Docteur, j’ai la main qui picote

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Olivier Barbier, Xavier Libouton (1) Publié dans la revue de : Juillet 2019 Rubrique(s) : ECU-Congrès de médecine générale
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Résumé de l'article :

Les plaintes de mains qui fourmillent et s’endorment sont fréquentes. Ces paresthésies sont le plus souvent témoins d’une neuropathie compressive sur un trajet d’innervation de la main. La compression du nerf médian dans le canal carpien est la plus fréquente, suivie de la compression du nerf ulnaire dans le tunnel cubital au coude. Plus rarement, le nerf médian est comprimé au niveau de l’arcade du rond pronateur à l’avant-bras et le nerf ulnaire dans le canal de Guyon au poignet. D’autres sites de compression touchant aussi le nerf radial, essentiellement sous des arcades fibro-musculaires (distribuées depuis le défilé cervico-thoracique jusqu’à la partie distale du membre), de même que des compressions radiculaires au niveau cervical peuvent aussi provoquer des paresthésies. Le diagnostic, essentiellement clinique, peut être aidé particulièrement par l’électromyographie et l’échographie. Le traitement est habituellement conservateur dans les cas débutants, évitant les contraintes sur le nerf et par infiltration de corticoïdes. En cas de persistance, la chirurgie décompressive donne de bons résultats et évite les séquelles si elle est pratiquée suffisamment tôt.

Mots-clés

Neuropathies compressives, syndromes canalaires, paresthésies, main, syndrome du canal carpien, syndrome du tunnel cubital

Article complet :

Syndrome du canal carpien

Définition-pathogénie

L’ensemble de signes constituant ce syndrome comprend : paresthésies (souvent avec augmentation nocturne et dans certaines positions, comme en flexion du poignet (augmentant la pression dans le canal carpien). Des sensations de gonflement de la main, une perte de force et des difficultés à manipuler les petits objets sont fréquemment rapportées.

Ce syndrome dont la prévalence est de plus de 3% dans la population (1) a une incidence d’atteinte d’environ 100 hommes et 200 femmes par 100.000 et par an. La moyenne d’âge de nos patients opérés est de 55 ans. Il résulte d’une compression du nerf médian à l’intérieur d’un canal fermé à sa partie postérieure par les os du carpe et à sa partie antérieure par le rétinaculum des tendons fléchisseurs. Au bord distal du retinaculum des fléchisseurs, le nerf médian se divise en branches sensitives pour le pouce, l’index, le majeur, l’annulaire et la partie radiale de l’auriculaire. Il donne également une branche motrice se dirigeant vers la musculature thénarienne.

L’atteinte est souvent qualifiée d’idiopathique. L’augmentation du volume de la synoviale péritendineuse (activités répétées (jardinage, engins vibrants (pathologies professionnelles),…), pathologies rhumatismales) peut participer à la compression. Des neuropathies diffuses (génétiques, diabète,…) peuvent rendre les nerfs plus susceptibles à la compression. Des causes hormonales sont rencontrées. Notamment, le syndrome peut survenir en cours de grossesse et disparaître ensuite. Les causes traumatiques ne sont pas rares, comme l’association avec une fracture de l’extrémité distale du radius. Les compressions par différentes tumeurs (lipome, kyste arthro-synovial, tumeur à cellules géantes,…) sont moins fréquentes.

Diagnostic et variantes

Les signes cliniques sont : paresthésies (100%), manœuvre de Phalen (paresthésies après 1 minute de flexion du poignet) positive (65%) ; signe de Tinel (décharge électrique à la percussion de la zone de lésion d’un nerf) positif (50%). Dans les cas évolués, une amyotrophie de l’éminence thénar peut être notée (Figure 1). 

Le diagnostic est essentiellement clinique. Il peut être aidé par l’électromyographie (EMG) et l’échographie (2). Dans les cas restant douteux, une infiltration de corticoïdes peut être réalisée à titre diagnostique (et thérapeutique le cas échéant).

