Néphropathie à IgA et purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein : discussion et conséquences de leur probable physiopathologie commune

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Marie-Julie Debuf (1), Elise Hennaut (2), Jean-Philippe Stalens (3) Publié dans la revue de : Avril 2018 Rubrique(s) : Pédiatrie
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Résumé de l'article :

Le purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein est une vasculite caractérisée par des dépôts immuns d’IgA touchant les petits vaisseaux et impliquant la peau, le tube digestif, les glomérules rénaux et les articulations. La néphropathie à IgA est une glomérulonéphrite caractérisée par des dépôts mésangiaux d’IgA et se manifeste par des épisodes d’hématurie et/ou de protéinurie survenant, la plupart du temps, après certaines infections respiratoires ou gastro-intestinales. Malgré certaines différences quant à leur âge typique d’apparition et leur histoire naturelle, il y a de plus en plus d’indices cliniques, histologiques et biochimiques suggérant que ces pathologies soient des expressions cliniques différentes d’un même processus physiopathologique, ce qui pourrait avoir des conséquences quant à leur prise en charge.

Que savons-nous à ce propos ?

  1. De plus en plus de preuves soutenant l’origine commune de la néphropathie à IgA et du purpura d’Henoch-Schönlein apparaissent dans la littérature scientifique.
  2. Le diagnostic strict de la néphropathie à IgA est toujours basé sur une biopsie rénale.
  3. L’amygdalectomie dans le traitement de la néphropathie à IgA reste débattue.

Que nous apporte cet article ?

  1. L’article discute de la probable origine commune de ces deux pathologies.
  2. Dans certains cas, la réalisation d’une biopsie rénale à visée diagnostique pourrait peut-être être évitée.
  3. L’amygdalectomie pourrait être indiquée chez certains patients présentant des épisodes répétés d’insuffisance rénale aiguë avec hématurie macroscopique déclenchés par des angines.

Mots-clés

Néphropathie à IgA, purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein, biopsie rénale, amygdalectomie

Article complet :

INTRODUCTION

Le purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein (PHS) et la néphropathie à IgA (IgAN) sont considérés comme deux pathologies liées depuis la description de leur survenue successive chez le même patient, leur apparition chez des jumeaux monozygotes, ou encore la ressemblance des anomalies biologiques et anatomopathologiques qui les caractérisent (1).

 

CAS CLINIQUE

Notre patient a présenté deux épisodes de purpura d’Henoch-Schönlein durant l’enfance, avec purpura bulleux au niveau des fesses et des membres inférieurs, arthralgies, sans signe d’atteinte digestive ni rénale : le premier à l’âge de 5 ans, et le deuxième à 7 ans. L’anamnèse familiale ne révéla pas d’antécédent de néphropathie. Par la suite, à 3 reprises, une hématurie microscopique occasionnelle a été signalée par examen à la tigette, lors de visites médicales scolaires, jamais confirmée par des analyses urinaires en laboratoire réalisées quelques jours après ces bilans, signant ainsi son probable caractère intermittent.

À l’âge de 19 ans, il est hospitalisé pour fièvre, vomissements et altération de l’état général. Ses urines sont de couleur « coca-cola » depuis 48 heures. À l’examen clinique, il est fébrile (40°C), pâle, cerné et présente une angine érythématopultacée. La culture du frottis de gorge révèle la présence de l’association fuso-spirillaire (angine de Vincent) et un traitement par antibiotiques est instauré (Amoxicilline et Clarithromycine). Les analyses sanguines montrent une urée à 87 mg/dl (N: 10-50), une créatininémie à 2,17 mg/dl (N: 0,70-1,20), un taux de filtration glomérulaire calculé (GFR) selon l’équation MDRD Modification of Diet in Renal Disease à 44 ml/min/1,73m² (N: ≥ 60), un syndrome inflammatoire (CRP à 200mg/l (N: < 6)), un complément sérique C3 à 1740 mg/L (N: 800-1440) et C4 à 430 mg/L (N: 160-450). Le dosage du facteur anti-nucléaire est négatif ainsi que les sérologies ANCA. Le taux d’ASLO est à 100 UI/ml (N: < 200) et le taux sérique d’IgA à 313 mg/dL (N: 80-350). Dans les urines, on note une hématurie (411 globules rouges/µl) et une protéinurie néphrotique (6,5 g/24h). L’évolution clinique est favorable avec résolution progressive de l’hématurie et de la protéinurie, une normalisation de la créatininémie, parallèlement à la diminution du syndrome inflammatoire. Le diagnostic de néphropathie à IgA est alors évoqué.

