Ostéomyélite sternale chez un enfant de 15 mois : cas clinique et revue des aspects cliniques, radiologiques et thérapeutiques

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Letizia Vega (1), Jean-Philippe Stalens (2), Jean-Luc Dutrieux (3), Chloé Brunelle (2) Publié dans la revue de : Mai 2019 Rubrique(s) : Observations cliniques
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Résumé de l'article :

L’ostéomyélite est une infection qui atteint le tissu osseux par voie hématogène, par inoculation directe post-traumatique ou post-chirurgicale ou par contiguïté d’une infection locale comme par exemple une cellulite ou une sinusite. Elle est préférentiellement localisée au niveau de la métaphyse des os longs. Les os courts et plats sont plus rarement touchés. La fréquence de l’atteinte sternale représente environ 1% de l’ensemble des ostéomyélites de l’enfant. Les symptômes initiaux sont souvent non-spécifiques, ce qui entraîne un retard de diagnostic. Une fois l'infection établie, des symptômes d'inflammation locale apparaissent. La gestion thérapeutique consiste en une thérapie antibiotique ciblée en fonction de l'âge et des germes responsables de cette infection.

Que savons-nous à ce propos ?

- L’ostéomyélite est une infection touchant essentiellement la métaphyse des os longs où une circulation capillaire lente du sang favorise l'implantation de pathogènes.

- La sensibilité de la scintigraphie dans les ostéomyélites est élevée, autour de 95 %. L’hypercaptation du traceur peut être mise en évidence plusieurs jours avant qu'une réaction périostée et une ostéolyse soient visibles à la radiographie.

- Les ostéomyélites nécessitent de longues durées de traitements allant, la plupart du temps, de 4 à 6 semaines.

Que nous apporte cet article ?

- Les os courts et plats sont plus rarement touchés, il faut néanmoins toujours évoquer cette infection dans le diagnostic différentiel de masse mise en évidence en regard d’un os.

- La sensibilité scintigraphique est plus faible chez les nouveau-nés et nourrissons. L’absence d’hyperfixation à la scintigraphie n’exclut pas une ostéomyélite chez le jeune enfant.

- Les avis d’expert tendent de plus en plus à recommander un relais rapide par traitement per os quand l’évolution est favorable sous antibiothérapie intraveineuse.

Mots-clés

Ostéomyélite sternale, pédiatrie, infection primaire

Article complet :

Introduction

L'ostéomyélite sternale est un diagnostic rare chez l’enfant, elle représente environ 1% de l’ensemble des ostéomyélites de l’enfant. Cette entité devrait toujours être considérée lorsqu'un enfant consulte pour une masse para-sternale dans un contexte fébrile étant donné qu’un diagnostic précoce permet un traitement antibiotique adéquat rapide.

Cas clinique

Un enfant de 15 mois, sans antécédent particulier, avait été admis en salle d’urgence pour apparition soudaine d’une masse au niveau du tiers inférieur du sternum dans un contexte de fièvre ayant débutée quelques heures auparavant. A l’admission, l’enfant était subfébrile à 37.8° et l’examen clinique avait permis de mettre en évidence une tuméfaction (Figure 1) indurée mesurant 3 x 3,5 cm en regard de l’appendice xiphoïde, sensible à la palpation mais sans signe local d’inflammation. Le reste de l’examen clinique était sans particularité.

Au niveau biologique, il existait un syndrome inflammatoire modéré avec une protéine C-réactive (CRP) à 49.6 mg/L sans hyperleucocytose associée. La radiographie thoracique montrait une voussure de la paroi antérieure du sternum à hauteur de l’articulation entre le corps sternal et l’appendice xiphoïde, sans anomalie franche des structures osseuses. L’échographie mettait en évidence une infiltration minime des tissus mous sous-cutanés dans la région pré-sternale à hauteur de l’appendice xiphoïde. A l’imagerie par scintigraphie, on notait une fixation normale du traceur au niveau des structures ostéo-articulaires de la colonne vertébrale, du gril costal et du sternum.

L’évolution avait alors été marquée par une régression spontanée du volume de la masse au 2ème jour d’hospitalisation, suivie d’une ré-augmentation quelques jours plus tard avec, cette fois, l’apparition de signes locaux d’inflammation (rougeur et chaleur). Une imagerie par résonnance magnétique (IRM) avait alors permis de mettre en évidence une ostéomyélite abcédée de l’appendice xiphoïde (Figure 2-3).

