Réaction des sociétés scientifiques et des associations de patients face à une émission d'ARTE "Cholestérol, le grand bluff !"

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Olivier Descamps(1, 2), Marc Claeys(3), Patrizio Lancellotti(4), Agnès Pasquet(5), Martin Buysschaert(6), Raymond Kacenelenbogen(7), Luc Pierard(8), Luc Missault(9), Christian Brohet(10), Freddy Van de Casseye(11) Publié dans la revue de : Mars 2018 Rubrique(s) : Endocrinologie et diabétologie
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Résumé de l'article :

Une récente émission de la chaine ARTE titrée « Cholestérol : le grand bluff » remettait en question un des piliers les plus solides de la prévention cardiovasculaire : le rôle du cholestérol dans le développement des maladies cardiovasculaires et l’intérêt des médicaments hypocholestérolémiants pour prévenir ces maladies. Une telle émission risque de mettre en danger de nombreux patients qui arrêteraient leur indispensable traitement. Face à cette désinformation, pour protéger les patients, les sociétés scientifiques et les associations de patients concernés par cette problématique se sont jointes pour réagir en publiant dans diverses revues cet article adressé au grand public et visant à restaurer la vérité et revenir à plus de bon sens. En tant que représentant de ces sociétés et associations, nous sommes disponibles pour toutes questions de la presse ou du public sur le sujet.

 

INTRODUCTION

La chaine ARTE a rediffusé en décembre 2017 un documentaire intitulé « Cholestérol : le grand bluff », émission pour le moins surprenante remettant en cause une des théories scientifiques les mieux démontrées en médecine préventive. En bref, l’émission développe les thèses suivantes :

  1. Pas de relation entre taux de cholestérol sanguin et maladies cardiovasculaires.
  2. Pas de bénéfice (et même danger) à prendre des médicaments qui réduisent ces taux (par exemple, les statines).

Les arguments pour convaincre de ces propositions n’ont rien de scientifique et sont développés sur le ton passionnel d’une enquête à scandale visant à montrer que la théorie du cholestérol et de l’efficacité des statines n’est qu’un mythe inventé et orchestré par le lobbying pharmaceutique. En bref, selon ce documentaire, tous les messages à propos du risque de l’excès de cholestérol et de son traitement ne sont que des mensonges répétés par les médecins trop crédules et renforcés par les chercheurs corrompus. Au final, le message qui peut être compris par le téléspectateur est de ne pas suivre les recommandations médicales, mais plutôt d’interrompre les traitements qui visent à réduire les taux sanguins de cholestérol et de cesser de les faire évaluer par leur médecin.

La Ligue Cardiologique Belge (LCB/BCL, ASBL), l’Association Belge des Patients souffrant d’Hypercholestérolémie Familiale (Belchol, ASBL), l’Association Belge du Diabète (ABD, ASBL) et les Sociétés Scientifiques Belges d’Athérosclérose (SBA/BLC, ASBL) et de Cardiologie (SBC, ASBL) s’étaient déjà indignées lors de la première diffusion de cette émission en 2016 et avaient envoyé alors une lettre à la direction d’ARTE (1). Malgré cela, ARTE l’a rediffusée, enfreignant encore ainsi un certain nombre de principes éthiques: le respect de la vérité, le respect de la vie (en mettant en danger de nombreux patients), le respect de l’autonomie de chacun et enfin le respect des professions médicales et scientifiques.

Dans cet article, nous démontrerons en quoi « la théorie du cholestérol » est actuellement l’une des mieux soutenues en médecine préventive, en quoi les statines sont des médicaments efficaces et sûrs et en quoi de tels documentaires induisent un danger pour la santé publique.

 

PREUVE DE LA « THÉORIE DU CHOLESTÉROL »

Il est maintenant établi qu’il n’y a pas seulement un lien entre le cholestérol LDL et les maladies cardiovasculaires, mais en fait que le cholestérol LDL (ou plutôt les particules ou lipoprotéines LDL) est un facteur causal bien éprouvé de l’athérosclérose.

