Effets secondaires endocriniens des opioïdes

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Anne Dysseleer, Dominique Maiter Publié dans la revue de : Janvier 2023 Rubrique(s) : Endocrinologie
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Résumé de l'article :

Les premières traces de l’utilisation de l’opium remontent à l’époque des Sumériens, environ quatre mille ans avant notre ère. Les Egyptiens l’utilisaient pour calmer les pleurs des enfants. Après une plongée dans la pharmacologie des dérivés de l’opium et des opioïdes, nous aborderons leurs effets secondaires endocriniens encore mal connus. L’usage des opioïdes en constante augmentation en pratique médicale et leur mésusage ont permis de découvrir toute une série d’effets secondaires sur les axes régulateurs des fonctions endocriniennes. Ces effets secondaires peuvent impacter fortement l’état de santé et la qualité de vie des patients qui en font un usage chronique. Il est donc très important d’y être attentif.

Nous allons revoir dans cet article les principaux symptômes à rechercher, les examens complémentaires à réaliser et la prise en charge à mettre en œuvre chez ces patients.

Que nous apporte cet article ?

Au travers de cet article, nous allons attirer l’attention du praticien sur des effets secondaires méconnus des opioïdes, leur permettre d’en faire le diagnostic et le cas échéant d’y apporter un traitement.

Mots-clés 

Opioïdes, opium, opiacés, hypogonadisme, insuffisance surrénalienne, morphiniques

Article complet :

Introduction

Le pavot à opium (Papaver somniferum) appartient à la famille des papavéracées et est originaire d’Europe et d’Afrique du Nord (Figure 1).

Son fruit forme une capsule renflée qui, à maturité, libère de petites graines en s’ouvrant. Ces graines sont, entre-autres, utilisées dans le secteur alimentaire pour confectionner des pains, des gâteaux, de l’huile alimentaire claire.

Le latex, suc épaissi et concret recueilli par incision des capsules non mûres (Figure 2), constitue l’opium et contient un certain nombre d’alcaloïdes qui n’existent pas dans les graines. Le pavot à opium n’existe pas à l’état sauvage, c’est un cultivar. Il est cultivé à large échelle de manière légale et strictement contrôlée pour la production de morphine médicale, mais aussi illégalement à destination de laboratoires clandestins pour la production d’héroïne.

L’opium peut être utilisé sous la forme d’élixir parégorique pour traiter la diarrhée, sous forme de poudre ou d’extrait associé à du paracétamol et de la caféine dans le Lamaline®.

Il peut être avalé ou bu en décoction (rachacha) mais son usage le plus courant en Asie centrale, Afghanistan, Iran, Pakistan, …consiste à être fumé, souvent à l’aide d’une pipe (où la boule d’opium est préchauffée en étant piquée sur une aiguille), parfois mélangé à du tabac (Figure 3).

Les premières traces de son utilisation remontent aux Sumériens, environ quatre mille ans avant notre ère. Ce peuple de la Mésopotamie définissait l’opium avec un idéogramme qui signifiait “Hul Gil”, à savoir “plante de la joie”, en référence aux propriétés euphorisantes de cette fleur.

Le Papyrus d’Ebers est un témoin de son usage par les Égyptiens (Figure 4). Ce papyrus constitue une sorte de traité médical de l’époque qui décrit différents remèdes à base de plantes parmi lesquelles on retrouve l’opium. Ce papyrus recommandait son utilisation en tant qu’analgésique pour soulager les douleurs et en tant que sédatif pour calmer les pleurs des enfants.

On appelle opiacé une substance dérivée de l’opium ; elle est donc d’origine naturelle, même si elle a été obtenue par hémisynthèse à partir de produits extraits de l’opium (1). La morphine (MS Direct®, MS Contin®), la codéine, la thébaïne, la papavéraldine, la papavérine, la narcéine, la narcotine, la laudanosine sont des molécules directement présentes dans l’opium. L’héroïne, l’hydromorphone (Palladone®), l’oxymorphone, l’hydrocodone, l’oxycodone (Oxycontin®, Oxynorm®), la buprénorphine (Temgesic®, Transtec®) sont des molécules obtenues par hémisynthèse à partir des précédentes.