Le diagnostic d’ostéomyélite sternale avait alors été retenu. Les hémocultures n’ont pas permis de mettre en évidence de germe et la ponction sternale n’a pas été réalisée en raison du caractère limité de l’infection. Un traitement antibiotique intraveineux par oxacilline avait alors été administré pendant une semaine. Ensuite, un relai per os par flucloxacilline avait été poursuivi durant cinq semaines. L’évolution avait été favorable avec une régression des symptômes et une normalisation des taux de CRP.

Discussion

L’ostéomyélite est une pathologie peu fréquente dans la population pédiatrique, avec une incidence d'environ 1 sur 5 000 à 1 sur 7700 dans les pays développés. Les garçons sont touchés près de deux fois plus que les filles et plus de la moitié des enfants atteints ont moins de cinq ans (1-2). Les principales sources d'infection sont la propagation hématogène, la contiguïté de foyers adjacents d'infection et l'inoculation directe secondaire à un traumatisme ou à une intervention chirurgicale. Généralement, l’infection touche la métaphyse des os longs car le débit sanguin y est riche mais lent. Le fémur et le tibia sont donc les os les plus fréquemment affectés (27% et 26%, respectivement). La localisation au niveau du sternum est rare, elle représente <1% des ostéomyélites (3).

Dans la plupart des cas, l’agent pathogène est le Staphylococcus aureus. D'autres bactéries peuvent également être retrouvées comme le Streptocoque des groupes A et B, le Streptocoque pneumoniae et, chez les plus jeunes enfants âgés de 6 à 36 mois, le Kingella Kingae (1,4,5).

Les symptômes initiaux sont souvent non-spécifiques. Les enfants peuvent présenter de la fièvre, une irritabilité, une diminution de l'appétit ou une diminution de l'activité. Le diagnostic précoce peut donc être difficile à établir, il est, d’ailleurs, fréquemment posé avec retard. Une fois l'infection établie, des symptômes focaux d'inflammation (chaleur, gonflement, sensibilité) et une limitation de la fonction au niveau de l'os atteint apparaissent (6). Les analyses biologiques montrent une augmentation des taux de globules blancs, de la vitesse de sédimentation et de la CRP dans, respectivement, 36%, 81% et 91% des cas (1).

Des prélèvements bactériologiques doivent être réalisés avant toute administration d’antibiothérapie car ils peuvent permettre la mise en évidence du germe causant l’ostéomyélite. Néanmoins, les hémocultures ne permettent l’identification d’un pathogène uniquement dans 50% des cas. Les aspirations osseuses, si l’on retrouve une quantité suffisante à l’échographie, peuvent avoir un meilleur rendement (3,7).

Les imageries de première ligne sont souvent contributives. La radiographie de la zone atteinte, ne montre généralement pas d'anomalie en phase aiguë. Des modifications de la structure osseuse ne sont visibles qu’après 5 à 10 jours sur une radiographie standard. Néanmoins, celle-ci reste utile dans l’urgence pour exclure d’autres pathologies, en particulier des fractures ou des tumeurs osseuses. L'échographie n’est pas un examen qui permet d’évaluer la moelle osseuse et, par conséquent, son utilisation dans le diagnostic d'ostéomyélite est limitée. Elle permet surtout de visualiser les complications locorégionales telles que les abcès sous-périostés, les thrombophlébites ou les arthrites. De plus, lorsqu’une ponction diagnostique, voire thérapeutique doit être réalisée, l’écho-guidage est utilisé.

La scintigraphie osseuse peut être utile si l’on soupçonne plusieurs zones atteintes mais sa sensibilité reste limitée chez le jeune enfant. L’imagerie par résonnance magnétique est l’examen radiologique de choix tant pour diagnostiquer une ostéomyélite que pour délimiter son extension osseuse et au niveau des tissus mous environnants. Sa disponibilité et la nécessité d’une sédation chez le petit enfant restent des facteurs limitants, néanmoins, elle doit toujours être préférée au scanner qui est lui irradiant (3,8).