Une dizaine de jours après l’épisode d’insuffisance rénale aiguë, il présente un purpura sur les mollets, de résolution spontanée, et non accompagné d’hématurie ni de protéinurie.

Deux mois plus tard, il récidive un épisode d’hématurie macroscopique avec fièvre et angine mais sans insuffisance rénale (créatininémie à 1,02 mg/dL).

Face à ces épisodes d’amygdalites répétées, une amygdalectomie est réalisée 4 mois plus tard. Depuis lors, il n’a plus présenté d’hématurie ni de protéinurie. Quatre ans après l’intervention, son sédiment urinaire est normal avec un rapport protéinurie/créatinurie à 0,06 g/g (N: < 0.2) et les tests sanguins montrent une fonction rénale normale (créatininémie 0,89 mg/dl et GFR à 112 ml/min/1,73 m2).

 

DISCUSSION

Le purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein est une vasculite caractérisée par des dépôts immuns d’IgA touchant les petits vaisseaux et impliquant typiquement la peau, le tube digestif et les glomérules rénaux. Cette pathologie est également associée à des arthralgies ou des arthrites (2, 3). Elle affecte essentiellement les enfants (3, 4).

La néphropathie à IgA (ou maladie de Berger), quant à elle, est une glomérulonéphrite caractérisée par des dépôts mésangiaux d’IgA et se manifeste par des épisodes d’hématurie microscopique ou macroscopique et/ou de protéinurie survenant, la plupart du temps, après certaines infections respiratoires ou gastro-intestinales (5). La plus grande proportion des patients en souffrant présente les premiers symptômes entre l’âge de 15 et 30 ans (1).

Malgré certaines différences quant à l’âge d’apparition et l’histoire naturelle de l’IgAN et du PHS, il y a de plus en plus d’indices cliniques, anatomopathologiques et biochimiques qui témoignent d’un lien étroit entre ces deux maladies (1, 4). Il a été suggéré que ces pathologies soient des manifestations cliniques différentes d’une même maladie, et qu’elles partagent probablement une pathogenèse identique (1).

Les observations cliniques soutenant cette hypothèse incluent l’apparition de ces deux maladies au sein d’une même famille (6) ainsi que des antécédents de rash purpurique plusieurs années avant le développement d’une IgAN (7), comme c’est le cas pour notre patient. De plus, quelques articles décrivent l’évolution d’une IgAN vers un PHS (8) et on sait aussi que des patients avec PHS et insuffisance rénale terminale qui ont bénéficié d’une greffe rénale peuvent présenter une récurrence de leur pathologie sous forme d’IgAN (4). On a aussi décrit des jumeaux monozygotes qui développent une IgAN et un PHS, respectivement et au même moment (4).

Les caractéristiques histologiques rénales du PHS sont exactement les mêmes que celles de la IgAN. Il s’agit de dépôts d’IgA dans le mésangium glomérulaire de tous les glomérules rénaux accompagnés parfois d’une prolifération cellulaire glomérulaire (9).

