Innovations 2020 en Hémostase-Thrombose

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Cédric Hermans, Amandine Hansenne, Catherine Lambert Publié dans la revue de : Février 2021 Rubrique(s) : Hémostase – Thrombose
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Résumé de l'article :

L’année 2020 aura été riche en développements et nouveautés dans le domaine des maladies thrombotiques et hémorragiques. La coagulopathie liée à la COVID-19, tant en ce qui concerne sa physiopathologie complexe que sa prise en charge antithrombotique, a suscité un intérêt majeur et loin d’être épuisé. Les anticoagulants oraux directs (AODs) continuent leur validation, notamment dans la maladie thrombo-embolique veineuse liée au cancer et la prise en charge de la thrombopénie induite par l'héparine. Les données de leur utilisation en début de grossesse semblent rassurantes. Si l’utilisation des AODs doit être évitée pendant la grossesse, en revanche, les données disponibles ne justifient pas l’interruption volontaire de grossesse sur la base de l’exposition aux AODs seule. La mortalité du syndrome anti-phospholipide catastrophique (CAPS) semble significativement réduite lorsque deux anticorps, l’éculizumab et le rituximab, sont incorporés dans le schéma thérapeutique. En ce qui concerne l’hémophilie, c’est la publication des nouvelles recommandations internationales par la Fédération Mondiale de l’Hémophilie qui a retenu toute l’attention ainsi que des avancées thérapeutiques notoires, telle que la validation d’un concentré de facteur VIII doté d'une ultra-longue demi-vie (BIVV001). Au-delà de son indication dans le traitement de l’hémophilie A congénitale, c’est aussi dans la prise en charge de l’hémophilie A acquise que l’Emicizumab, un anticorps bispécifique mimant l’action du FVIII, se révèle très prometteur.

Mots-clés

COVID-19, coagulopathie, cancer, anticoagulants oraux directs, hémophilie, hémophilie acquise, syndrome anti-phospholipide catastrophique

Article complet :

Coagulopathie du covid-19 : des modalités de prévention antithrombotique toujours débattues

La COVID-19 est associée à un état pro-thrombotique d’étiologie complexe favorisé par l’état inflammatoire intense, responsable de thromboses artérielles et veineuses (thromboses veineuses profondes et embolies pulmonaires). Il est associé à une mortalité accrue. L’incidence accrue de la maladie thrombo-embolique veineuse chez les patients admis pour COVID-19 par rapport aux autres patients n’est pas formellement établie. Ce n’est pas le cas pour les microthrombi intra-pulmonaires qui représentent une complication fréquente du COVID-19, difficiles à diagnostiquer et dont l’étiologie est complexe (1).

Les anomalies biologiques typiquement observées sont une majoration des D-dimères et du fibrinogène et une éventuelle thrombopénie. Ces anomalies sont associées à un mauvais pronostic. Ces marqueurs doivent être régulièrement surveillés chez les patients admis pour COVID-19, surtout aux soins intensifs. Le diagnostic d’embolie pulmonaire peut s’avérer difficile et doit être évoqué en cas d’aggravation inexpliquée de l’hypoxémie ou d’insuffisance cardiaque droite.

Le risque thrombo-embolique doit être stratifié pour adapter la thrombo-prophylaxie. Les héparines des bas poids moléculaire (HBPM) semblent s’imposer comme l’anticoagulant de choix (2,3). Même s’il existe un consensus sur le bénéfice de la prophylaxie anti-thrombotique chez les patients avec COVID-19, une grande incertitude existe en ce qui concerne les critères justifiant une intensification de ce traitement (doublement de la dose préventive ou anticoagulation thérapeutique) (4). L’indice de masse corporelle, la présence de facteurs de risque de thrombose surajoutés, l’insuffisance rénale et les facteurs de risque hémorragiques doivent être pris en compte.

Il n’existe en outre pas de données spécifiques concernant la durée optimale d’anticoagulation (quelle que soit la dose) des patients COVID-19. L’évaluation du risque thrombotique et hémor-ragique doit être ré-évaluée et individualisée. Pour les patients à risque thrombo-embolique élevé (mobilité réduite, cancer et selon certains auteurs D-dimères > 2 fois la normale) et à faible risque hémorragique, une durée de 45 jours peut être proposée.