La prise en charge d’une ostéomyélite requiert une collaboration multidisciplinaire. Une étude réalisée aux Etats Unis en 2013 a montré que des enfants atteints d’ostéomyélite et pris en charge conjointement par des pédiatres, des radiologues, des biologistes, des infectiologues et des orthopédistes avaient un diagnostic posé plus efficacement, un taux plus élevé d'identification du germe en cause et moins de modifications d'antibiotiques pendant le traitement (9).

Le traitement consiste en une thérapie antibiotique choisie selon l’agent pathogène en cause et l’âge de l’enfant. Le traitement débutera toujours par une antibiothérapie empirique couvrant le Staphylococcus aureus, à savoir l’oxacilline. Selon les résultats des hémocultures et des aspirations osseuses ou articulaires, l’antibiothérapie pourra être adaptée de façon plus ciblée. Le traitement sera administré, dans un premier temps, par voie intraveineuse mais un relais oral sera rapidement mis en place. En effet, depuis quelques années les groupes d'experts tendent à recommander un passage à un traitement per os après 3 à 5 jours de traitement intraveineux si l'enfant a plus de 3mois, que l'évolution clinique est favorable, que la CRP montre une nette diminution (<50 % de la valeur initiale ou <20mg/L) et que le suivi en ambulatoire est possible (10). L'antibiothérapie sera poursuivie pour une durée totale de 4 à 6 semaines. Un diagnostic posé précocement et un traitement antibiotique bien conduit permettent une récupération complète dans la majorité des cas.

Conclusion

L'ostéomyélite sternale de l’enfant est une entité rare mais qui devrait être évoquée devant toute masse para-sternale apparaissant dans un contexte fébrile. La reconnaissance des signes cliniques évocateurs, l'imagerie par résonnance magnétique et le traitement précoce par des antibiotiques avec une bonne pénétration osseuse assureront la récupération sans séquelles dans la majorité des cas.

Recommandations pratiques

Une masse para-sternale chez l’enfant doit toujours faire évoquer une ostéomyélite du sternum, même si cette localisation est rare chez l’enfant. L’IRM est l’examen radiologique de choix pour poser le diagnostic. Un traitement précoce couvrant le Staphylococcus aureus sera administré initialement par voie intraveineuse puis un relais per os sera rapidement prescrit.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Affiliations

1 Université Catholique de Louvain, Cliniques universitaires Saint-Luc, Avenue Hippocrate, 10, département de pédiatrie, B-1200 Bruxelles - letizia.vega@uclouvain.be
2 Centre Hospitalier de Wallonie Picarde, département de pédiatrie, Tournai, Belgique. chloe.brunelle@chwapi.be, jean-philippe.stalens@chwapi.be
3 Centre Hospitalier de Wallonie Picarde, département de Radiologie, Tournai. jean-luc.dutrieux@chwapi.be

Correspondance

Dr. Letizia Vega
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate, 10
Pédiatrie
B- 1200 Bruxelles
letizia.vega@uclouvain.be

Références

  1. Dartnell J, Ramachandran M, Katchburian M. Haematogenous acute and subacute paediatric osteomyelitis: a systematic review of the literature. J Bone Joint Surg Br. 2012; 94:584.
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  2. Gutierrez K. Bone and joint infections in children. Pediatr Clin North Am. 2005; 52:779.
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  3. Yeo A., Ramachandran M. Acute haematogenous osteomyelitis in children. BMJ. 2014; 348:g66.
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  8. Lorrot M, Dugue S, Mallet C, Azoulay R, Doit C, Vitoux C, et al. Prise en charge des ostéomyélites aiguës hématogènes chez l’enfant. Archives de Pédiatrie. 2012;19 :74-75
  9. Copley LA., Kinsler MA., Gheen T., Shar A., Sun D., Browne R. The impact of evidence-based clinical practice guidelines applied by a multidisciplinary team for the care of children with osteomyelitis. J Bone Joint Surg. 2013;95(8):686-93.
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  10. Wagner A, Ceroni D, Niederer A, Ritz N, Relly C. Prise en charge des infections ostéo-articulaires aigues de l'enfant. Recommandation des groupes suisses d'infectiologie pédiatrique, d'orthopédie pédiatrique et de chirurgie pédiatrique. Paediatrica. Vol28 Nr1 20.