Pièges de l’imagerie hypophysaire (présents et à venir…)

Précédent
Thierry Duprez Publié dans la revue de : Septembre 2022 Rubrique(s) : Endocrinologie
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Après un bref rappel historique de l’imagerie diagnostique pituitaire et de la sémiologie de base en IRM, les pièges qui jalonnent l’imagerie pituitaire au quotidien sont évoqués et illustrés. Le risque de faux positifs à vouloir être trop performant dans la détection des micro-lésions, et celui de méconnaître la complexité du diagnostic différentiel des macro-lésions sont majeurs. Les progrès de la technologie ont généré deux pistes récentes d’amélioration : l’IRM corps entier 7 Teslas (7T) et surtout le deep-learning (DL) dont les promesses sont discutées sur base des premières données de la littérature.

Mots-clés

Hypophyse, imagerie diagnostique, IRM.

Article complet :

Historique

L’imagerie hypophysaire du 20ième au 21ième siècle

L’imagerie diagnostique de l’hypophyse est née en fin des années 1970, une décade après la mise en service du premier prototype de CT scanner à Rayons X en site clinique (1969). L’imagerie CT de cette ‘petite’ glande dont on pouvait ainsi ‘voir’ les contours et surtout la texture a apporté un énorme plus par rapport aux clichés radiologiques standards du crâne qui montraient seulement des contours sellaires normaux ou élargis (selles ‘ballonnées’ correspondant dans la grande majorité des cas à des arachnoïdocèles intra-sellaires) et/ou des lyses osseuses suspectes de processus agressifs. Rapidement s’est imposé le bénéfice de l’injection du produit de contraste iodé qui permettait de rehausser le parenchyme pituitaire pour mieux en définir les contours et surtout les hétérogénéïtés texturales. C’est ainsi que la technique de la parenchymographie dynamique est apparue qui exploitait le différentiel de cinétique de rehaussement entre le processus tumoral bénin le plus fréquent - l’adénome - et le reste du parenchyme sain. Contrairement aux autres organes où très souvent le processus expansif est hypervascularisé et montre une cinétique de rehaussement plus précoce et plus intense que le parenchyme sain, l’adénome hypophysaire montre un rehaussement plus lent et moins intense parce qu’immergé dans un parenchyme endocrine au départ très intensément vascularisé.

L’imagerie ‘dynamique’ du micro-adénome hypophysaire était donc née en CT scanner. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est ensuite apparue comme une révolution en imagerie diagnostique. Elle fut introduite en pratique clinique en 1981 à San Francisco, et implémentée aux Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL) en 1986. Non seulement elle montrait une discrimination anatomique beaucoup plus sensible des tissus mous dans ses différentes ‘pondérations’ par rapport à la ‘mono-pondération’ du CT scanner, mais en plus, l’intensité du rehaussement obtenu par le produit de contraste d’IRM (chélates de gadolinium) était beaucoup plus forte que celle obtenue au CT scanner par l’injection des produits de contraste iodé. En prime, la nouvelle technique utilisait pour la génération des images un medium physique (champs magnétiques) sans effet biologique significatif alors que le CT scanner utilisait des rayons X qui sont des radiations ionisantes à effet biologique délétère et cumulatif au fil des examens. Enfin le produit de contraste d’IRM ne provoquait que de très rares réactions allergiques, et était réputé à son introduction être d’une totale innocuité, concept qui s’est quelque peu amendé au fil des décennies.

On tenait donc avec l’IRM la modalité d’imagerie de choix pour l’hypophyse. La seule réserve était liée à la profondeur de la région anatomique explorée et au fait que le signal de résonance s’atténue avec le carré de la distance entre l’organe émetteur et l’antenne réceptrice du signal. L’organe étant situé en profondeur du crâne et l’antenne de tête réceptrice étant à distance non compressible de la région d’intérêt, il fallait des appareillages à haut champ magnétique (1.5 Tesla à l’époque, comme notre appareil initial aux CUSL), et des temps d’acquisition longs pour obtenir des clichés relativement pixellisés qu’il fallait lisser pour les rendre lisibles. Les progrès de la technologie ont rapidement amélioré la situation.

Comme en CT scanner, on démasquait les micro-adénomes par parenchymographie dynamique en injection IV en bolus de produit de contraste, utilisant des chélates de gadolinium au lieu des composés iodés. La discrimination tissulaire nettement améliorée par un contraste exquis des tissus mous hydratés et adipeux combinée à un rehaussement plus efficace sous produit de contraste donnaient l’impression d’une sémiologie radiologique de l’hypophyse rendue plus efficace et donc plus accessible.

