Facteurs pronostiques de l’ischémie mésentérique aiguë aux soins intensifs

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Martin Caluwaerts(1), Diego Castanares-Zapatero(1), Pierre-François Laterre(1), Philippe Hantson(1) Publié dans la revue de : Juillet 2018 Rubrique(s) : Mémoires de Recherche Clinique
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Résumé de l'article :

L’ischémie mésentérique aiguë (IMA) est une cause fréquente d’abdomen aigu chez la personne âgée et est une pathologie courante dans les unités de soins intensifs (USI). L’IMA est grevée d’une haute mortalité, avoisinant les 60 à 80%, et est une cause de morbidité importante chez les survivants. Le pronostic si sombre est principalement dû au manque d’outils diagnostiques performants pour le clinicien, entraînant un retard de diagnostic. Les types d’IMA retrouvés en USI sont généralement différents de ceux rencontrés dans la population générale, ce qui constitue un véritable défi pour l’intensiviste. L’IMA s’y présente avec une clinique, des marqueurs biologiques et une imagerie plus difficilement interprétables. Ces difficultés diagnostiques, couplées aux nombreuses comorbidités des patients des soins intensifs, rendent leur pronostic encore plus réservé.

Article complet :

OBJECTIFS DE L’ÉTUDE

L’objectif principal de cette étude est de déterminer des facteurs pronostiques pour l’IMA aux soins intensifs. Les objectifs secondaires sont d’évaluer la mortalité de l’IMA dans l’USI d’un centre hospitalier tertiaire en Belgique, sur une période de 17 ans ; de déterminer si l’IMA constitue le motif d’admission primaire en USI ou si elle est secondaire à une pathologie sous-jacente ; et de comparer les IMA d’origine artérielle et veineuse.

 

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Il s’agit d’une étude rétrospective, observationnelle, non-interventionnelle, monocentrique, concernant une cohorte de patients ayant séjourné dans l’USI des Cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles, Belgique) entre 2000 et 2017. Les patients ont été recherchés à partir du résumé clinique minimum et à partir des codes ICD9-CM correspondant à la pathologie. Ces patients devaient répondre à deux critères : avoir été hospitalisé dans les soins intensifs de St-Luc et avoir souffert pendant ce séjour d’IMA. Le diagnostic a été posé sur base d’au moins une de ces méthodes diagnostiques : tomodensitométrie abdominale (CT-scan) et/ou chirurgie (laparoscopie ou laparotomie) et/ou artériographie et/ou autopsie.

 

RÉSULTATS 

La mortalité à 30 jours sur les 228 patients inclus est de 64,9%. Trois modèles de régression logistique multivariée ont été construits pour estimer les facteurs pronostiques dans l’IMA artérielle. Dans le premier, les marqueurs de défaillance cardiaque (OR = 7,523 ; IC95% = 1,283-44,119 ; p=0,025), la ventilation mécanique 24 heures avant le diagnostic d’IMA (OR = 6,417 ; IC95% = 1,481-27,794 ; p=0,013), le lactate artériel 24 heures après le diagnostic (OR = 1,888 ; IC95% = 1,277-2,79 ; p=0,001) et l’anticoagulation (OR = 0,125 ; IC95% = 0,016-0,954 ; p=0,045) ont été associés à la mortalité. Le deuxième a démontré également une diminution de la mortalité en cas d’anticoagulation (OR = 0,119 ; IC95% = 0,018-0,786 ; p=0,027). Il a aussi identifié des facteurs corrélés à une mortalité plus importante : le delta de lactate artériel (OR = 1,299 ; IC95% = 1,071-1,574 ; p=0,008), la ventilation mécanique 24 heures avant le diagnostic (OR = 5,451 ; IC95% = 1,439-20,656 ; p=0,013), la défaillance cardiaque (OR = 4,72 ; IC95% = 1,047-21,268 ; p=0,043) et l’augmentation de la valeur de l’INR (OR = 4,298 ; IC95% = 1,17-15,787 ; p=0,028). Le dernier modèle montre trois facteurs associés à une augmentation ou diminution de la mortalité : la dose maximale de vasopresseurs administrée au patient (OR = 1,201 ; IC95% = 1,085-1,329 ; p<0,001), le delta de lactate artériel (OR = 1,244 ; IC95% = 1,048-1,477 ; p=0,012) et l’anticoagulation du patient (OR = 0,19 ; IC95% = 0,043-0,841 ; p=0,029). Le risque de mortalité (RM) a été modélisé par une nouvelle variable, créée sur base du dernier modèle, dont l’AUC est de 0,872 (IC95% = 0,819-0,925) : RM = 1,40 + 1,20 (VPmax) + 0,19 (anticoagulation) + 1,24 (delta lactate artériel). L’IMA a constitué le motif d’admission primaire en USI chez 97 patients (42,5%), tandis que 131 patients (57,5%) ont développé une ischémie mésentérique en cours de séjour en USI. 14 patients (6,1%) ont présenté une ischémie veineuse, avec une mortalité à 30 jours de 21%.

 

CONCLUSION 

La mortalité à 30 jours des 228 patients issus de notre base de données était de 64,9%. Des facteurs indépendants de mauvais pronostic dans l’IMA artérielle ont été identifiés : les marqueurs de défaillance cardiaque, les besoins en vasopresseurs élevés, la ventilation mécanique 24 heures avant le diagnostic d’IMA, une hausse de l’INR, le lactate artériel augmenté 24 heures après le diagnostic et la différence de concentration en lactate artériel observée dans un intervalle de 24 heures suivant le diagnostic. Parallèlement, un facteur de bon pronostic émerge : l’anticoagulation. Un score a également été présenté pour estimer le pronostic de l’IMA artérielle aux soins intensifs.

 

AFFILIATIONS

1 Service des soins intensifs, Cliniques universitaires Saint-Luc, avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles, Belgique