F. Banting et Ch. Best sont-ils vraiment les « découvreurs » de l’insuline il y a 100 ans ? Synthèse d’une relecture de l’histoire

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Martin Buysschaert (1), Alberto de Leiva-Hidalgo (2) Publié dans la revue de : Septembre 2022 Rubrique(s) : Diabétologie
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Résumé de l'article :

L’objectif de l’article est de revisiter l’histoire de la découverte de l’insuline, attribuée « officiellement » à F.G. Banting et Ch. Best. La première administration de leur extrait pancréatique chez l’homme fut effectuée en janvier 1922 à Toronto. En réalité, l’histoire n’a sacralisé que ces deux noms, alors que d’autres, au Canada et en Europe, ont aussi contribué de manière déterminante à cette découverte. Dans ce contexte, nous souhaitons démêler les écheveaux en décrivant le rôle essentiel et l’impact majeur d’autres chercheurs au Canada (J. Macleod et J.B. Collip) et en Europe (M. Gley en France, G. Zuelzer en Allemagne et N. Paulescu en France et en Roumanie). L’article veut ainsi « rendre à César ce qui appartient à César ».

Mots-clés

Diabète, découverte de l’insuline, Toronto, Europe, pionniers

Article complet :

Introduction

En ce début de 20e siècle, le diabète « maigre » (diabète de type 1) est une maladie mortelle. En quelques mois… Le seul traitement est la prescription d’un régime de « famine » dit « diète absolue », mis au point aux Etats-Unis et recommandé à ses malades par le docteur F.M. Allen (1879-1964). Il signifie pour un (jeune) patient une restriction calorique drastique limitant l’apport à 300 kcal/j en phase d’acidocétose et à 1200 kcal en période de « croisière ». Cette approche thérapeutique permettait, certes, de retarder quelque peu l’évolution (inexorable) de la maladie mais au prix d’une cachexie, d’une dégradation de l’état général et d’une perte de la qualité de vie résiduelle (1). Dans ce contexte mortifère, la découverte de l’insuline en 1921 est donc saluée, à juste titre, comme l’un des progrès les plus extraordinaires de la médecine. Elle fait passer le diabète de type 1 d’une pathologie aiguë rapidement fatale à une maladie chronique que l’évolution progressive des traitements insuliniques permettra, avec le temps, de mieux en mieux maîtriser.

Ceci étant, l’identité des chercheurs à qui revient le mérite de cette découverte fondamentale a donné lieu à vifs débats et controverses (2,3,4). L’histoire a sacralisé les noms de deux chercheurs canadiens, Frédéric Banting et Charles Best. La lecture d’une littérature récente sur le sujet suggère néanmoins que la réalité des faits est quelque peu différente (2,3,5,6,7) …

L’objectif de cet article est de revisiter, dans ses nuances, la saga de cette découverte remarquable. La première partie sera consacrée à la version « officielle », c’est-à-dire au parcours scientifique de l’équipe canadienne de F. Banting à Toronto, honoré par le Prix Nobel en 1923. La seconde partie ciblera davantage les avancées dans le domaine d’autres chercheurs, restés dans l’ombre, dont l’impact et les dividendes thérapeutiques n’ont pas toujours été (et ne sont toujours pas) reconnus par la communauté médicale à l’aune de leur valeur.

La version « officielle »

L’épopée canadienne et ses acteurs : 1920-1922

F. Banting, né en 1891 à Alliston (Ontario, Canada), est proclamé médecin orthopédiste en 1920, après des études interrompues en 1915 (par un engagement dans l’armée canadienne sur le front de la première guerre mondiale) et terminées après le conflit. C’est la lecture (par hasard) d’un article rédigé par Mason Barron, professeur à l’Université du Minnesota, qui l’amène indirectement en 1920 à s’intéresser au diabète… M. Barron décrivait dans sa publication qu’une lithiase pancréatique amenait une atrophie des acinis sans lésions des îlots de Langerhans. Banting en conclut, très rationnellement, qu’une ligature expérimentale des canaux excréteurs pancréatiques devrait permettre d’isoler, au sein de la glande, ce produit de sécrétion interne inconnu aux vertus antidiabétiques - qui avait néanmoins déjà été évoqué par d’autres chercheurs. Cette idée - et le projet de recherche subséquent - il les expose en juillet 1920 au Professeur J.J. Macleod, Directeur de l’Unité de Physiologie à l’Université de Toronto (UT). D’abord sceptique, il est finalement convaincu par la pertinence du projet « dans l’air du temps » … Il met alors à la disposition de Banting les moyens pour mener à bien sa recherche avec entre autres le local et les animaux de laboratoire (10 chiens…). Il lui fournit aussi l’aide d’un étudiant, C. Best (1899-1978) qui fut d’abord Sergent dans l’armée canadienne avant d’obtenir un Baccalauréat en Physiologie et Biochimie à l’âge de 22 ans. Le binôme F. Banting et C. Best est ainsi constitué avant un départ programmé de Macleod en Europe où il séjournera plusieurs mois.

