Parcours historique de la formation médicale : le retour d’Hippocrate ?

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Jean-claude Debongnie Publié dans la revue de : Avril 2022 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Pendant longtemps, l’art de guérir ou plutôt l’art de soigner était l’œuvre d’artisans et le mode d’emploi transmis individuellement, le plus souvent dans la famille à un des fils.

Article complet :

Pendant longtemps, l’art de guérir ou plutôt l’art de soigner était l’œuvre d’artisans et le mode d’emploi transmis individuellement, le plus souvent dans la famille à un des fils. Tant en Mésopotamie qu’en Egypte et chez les hébreux, la médecine est imprégnée de religion et de magie, enseignée dans les temples à partir de tablettes en écriture cunéiforme, à partir de papyrus dans les maisons de vie égyptiennes, centres d’éducation multidisciplinaires (religieuses, magiques, astronomiques, et donc médicales), ébauches d’école de médecine . Il s’agissait à la fois d’apaiser le génie malfaisant, cause de la maladie et de traiter celle-ci .

Hippocrate ( 460-377 av. J.-C. ) fut le premier à enseigner la médecine hors du cadre familial. Il descendait d’ Esculape, figure mythologique de la médecine. Son grand-père s’appelait Hippocrate (nom également donné à deux petits fils médecins). Il fut le premier à abandonner les explications religieuses ou magiques et à prôner un rationalisme appliqué à l’expérience. Ainsi, le « mal sacré » cad l’épilepsie était considéré d’origine divine. Il en affirme l’origine naturelle. L’enseignement donné hors du cadre familial à de nombreux élèves justifie le nom d’ «école de Cos » et explique le serment d’Hippocrate qui demande au récipiendaire de considérer son maitre comme ses propres parents, de le subsidier etc. Parmi ses élèves, Polybe, auteur d’un des écrits hippocratiques, épousa sa fille. Un élève devait écrire des fiches sur les malades (ancêtres du dossier médical), notant les données et leur évolution. De son maitre, il apprenait le savoir, le savoir faire et le savoir être. L’enseignement d’ Hippocrate, source pour le millénaire suivant, est transcrit dans ce qu’on appelle le Corpus Hippocratiqu, constitué d’une trentaine de volumes.

Jusqu’à l’époque romaine, il n’y a pas d’écoles proprement dites, ni d’instituts d’enseignement. Le terme école a soit une connotation géographique : l’école de Cos (celle d’Hippocrate), celle de Cnide, plus pragmatique, celle d’Alexandrie plus tardive, ou philosophique au sens de courant de pensée et on parle alors de sectes (terme non péjoratif). La secte dogmatique, de lignée hippocratique, au-delà de l’expérience sensible de l’observation ,cherche les causes et veut raisonner logiquement. La secte empirique, à la suite des philosophes sceptiques, fonde le savoir sur les observations personnelles et n’est nullement intéressée par ce qui cause la maladie mais par ce qui la supprime. L’école d’Alexandrie développa fort l’anatomie, bénéficiant de la célèbre bibliothèque qui confisquait tous les livres des navires pour les recopier en gardant l’original, contenant ainsi une grande partie du savoir de l’époque. Petite digression sur les supports de l’enseignement : jusqu’à la parution de l’imprimerie qui a suivi celle du papier, pendant plus d’un millénaire, l’écrit était rare et cher. Le papyrus, fabriqué à partir de lamelles de roseaux, sous forme de feuilles, formait des rouleaux en général hauts de 30 cm et longs de 3 m. Plus tard est apparu le parchemin, réalisé à partir de peau d’animal, de conservation plus facile et permettant l’écriture des deux côtés. Dans les deux cas, il s’agissait de manuscrits , écrits donc à la main non seulement pour l’original mais pour chaque copie, ce qui explique leur cout et leur rareté. La lecture, même individuelle, se faisait à voix haute.

Les premières écoles proprement dites semblent avoir été romaines. La médecine romaine a été longtemps une médecine d’importation grecque et alexandrine. L’organisation de l’empire romain s’est traduite dans la formation de médecins publics et de médecins militaires dans des écoles avec un contrôle des connaissances, un diplôme et un numerus clausus. Deux noms sont à retenir : Celsius et Galien. Celsius, non médecin , a publié une encyclopédie des métiers, est considéré comme le premier vulgarisateur de la médecine, écrivant pour le grand public intéressé par la médecine. C’est surtout l’instigateur du latin médical qui va perdurer plus de mille ans. Il traduit le grec et crée des termes latins. Galien (129-201), écrivant en grec, est un admirateur et un commentateur d’Hippocrate et sera le deuxième père fondateur de la médecine antique . Auteur de plus d’une centaine de traités, il contribua en anatomie (ostéologie, système nerveux etc ) et fut expérimentateur en physiologie . Hippocrate et Galien sont les deux « bibles « du savoir médical antique et il sera donc interdit de les critiquer pendant plus de mille ans.