Les opiacés interagissent avec l’organisme humain en se fixant à des récepteurs. Plus d’une quinzaine de récepteurs à opiacés ont été dénombrés mais les plus importants sont (1,2) :

- Les récepteurs µ situés dans la substance grise et le thalamus, qui contribuent au contrôle de la douleur, de la respiration, mais aussi à l’euphorie.

- Les récepteurs κ situés dans l’hypothalamus et la moelle épinière, qui participent aux effets neuroendocriniens et à l’analgésie spinale.

- Les récepteurs δ localisés dans la moelle épinière, qui contribuent à l’analgésie mais aussi à la constipation, à la dépression respiratoire modérée, au myosis et aux effets psychodysleptiques.

Les différences entre les effets induits par les différents opiacés sur l’organisme s’expliquent par leur action plus ou moins importante sur ces différents récepteurs.

On peut définir un opioïde comme une substance qui ne répond pas à la définition d’un opiacé (qui ne dérive donc pas de l’opium) mais qui peut quand même se lier à un récepteur des opiacés. Ce sont des substances de synthèse ; par exemple le fentanyl (Fentanyl®, Matrifen®, Durogesic®), la méthadone (Mephenon®) et le tramadol (Contramal®, Tradona®, Dolzam®) (1,2). Il faut noter que plusieurs auteurs font du terme opioïde un terme très général : « substance pouvant se lier aux récepteurs des opiacés » ; les opiacés formant alors un sous ensemble des opioïdes.

La liaison de l’opioïde à son récepteur peut entraîner une action tout à fait comparable à celle d’un opiacé ; on dit alors que l’opioïde est un agoniste entier, comme l’oxycodone, le fentanyl. La liaison peut entrainer une action partiellement comparable à celle d’un opiacé, l’opioïde est alors qualifié d’agoniste partiel ou agoniste/antagoniste. Ce sont des produits pouvant être agonistes d’un type de récepteur et antagoniste d’un autre: la nalbuphine et la nalorphine sont des agonistes des récepteurs κ et des antagonistes des récepteurs μ ; la buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs μ et un antagoniste des récepteurs κ. La méthadone est à la fois un agoniste entier des récepteurs μ et un antagoniste des récepteurs NMDA. Cette liaison peut aussi aboutir à bloquer le récepteur et l’empêcher d’être disponible pour un opiacé, on qualifie alors l’opioïde d’antagoniste : la naloxone et la naltrexone sont deux antagonistes non sélectifs des récepteurs des opiacés, ils bloquent les trois types de récepteurs de la même façon (1,2).

Il existe un système opioïde endogène constitué de peptides opioïdes dérivés du clivage protéolytique de protéines précurseurs : la pro-opiomélanocortine (précurseur de la β-endorphine), la préproenképhaline (précurseur des enképhalines) et la préprodynorphine (précurseur de la dynorphine). Ces peptides sont synthétisés au sein du système nerveux central et périphérique, ce sont des neuropeptides (1,3).

En pratique clinique, les opioïdes sont utilisés pour leur effet narcotique ou hypnotique, pour leur effet analgésique ou antalgique. Ils sont également utilisés pour leur effet antitussif et antidiarrhéique. Certains opioïdes (méthadone) sont utilisés dans le traitement de substitution des addictions aux opioïdes.

La prescription d’opioïdes a fortement augmenté au cours de ces dernières années avec par exemple en Angleterre, un doublement des prescriptions/100 personnes de 2006 à 2016 (3). En France, entre 2006 et 2017, la prescription d’opioïdes forts a augmenté d’environ 150 %. L’oxycodone est l’antalgique opioïde qui marque l’augmentation la plus importante. La consommation globale des opioïdes faibles est restée relativement stable (4).

Les situations de dépendance et d‘abus à la suite d’un traitement antalgique ont également fortement augmenté, avec comme conséquence, un nombre plus important d’effets secondaires liés à l’usage de ces opioïdes, mais également une meilleure connaissance ou reconnaissance de ceux-ci. Cependant, les effets secondaires endocriniens des opioïdes exogènes restent peu connus et sous-diagnostiqués.