Considérer toutefois l’IRM de l’hypophyse comme une imagerie ‘facile’ où les lésions seraient systématiquement évidentes et indubitables quant à leur nature est cependant une erreur. S’il est vrai que les textbooks d’imagerie ‘grand publics et all purpose’ montrent généralement des situations univoques voire caricaturales (‘The beauty of the basics’), dans la réalité de tous les jours c’est loin d’être le cas. Bien sûr que le macro-adénome chez le patient qui a une PRL sérique très élevée ne passera pas inaperçu.

Bien sûr que la croissance/stabilité/décroissance du micro-adénome s’individualisant dès le départ de façon claire ne posera pas de problème d’interprétation quant à son évolution sur des examens de contrôle sériels. Bien sûr que la compression symptomatique du chiasme optique sera identifiée et que le caractère infiltré du sinus caverneux adjacent à l’adénome ne fera aucun doute si le segment intra-caverneux de la carotide interne est incarcéré sur toute sa circonférence. Pourtant, l’IRM de l’hypophyse est un des domaines de la formation des MACCS en radiologie diagnostique les plus déstabilisant. A côté des situations claires, fourmillent des cas pas simples d’interprétation tant s’agissant d’affirmer le caractère normal ou pathologique de l’hypophyse que d’évaluer et décrire la morphologie et la nature des modifications observées.

Piège avéré n°1 : le vrai et le faux négatif des micro-lésions

Si l’on ne considère comme pathologique que ce qui est ‘macroscopiquement’ évident, on risque de perdre en sensibilité, par négligence des petites anomalies. En 32 ans d’expérience et ayant pratiqué des milliers d’examens à trois hauteurs de champs (0.5T, 1.5T, et 3.0 Teslas), je puis affirmer que l’hypophyse est finalement un organe non seulement petit, … mais également souvent difficile à interpréter quant à sa texturalité fine. C’est là qu’interviendrait l’expérience de l’observateur… peut être dépassée dans un proche avenir par l’intelligence artificielle (voir plus loin). Il y a des parenchymes pituitaires homogènes en pondération T1, en pondération T2, en parenchymographie T1 dynamique en injection de produit de contraste. Et puis il y en a qui sont hétérogènes. Où et comment trancher le caractère pathologique ou non du degré d’hétérogénéïté ?

Si l’on est poussé dans le dos par un bilan hormonologique anormal évoquant une sécrétion hypophysaire, on aura une évidente propension à trouver des sites adénomateux en lisière d’interprétabilité. La surinterpétation d’images d’hétérogénéïte ‘borderline’ amènera à prendre des risques dans la détermination de la latéralité droite ou gauche de la source sécrétoire pour le neurochirurgien. Un cas est montré dans la présentation qui illustre à merveille ceci : une patiente présente une maladie de Cushing (MC) biologiquement établie pour laquelle un bilan d’imagerie extra-muros ne démontre pas de nodularité suspecte au sein de la glande pituitaire (40 à 50% des cas de MC dans la littérature). Par contre un cathétérisme pétreux sélectif (IPSS – Inferior Petrous Sinus Sampling) montrera univoquement non seulement la source hypophysaire de la sécrétion d’ACTH, mais aussi un gradient élevé gauche/droit des dosages suggérant une localisation droite de la sécrétion. Consulté, je trouve une hypophyse légèrement hétérogène, sans franc nodule univoque et conclus diplomatiquement (?) que je n’ai ‘rien contre’ une latéralisation droite mais qu’elle n’est pas évidente pour moi non plus. La patiente bénéficie d’une adénectomie droite, … sans tarissement de l’hypercorticisme et avec négativité histopathologique du spécimen reséqué. Une revue de l’opacification réalisée lors de l’IPSS montre d’importants shunts veineux coronaires entre les sinus caverneux. Une erreur de localisation par shunt veineux est alors évoquée et relisant l’imagerie hypophysaire intra-muros, j’arrive à la conclusion réverse que je n’ai ‘rien contre’ une localisation gauche. La patiente bénéficie d’une seconde adénectomie, cette fois à gauche, qui ne tarit pas non plus l’hypercorticisme et dont le spécimen anatomo-pathologique est de nouveau négatif. En désespoir de cause, un PET utilisant la méthionine marquée comme traceur montre une avidité focalement anomale dans une formation nodulaire du sinus sphénoïde que tous les observateurs radiologiques avaient qualifié – à raison - de polype muqueux banal. La résection de ce ‘polype’ guérira la patiente.

