Pubarche prématurée : quand faut-il s’inquiéter ?

Précédent
Véronique Beauloye Publié dans la revue de : Mars 2017 Rubrique(s) : Endocrinologie
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

La survenue d’une pilosité pubienne précoce est souvent une source d’inquiétude, tant pour les familles que pour les médecins. Dans la majorité des cas, il ne s’agit que d’une variante de la normale ou prémature adrenarche. Cependant, cette situation peut être en rapport avec des pathologies potentiellement graves comme une hyperplasie congénitale des surrénales ou une tumeur surrénalienne ou gonadique qu’il convient de diagnostiquer et de prendre en charge.

Que savons-nous à ce propos ?

L’apparition précoce d’une pilosité pubienne isolée est souvent confondue avec une puberté précoce.

Que nous apporte cet article ?

Cet article apporte une aide à la démarche diagnostique devant l’apparition d’une pilosité précoce chez l’enfant

Mots-clés 

Pubarche, prémature adrenarche, virilisation, puberté

Article complet :

DÉFINITION

Le terme pubarche est un terme descriptif qui indique l’apparition d’une pilosité pubienne. Une pilosité axillaire peut être associée à la pilosité pubienne ou apparaitre de manière isolée. La pubarche prématurée se définit comme l’apparition de longs poils noirs bouclés au niveau du pubis (et/ou axillaire) avant l’âge de 8 ans chez la fille et avant 9 ans chez le garçon. Cette entité ne doit pas être confondue avec un simple duvet, fréquent chez l’enfant ou une hypertrichose qui implique une pilosité s’étendant sur tout le corps comme on le voit dans certaines origines ethniques ou lors de l’utilisation de certains médicaments.

DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Les deux points essentiels de la démarche diagnostique consisteront à déterminer si l’apparition de la pilosité pubienne (± axillaire) précoce s’accompagne d’une accélération de croissance et si elle est isolée ou associée à d’autres signes soit de virilisation soit de puberté.

A. Accélération de croissance et avance d’âge osseux

Toute accélération de croissance staturale et avance de l’âge osseux signe une imprégnation hormonale anormale (soit oestrogénique en cas de puberté précoce, soit androgénique en cas de virilisation). Un élément clé de la démarche diagnostique est donc la reconstruction de la courbe de croissance (taille) à partir des données disponibles dans le carnet de santé de l’enfant ou de la visite médicale et la réalisation d’un âge osseux (radiographie de la main et du poignet gauche). Si l’évolution de la taille de l’enfant croise les percentiles vers le haut (Figure 1), on parle d’accélération staturale. Il convient toujours de revoir les patients présentant une pubarche prématurée après 6 mois pour s’assurer qu’il n’y a pas d’accélération staturale.

La lecture de l’âge osseux est basée sur les épiphyses radiales et cubitales, les métacarpiens et les phalanges, en référence à l’atlas de Greulich et Pyle. À l’âge de 7-8 ans, une avance d’âge osseux est significative si l’âge osseux est avancé de 2 ans (+ 2DS) par rapport à l’âge chronologique (1).

B. Pubarche isolée ou associée à d’autres signes

I. Virilisation

Les signes de virilisation chez l’enfant sont la raucité de la voix, la clitoromégalie (Figure 1) chez la fille ou l’allongement de la verge chez le garçon (sans augmentation de volume des testicules). Ils sont le signe d’une imprégnation androgénique.

L’apparition rapidement progressive d’une pilosité pubienne, accompagnée d’acné, d’une accélération de la croissance, d’une hypertrophie clitoridienne chez la fille et d’une augmentation de volume de la verge chez le garçon doit faire éliminer une tumeur de la surrénale. Le plus souvent, il s’agit de tumeurs sécrétant des androgènes, mais parfois aussi du cortisol ou des estrogènes. Les dosages hormonaux très élevés (DHEAS (sulfate de déhydroépiandrostérone), Δ4-androstènedione, testostérone) et une échographie surrénalienne permettent un diagnostic rapide. Plus rarement, il s’agit de tumeurs ovariennes ou testiculaires (Leydigome) ou plus rarement encore de tumeurs secrétant de l’HCG (Human Chorionic Gonadotrophin) (hépatoblastome).