Effets des opioïdes sur l’axe gonadotrope

Physiopathologie

L’axe gonadotrope joue un rôle important dans le développement et la régulation du système reproducteur. La GnRH (gonadolibérine) est sécrétée de manière pulsatile au niveau de l’hypothalamus ; elle régule la libération de LH (hormone lutéinisante) et de la FSH (hormone folliculostimulante) au niveau de l’hypophyse.

Chez l’homme, la LH stimule la production de testostérone par les cellules de Leydig, alors que la FSH régule la spermatogenèse au sein des cellules de Sertoli du testicule. Chez la femme, la FSH stimule la croissance des follicules ovariens et induit un phénomène de différenciation folliculaire ; la LH stimule la sécrétion des stéroïdes sexuels ovariens et induit l’ovulation. La testostérone chez l’homme et l’œstradiol chez la femme exercent un rétrocontrôle négatif sur l’hypothalamus et l’hypophyse.

L’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique est également modulé par toute une série d’éléments extérieurs ; les opioïdes en font partie. Les opioïdes inhibent l’axe gonadotrope en agissant sur les récepteurs µ dans l’hypothalamus. Ils inhibent la sécrétion pulsatile de la GnRH au niveau de l’hypothalamus, ce qui conduit à une diminution de la libération de LH et dans une moindre mesure de la FSH au niveau de la glande pituitaire, puis à une réduction de la production des stéroïdes gonadiques à l’origine d’un hypogonadisme (3). Des effets directs des opioïdes sur les testicules et les ovaires ont également été décrits (3). Enfin, les opioïdes pourraient agir sur la production surrénalienne de déhydroépiandrostérone, un précurseur de la testostérone, et de l’oestradiol, tant chez l’homme que chez la femme (5).

Hypogonadisme : définition et diagnostic

L’hypogonadisme est un syndrome clinique résultant d’une altération de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique. Il est qualifié de primaire lorsqu’il atteint les gonades (hypogonadisme hypergonadotrope) ou secondaire lorsqu’il atteint le système central (hypogonadisme hypogonadotrope). Il peut être congénital ou acquis. Chez l’homme, l’hypogonadisme primaire est caractérisé par des taux bas de testostérone et des taux élevés de LH et FSH. L’hypogonadisme secondaire se caractérise par un taux bas de testostérone et des taux anormalement bas en LH et FSH. Chez la femme, l’hypogonadisme primaire est caractérisé par des taux bas en œstrogènes et des taux élevés en FSH, tandis que l’hypogonadisme secondaire se caractérise par des taux bas en LH et/ou FSH.

Chez l’homme, l’hypogonadisme est diagnostiqué en se basant sur le taux de testostérone totale mesuré le matin à jeun et à au moins deux reprises. Le seuil à partir duquel on parle d’hypotestostéronémie n’est pas clairement établi. Le seuil habituellement reconnu par les Sociétés d’Endocrinologie est un taux de testostérone totale < à 10,4 nmol/L (300 ng/dl) (6). Cependant, l’Internal Society of Andrology recommande un seuil de 8.0 nmol/L (230 ng/dl), tandis que l’American Association of Clinical Endocrinologists recommande un seuil de 6.9 nmol/L (200 ng/dl) (6), principalement du fait que la plupart des effets biologiques de la testostérone active sont maintenus au-delà de ces valeurs. De plus, les valeurs normales doivent être adaptées à l’âge du patient, la testostérone s’abaissant physiologiquement au-delà de l’âge de 40 ans.

L’hypogonadisme est un des effets secondaires des opioïdes le moins facilement reconnu car les patients associent souvent les plaintes liées à l’hypogonadisme à leur état douloureux et sont peu enclins à rapporter ce type de symptômes à leur médecin. L’hypogonadisme induit par les opioïdes se traduit cliniquement par une dysfonction érectile, et une diminution de la masse musculaire chez l’homme ; une oligo-aménorrhée et des bouffées de chaleur chez la femme ; une diminution de la libido, de la fatigue, une infertilité, de l’ostéoporose et des symptômes anxio-dépressifs dans les deux sexes. Un hypogonadisme pourrait également interagir avec l’action nociceptive des antalgiques opioïdes et provoquer de l’hyperalgie (7).