Ce cas illustre à merveille le danger de surinterprétation d’hétérogénéïtes texturales à l’IRM mettant en péril la performance diagnostique en termes de spécificité. Une démarche trop frileuse les évitera mais au prix d’une chute de sensibilité.

Piège avéré n°2 : la complexité du diagnostic de nature des macro-lésions

La très grande prévalence de l’adénome hypophysaire bénin dans le diagnostic de nature des processus expansifs intra-sellaires, avec ou sans extension supra-sellaire, amène parfois à proposer ce diagnostic de façon parfois peu discriminative pour nombre de lésions pituitaires nodulaires ou infiltratives vues à l’IRM, et surtout au CT scanner.

Le premier filtre est évidemment le bilan hormonologique qui établit la présence ou non d’une anomalie sécrétoire excédentaire hypophysaire. Dans ce cas la probabilité d’une nature adénomateuse de la lésion sellaire vue à l’IRM passe de grande conviction à quasi-certitude, sauf éléments sémiologiques spécifiques plaidant radicalement contre. Mais la conviction d’une origine hypophysaire de la sécrétion peut rester douteuse.

La situation est plus délicate en cas de négativité du bilan hormonologique, mais cela n’influence en général que peu le compte-rendu radiologique, le rédacteur évoquant l’hypothèse d’un adénome non sécrétant.

La présentation clinique peut intervenir de façon éclairante dans quelques cas de figure : violentes céphalées du vertex avec trouble oculo-moteur évoquant une apoplexie pituitaire très majoritairement en relation avec la présence d’un macro-adénome nécrosé ou hémi-anopsie temporale bilatérale qui ne peut être pratiquement liée qu’à un processus expansif avec extension supra-sellaire avec, par priorisation statistique le fréquent macro-adénome non sécrétant, le rare crânopharyngiome, et le très rare méningiome intra-sellaire.

Lorsque le patient est asymptomatique, sans dysfonctionnement hormonologique, et que le CT scanner ou l’IRM cérébrale réalisée pour exclure une tumeur, un saignement, une hydrocéphalie, ou un AVC montre une anomalie pituitaire, on se trouve devant un « incidentalome ».

C’est dans ces conditions que s’exprimera le discernement du radiologue pour établir la nature de la lésion dont la liste essentielle comportera (1) :

- pseudo-incidentalomes : artéfacts techniques ;
- selles ‘vides’ (arachnoïdocèles intra-sellaires contenant du LCR) ;
- adénome hypophysaire (le plus souvent non sécrétant) ;
- kyste de la poche de Rathke depuis le kyste simple de LCR jusqu’au kyste protéïné expansif ;
- crâniopharyngiome ;
- méningiome.

Les pistes du diagnostic différentiel sur base sémiologique en IRM de chacune de ces entités sont montrées dans la présentation.

De très rares situations ont été observées dans notre pratique, mentionnées à titre documentaire, et toutes découvertes par examen anatomopathologique du prélèvement chirurgical : un abcès récidivant de la loge pituitaire, une sarcoïdose, une amyloïdose, un gangliocytome, etc… sans oublier quelques rares cas de carcinome pituitaire.

Piège avéré n°3 : évaluation pré-chirurgicale de l’extension intracaverneuse de l’adénome hypophysaire

Si l’extension crâniale de la lésion ne fait pas de difficulté en raison de la démarcation ‘clear-cut’ entre le dôme tumoral et le LCR de la citerne opto-chiasmatique, ni celle de l’extension caudale consistant souvent en une déformation du plancher sellaire, parfois transgressé par la tumeur facile à démarquer soit de l’air soit de la muqueuse inflammatoire du sinus, l’évaluation de l’infiltration tumorale caverneuse est un point délicat. En effet, le neuro-chirurgien informé de la présomption d’une telle infiltration prendra les mesure adhoc pour optimaliser la complétude du geste chirurgical, et le patient sera informé de la difficulté additionnelle du geste de résection ainsi que du risque majoré que la suppression complète de l’hypersécrétion ne soit pas obtenue. Plusieurs échelles d’évaluation par IRM de l’infiltration caverneuse par les adénomes hypophysaires ont été proposées : critères de Knosp (initiaux en 1993, modifiés en 2015), de Hirsch, de Hardy, de Moreau. Ces critères restent probabilistes, sauf incarcération circonférentielle complète du segment intra-caverneux de l’artère carotides où l’infiltration caverneuse devient une certitude dans 100% des cas. Une remarquable revue synoptique de la performance des différentes échelles d’évaluation radiologique a été réalisée qui conclut qu’elles sont certes ‘relevantes’ mais que l’affirmation de l’invasion caverneuse repose toujours sur l’analyse combinée des données d’imagerie IRM, intra-opératoires, et histopathologiques (2).