Plus fréquemment, une pilosité pubienne dans l’enfance doit faire rechercher une forme classique (virilisante pure, accompagnée en général chez les filles d’une hypertrophie clitoridienne ou d’un allongement de la verge chez le garçon) ou plus souvent une forme non classique d’hyperplasie congénitale des surrénales. Le terme « hyperplasie congénitale des surrénales » (HCS) désigne un groupe de maladies autosomiques récessives, caractérisées par des défauts enzymatiques de la biosynthèse du cortisol. Le point commun de toutes ces affections est la diminution de la production de cortisol, qui entraîne une augmentation de la sécrétion d’ACTH hypophysaire et une hyperplasie des surrénales. La plus fréquente des HCS (95% des HCS), est causée par une mutation du gène CYP21A2 situé sur le chromosome 6p21.3 et codant pour une enzyme appelée la 21-hydroxylase. Le déficit d’activité de cette enzyme entraine un blocage dans la production du cortisol et de l’aldostérone et, suite à la production exagérée d’ACTH qui en résulte, une accumulation considérable de précurseurs en amont de ce bloc qui sont transformés en androgènes (Figure 2).

La sévérité de l’hyperplasie congénitale des surrénales dépend du degré du déficit en 21-hydroxylase c’est-à-dire de l’activité résiduelle de l’enzyme suite à la mutation. On distingue deux formes d’hyperplasie congénitale par déficit en 21-hydroxylase : les formes classiques (sévères) et non classiques (peu ou pas symptomatiques et de diagnostic tardif).

Les formes classiques se présentent sous 2 formes : le plus souvent avec un syndrome de perte de sel (deux tiers des cas), soit sous forme virilisante pure. Les filles atteintes de formes classiques d’HCS sont diagnostiquées en prénatal ou à la naissance, devant une virilisation des organes génitaux externes de degré variable (allant de l’hypertrophie clitoridienne à un aspect masculin des organes génitaux externes sans gonade palpable), avec un utérus et des ovaires normaux. Les garçons atteints de formes classiques d’HCS avec perte de sel sont diagnostiqués vers la deuxième semaine de vie suite à une déshydratation ou une absence de prise de poids. Ils ne présentent aucune anomalie des organes génitaux externes.

Les formes virilisantes pures peuvent être diagnostiquées plus tardivement, habituellement entre 6 mois et 3-4 ans. Dans ce cas, la pubarche s’accompagne d’une virilisation (Figure 1), d’une accélération de croissance et d’une avance d’âge osseux.

Les formes non classiques se manifestent plus tardivement, vers l’âge de 7- 8 ans (pubarche, avance staturale et de maturation osseuse) tant chez la fille que chez le garçon, à l’adolescence ou l’âge adulte chez la femme (hirsutisme, a- ou oligoménorrhée, infertilité). Dans certains cas, ces formes non classiques peuvent être totalement asymptomatiques. Le diagnostic d’une HCS par déficit en 21-hydroxylase repose sur une augmentation de la 17-hydroxyprogestérone de base (8h du matin) et/ou après stimulation par l’ACTH. L’étude en biologie moléculaire du gène de la 21-hydroxylase (CYP21A2) viendra confirmer le diagnostic (2).

Une cause plus rare de virilisation est l’apport exogène d’androgènes par contact direct (main, peau, baiser) avec un parent ou grands-parents utilisant des gels de testostérone ou des crèmes anabolisantes pour la musculation.

II. Puberté

L’apparition de la pilosité n’est pas isolée et s’accompagne du développement parallèle d’autres caractères sexuels. Les premières manifestations de la puberté sont le développement des seins chez la fille et l’augmentation du volume (> 4ml) des testicules chez le garçon. La pubarche ne survient que bien après. La puberté précoce se définit non pas comme l’apparition d’une pubarche mais comme l'apparition d'un développement mammaire avant l'âge de 8 ans chez la fille et d'une augmentation du volume des testicules >4 ml avant 9 ans chez le garçon. La démarche diagnostic et la prise en charge des pubertés précoces ont été décrites dans un article précédent de cette revue (3).

III. Prémature adrénarche

L’adrénarche correspond à la puberté de la glande surrénale. Les mécanismes d'initiation de la sécrétion des androgènes surrénaliens à l'adrénarche sont différents de ceux qui régulent la gonadarche et ne sont pas encore bien compris. Une augmentation de l’activité de la 17-hydroxylase et de la 17,20-lyase a été observée conjointement avec une réduction de l’activité de la 3β-hydroxysteroïde déshydrogénase. Le diagnostic de prémature adrénarche est un diagnostic d’élimination. La pubarche est isolée (une pilosité axillaire et /ou un changement d’odeur corporelle peuvent néanmoins être associés) et il n’y pas d’accélération de croissance. La prémature adrénarche survient souvent vers 6 à 7 ans. Elle concerne les deux sexes, mais est trois fois plus fréquente chez la fille. Il existe parfois une petite avance d’âge osseux. L’échographie pelvienne chez la fille montre des organes génitaux internes impubères. Les dosages hormonaux retrouvent une augmentation des androgènes surrénaliens (DHEAS) circulants. Ces patients font une puberté normale. Aucun traitement n’est à envisager (4).