Parmi les multiples recommandations de prise en charge de la coagulopathie du COVID-19 publiées, il faut citer le consensus belge pragmatique, synthétique et adapté à réalité nationale (5).

Apixaban et traitement de la maladie thrombo-embolique veineuse associée au cancer : résultats très prometteurs

Bien que les HBPM demeurent le traitement de choix de la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) chez les patients atteints de cancer, plusieurs recommandations plaident désormais en faveur de l’utilisation des anticoagulants oraux directs (AODs). Après les études HOKUSAI-VTE cancer et SELECT-D comparant la daltéparine (Fragmin) à l’édoxaban (Lixiana) et au rivaroxaban (Xarelto) respectivement, c’est au tour de l’étude CARAVAGGIO de démontrer l’efficacité de l’apixaban (Eliquis) (6).

Cet essai prospectif de non-infériorité a inclus 1155 patients atteints de cancer avec MTEV, et suivis pendant 6 mois. 32/576 (5,6 %) des patients traités par apixaban et 46/579 (7,9 %) de ceux traités par daltéparine (Hazard Ratio (HR) : 0,63 ; intervalle de confiance (IC) 95 % : 0,37-1,07) ont eu une récidive de MTEV. La différence de risque répond aux critères de non-infériorité (p < 0,001) mais pas de supériorité (p = 0,09). Contrairement à HOKUSAI-VTE cancer et SELECT-D, le risque de saignement majeur, notamment du tractus digestif, était similaire dans les deux groupes. L’étude CARAVAGGIO confirme la non-infériorité des AODs pour traiter la MTEV chez le sujet oncologique. L’apixaban pourrait donc être administré à certains patients atteints d’un cancer gastro-intestinal.

Les limites de l’étude doivent être soulignées. L’étude a été réalisée en ouvert pour éviter l’utilisation sous-cutanée d’un placebo pendant 6 mois. La survenue d’hémorragies digestives n’était pas un critère de jugement pré-défini, mais l’a été secondairement à l’obtention des résultats des précédentes études concernant l’utilisation des AODs dans la MTEV associée au cancer. Le nombre de sujets inclus a été calculé afin d’obtenir une puissance suffisante pour le critère de jugement principal d’efficacité, cependant l’étude n’avait pas la puissance nécessaire pour émettre des conclusions définitives concernant le risque hémorragique. Cela s’applique notamment aux cancers du tractus gastro-intestinal haut dont la fréquence parmi les localisations cancéreuses étudiées était respectivement de 4% et 5,4% dans les groupes apixaban et daltéparine. Enfin, comme pour les autres études des AODs dans la population oncologique, les résultats de Caravaggio ne peuvent pas être appliqués aux patients atteints de tumeurs cérébrales (primitives ou métastatiques connues), ainsi qu’aux patients atteints de leucémie aiguë, qui étaient exclus de l’étude. Un arbre décisionnel succinct d’utilisation des AODs chez patients avec MTEV associée au cancer est détaillé dans la figure 1.

Traitement du syndrome anti-phospholipide catastrophique : succès des anticorps monoclonaux

Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) catastrophique (CAPL) est une variante fulminante rare (1 %) du SAPL caractérisée par des thromboses multi-organiques responsables d’une défaillance multi-viscérale avec un taux de mortalité élevé, de plus de 30 %. Des données récentes plaident en faveur de l’implication du complément (7).La prise en charge thérapeutique classique consistait, en dehors du traitement étiologique, en l’association d’une anticoagulation (AC), de glucocorticoïdes (GC), d’échange plasmatique (PEX) et/ou d’immunoglobulines intraveineuses (IVIg). Récemment, plusieurs séries de cas ont décrit l’utilisation de deux anticorps monoclonaux : le rituximab (RTX) ciblant le CD20 et l’éculizumab (ECL) ciblant la fraction 5 du complément dans le CAPL.

