similaire et sans que des différences épidémiologiques ne puissent justifier ce constat (13). Les évènements indésirables sont également à prévenir un maximum car ils augmentent la demande en soin et donc la sollicitation du système. Cela illustre l’intérêt de la vision systémique : une diminution de l’usage de matériel (par exemple d’hygiène) qui augmenterait les complications (par exemple infectieuses) entrainerait une augmentation de la sollicitation du système pouvant s’avérer supérieure à l’économie initiale (sans parler de l’impact sanitaire). C’est une boucle potentielle de rétroaction régulatrice qui annule l’effet initial.

Réduire la demande de soins

Si tous les leviers ci-dessus sont enclenchés mais que cela ne suffit pas à baisser de 80% les émissions de GES il est habituel dans les plans de décarbonation de préconiser une baisse de l’usage. C’est ce qu’on appelle la sobriété, concept qui sous-entend une baisse d’usage choisie et non subie. En santé, personne ne « choisit » de ne pas se soigner et un monde ou les patients ne seraient plus soignés comme ils devraient l’être serait une autre barbarie que celle du changement climatique non contrôlé, mais une barbarie tout de même.

Pour réduire la demande sur le système, il faut donc diminuer le nombre de patients. On pense naturellement à la prévention – même s’il ne faut pas oublier qu’une partie de la prévention reste du soin (exemples de la vaccination ou des dépistages généralisés des cancers, Figure 4) qui a également un impact environnemental. Il faut donc aller au-delà et rentrer dans des stratégies de promotion de la santé : le Shift Project cite entre-autres la baisse des addictions, un changement de l’offre alimentaire et de la mobilité. Plusieurs de ces leviers constituent par ailleurs ce qu’on appelle des co-bénéfices : bénéfice pour la santé de la personne et bénéfice pour l’environnement… qui entraîne à son tour un bénéfice pour la santé (14). Ces co-bénéfices sont des boucles vertueuses qui amplifient la baisse et ont un important potentiel de gain (15).

C’est un grand changement de paradigme en termes d’organisation des soins de santé. Dans ce cadre, la santé communautaire (description et gestion des besoins de santé par la population elle-même) a toute sa place, notamment pour améliorer la coordination entre acteurs de santé et mettre en place des stratégies de prévention et de diagnostic précoce de certaines maladies.

Hors du système de santé, il serait important que tous les ministères (logement, travail, infrastructures, mobilité, enseignement, sport…) intègrent les effets de leurs décisions sur la santé – dont les déterminants sont nombreux et largement situés en dehors du système de soins (1).

Une illustration : l’impact des technologies de l’information et de la communication

Dans nos pays, les soins de santé sont des utilisateurs assidus des technologies de l’information et de la communication (TICs) et en dépendent fortement, pour la gestion des flux logistiques, des dossiers patients, des télécommunications, de la gestion des ressources humaines, de la gestion financière, des applications médico-techniques, … Ces technologies ont des avantages certains : réduction des déplacements, optimalisation des processus et des flux, amélioration de la qualité des soins (communication, coordination, aides à la décision…). Cependant, elles présentent aussi un côté plus sombre : une consommation énergétique très importante, des pollutions non négligeables (dont les déchets électroniques) et un épuisement des ressources naturelles puisque ces technologies utilisent des terres rares et des métaux précieux.

L’impact environnemental négatif des TICs dans les soins de santé est difficile à quantifier. On estime habituellement que les TICs dans leur ensemble émettent annuellement environ 1,3 Gitagonnes de CO2e, soit 3,5% des émissions mondiales de GES (16). Cependant les émissions réelles sont probablement plus importantes. Les infrastructures IT et les appareils utilisent essentiellement de l’électricité (4-6% de l’électricité mondiale, 8% si l’on inclut les télévisions). Cette consommation se répartit en parts à peu près égales entre l’énergie nécessaire à la production des appareils et celle nécessaire à leur utilisation (ce bilan ne prend pas en compte l’énergie nécessaire au recyclage, qui peut être considérable, notamment concernant les semiconducteurs). Les déchets électroniques représentent 53,6 millions de tonnes par an, dont seuls 17,4% sont recyclés. Le reste est incinéré ou mis en décharge, au risque de créer des « bombes à retardement » en termes de pollution. Les émissions de GES par les TICs continueront à augmenter dans le futur, et ce de manière importante. Cependant, les estimations divergent concernant l’ampleur de cette augmentation et les études omettent souvent plusieurs sources d’émissions appelées à croître dans le futur (internet des objets, Blockchain, intelligence artificielle). De plus, plusieurs postulats optimistes concernant le futur mériteraient d’être réévalués (tableau 3).