Cette entité était, jusqu’il y a peu, considérée comme une variante de la normale mais des données récentes suggèrent que cette situation pourrait être un signe annonciateur d’un syndrome métabolique ou précéder le développement d’ovaires polykystiques.

En fait, cette séquence – prémature adrénarche, syndrome métabolique, ovaires polykystiques) semble être plus fréquente lorsque la pubarche prématurée est précédée soit d'une croissance fœtale réduite (dysmaturité) suivie d'un rattrapage postnatal excessif en taille mais surtout en poids soit d’une prise de poids excessive dans la petite enfance. Le développement d’une insulinoresistance semble être un facteur clé dans l’ontogenèse de cette séquence d'événements. Chez les filles atteintes d'une pubarche prématurée ayant présenté un faible poids à la naissance suivi d’une croissance de rattrapage, des études récentes ont montré que la metformine peut inverser la progression vers l'hyperandrogénie ovarienne clinique, normaliser la composition corporelle et l'excès de graisse viscérale, et retarder la progression pubertaire sans atténuer la croissance linéaire et la minéralisation osseuse (5). Néanmoins, des études de suivi l’âge adulte sont nécessaire chez ces patientes pour déterminer les effets à long terme de la metformine ainsi que pour vérifier le maintien des avantages observés après l'arrêt du traitement.

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

Les points clés de cet article sont :

- Les premières manifestations de la puberté sont le développement des seins chez la fille et des testicules chez le garçon. Il ne faut donc pas confondre puberté et pubarche.
- Le diagnostic de prémature adrénarche est le diagnostic le plus fréquent mais est un diagnostic d’exclusion.
- L’accélération de la croissance staturale est un signe crucial à rechercher pour orienter le diagnostic. La démarche clinique à suivre est résumée dans la figure 3.

CONCLUSION

Une bonne compréhension de la physiopathologie ainsi qu’une étude complète des données cliniques et auxologiques de l’enfant permettent le plus souvent de rassurer la famille et de poser le diagnostic de prémature adrénarche, situation la plus fréquente. Parfois l’évolution clinique et les signes cliniques associés attirent l’attention et orientent le diagnostic vers des pathologies plus graves qui seront identifiées grâce à la biologie et l’imagerie.

Correspondance

Pr. Véronique Beauloye
Cliniques universitaires Saint-Luc
Unité d’endocrinologie pédiatrique
Université catholique de Louvain
B-1200 Bruxelles

Références

  1. Bourguignon JP, Lebrethon MC. Approche algorithmique de la puberté précoce et tardive chez la fille. Rev Med Liège 1999 ; 54(5) : 362-6.
    ouvrir dans Pubmed

  2. Clayton PE, Miller WL, Oberfield SE, Ritzén EM, Sippell WG, Speiser PW; ESPE/ LWPES CAH Working Group. Consensus statement on 21-hydroxylase deficiency from the European Society for Paediatric Endocrinology and the Lawson Wilkins Pediatric Endocrine Society. Horm Res 2002; 58(4):188-95.
    ouvrir dans Pubmed

  3. Beauloye V. Pubertés précoces. Louvain Med 2013 ; 132 (9): 669-672.

  4. Pauliina Utriainen, Saila Laakso, Jani Liimatta, Jarmo Jääskeläine, Raimo Voutilainen. Premature Adrenarche – A Common Condition with Variable Presentation. Horm Res Paediatr 2015; 83:221–231.
    ouvrir dans PUbmed

  5. Ibáñez L, Potau N, Ferrer A, Rodriguez-Hierro F, Marcos MV, De Zegher F. Anovulation in eumenorrheic, nonobese adolescent girls born small for gestational age: insulin sensitization induces ovulation, increases lean body mass, and reduces abdominal fat excess, dyslipidemia, and subclinical hyperandrogenism. J Clin Endocrinol Metab 2002; 87(12): 5702-5.
    ouvrir dans Pubmed