D’après une étude rétrospective de bases de données présentée lors de l’ISTH 2020 (8), sur un total de 453 cas de SAPL catastrophique, le taux de mortalité pour les associations thérapeutiques suivantes étaient, par ordre décroissant : 37 % pour AC/GC, 31 % pour AC/GC/PEX/IG, 21 % pour AC/GC/PEX, 27 % pour AC/GC/IG, 20 % pour AC/GC/PEX/IG/RTX/ECL et 17 % pour AC/GC/PEX/IG/RTX. Après réalisation d’analyses statistiques plus approfondies, la mortalité de toutes les associations thérapeutiques comprenant le RTX était de 17 %, tandis que celle des associations thérapeutiques comprenant de l’ECL était de 6 %. Au total, les associations incluant PEX, RTX ou ECL présentaient une mortalité significativement plus faible que l’association de base AC/GC+/-IgIV. Les PEX n’ont pas eu d’impact sur la mortalité dans les associations comprenant RTX et/ou ECL. Le RTX et ECL avaient un impact positif sur la survie d’autant plus important lorsqu’ils étaient instaurés tôt dans la prise en charge thérapeutique.

A la lumière de ces données, il semble logique de recommander dans les CAPL l’association AC+GC+ECL+RTX+traitement étiologique, et de n’utiliser les PEX que dans les cas réfractaires. Bien que le nombre de cas soit limité, une étude prospective serait la bienvenue pour venir confirmer le bénéfice de ce changement thérapeutique.

Quels risques des anticoagulants oraux directs durant la grossesse : nouvelles données rassurantes

Les AODs, dont la taille moléculaire est comprise entre 36 et 548 Daltons sont capables de traverser la barrière placentaire. Le risque d’embryopathie est encore inconnu chez les femmes enceintes ayant été exposées aux AODs pendant la grossesse. D’après une collecte rétrospective de cas, et après élimination des potentiels doublons, 593 cas d’exposition aux AODs pendant la grossesse ont pu être identifiés, parmi lesquels seuls 316 disposaient d’informations suffisantes pour être étudiés. Il s’agissait de 175 naissances vivantes (55.4 %), 69 fausses couches (21.8 %), 72 interruptions volontaires de grossesse (22.8 %). Dans les 316 grossesses dont l’issue a été signalée, la très grande majorité des AODs avaient été arrêtés avant les 2 premiers mois de la grossesse ; un total de 19 anomalies a été signalé (6.1 %), dont 12 pourraient être liées à l’exposition aux AODs, ce qui se traduirait par un risque d’embryopathie global de 3.8 %, inférieur à celui observé avec les antivitamines K. D’après ces données, il est confirmé que l’utilisation des AODs doit être évitée pendant la grossesse. En revanche, les données disponibles ne justifient pas l’interruption volontaire de grossesse sur la base de l’exposition aux AODs seule. Un conseil non directif, une surveillance étroite de la grossesse, et la notification des résultats à la pharmacovigilance sont recommandés.

Thrombopénie induite par l’héparine : rôle des anticoagulants oraux directs

Le traitement de la thrombopénie induite par l’héparine (TIH) repose sur l’anticoagulation par un antithrombotique qui n’est pas dérivé de l’héparine. Les anticoagulants ciblant le facteur IIa (lépirudine) ou le danaparoïde ont pendant longtemps été les médicaments de première ligne avec un passage aux AVK une fois la thrombopénie résolue. L’utilisation des AODs dans cette indication suscite un intérêt particulier et est mentionnée dans plusieurs guidelines (9). La TIH peut s’accompagner d’une thrombose (TTIH). Le risque thrombotique est particulièrement élevé le mois après le diagnostic (TIH aiguë) et diminue durant les 2 mois suivants (TIH subaiguë) avec en général une diminution du titre des anticorps anti-PF4/héparine et de leur capacité à activer les plaquettes. À ce jour, aucune étude randomisée n’a évalué l’efficacité des AODs dans la TIH, mais quelques séries de cas décrivent des dizaines de patients sous AODs, la plupart avec des TIH sans thrombose. L’AOD le plus utilisé dans cette indication est le Rivaroxaban, en général prescrit à la dose de 15 mg 2 ×/jour jusqu’à la normalisation plaquettaire ou pendant les 3 semaines initiales en cas de TTIH avec thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire. La dose de 20 mg/jour est ensuite prescrite jusqu’à la fin de la période d’anticoagulation (au moins 4 semaines en cas de TIH et au moins 3 mois en cas de TTIH).

Les dernières recommandations françaises suggèrent l’utilisation d’AODs comme une option possible de traitement de première ligne chez les patients stables. Les recommandations s’accordent généralement pour ne pas prescrire d’AOD (en particulier en première ligne) en cas de TTIH avec thrombose artérielle, de thrombose veineuse profonde avec phlegmasia ou embolie pulmonaire massive. Les contre-indications usuelles aux AODs sont également valables (insuffisance rénale ou hépatique sévères, éventuelles co-médications pouvant interférer avec le métabolisme de ces anticoagulants).