Piège potentiel n°4 : les promesses de l’appareillage d’IRM corps entier à 7 Teslas

Un grand battage scientifique et commercial se développe autour des potentialités des appareillages 7 Teslas ‘corps entier’ que les manufacturiers d’IRM voudraient voir sortir du champ clôt de la recherche pour émerger à la pratique clinique. Dans cette perspective, l’évaluation clinique 7 Teslas de l’hypophyse est une cible de choix. En effet, le gain en rapport signal/bruit obtenu à 7 Teslas par rapport au 3 Teslas permet une meilleure définition (résolution spatiale) des images de l’hypophyse, notamment de ses rapports anatomiques avec les structures sensibles avoisinantes (vaisseaux, paires crâniennes, etc…) dans les situations pré-chirurgicales. Egalement, le très haut champ accentue par effets de susceptibilité magnétique la discrimination tissulaire de certains tissus, notamment porteurs de métalloïdes comme les noyaux gris centraux. Ce n’est pas le cas de la glande pituitaire, mais des publications apparaissent sur les potentialités spéculées du 7 Teslas à réduire le taux de faux négatifs de l’IRM dans la détection des micro-adénomes… surtout dans la maladie de Cushing où il culmine à 40% dans la littérature. Il s’agit d’études préliminaires sur des échantillons limités de patients (3). La conclusion (attendue) reste toujours la même pour le moment : une piste d’amélioration semble se dessiner mais des études plus larges sont nécessaires pour valider ces résultats préliminaires… Nous verrons donc.

Piège potentiel n°5 : les promesses du Deep-Learning (DL)

L’AI (‘Artificial Intelligence’) colonise l’imagerie diagnostique à tous les niveaux. Dans le domaine qui nous occupe, le ‘denoising’ (suppression du ‘bruit’ des images à bas rapport signal/bruit) permet de transformer une image hypophysaire de basse qualité et obtenue avec un temps d’acquisition record en une superbe image ‘débruitée’, … sans perte d’information diagnostique … nous dit-on.

Cette technologie permettrait d’aller à la fois d’aller plus vite en amont (réduction du temps d’acquisition des séquences) et de faire mieux en aval par analyse DL des clichés (4).

Cela pourrait solutionner nos problèmes de faible sensibilité dans la détection des micro-adénomes, d’évaluation de l’infiltration caverneuse (5), de quantification du résidu tumoral post-opératoire (5), etc… Nous verrons donc.

En conclusion, l’imagerie pituitaire par IRM n’est pas si aisée que présentée dans les textbooks. A côté des situations caricaturales, de multiples pièges existent qui nécessitent discernement et analyse sémiologique fine. Certains pièges sont listés ci-dessus et illustrés dans la présentation. Les accélérations de la technologie sont saisissantes et pourraient changer la donne dans un proche avenir, notamment le très haut champ magnétique (7T) et le deep-learning, ceci avec les réserves explicites d’un status pré-clinique.

Références

  1. S.M. Constantinescu, D. Maiter. Pituitary incidentaloma. Presse Med. 2021 ; 50 : 104081 https://doi.org/10.1016/j.Ipm.2021.104081.
  2. Serioli S, Doglietto F, Fiorindi A et al. Pituitary adenomas and invasiveness from anatomo-surgical, radiological, and histological perspectives : a systematic leterature review. Cancers. 2019 ; 11, 1936 ; doi : 10.3390/cancers11121936 .
  3. Eisenhut F, Schlaffer SV, Hock S et al. Ultra-high-field 7T MRI including dynamic and staticcontrast-enhanced T1-weighted imaging improves detection os secreting pituitary microadenomas. Invest Radiol. 2022; 57 :567-574.
  4. Kim M, Kim HS, Park JE et al. Thins slice pituitary MRI with Deep learning-based reconstruction for preoperative prediction of cavernous sinus invasion by pituitary adenoma. : a prospective study. Am J NeuroRadiol (AJNR). 2022; 43 :280-85.
  5. Kim M, Kim HS, Kim HJ et al. Thin-slice pituitary MRI with Deep Learning-based reconstruction : diagnostic performance in a postoperative setting. Radiology. 2021; 298 :114-122

Correspondance

Pr. Thierry Duprez
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique
thierry.duprez@saintluc.uclouvain.be