Sur le plan biochimique, de nombreuses anomalies de la production et du transport des IgA rapportées dans l’IgAN sont aussi présentes dans le PHS (4). Dans le PHS, le purpura est dû à une vasculite avec présence d’IgA dans la paroi des capillaires cutanés. Dans l’IgAN et dans la forme rénale de PHS, on retrouve à la biopsie rénale, des IgA dans le mésangium des glomérules rénaux (9). Ces IgA mésangiales appartiennent exclusivement à la sous-classe de type IgA1 et sont déficientes en galactose. En plus, dans la circulation des patients souffrant d’IgAN, une proportion plus importante des IgA1 circulantes présente cette déficience en galactose (9). Habituellement, le caractère «galactose-déficient» est typique des IgA1 des muqueuses et seule une minime proportion des IgA1 circulantes présente cette déficience. La synthèse d’IgA1 galactose-déficientes chez les patients présentant une IgAN résulterait d’un déséquilibre de l’activité d’une enzyme des cellules sécrétant ces IgA1. La localisation de ces cellules pourrait également être altérée, leur permettant d’accéder aux compartiments systémiques et non plus seulement aux muqueuses (9). C’est ainsi qu’on retrouverait davantage d’IgA1 galactose-déficientes dans la circulation sanguine. Les IgA1 galactose-déficientes présentent un néo-épitope de type N-acétylgalactosamine. Les anticorps anti-glycans qui s’y fixent aboutissent à la formation de complexes immuns dans la circulation sanguine ou peut-être directement au niveau glomérulaire, après que les IgA1 galactose-déficientes s’y soient déposées (9). La cause de la formation de ces anticorps anti-glycans n’est pas encore connue. Peut-être est-elle provoquée par l’expression de N-acétylgalactosamine par certains virus ou certaines bactéries?

On ignore, à ce jour, à quoi sont dues les variations dans l’expression clinique de la maladie : une fluctuation des taux sériques d’IgA1 galactose-déficientes, des affinités de liaison différentes des anticorps anti-glycans, des facteurs influençant la formation de complexes immuns contenant des IgA1 galactose-déficientes ou une variation dans l’étendue des lésions glomérulaires rénales (médiées par des facteurs du complément ou des cytokines) (9) ? En 2011, Kiryluk et al (10) ont démontré que les taux sériques d’IgA1 galactose-déficientes présentent un caractère fortement héréditaire dans les formes pédiatriques d’IgAN et de PHS, fournissant ainsi une nouvelle preuve de la probable pathogénie commune de ces deux maladies.

Toutes ces similitudes ont conduit à proposer un modèle selon lequel ces deux entités seraient des expressions cliniques différentes d’un même processus physiopathologique. Qu’en est-il de leur diagnostic propre actuellement ?

Classiquement, le diagnostic d’IgAN et celui de la forme rénale de PHS se basent sur la mise en évidence d’IgA dans le mésangium des glomérules rénaux et nécessitent donc une biopsie rénale même si la présentation clinique est très suggestive (4). De plus, si le taux sérique d’IgA est souvent augmenté, cette donnée est trop inconstante que pour recéler une valeur diagnostique (11), et on peut retrouver à la biopsie cutanée des IgA au sein des vaisseaux en cas d’IgAN ainsi qu’en cas de PHS avec ou sans atteinte cutanée. Aucune de ces données n’est donc pathognomonique et ne permet de poser le diagnostic sans biopsie rénale. A noter que ces dépôts d’IgA peuvent également être observés en faible quantité dans des biopsies cutanées d’individus sains. Cependant, dans le PHS et la IgAN, ces dépôts sont associés à d’autres signes histologiques comme une vascularite leucocytoclasique avec nécrose fibrinoïde et infiltrat périvasculaire de neutrophiles et de cellules mononuclées (12). La biopsie cutanée peut donc s’avérer utile dans le diagnostic de PHS mais ne nous donne pas d’information sur une éventuelle atteinte rénale. Selon les critères les plus récents proposés par Helander et al (13), le diagnostic de purpura rhumatoïde peut être fait si au moins 3 des 5 critères suivants sont présents : dépôts vasculaires dermiques d’IgA, âge < 20 ans, atteinte gastro-intestinale (douleur abdominale ou présence de sang dans les selles), infection récente des voies aériennes supérieures, présence d’une néphropathie mésangiale avec ou sans dépôts d’IgA à la biopsie.