Nouvelles guidelines mondiales 2020 de prise en charge de l’hémophilie

Les nouvelles directives de prise en charge de l’hémophilie, dont la rédaction a été coordonnée par la Fédération Mondiale de l’Hémophilie (FMH), ont été publiées en 2020 (10) (Figure 2). Il s’agit d’un document majeur pour la communauté hémophile et leurs équipes soignantes à travers le monde. Il n’est pas possible de résumer ici les centaines recommandations. Seuls les messages les plus pertinents sont synthétisés ci-dessous.

La prophylaxie : traitement de référence pour tous les hémophiles

Les guidelines établissent sans ambiguïté la prophylaxie, c’est-à-dire l’administration régulière d’un traitement hémostatique, comme le traitement de référence pour tous les patients hémophiles. La FMH préconise explicitement l’utilisation de la prophylaxie plutôt que le traitement épisodique (à la demande), y compris dans les pays où les contraintes en matière de soins de santé sont importantes. La thérapie épisodique est certes essentielle pour contrôler les hémorragies aiguës, mais elle n’empêche pas, à long terme, le développement d’une arthropathie hémophilique invalidante et douloureuse. Également, dans les pays à ressources limitées, une prophylaxie moins intensive à faible dose est recommandée et est certainement à privilégier par rapport au traitement à la demande. Toutes les formes de prophylaxie – qu’il s’agisse de l’utilisation de doses élevées, intermédiaires ou faibles de facteur de coagulation ainsi que la prophylaxie avec des agents non substitutifs tels que l’emicizumab – offrent des avantages supérieurs à la thérapie épisodique. Compte tenu de la grande variabilité de la réponse de chaque patient au traitement, la prophylaxie doit être individualisée. En d’autres termes, le schéma de traitement (quantité de facteur administrée et fréquence des injections) doit tenir compte des caractéristiques individuelles de chaque patient, qu’elles soient liées à la pharmacocinétique des traitements administrés, à l’état articulaire, au mode de vie (Figure 3).

Des objectifs de traitements plus ambitieux

Les concentrations minimales de facteurs VIII ou IX comprises entre 1 à 3 %, qui ont représenté les objectifs de traitements au cours des deux décennies, sont insuffisantes pour prévenir totalement les hémorragies, cliniques et subcliniques. Les cliniciens doivent désormais viser des concentrations minimales supérieures à 3-5 % voire davantage pour réduire le risque de saignement. Les concentrés de facteurs VIII ou IX à demi-vie prolongée et les thérapies dites non substitutives, administrés par voie sous-cutanée, offrent clairement une alternative aux traitements classiques (concentrés de FVIII et FIX à demi-vie standard) pour obtenir une meilleure protection vis-à-vis des saignements en maintenant une concentration minimale plus élevée. L’objectif ultime de toute thérapie prophylactique devrait être l’abolition ou la prévention de tous les accidents hémorragiques spontanés (« zero bleed »).

Quelle place pour les nouvelles thérapies non-substitutives ?

De nouvelles thérapies de l’hémophilie sont en cours de développement et de validation. Il s’agit notamment des agents qui réduisent l’inhibition de la coagulation en agissant sur ses inhibiteurs naturels dont le TFPI (Tissue Factor Pathway Inhibitor, l'inhibiteur du FVII, du facteur tissulaire et du FX) et l’anti-thrombine (Fitusiran). Ces thérapies ont l’énorme avantage de pouvoir être administrées par voie sous-cutanée et de permettre une correction persistante de l’hémostase. Le seul agent hémostatique sous-cutané actuellement disponible est l’emicizumab, un anticorps bispécifique capable de mimer l’action du FVIII en se liant aux FIXa et FX (Figure 4). Les lignes directrices de la FMH recommandent désormais son utilisation en prophylaxie pour prévenir les hémarthroses chez les patients atteints d’hémophilie A sévère sans inhibiteurs. Elles soulignent toutefois de façon pertinente qu’il existe très peu de données cliniques sur l’impact de l’emicizumab à long terme notamment sur l’état articulaire et insistent sur l’importance de collecter de telles données.