Concernant l’informatique médicale, plusieurs tendances vont favoriser une augmentation d’empreinte environnementale : intelligence artificielle (diagnostic, traitement, surveillance, organisation, logistique…), « Big Data » (meilleure compréhension des maladies, tendances de la santé, médecine personnalisée et de précision), télémédecine, robotique médicale (préparation de médicaments, surveillance des patients…), appareils de suivi de santé (signes vitaux, habitudes de vie…). Pourtant, on peut s’interroger sur la pertinence de ces augmentations. En effet, l’intelligence artificielle est à ce stade loin d’avoir fait ses preuves en médecine. De plus, si l’on rappelle les principaux objectifs en matière de santé pour 2030 retenus par l’ONU, qui correspondent à des problèmes majeurs sur le plan mondial, on ne peut qu’observer que l’impact des TICs sur ces questions ne sera que marginal. De même, si on considère les objectifs communs des systèmes de santé nationaux ou locaux, on observe que l’apport des TIC est inconstant et peu décisif (tableau 4).

Les constats développés ci-dessus incitent à la modestie et à la sobriété en matière d’utilisation des TICs en soins de santé. En effet, les améliorations apportées par les TICs sont réelles mais souvent marginales (on peut déjà faire beaucoup sans elles). Elles ne nécessitent pas de faire appel aux dernières évolutions technologiques (dans la plupart des cas, les TICs des années 90 conviendraient) et des systèmes et mécanismes simples suffisent (les Big Data et l’intelligence artificielle ne sont à priori pas nécessaires). Ces constats sont posés dans le contexte de la santé globale mondiale dans un monde aux ressources finies.

L’usage des TIC en santé doit être pensé dans l’intérêt réel du patient et à l’aune des objectifs du système de santé et de sa nécessaire transformation. Un cadre régulatoire sur les impacts des TICs est nécessaire, notamment sur le plafonnement des niveaux d’émission en GES. Pour les décideurs des institutions de soins, il est important de privilégier des systèmes d’information interopérables, ouverts, idéalement open source et libres. En effet, cela garantit une longue durée de vie des systèmes, une meilleure combinaison des dispositifs, une indépendance commerciale, la compatibilité avec du matériel plus ancien, ainsi que des réparations et évolutions plus faciles.

Conclusion

La décarbonation des soins de santé et la réduction de leurs autres impacts environnementaux s’annoncent complexes et nécessitent une planification afin d’avancer en bon ordre. Il faut former et sensibiliser tant les acteurs du secteur que les décideurs, quantifier l’impact environnemental des soins et développer la recherche sur les stratégies de décarbonation, tout en planifiant l’action et enfin agir, probablement en commençant sur les postes « faciles » (transports, alimentation, déchets), mais aussi sur des postes symboliques (CEO, congrès) en gardant surtout en vue les postes les plus importants (médicaments et dispositifs médicaux). Une pensée systémique est utile pour comprendre les boucles de rétroactions qui peuvent se mettre à l’œuvre afin de profiter des effets vertueux et d’éviter les rétroactions neutralisant l’action voire les cercles vicieux.

D’autres domaines et mesures sont explorés dans plusieurs articles de ce numéro spécial de Louvain Médical.

Affiliations

1. USI Hôpital Erasme, B-1070 Bruxelles (ancienne affiliation), The Shifters Belgium, Groupe REAGIR Société de Réanimation de Langue Française
2. Centre Académique de Médecine Générale, UCLouvain, B-1200 Bruxelles, direction informatique du CHU de Charleroi, Medispring SCRL, The Shifters Belgium
3. Institut des Neurosciences, UCLouvain et Cliniques universitaires UCL Saint-Luc, Service de Médecine physique et réadaptation, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Pr David Grimaldi
david_grimaldi2001@yahoo.fr

Références

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  4. Malik A, Lenzen M, McAlister S, McGain F. The carbon footprint of Australian health care. Lancet Planet Health. 2018;2(1):e27–35.
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