Le diagnostic de l’hypogonadisme secondaire aux opioïdes se fait sur base de l’anamnèse, des dosages en laboratoire et l’exclusion d’autres causes d’hypogonadisme.

Plusieurs revues systématiques des études examinant les effets des opioïdes sur l’axe gonadotrope ont été réalisées ces dernières années (3,6,7). La prévalence de l’hypogonadisme secondaire aux opioïdes varie en fonction du seuil de testostérone utilisé pour définir l’hypogonadisme comme le rapporte Coluzzi (7) en 2018 dans une revue systématique des effets des opioïdes chez des hommes traités pour des douleurs non cancéreuses. Il retrouve une prévalence d’hypogonadisme allant de 19% à 86% en fonction du seuil de testostérone utilisé avec une prévalence moyenne de 50%. La prévalence varie aussi en fonction de la durée d’action de l’opioïde (6,8). Les patients sous opioïdes à longue durée d’action sont plus à même de développer un hypogonadisme que ceux sous courte durée d’action (3). L’hypogonadisme semble moins fréquent sous traitement par buprenorphine ou tapentadol (cet opioïde possède une activité agoniste sur le récepteur µ et des propriétés d’inhibition de la recapture de la noradrénaline) (3,6,8). Les patients sous fentanyl, méthadone et oxycodone présentent plus d’hypogonadisme que ceux sous hydrocodone (3). Les effets secondaires surviennent quelque soient les raisons de l’administration des opioïdes : douleurs chroniques cancéreuses ou non, addiction ou traitement de l’addiction (3). L’hypogonadisme est aussi présent quel que soit le mode d’administration : oral, intrathecal ou transdermique (6,9,10,11). Les effets secondaires des opioïdes sur l’axe gonadotrope apparaissent dans les deux sexes (6,9,11). La suppression de l’axe gonadotrope apparaît dès l’administration de l’opioïde et est réversible à l’arrêt du traitement (3,9).

Traitement

Une fois établi le diagnostic d’hypogonadisme secondaire à la prise d’opioïdes, une prise en charge doit être établie. Celle-ci peut se faire selon 3 axes :

1. Explorer une prise en charge par des traitements non-opioïdes : neurostimulation électrique transcutanée (TENS), thérapie comportementale, anti-douleurs non-opioïdes, radiofréquence, stimulation nerveuse.

2. Changement d’opioïde : trouver l’opioïde qui provoque le moins voire pas d’hypogonadisme du tout chez un patient déterminé (phénomène d’idiosyncrasie) (5). Opter pour la buprénorphine qui semble provoquer moins d’hypogonadisme.

3. Réduire la dose d’opioïdes en y ajoutant des anti-douleurs non-opioïdes et/ou des traitements non-pharmacologiques.

Un traitement de substitution par testostérone doit être envisagé chez l’homme sous hautes doses d’opioïdes dont le sevrage est impossible ou chez qui la prise en charge par traitement non-opioïde a échoué. Quoiqu’il n’y ait pas de consensus quant au seuil de testostérone définissant un hypogonadisme, on peut affirmer que les patients ayant un taux de testostérone total < 8.0 nmol/L (230 mg/dl) tireront un bénéfice d’un traitement de substitution par testostérone (6). L’objectif du traitement de substitution par la testostérone est de rétablir un taux physiologique de testostérone total (300-1000 ng/ml) (5,10), pour améliorer la qualité de vie, la fonction sexuelle, l’humeur, la masse musculaire et la densité osseuse (6,10,12) et diminuer la sensibilité à la douleur (3,12). La substitution peut se faire par voie transdermique (patch ou gel) ou par injection intramusculaire.

Cependant, il faut rappeler que le traitement de substitution en testostérone n’est pas sans effets secondaires : réaction locale au site d’injection, baisse du taux de cholestérol HDL, polycythémie (6), oligospermie, priapisme, calvitie, et surtout inhibition parfois prolongée de l’axe gonadique endogène, surtout avec les formes intramusculaires et pour des doses importantes. Enfin, bien que l’on n’ait jamais clairement démontré un lien entre l’administration de testostérone exogène et la survenue d’un cancer de la prostate (6), une surveillance du taux de PSA et du toucher rectal doit être réalisée, d’autant plus que la testostérone peut décompenser une hypertrophie prostatique bénigne pré-existante.