La définition de la prophylaxie revisitée

En 2014, la prophylaxie de l’hémophilie a été définie comme « La perfusion intraveineuse régulière de FVIII chez les personnes atteintes d’hémophilie A et de FIX chez les personnes atteintes d’hémophilie B, administré afin d’augmenter le FVIII ou le FIX manquant dans le but de prévenir les saignements ». La FMH propose une nouvelle définition de la prophylaxie basée sur les résultats plutôt que sur le dosage des produits thérapeutiques administrés : «L’administration régulière d’un ou plusieurs agents hémostatiques dans le but de prévenir les hémorragies chez les personnes atteintes d’hémophilie tout en leur permettant de mener une vie active et d’atteindre une qualité de vie comparable à celle des personnes non hémophiles ».

Quel FVIII à longue demi-vie choisir ?

Il existe désormais une large gamme de concentrés de FVIII ou FIX à demi-vie prolongée obtenus par des technologies diverses. La FMH n’émet aucune préférence parmi les divers mécanismes d’action utilisés pour prolonger la demi-vie, qu’il s’agisse de la pégylation, de la fusion au fragment Fc des immunoglobulines ou à l’albumine. Sur la base des critères de sécurité clinique à ce jour, il n’y a en effet pas de preuves suffisantes pour recommander une préférence parmi ces différentes stratégies.

Nouvelles modalités de prise en charge des patients avec inhibiteurs

Brièvement, les guidelines abordent largement la problématique de la gestion des patients développant des anticorps contre le FVIII ou FIX exogène. Elles insistent sur la disponibilité de nouvelles options de traitement tels que le FVII activé recombinant à demi-vie prolongée (rFVIIa), le Fitusiran et les agents ciblant le TFPI et surtout l’emicizumab, le traitement désormais standard des patients hémophiles A avec inhibiteur persistant.

En ce qui concerne l’induction de la tolérance immunitaire (ITI), la FMH recommande de la débuter dès la détection d’un inhibiteur en utilisant du FVIII plasmatique ou recombinant, y compris le FVIII-Fc. Le taux de réussite est d’environ 70 % chez les hémophiles A, mais nettement inférieur chez les patients atteints d’hémophilie B. En cas de succès de l’ITI, une prophylaxie par FVIII ou du FIX doit être mise en œuvre, avec une surveillance très étroite. Les données d’immunogénicité des FVIII à demi-vie prolongée sont limitées. Il ne semble pas y avoir de risque significatif d’inhibiteur lors d’un changement de produit, et il n’y a donc pas de préférence pour le produit utilisé.

Autres recommandations pertinentes

En ce qui concerne le traitement de la douleur, problème majeur chez les patients hémophiles, les précédentes lignes directrices de la FMH recommandaient d’éviter l’utilisation d’opioïdes. Compte tenu des dernières données, les recommandations mentionnent que les opioïdes peuvent et doivent être utilisés s’ils sont indiqués et à condition que leur durée soit clairement définie.

A propos de la question controversée, à savoir si les articulations qui saignent doivent être ponctionnées, les directives précédentes recommandaient d’éviter l’aspiration des articulations (arthrocentèse). Après revue de la littérature, les guidelines conseillent désormais que l’arthrocentèse soit réalisée pour traiter une hémarthrose douloureuse sous tension ou s’il existe une suspicion d’infection. Cette ponction ne doit pas être systématique. Elle n’est pas pratiquée dans de nombreux cabinets pour éviter le risque d’infection intra-articulaire.

Les guidelines à propos du traitement des saignements vitaux (touchant le système nerveux central, ORL, le cou et les saignements gastro-intestinaux) ont été conservées. Le recours aux anti-fibrinolytiques est recommandé pour les saignements gastro-intestinaux, qui sont associés à une réduction significative de la mortalité.