D’innombrables publications dans des revues internationales ont examiné et confirmé ce lien causal. Tout d’abord, de nombreuses données d’observations épidémiologiques humaines (incluant 403,501 individus, suivi en moyenne 12 ans) et leurs méta-analyses montrent le lien très fort entre des taux élevés de cholestérol LDL et l’incidence des maladies cardiovasculaires. Ensuite de nombreuses études d’interventions (portant sur 196,552 participants, suivis 5 ans) et leurs méta-analyses (2) montrent que la réduction du cholestérol LDL sous l’effet d’une statine éventuellement combinée à un autre médicament résulte en une réduction bénéfique proportionnelle du risque de maladies cardiovasculaires, même pour des valeurs extrêmement basses de cholestérol LDL : chaque fois que l’on réduit le cholestérol LDL de 40 mg/dL, on assure une réduction de 20% de risque de survenue d’événements vasculaires majeurs.

Enfin les données des modèles génétiques d’hypercholestérolémies tels que celui de l’hypercholestérolémie familiale (HF), une maladie génétique causée par des mutations dans des gènes impliqués dans l’élimination des LDL de la circulation et présente chez 25,000 belges sous sa forme courante, montre le caractère dangereux de porter des taux très élevés de cholestérol LDL depuis la naissance. Par ailleurs, d’immenses études de population (194,427 individus suivi 52 ans) portant des variants génétiques, plus fréquents mais moins graves que dans l’HF (sur des gènes impliqués dans la production, l’absorption et l’élimination du cholestérol) montrent que les petites variations de cholestérol LDL (par exemple 11 mg/dl) depuis la naissance produites par ces variants suffisent à réduire de manière significative le risque d’événements cardiovasculaires tout au long de la vie (dans notre exemple, de 20%).

Ainsi donc, tous ces faits accumulés sur l’analyse des effets du cholestérol sur la santé de plus de 800,000 individus convergent vers l’idée qu’il existe bien un lien de causalité solide, éprouvé et donc avéré entre le cholestérol LDL et le risque de maladie cardiovasculaire et que réduire ce taux est efficace pour réduire le risque de maladie cardiovasculaire de manière significative.

 

PREUVE DU FAIBLE RISQUE DES STATINES

La fréquence des effets secondaires est un sujet qui a soulevé, à tort, pas mal de controverses également (3). Comme tout médicament (ou aliments ou même toutes activités humaines) il y a, à côté des bénéfices indéniables, un risque d’effets secondaires. Mais pour les médicaments qui réduisent le cholestérol, ces risques sont peu fréquents, peu importants, réversibles après arrêt ou changement du traitement ou facilement traitables.

Ainsi, selon les dernières estimations, plus réalistes que celles des publications tapageuses d’il y a quelques années, le nombre d’effets secondaires significatifs et objectivables a été fortement revu à la baisse. On peut estimer que le traitement de 10.000 patients pendant 5 ans avec une statine telle qu’atorvastatine 40 mg par jour pourrait causer 5 cas de myopathie (un désordre musculaire important) et 50 cas de diabète. Tout cela doit encore être relativisé et surtout balancé avec les bénéfices sur le plan cardiovasculaire. En effet, ce même traitement, suivi pendant ces 5 ans par 10.000 patients dont le risque est estimé élevé (en raison de leur facteur de risque) permettrait d’éviter ces complications cardiovasculaires chez 800 patients d’entre eux; bénéfice qui peut encore s’accroitre par l’utilisation plus prolongée de ce traitement. Il faut aussi comprendre que ces myopathies et diabètes induits par les statines ne surviennent pas par hasard. Les myopathies, dans bon nombre de cas, sont prévisibles car elles affectent les patients âgés, polymédiqués (avec des risques d’interactions médicamenteuses), souffrant de problèmes rénaux ou hépatiques, appartenant à certaines ethnies (les Asiatiques). Les personnes qui deviennent diabétiques sous ce traitement affichaient aussi des facteurs prédisposant au diabète avant le traitement (obésité, antécédents familiaux de diabète, glycémie élevée au départ, etc.) et auraient développé leur diabète même si elles n’avaient pas pris de statine. Il faut bien préciser aussi de quel « diabète » on parle. Il ne s’agit pas d’un diabète qui soudainement doit requérir d’utiliser des injections d’insuline, mais bien un état qui nécessite de rééquilibrer l’alimentation, ce qui suffit à corriger et même faire disparaître ce diabète.

Ainsi, 800 patients en bénéficient et moins de 60 peuvent avoir des effets secondaires, significatifs mais réversibles sans aucun effet résiduel, après l’arrêt (ou la réduction des doses ou le changement) de la statine ou par corrections de quelques facteurs, alors que les complications cardiovasculaires du cholestérol sont irréversibles, voire fatales.