Les effets d’un traitement de substitution hormonal n’ont pas été étudiés chez la femme. Cependant en pré-ménopause, on pourrait proposer un traitement par oestro-progestatif ou une contraception orale (5). L’ajout de testostérone à doses appropriées et/ou de DHEA chez la femme est encore considéré comme expérimental.

Effets des opioïdes sur l’axe corticotrope surrénalien

Les opioïdes exercent leurs effets sur l’axe corticotrope surrénalien via les récepteurs µ, δ et κ. Ils inhibent la sécrétion de CRH entrainant une baisse de la production de l’ACTH et du cortisol (3). Les symptômes sont ceux de toute insuffisance surrénalienne et comportent fatigue, nausées, vomissements, perte de poids, vertiges, douleurs musculaires ; symptômes qui peuvent également accom-pagner le syndrome de douleurs chroniques. Des cas de crises d’insuffisance surrénalienne aigue ont même été décrits (13). L’action inhibitrice survient que ce soit un traitement à court terme ou à long terme (9,13). La prévalence est estimée entre 9% et 29% (3,9,14). L’arrêt ou la diminution des doses d’opioïdes permet d’améliorer ou de restaurer la fonction de l’axe corticotrope (3).

Le diagnostic se base sur le dosage du cortisol sérique matinal, de l’ACTH et, si nécessaire, la réalisation d’un test à l’ACTH (250 μg de Synacthen) (Figure 5). Il n’y a pas de déficit en minéralocorticoïdes car il s’agit bien d’une inhibition au niveau hypothalamo-pituitaire et non d’une atteinte au niveau surrénalien. Par ailleurs, le taux de DHEA sulfate est également abaissé.

Il existe peu d’études concernant le traitement de substitution par corticoïdes chez les patients présentant une insuffisance surrénalienne secondaire aux opioïdes (3). Le traitement consiste en de l’hydrocortisone, 15 à 25 mg/jour en fonction du poids et de l’âge, repartis en 2 à 3 prises, 50 à 66% de la dose étant administrée le matin (13). La supplémentation en DHEA n’a pas été spécifiquement étudiée en cas d’insuffisance surrénalienne secondaire à la prise d’opioïdes. Le traitement doit être réévalué après arrêt ou diminution du traitement par opioïdes. L’intervalle de temps nécessaire entre l’arrêt du traitement par opioïdes et la récupération de l’axe corticotrope surrénalien n’est pas connu (13). L’on ignore également la dose minimale en opioïdes à laquelle on peut espérer une récupération de l’axe.

La crise d’insuffisance surrénalienne aigue secondaire à la prise d’opioïdes se traite comme toute autre crise d’insuffisance surrénalienne aigue (hydratation et glucocorticoides IV). C’est l’éducation du patient et du corps médical qui reste l’atout de base afin d’éviter ces crises aigues (13).

Effets des opioïdes sur l’hormone de croissance (GH)

L’administration aigue d’opioïdes augmente temporairement la sécrétion de GH mais les données disponibles sur l’effet à long terme de l’administration d’opioïdes ne sont pas concluantes. (3)

Effets des opioïdes sur la prolactine

Quoique l’administration aigue d’opioïdes augmente la sécrétion de prolactine, les effets de l’usage chronique d’opioïdes sont variables. Des études montrent une élévation du taux de prolactine chez 40% des patients recevant un traitement chronique par opioïdes pour des douleurs d’origine cancéreuses ou non-cancéreuses (3). D’autres études ne démontrent pas d’augmentation du taux de prolactine lors de la prise chronique d’opioïdes (3,9,14). Des cas d’hyperprolactinémie sont décrits chez les usagers d’héroïne (3) et les fumeurs d’opium (3). Néanmoins, d’autres facteurs confondants sont à considérer pour interpréter le taux de prolactine tels que la douleur, le stress et la prise fréquente associée de médicaments hyperprolactinémiants comme les neuroleptiques ou antidépresseurs.

Effets des opioïdes sur la TSH

L’administration aigue d’opioïdes augmente le taux de TSH. Par contre, de très nombreuses données montrent l’absence d’effets de l’usage chronique des opioïdes sur les taux de TSH et la fonction thyroïdienne (3,9,14).