Les premières expériences de Banting et Best sur les chiens diabétiques sont autant d’échecs. Ce n’est guère étonnant sachant que ni l’un ni l’autre n’ont une compétence dans le champ complexe de la recherche expérimentale. Aucun résultat vraiment significatif n’est enregistré malgré de nombreuses tentatives (et de nombreux chiens)… Il faut attendre le retour d’Europe le 21 septembre 1921 de Macleod pour rediscuter les protocoles et mettre en place une recherche plus structurée et mieux construite. Ceci amènera rapidement tensions et conflits entre les trois protagonistes, en particulier entre Banting et son mentor. La nouvelle approche expérimentale portera cependant rapidement ses fruits. Ce que le trio met en évidence le 10 novembre 1921, c’est que l’injection à un chien diabétique d’un extrait pancréatique (EP) est associée à une réduction significative des glycémie et glycosurie. Banting et Best postuleront – logiquement – que leur EP contient ce fameux principe antidiabétique qu’ils appelleront islétine (et que Macleod appellera insuline en avril 1922). Les données et résultats sont publiés par Banting et Best sous le titre « The Internal Secretion of the Pancreas », dans le Journal of Laboratory and Clinical Medicine le 5 février 1922 (8). Même si l’article contient de nombreuses erreurs (!), il est pour le groupe de l’UT un premier pas dans la conquête du saint Graal… En décembre 1921, pour consolider et optimiser les résultats, Macleod invite à Toronto en année sabbatique un biochimiste d’excellence, J.B. Collip (1892-1965), Professeur à l’Université d’Alberta, avec comme mission principale de tenter de « purifier » l’EP mis au point par Banting et Best et d’isoler l’islétine.

C’est le 11 janvier 1922 que Léonard Thompson, un jeune diabétique de type 1 âgé de 14 ans, reçoit par voie sous-cutanée des injections de l’EP mis au point par Banting et Best. C’est le docteur E. Jeffrey, interne dans le Département de Médecine Interne des Professeurs D. Graham et W.R. Campbell à l’UT qui effectuera l’injection (7.5ml de l’EP dans chaque fesse). C’est malheureusement un échec patent : il n’y a guère de bénéfice clinique ou biologique constaté – et un abcès fessier se développe à l’endroit d’un des sites d’injection. La suite sera conditionnée par l’impact déterminant de J.B. Collip. Il réussit le 19 janvier 1922 à « décontaminer » l’EP de Banting et Best dans une solution d’alcool à 90% et à précipiter ainsi » l’hormone anti-diabétique ». L’avancée est majeure ! C’est cet extrait de « seconde génération » qui sera injecté à partir du 23 janvier 1922, à nouveau à L. Thompson. Cette fois, les résultats sont spectaculaires - et l’histoire les gravera dans le marbre. La glycémie de L. Thompson chute de 520 à 120 mg/dl, la glycosurie de 71 à 5 g/24h et la cétonurie se négative. Au cours du mois de février 1922, six autres patients bénéficieront de ce nouveau traitement « miracle ».

Ces données cliniques seront publiées en mai 1922 par Banting et al. dans le Canadian Medical Association Journal (9). Macleod et Graham ne cosigneront pas l’article.

L’épopée canadienne et ses acteurs après février 1922

Les résultats spectaculaires des premiers traitements insuliniques suscitent dans le monde une vague d’enthousiasme. La découverte fait la « Une » des journaux. Le consensus est évident : c’est une percée majeure dans l’histoire de la médecine qu’ont permis les travaux du quatuor de chercheurs canadiens et de leurs collègues cliniciens de l’UT .