 

NÉFASTES CONSÉQUENCES DE CES ÉMISSIONS

Le risque d’une telle émission est qu’elle affecte la crédibilité de la recherche scientifique et du monde médical. Sans compter les pertes de temps et d’énergie que le médecin devra consacrer pour rassurer les patients sur leurs médications. Non seulement ce temps et cette énergie auraient pu être mis à profit pour d’autres choses plus importantes, mais à force de frustration, la motivation même du médecin à s’investir dans la prévention des maladies risque de s’affaiblir. Mais surtout, le risque est que certains patients arrêtent définitivement leurs médicaments avec les conséquences dramatiques sur la santé publique. Celles-ci ont d’ailleurs déjà été évaluées, car ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène se produit. Ainsi, en France, un groupe de chercheurs avaient étudié les conséquences de la controverse initiée par le livre des docteurs Even et Debré publié en février 2013 (4). Suite à la sortie du livre, ils ont observé, sur base des données des assurances maladie une augmentation importante de 40% de la proportion de patients arrêtant leur statine. À partir des données démographiques (certificat de décès), ils se sont rendu compte que, dans les mois qui ont suivi cet arrêt, la mortalité avait augmenté de 17% chez les personnes qui avaient arrêté. Cette augmentation de mortalité était la plus élevée (+26%) parmi les patients qui avaient souffert précédemment de maladies vasculaires (coronaires ou accident vasculaire cérébral). Les mêmes observations ont été répétées en Angleterre et au Danemark sous l’effet de controverses semblables.

 

CONCLUSIONS

On ne peut que regretter ce genre d’émission. L’article se veut surtout rassurant. Heureusement, d’après notre propre expérience et celles d’autres collègues, peu de patients sont venus l’évoquer lors de leur visite et aucun n’a déclaré vouloir arrêter ses médicaments. Sans doute, la raison l’a-t-elle emporté sur l’irrationnel et l’émotionnel de ces thèses complotistes, improductives et anxiogènes qui fleurissent sur les médias. Sans doute aussi la confiance vis-à-vis de leur médecin reste-t-elle bien ancrée et ne se laisse pas facilement éroder par les montages de quelques journalistes et médecins irresponsables et éloignés de la réalité.

 

AFFILIATIONS

1 Président de la Belgian Society of Atherosclerosis
2 Président de l’Association des Patients Souffrant d’Hypercholestérolémie Familiale (www.Belchol.be).
3 Président de la Belgian Society of Cardiology.
4 Président-élu de la Belgian Society of Cardiology
5 Past Président de la Belgian Society of Cardiology
6 Président de l'Association Belge du Diabète
7 Président de la Belgian Working Group on Cardiovascular Prevention and Rehabilitation
8 Editeur en chef de Acta Cardiologica
9 Président du Comité Scientifique de la Ligue Cardiologique Belge
10 Conseiller scientifique de la Ligue Cardiologique Belge
11 General Manager de la Ligue Cardiologique Belge

 

CORRESPONDANCE

Dr. Olivier Descamps

Département de Médecine Interne
Centres Hospitaliers Jolimont
Rue Ferrer 159
B-7100 Haine Saint-Paul.
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de cardiologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles

 

RÉFÉRENCES

  1. Descamps OS. Réponse des associations belges au reportage d’ARTE « Le bluff du cholestérol ». Louvain Med. 2016; 135 (9): 609-612. 
  2. Cholesterol Treatment Trialists, Baigent C, Blackwell L, Emberson J, Holland LE, Reith C, Bhala N et al. Efficacy and safety of more intensive lowering of LDL cholesterol: a meta-analysis of data from 170,000 participants in 26 randomised trials. Lancet. 2010 ; 376, 1670-1681. Ouvrir dans PubMed
  3. Descamps OS. Polémique, intolérance, non adhérence et autres contrariétés autour de la prescription des statines ? Comment y faire face ? Louvain Med. 2016; 135 (9): 600-608.
  4. Bezin J, Francis F, Nguyen NV, Robinson P, Blin P, Fourrier-Réglat A, Pariente A, Moore N. Impact of a public media event on the use of statins in the French population. Arch Cardiovasc Dis. 2016 Jul 26. pii: S1875-2136(16)30133-4. Ouvrir dans PubMed

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