Après Mahomet, après l’extension de l’Islam en un empire s’étendant de l’Inde à l’Espagne, l’héritage médical antique a été assimilé et traduit en arabe. C’est ce qu’on appelle la médecine arabo-musulmane, dénomination restrictive car y sont inclus des persans comme Rhazes et Avicenne et des juifs comme Maimonide. Cette médecine n’a pas simplement assimilé le passé mais l’a amélioré. Rhazes ( 865-925 ), auteur de plus de 50 traités médicaux, a par exemple distingué la variole de la rougeole. De nombreuses entités cliniques ont été décrites : la pleurésie – la méningite – la péricardite – le diabète – la lithiase vésiculaire. L’hôpital (bimaristan), dont les ancêtres sont l’hôpital militaire romain (le valetudinaria), et le nosocomia byzantin, comprend plusieurs services spécialisés (contagieux – gynécologie etc) avec des chefs de service. Les plus célèbres sont à Bagdad et au Caire. L’enseignement pratique se fait au lit du malade avec le passage successif de l’étudiant (le stagiaire), le médecin senior (l’assistant) et le patron réalisant le tour de salle. Avant cette étape clinique, l’étudiant reçoit une formation de base : philosophie – sciences naturelles incluant physique et chimie– pharmacologie (la pharmacie nait à cette époque après la découverte de la distillation, l’usage d’alambic, la sublimation, la filtration). A la fin des études, un diplôme, obligatoire pour la pratique de la médecine, est accordé. Avicenne (980-1037) auteur prolixe de plus de 100 livres, fait la synthèse de la médecine dans son « Canon de la médecine », ouvrage de base en Occident dans la suite du Moyen Âge. Après la découverte de l’imprimerie, ce sera l’ouvrage le plus publié après la Bible.

Pendant ce temps, l’Occident a sommeillé dans une période noire, dépourvue de progrès dans l’éducation à part un petit sursaut carolorégien. Les monastères, concentrant les lettrés c’est-à-dire ceux qui savent lire et écrire et donc recopier des livres anciens seront lieux de soin avec des moines-médecins, une bibliothèque, une infirmerie, une herboristerie. Cependant, le salut de l’âme prendra le pas sur le bien-être du corps , la maladie étant une punition divine. Et les hôpitaux, pendant des siècles seront l’effet de la charité chrétienne, lieu d’accueil pour les démunis et non un espace thérapeutique organisé.

A la même époque, l’école de Salerne, port au Sud de Rome, servira de porte d’entrée entre l’Orient et l’Occident. Fondée par des religieux, proche du Mont Cassin, l’école sera adossée à un hôpital et à une bibliothèque, comme à Bagdad. Plus tard, le savoir arabe sera traduit par Constantin l’Africain, constituant la voie italienne de transmission. Gérard de Crémone, vivant à Tolède, traduira de nombreux traités dont Avicenne , constituant la voie espagnole.

C’est sans doute à Paris que les premières études médicales universitaires sont apparues. Il y existait déjà des écoles de médecine. A l’université, la médecine faisait partie de la faculté des Arts , à coté des facultés de droit et de théologie . Tous les membres de l’université étaient astreints au célibat. Pour commencer les études de médecine, il fallait être maitre es arts , sorte d’équivalent au baccalauréat français actuel. Commençait alors la formation de bachelier en médecine qui durait 32 mois. L’enseignement était fait de lectures de livres de médecine, commentés et non pas de cours au sens moderne du terme. Les livres étaient peu nombreux et ceux de la bibliothèque étaient enchainés. Une fois bacheliers, ils suivaient un médecin et au bout de quelques années, devenaient licenciés. A coté des médecins diplômés, l’art de guérir était exercé par de nombreux charlatans, herboristes et autres …

En 1426, l’université de Louvain sera fondée. La faculté de médecine ouvrira ses portes le 18 octobre, fête de St Luc avec deux professeurs, l’un enseignant les « res naturales et non naturales » c’est-à-dire l’anatomie, la physiologie et l’hygiène, l’autre les maladies et leur traitement (« praeter naturam ».).

La Renaissance, entamée au XVe siècle en Italie, à Florence (Quattrocento), poursuivie en France au XVIe siècle verra un renouveau culturel d’abord, scientifique ensuite. Au XVe siècle intervient à un événement majeur pour l’éducation, l’invention de l’imprimerie (Gutenberg). Le livre imprimé véritable machine à enseigner, sera le premier article produit en série. Le premier livre médical (le calendrier des purgations) sera publié en 1457. Avicenne sera imprimé en 1473. Des notions médicales vont devenir accessibles au public grâce à la rédaction de dictionnaires médicaux. C. Plantin à Anvers, sera un des grands éditeurs de l’époque. Au moment de l’apparition de l’imprimerie, seul 1% de la population savait lire.