En parallèle, dans un champ moins médico-médical, plusieurs évènements vont attiser les dissensions entre les membres de l’équipe. Il y a d’abord la présentation des résultats par Macleod lui-même le 3 Mai 1922 à Washington à l’Association of American Physicians, à laquelle Banting et Best refusent par principe d’assister (10). Il y a ensuite – et surtout – l’attribution du Prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1923 à Banting et Macleod (alors que d’autres auraient pu logiquement revendiquer cette distinction… cfr supra). Banting ne peut plus « voir » Macleod qui l’exaspère et, dans ce contexte hostile, il partagera ostensiblement son prix avec son partenaire de binôme C. Best. Quant à Macleod – qui fut le véritable coordonnateur du projet canadien – il le partagera plus sereinement avec J.B. Collip, lui rendant ainsi l’hommage qu’il méritait.

Heureusement, par-delà les conflits de personnes, « l’insulinothérapie » peut être proposée à de plus en plus de malades…. Macleod prend une part prépondérante dans la mise en place et l’organisation pratique du traitement. Dès juin 1923, une collaboration entre l’UT et Eli Lilly avec G. Walden et G. Clowes permettra d’améliorer encore le produit final en termes de pureté et de stabilité avec, en aval, une commercialisation à plus grande échelle de l’Iletin®. Cela grâce aussi au dynamisme sur le terrain des deux cliniciens « de la première heure », Campbell et Fletcher. Fin 1923, plus de mille patients au Canada et aux Etats-Unis auront bénéficié du « miracle » thérapeutique. C’est aussi en 1923 que l’insuline deviendra disponible au Danemark grâce à A. Krogh, Professeur de Physiologie à Copenhague et ancien Prix Nobel, dont l’épouse diabétique était traitée par le docteur H.C. Hagedorn. Ils rencontreront à Toronto Macleod et obtiendront son accord pour une licence de production d‘insuline en Scandinavie. Ils développeront une technique d’extraction qui leur sera propre, puis combineront l’insuline à la protamine…. L’histoire progresse encore ! Ils seront les fondateurs du Nordisk Insulin Laboratorium.

Les autres versions : l’avant Banting et Best (ou « les ouvriers de la première heure » )

O. Minkowski, à Strasbourg, et E. Hedon à Montpellier, démontrent respectivement en 1889 et 1893 qu’une pancréatectomie chez l’animal provoque un diabète sucré et qu’une greffe de pancréas, à l’opposé, corrige cette hyperglycémie et ses symptômes. À partir de ces travaux originaux, ils postulent qu’au sein du pancréas, peut-être dans ces îlots décrits par P. Langerhans en 1869, il y a production d’une « sécrétion interne » qui régule physiologiquement le métabolisme des glucides.

Ils vont ainsi asseoir les fondations de l’édifice…D’autres pionniers, s’inspirant de ces observations fondamentales, vont poursuivre le travail, creuser le sillon et jouer ainsi un rôle essentiel dans la découverte de l’insuline.

1. En France, Marcel E. Gley (1857-1930)

M. Gley est professeur de Physiologie au Collège de France et à l’Université de Paris. Sur base d’expériences chez le chien pancréatectomisé, il postule la présence au sein de résidus de pancréas fibrosé d’origine animale d’une substance aux effets anti-diabétiques au vu de l'observation d'une réduction de la glycosurie après injection de cet extrait. Ce constat original, il le collige en 1905 dans une lettre adressée au Secrétariat de la Société de Biologie (Paris), document qui ne sera rendu public, à sa demande, qu’en décembre 1922. Il décrivait dans ce courrier ses principaux résultats et concluait qu’il était essentiel d’identifier cette substance inconnue pour en comprendre le mécanisme d’action.