Actuellement, nous ne disposons d’aucune technique non invasive permettant d’établir le diagnostic d’IgAN (11). La survenue d’un ou de plusieurs épisodes d’insuffisance rénale aiguë associée à une hématurie chez un patient ayant eu dans l’enfance un PHS, évoque le diagnostic d’IgAN. Ce diagnostic peut toutefois n’être considéré que comme une hypothèse en l’absence de réalisation de biopsie rénale.

Outre la discussion concernant le diagnostic formel d’IgAN, la place de l’amygdalectomie dans sa prise en charge est également sujette à controverse. L’amygdalectomie permet de diminuer la fréquence des épisodes d’hématurie lorsque les angines en sont l’infection déclenchante (4). Une étude rétrospective japonaise réalisée à long terme suggère que l’amygdalectomie pourrait réduire le risque d’insuffisance rénale (14), mais cette hypothèse n’est pas soutenue par d’autres auteurs (15). Il manque d’études cliniques randomisées et contrôlées. C’est pourquoi, ce geste chirurgical n’a pas été inclus dans les guidelines de 2012 du KDIGO (Kidney Disease : Improving Global Outcomes) (9). L’amygdalectomie pourrait toutefois être indiquée chez certains patients présentant des épisodes répétés d’insuffisance rénale aiguë avec hématurie macroscopique provoqués par des angines (4). Pour cette raison, elle peut être proposée mais elle ne doit pas être pratiquée dans le but de «guérir» une néphropathie à IgA.

 

CONCLUSION

Notre article étaye le probable lien existant entre le purpura rhumatoïde d’Henoch-Schönlein et la néphropathie à IgA. Leur physiopathologie commune, désormais mieux comprise, permettrait, chez certains patients ayant eu un PHS et qui développent des signes cliniques et biologiques évocateurs d’IgAN, d’éviter la réalisation d’une biopsie rénale pour poser ce diagnostic d’IgAN. La prise en charge de cette pathologie n’en reste pas moins controversée.

 

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

Lorsque la présentation clinique et biologique évoque une néphropathie à IgA, interroger le patient quant à un antécédent d’épisode de purpura d’Henoch-Schönlein afin de discuter de la réelle nécessité d’une biopsie rénale diagnostique. Si des angines sont à l’origine d’épisodes répétés d’insuffisance rénale aiguë associés à une hématurie macroscopique, l’amygdalectomie peut être envisagée.

 

AFFILIATIONS

1. Université Catholique de Louvain, département de pédiatrie, Belgique.
marie-julie.debuf@student.uclouvain.be

2. Centre Hospitalier de Wallonie Picarde, département de pédiatrie, Tournai, Belgique.
elise.hennaut@chwapi.be

3. Centre Hospitalier de Wallonie Picarde, département de pédiatrie, Tournai, Belgique.
jean-philippe.stalens@chwapi.be

 

CORRESPONDANCES

Dr. Marie-Julie Debuf

Cliniques universitaires Saint-Luc
Pédiatrie
avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
marie-julie.debuf@student.uclouvain.be

 

RÉFÉRENCES

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  2. Jennette JC, Falk RJ, Andrassy K, Bacon PA, Churg J, Gross WL,et al. Nomenclature of systemic vasculitides : Proposal of an International Consensus Conference. Arthritis Rheumatol. 1994; 37(2): 187-192. Ouvrir dans PubMed
  3. Davin JC, Coppo R. Henoch-Schönlein purpura nephritis in children. Nat Rev Nephrol. 2014; 10(10):563-573. Ouvrir dans PubMed
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