Effets des opioïdes sur le métabolisme osseux

Les opioïdes réduisent à long terme la densité osseuse de par l’hypogonadisme qu’ils induisent mais aussi par un effet direct sur le turn-over osseux (3,15,16). Chez les patients chroniquement traités par opioïdes, la prévalence d’ostéopénie et d’ostéoporose peut atteindre 50% et 20% respectivement (3,11,15). Une méta-analyse concernant des patients traités par opioïdes pour des douleurs chroniques non-cancéreuses montre qu’ils ont un risque de fracture augmenté de 80% (15). Ce risque fracturaire est démontré pour des nombreux opioïdes (morphine, oxycodone, fentanyl, tramadol, codeine, .. ) et est majoré pour des doses élevées d’opioïdes et l’usage d’opioïdes à courte durée d’action (15,16).

Diagnostic et prise en charge des endocrinopathies secondaires aux opioïdes

A. Fountas a proposé un algorithme de recherche et de prise en charge des endocrinopathies engendrées par les opioïdes (Figure 6).

La prévalence de l’hypogonadisme secondaire aux opioïdes étant élevée chez les patients sous traitement à long terme, il est recommandé de rechercher les symptômes et signes cliniques pouvant faire évoquer un éventuel hypogonadisme chez ces patients. Cette recherche n’est pas conseillée chez les patients sous traitement par opioïdes à court terme. Les dosages hormonaux seront effectués et les autres causes d’hypogonadisme exclues. La prise en charge s’effectuera comme expliqué ci-avant (5,6).

La recherche de symptômes évoquant une insuffisance surrénalienne se fera également. Si elle est suspectée, le dosage du cortisol matinal sera réalisé avec si nécessaire la réalisation de tests dynamiques (Figure 5). Si une insuffisance surrénalienne est confirmée, le traitement adéquat sera prescrit (13) et le traitement par opioïde sera réadapté et si possible interrompu avec réévaluation du traitement substitutif par hydrocortisone.

Des symptômes d’hyperprolactinémie seront recherchés chez les patients sous traitement par opioides à long terme. D’autres causes d’hyperprolactinémie devront être exclues. Une modification du traitement par opioïdes ne sera réalisée que si l’hyperprolactinémie entraine des symptômes gênants.

Une ostéodensitométrie sera réalisée chez les patients sous traitement par opioïdes à long terme et surtout chez ceux qui présentent un hypogonadisme (15). Un traitement de l’ostéoporose sera entrepris et le traitement anti-douleur devra être réévalué.

Conclusion

Les endocrinopathies engendrées par les opioïdes restent sous-diagnostiquées par sous-déclaration des symptômes de la part du patient mais aussi par leur méconnaissance de la part du corps médical. Les professionnels de la santé prescripteurs d’opioïdes doivent se familiariser avec les effets secondaires endocriniens des opioïdes et en avertir le patient à l’initiation du traitement mais aussi durant le suivi du patient. Des études complémentaires seraient nécessaires afin de mieux évaluer le traitement de substitution par testostérone dans l’hypogonadisme et par hydrocortisone dans l’insuffisance surrénalienne secondaire aux opioïdes.

Face à la douleur chronique, le médecin doit envisager des alternatives aux opioïdes : explorer une prise en charge par des traitements non-opioïdes, remplacer l’opioïde par un autre réputé engendrer moins d’endocrinopathies, réduire la dose d’opioïdes en y ajoutant des anti-douleurs non-opioïdes et/ou des traitements non-pharmacologiques. Enfin, la prise en charge en clinique de la douleur est une option à ne pas négliger.

Affiliations

1. Service d’Endocrinologie et Diabétologie, Centre Hospitalier de l’Ardenne, 6800 Libramont, Belgique
2. Service d’Endocrinologie et de Nutrition, Cliniques universitaires Saint-Luc, 1200 Bruxelles, Belgique.

Correspondance

Dr Anne Dysseleer
Centre Hospitalier de l’Ardenne.
Service d’Endocrinologie et Diabétologie
Avenue d’Houffalize, 35
B-6800 Libramont
anne.dysseleer@vivalia.be

Références

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