Le XVIe siècle médical sera celui de l’anatomie avec en 1543 la publication du livre de Vésale dont l’imprimerie permettra de reproduire fidèlement les dessins. Le XVIIe siècle confirmera le passage de la spéculation scolastique à l’expérimentation avec la découverte de la circulation (Harvey) et du microscope (Leeuwenhoek-Malpighi). Les journaux médicaux, nouveau moyen d’information et de formation voient le jour : une dizaine naissent au cours du siècle, plusieurs centaines le siècle suivant et actuellement, il en paraît plusieurs dizaines de milliers. La médecine universitaire reste « classique », antique. A Louvain, si un professeur enseigne l’anatomie et la chirurgie, les trois autres en sont toujours à Galien, Hippocrate, Razès, Avicenne. Le XVIIIe siècle, siècle des Lumières, verra la renaissance de l’enseignement clinique, étymologiquement au lit du malade, né à Bagdad, retrouvé à Salerne, et perdu ensuite. Boerhaave, esprit encyclopédique, renouvelle la didactique médicale avec à la fois la nécessité de connaissances en physique, chimie et sciences naturelles et l’importance de la pratique clinique dans un hôpital affilié à l’université. C’est ainsi que Leyde devient le phare médical du siècle. Des centaines de médecins anglais viendront s’y former.

La révolution française (1789) fut suivie d’une révolution de la médecine et de l’enseignement médical. Jusque-là, l’héritage médiéval était présent et par exemple le latin était la langue de l’université et Hippocrate et Galien toujours d’actualité constituaient la base des « lectures » (au sens propre du terme). Laennec publiera sa thèse de médecine sur Hippocrate en latin, latin qui ne sera supprimé qu’en 1835. Après la fermeture des universités en 1791, y compris en Belgique, sous domination française, des Ecoles de Santé furent établies en 1794, devenant Ecoles de Médecine quelques années plus tard et redevenant Facultés de Médecine sous Napoléon. Les études de médecine, correspondant aux doctorats actuels duraient 4 ans et nécessitaient un grade de bachelier préalable. A la médecine de bibliothèque antérieure succédera la médecine hospitalière, l’hôpital devenant le centre de formation : peu lire, beaucoup voir , beaucoup faire. C’est l’hôpital qui sera la pleine expression de la médecine nouvelle : l’examen physique avec l’auscultation et la palpation, l’anatomie pathologique et la notion de lésion, les statistiques. C’est la révolution anatomo-clinique .dont Paris sera le centre, attirant de nombreux étudiants étrangers , surtout américains .Le regard de l’observation clinique et de la dissection dominent le domaine du savoir médical et ce qui lui échappe , la microscopie , la chimie sera ignoré. Ces nouveaux domaines, la médecine de laboratoire, seront développés en Allemagne.

Le premier centre hospitalo-universitaire fut créé à Baltimore grâce à une donation d’un riche marchand de la cité Johns Hopkins. L’hôpital fut fondé en 1889 avec pour responsable médical William Osler et pour responsable chirurgical Halstedt. L’école de médecine débuta en 1893 et pour y être admis, il fallait un baccalauréat en arts ou en science, une formation pré-médicale de deux ans en biologie , physique et chimie et la connaissance du français et de l’allemand . L’enseignement durait quatre années et était surtout clinique au lit du patient. Tous les jeudis , Osler proposait un Journal Club , chez lui . L’association d’un hôpital universitaire lié à l’Ecole de Médecine préfigurait les CHU du vingtième siècle. Ce modèle servit de base au « Rapport de Flexner « (1910) qui analyse l’enseignement médical aux USA, et recommande la fermeture de 117 des 148 lieux de formation, dont un certain nombre étaient privés.

Entre deux guerres, le contenu des cours n’a pas changé, en l’absence de progrès médicaux. L’intitulé des cours a peu changé plus tard ; ainsi j’ai eu en première candidature des cours de physique, chimie et botanique comme l’avaient décidé les réformateurs de la révolution française. Fin des années soixante , j’ai fait partie avec Roger Detry comme étudiant , de la Commission de Réforme des Etudes des doctorats qui a transversalisé les cours , rassemblant pendant une période tous les enseignements ( médecine , chirurgie , pédiatrie etc ) concernant un organe , par exemple le cœur.

Est ensuite apparu un nouvel enseignement, celui de la médecine générale, qui, moderne, a permis de renouveler la pédagogie enfin transformée en branche autonome. L’enseignement deviendra continu, actif, en groupes (dodécagroupes, GLEM etc.).

Pour reprendre Hippocrate, la formation médicale est l’association d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir être. Le savoir s’est toujours enrichi, avec des pauses, avec des périodes explosives comme après l’apparition de l’imprimerie, après celle du numérique. L’accessibilité du savoir a également explosé, ce qui rend indispensable l’enseignement de l’esprit critique. Le savoir-faire, la formation pratique au contact du malade, a connu un évolution fluctuante, riche aux bîmâristâns, à Leyde, à Paris, plus pauvre avec la médecine scolastique et au XXie siècle ! Le savoir être dont témoigne le serment d’Hippocrate, va longtemps être sous l’influence de la religion, avant de revenir à l’avant-plan avec la bioéthique. Le rôle de la pédagogie médicale est donc large : l’éducation à l’acquisition du savoir, l’apprentissage humain et technique au contact du patient, le respect de l’éthique. Bref Hippocrate 2.0.

Affiliaitons

Jean-Claude Debongnie, Gastro-entérologue