2. En Allemagne, G.L. Zuelzer (1870-1949)

G.L.Zuelzer est la seconde personnalité qui jouera un rôle déterminant dans la découverte de l’insuline… Médecin à l’Université Friedrich Wilhelm à Berlin, il publie en 1907 ses premiers résultats. Il décrit, lui aussi, que l’administration parentérale d’un EP d’origine animale réduisait la glycosurie de chiens pancréatectomisés mais aussi celle de malades diabétiques. Huit patients, dont un enfant de six ans (qui décédera quelques semaines plus tard par manque d’EP !) bénéficient de ce « traitement ». Il observe une réduction des glycosurie et acétonurie chez une majorité d’entre eux. Au prix hélas d’effets secondaires importants (fièvre, myalgies, vomissements). Zuelzer persiste malgré ces écueils. Avec la mise au point d’un nouvel EP qu’il appelle Acomatol, il démontre aussi l’importance de la répétition des injections toutes les trois heures pour maintenir l’effet hypoglycémiant. En 1912-1913, Zuelzer, alors responsable du Département de Médecine Interne au Hasenheid Hospital à Berlin, signe un contrat avec la Société Hoffman-Laroche visant d’une part à améliorer les caractéristiques physico-chimiques de l’Acomatol (qui induisait des hypoglycémies sévères chez l’animal) et d’autre part à commercialiser cet EP. Zuelzer, si proche du but, devra malheureusement renoncer à poursuivre ses travaux en raison d’abord d’une mobilisation militaire en 1914 puis, après l’éclaircie de la République de Weimar, au vu de l’avènement du national-socialisme et du nazisme. Ce contexte politique l’oblige, lui citoyen allemand d’origine juive, à émigrer aux Etats-Unis où il décède en 1949 sans avoir repris ses recherches de précurseur de génie. Sa mobilisation en 1914 avait déjà sonné le glas du soutien de l’industrie à son projet thérapeutique.

3. En Roumanie, N. Paulescu (1869-1931)

N. Paulescu, né à Bucarest, après une scolarité brillante, étudie la médecine à Paris dès 1888. Etudiant d’excellence, il décroche d’abord un doctorat en Médecine puis d’autres en Sciences fondamentales. Son parcours de médecin et physiologiste l’amène à une recherche visant, entre autres, à isoler le mystérieux « principe » anti-diabétique contenu dans le pancréas, en collaboration avec d’autres dont son mentor Etienne Lancereaux (1829-1910) (qu’il fréquente comme externe à l’Hôtel-Dieu de Paris…). De retour à Bucarest en 1900, il est nommé professeur de Physiologie à la Faculté de Médecine. La première guerre mondiale, et un état de santé fragile, perturbent ses activités et empêchent la diffusion internationale de ses travaux, effectués entre 1916 et 1919. Ils ne seront présentés et publiés qu’en 1921. En résumé, l’injection par voie intraveineuse à l’animal rendu diabétique par pancréatectomie d’un extrait aqueux de pancréas qu’il appelle Pancréine , provoque une réduction (temporaire) de l’hyperglycémie, de la glycosurie, de l’urée et des corps cétoniques. Paulescu démontre que cet effet hypoglycémiant est dose-dépendant. Il est observé dès l’injection de l’EP dans une veine jugulaire ou portale ; il est maximal après 2h et se maintient pendant environ 12h. L’administration à ces animaux diabétiques d’une solution physiologique ou d’un concentré splénique (groupe contrôle) n’a aucun effet, comme indiqué dans le Compte-rendu des Séances de la Société de Biologie (23 juillet 1921) (11) et dans les Archives Internationales de Physiologie (août 1921). La pancréine ne sera cependant pas utilisée en clinique, eu égard aux effets secondaires.

En parallèle, l’ouverture intellectuelle de Paulescu et son brio l’amènent à mener des investigations fondamentales en endocrinologie générale, en particulier la description d’une technique d’hypophysectomie chez l’animal qui sera validée et adaptée par H. Cushing. En collaboration avec Lancereaux, il publiera en 1930 un traité de Médecine en quatre tomes (3870 pages) où il développera dans un chapitre ses données et résultats concernant la sécrétion interne anti-diabétique du pancréas (12).

Au-delà de la médecine, il est légitime de ne pas gommer les choix politiques à l’extrême droite de Paulescu. Dans cette ligne, il est ressorti de ses engagements et écrits des prises de position univoques antisémites (13). Au moment où il allait être honoré solennellement en 2003 à Paris, à l’occasion d‘un Congrès de l’International Diabetes Fédération (IDF) furent publiés, « la veille » de la réunion, une mise en garde du Centre Simon Wiesenthal et, dans le « Le Monde » du 26 août 2003, un article signé par N. Weill, intitulé « Paris manque d’honorer l’inventeur antisémite de l’insuline ». Dans ce contexte, comme rapporté et justifié par G. Slama dans une lettre au Lancet, l’inauguration d’un buste aux côtés d’E. Lancereaux dans la cour de l’Hôtel-Dieu de Paris a été aussitôt annulée (14).