Le succès de ces recommandations dépendra de leur diffusion, de leur adoption par les professionnels de santé, de la disponibilité des traitements à travers le monde et aussi de la volonté et capacité des patients à les concrétiser

BIVV001 ou la perspective de traiter les hémophiles A moyennant une injection intraveineuse hebdomadaire

BIVV001 est une nouvelle molécule variante du FVIII combinant des fragments de 3 protéines (Fc, VWF, XTEN) (Figure 5). Ce FVIII recombinant a été conçu pour protéger les hémophiles A contre les saignements avec une dose prophylactique hebdomadaire. Le NEJM a publié des résultats très positifs de l’étude de phase I/IIa ayant évalué la tolérance et la pharmacocinétique de BIVV001 chez des adultes atteints d’hémophilie A. L’étude EXTEN-A est une étude multicentrique menée avec 2 doses de BIVV001 (25 UI/kg et 65 UI/kg) chez des patients hémophiles A sévères. Les participants ont reçu une dose unique d’un FVIII recombinant conventionnel, suivie d’une période sans traitement, et ensuite une dose unique de BIVV001. BIVV001 a été bien toléré et aucun anticorps inhibiteur n’a été détecté dans les 28 jours suivant l’administration. Aucun événement indésirable de type réaction allergique, choc anaphylactique ou événement d’importance clinique lié au traitement n’a été rapporté. Dans la cohorte ayant reçu la dose de 65 UI/kg, la demi-vie du FVIII était de 43 heures, et pour les patients ayant reçu 25 UI/kg, elle était égale à 38 heures. BIVV001 est donc le premier FVIII pouvant surmonter l’effet limitant de sa demi-vie grâce au VWF. BIVV001 est un traitement très prometteur de l’hémophilie A (11).

Emicizumab dans l’hémophilie acquise : les prémisses d’une révolution thérapeutique

Avec approximativement 1,5 cas par million de patients/année, l’hémophilie A acquise (AHA) est une maladie hémorragique rare. Sa reconnaissance rapide est néanmoins cruciale dans sa prise en charge et son pronostic. Son diagnostic doit être évoqué chez tout patient (non atteint d’hémophilie congénitale) présentant des plaintes ou complications hémorragiques et un allongement du TCA. La mise en évidence d’un déficit (la plupart du temps sévère) en FVIII et la présence d’anticorps anti-FVIII prouvent le diagnostic. Jusqu’à présent, en cas d’hémorragie sévère, le traitement hémostatique reposait sur l’utilisation d’agents court-circuitant le FVIII : le FVII activé humain recombinant (rhFVIIa) ou les concentrés du complexe prothrombinique activé (activated prothrombin complex concentrate, aPCC). Le FVIII porcin (pFVIII) représente une alternative plus récente et moins largement utilisée. Les inconvénients principaux de ces traitements sont leur administration intra-veineuse, une courte demi-vie imposant des d’injections répétées, un monitoring difficile de l’activité hémostatique, leur potentielle thrombogénicité ainsi que leur coût.

L’emicizumab est un anticorps recombinant, humanisé, bispécifique se fixant sur le FIXa et FX, mimant l’action de cofacteur du FVIII (Figure 4). L’emicizumab fait actuellement partie intégrante du traitement de l’hémophilie A congénitale et s’est imposé comme le traitement de référence pour les patients avec une hémophilie A congénitale et ayant développé des inhibiteurs dirigés contre le FVIII exogène. Son utilisation dans l’AHA a été récemment décrite dans plusieurs rapports de cas et séries (12,13). Même si ces données préliminaires doivent être confirmées, le traitement par Emicizumab pourrait avoir un impact majeur sur la prise en charge de l’hémophilie acquise en facilitant le traitement hémostatique tout en permettant un traitement immunosuppresseur moins agressif (Tableau 1).

CONCLUSIONS

Cette année 2020, malgré la pandémie COVID-19, aura été riche en développements dont cet article ne dresse qu’une synthèse limitée. Au-delà de satisfaire ou combler les attentes des passionnés de la coagulation sanguine, ce sont de multiples disciplines et patients concernés qui devraient bénéficier à court ou long termes de ces innovations et de leur concrétisation en pratique clinique.

Références

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  4. Patell R, Midha S, Kimani S, Martin R, Neparidze N, Jaglal M et al. Variability in Institutional Guidance for COVID-19-Associated Coagulopathy in the United States. Thromb Haemost. 2020; 120(12):1725-1732.
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Affiliations

Université catholique de Louvain (UCLouvain) Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’Hématologie, B-1200 Bruxelles, Belgique

Correspondance

Pr. Cédric HERMANS
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Hématologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
cedric.hermans@uclouvain.be
orcid.org/0000-0001-5429-8437

Conflit d’intérêt: aucun