La suite des évènements

Au Canada…

L’attitude de l’équipe canadienne, en particulier celle de Banting et de Best, quant à la découverte de l’insuline, fut très identitaire. Elle est restée leur pré carré… Dans leur publication princeps de 1922, Banting et Best citeront, certes, Paulescu mais en lui faisant dire l’inverse de ce qui était écrit… Best, en 1969, dans une lettre au Professeur Pavel à Bucarest regrettera cette erreur qu’il attribuera à sa connaissance médiocre de la langue française et/ou à des erreurs de traduction ! Jamais néanmoins, il ne reconnaîtra en public cette maladresse politico-sémantique. Dans son discours au Prix Nobel, Banting ne mentionnera qu’incidemment le nom des pionniers. Bien qu’en filigrane, Macleod manifestera davantage de rigueur et honnêteté scientifique.

Au cours des années qui suivent les premiers honneurs et ors, Banting et Best vont progressivement « confisquer » à leur avantage la découverte de l’insuline en occultant les rôles (pourtant essentiels) de Macleod et de Collip. Par ailleurs, dès 1923, les autorités politiques du Canada et certaines institutions académiques vont ancrer ce point de vue, en orchestrant des campagnes d’information (ou de désinformation ?) attribuant sans nuance la découverte de l’insuline au binôme Banting et Best. Confronté à cette injustice, Macleod quitte Toronto en 1928 et retourne à l’Université d’Aberdeen, son Alma Mater. Quant à Collip, il poursuit hors les murs de l’UT une carrière brillante dans d’autres champs de recherche en endocrinologie, d’abord à Edmonton puis à partir de 1928 à l’Université McGill à Montréal où son impact scientifique restera majeur dans d’autres domaines, comme celui de la parathormone.

Banting occupe dès 1923 la chaire de Physiologie à l’UT. En 1940, il s‘engage dans l’armée canadienne et, en mission secrète, décédera en 1941 dans un accident d’avion au-dessus de Terre-Neuve. Quant à Best, personnalité très charismatique, il sera promu à l’âge de 29 ans professeur de Physiologie à Toronto à la place de Macleod. Après le décès de Banting, il restera le héraut infatigable porteur du message univoque à ses yeux de la découverte de l’insuline par Banting et lui-même. Avec, même en 2022, un certain succès….

En Europe…

La décision par son Comité d’attribuer le Prix Nobel de Physiologie et de Médecine à Banting et MacLeod a fait l’objet de nombreuses polémiques, non seulement au Canada (en interne) mais aussi en Europe avec, entres autres, des réactions et protestations indignées d’autres candidats potentiels comme Zuelzer et Paulescu… Malgré plusieurs demandes d’éminentes personnalités de la communauté scientifique en Europe, le nom de ces pionniers et ouvriers de la première heure – et la portée de leurs travaux - n’ont jamais été vraiment réhabilités. En septembre 2005, l’IDF organisait à Delphes un symposium international consacré à la découverte de l’insuline « Who discovered insulin ? ». Il était organisé, à la demande des professeurs K.G.M.M. Alberti et P. Lefèbvre, après l’annula-tion en 2003 de la cérémonie à l’IDF (15). À l’issue de cette réunion, à laquelle participait le coauteur de cet article, A. de Leiva, il n’y eut cependant ni vote, ni prise de position officielle (13) … !

Il est intéressant de conclure en citant M. Bliss qui écrit dans son remarquable ouvrage que « les résultats obtenus par Banting et Best en février 1922 n’étaient en rien supérieurs à ceux de Zuelzer et Paulescu ». En d’autres mots, il « cassait » le mythe (5)…

Si la découverte de l’insuline est définie indirectement par une diminution de la glycosurie et/ou de l’hyperglycémie après l’injection d’un extrait pancréatique, le mérite en revient aux pionniers comme Gley, Zuelzer et Paulescu. Si cette définition implique une réduction de glycémie chez le sujet diabétique, il faut alors magnifier le nom de Zuelzer. Si on considère comme définition l’injection chez un malade diabétique d’un extrait purifié avec réduction de la glycémie sans effets secondaires à court et long terme – et la mise en place d’un programme thérapeutique structuré – ce sont Banting et Best mais aussi, à part entière, Macleod et Collip qui doivent être honorés par l’histoire.

Quoi qu’il en soit, par-delà la médiocrité des querelles et des ego, les années 1921 et 1922, ont été une révolution dans l’histoire de la médecine (16). L’ensemble des travaux, ceux des précurseurs avec l’Acomatol et la Pancréine et ceux du groupe de Toronto avec l’Islétine et l’Insuline, ont bouleversé la face du diabète grâce à un traitement qui allait rapidement s’affiner et évoluer vers une insulinothérapie de plus en plus performante (17)… Nous avons un devoir de mémoire pour tous ces protagonistes, en Europe et au Canada, qui doivent donc être considérés chacun comme acteur de génie - et non figurant. En d’autres termes, comme « co-découvreurs » d’une hormone qui a sauvé hier et sauve aujourd’hui des millions de vies.

Affiliations

1. Martin Buysschaert, Cliniques universitaires Saint Luc, Université catholique de Louvain, Brussels, Belgique
2. Alberto de Leiva-Hidalgo , Institute of History of Medecine Lopez –Pinero, Universidad de Valencia and Fundacion DIABEM (Diabetes, Endocrinology and Metabolism), Barcelona, Spain

Correspondance

Pr (ém.) Martin Buysschaert
Cliniques universitaires Saint-Luc
Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles ; Belgique

Références

  1. Schlienger JL. 1922 : the first year of insulin therapy. First prescribers and first patients treated. Médecine des Maladies Métaboliques.2022 ; 16 (1) : 98-104.
  2. Lestradet H. La découverte de l’insuline. Bull. Acad. Natle. Med. 1996; 180: 437-448.
  3. de Leiva-Hidalgo A, Brugues E, de Leiva-Pérez A. The true Banting and Best Story: The Priority Rule and the Discovery of the Antidiabetic Hormone. In Jorgens V, Porta M : Unveilling Diabetes-Historical Milestones in Diabetology. Front Diabetes. Basel Karger, 2020, vol 29, pp 84-102.
  4. Buysschaert M. A propos de la découverte de l’insuline il y a 100 ans : « vous avez dit par Banting et Best, vraiment ? ». Ama Contacts 119. 2021 :414-416.
  5. Bliss M. The discovery of insulin. McClelland and Stewart Limited, Toronto, Canada, 1982.
  6. de Leiva A, Brugués E, de Leiva-Pérez A. The discovery of insulin: continued controversies after ninety years. Endocrinol Nutr.2011 ; 58 : 449-456.
  7. de Leiva A. Organoterapia de la diabetes mellitus (1889-1923): la controversia de prioridades en torno al describrimiento de la hormona antidiabetica. Thèse de Médecine, Université de Valence, 2021.
  8. Banting FG, Best CH. The internal secretion of the pancreas. J Labor Clin Med. 1922; 7: 256-271.
  9. Banting FG, Best CH, Collip JB, Campbell WR, Fletcher AA. Pancreatic extracts in the treatment of diabetes mellitus. Can Med Ass J. 1922 ; 2 : 141-146.
  10. Macleod JJR. The source of insulin. J. Metab Res. 1922 ; 2 : 149-172.
  11. Paulescu NC. Action de l’extrait pancréatique injecté dans le sang chez un animal diabétique. CR Soc Biol. 1921 ; 85 : 555-557.
  12. Lancereaux E, Paulescu NC. Traité de médecine. Paris. J.B. Baillère and Fils, 1906, 1908, 1912, 1930.
  13. Schlienger JL. Découverte de l’insuline : quelle fut la contribution de Nicolae Constantin Paulescu (1869-1931) ? Médecine des Maladies Métaboliques.2017 ; 11 (7) : 664-669.
  14. Slama G. Nicolae Paulescu. An international polemic. Lancet.2003 ; 362 : 1422.
  15. Alberti G, Lefèbvre P. Paulescu: science and political views. Lancet. 2003 ; 362 : 2120.
  16. Porta M. One hundred years ago : the dawning of the insulin era. Acta Diabetologica. 2021 ; 58 : 1-4.
  17. Buysschaert M, Preumont V, Maiter D. L’insulinothérapie en 2021. Louvain Med 2021 janvier : 140 : 2-7.