L’EMG peut confirmer le diagnostic, mettre en évidence d’autres sites de compression nerveuse ou une polyneuropathie et quantifier l’atteinte (intéressant pour le suivi d’un traitement conservateur, en cas d’évolution post-opératoire difficile ou en suspicion de récidive). Parmi les nombreux paramètres, 3 sont fréquemment rapportés : la vitesse de conduction des fibres sensitives du nerf médian dans le canal carpien (normalement > 50 m/sec) ; la latence de réaction de la musculature thénar à la stimulation du nerf médian en amont du canal carpien (normalement < 4,2 msec pour une stimulation 7 cm en amont du poignet) et l’activité musculaire (spontanée et à la contraction) lors de la myographie. Les vitesses de conduction sont en rapport avec la qualité des gaines de myéline. Les amplitudes de courant sont en relation avec la quantité d’axones fonctionnels. Le rapport des conductions (latence du pic) du majeur à la paume et au poignet est un indice sensible dans les cas légers.

L’échographie peut montrer l’environnement du nerf (fibrose, tumeur compressive,…), sa structure fasciculaire et sa forme. Le calibre du nerf change en cas de compression. Il est aplati au niveau du site compressif et dilaté en amont (> 10mm² au niveau du pisiforme) par accumulation de métabolites venant du flux axonal, particulièrement dans les cas aigus (Figure 2).

Ce sont les mêmes axones qui vont, en passant dans les nerfs, de la moëlle épinière (axones moteurs) et des ganglions rachidiens (axones sensitifs) vers la main. Il n’est pas rare qu’ils soient comprimés simultanément à plusieurs endroits sur leur trajet, comme au niveau du rachis cervical, du défilé thoracique et d’un canal carpien ou cubital. La décompression d’un seul site peut déjà améliorer significativement la symptomatologie, en commençant habituellement par les sites périphériques plus accessibles.

Classification

Padua (3) a développé une classification électrophysiologique en 6 grades allant d’extrême (sans réponse motrice thénarienne) à normal.

Traitement

Il vise à décomprimer le nerf et à diminuer la réaction d’irritation par le repos (particulièrement si un facteur externe est en cause), une attelle (le diamètre du canal est maximum avec le poignet en rectitude) (4), et souvent une infiltration de corticoïdes (5, 6).

Pour infiltrer (Figure 3), après désinfection, l’aiguille orientée distalement (45°) pénètre la peau quelques mm en amont du pli de flexion (de part ou autre du Palmaris longus ; dans les limites du canal carpien (que l’on peut sentir en palpant le tubercule distal du scaphoïde du côté radial et le pisiforme du côté ulnaire). L’injection (par exemple Depo-Medrol 20 ou 40 mg) se réalise dans le canal, après avoir passé le retinaculum des fléchisseurs (une structure offrant une petite résistance, environ 1 cm sous la peau). Si la résistance est importante, il se peut que l’aiguille soit enfoncée dans les tendons (ressortir alors). Le patient sera bien interrogé quant à l’absence de « décharges électriques » (probablement dues à l’aiguille dans le nerf : ressortir, changer de place !). La résolution des symptômes après infiltration est plus fréquente et durable dans les cas légers (7).

La prise en charge est similaire en cas de diabète sous-jacent. Une infiltration de corticoïdes peut aider. La glycémie sera surveillée dans ses suites. Cependant, la décompression chirurgicale est le traitement le plus efficace et durable (1).

La chirurgie, réalisée de manière ambulatoire, vise à décomprimer le nerf en lui donnant davantage d’espace dans le canal carpien. Ceci se réalise dans la toute grande majorité des cas par section du retinaculum des fléchisseurs (selon des modalités ouvertes ou endoscopiques (8)). Les berges sectionnées s’écartent, puis le ligament cicatrise (durant 2 mois) mais plus grand qu’auparavant. Une anesthésie locale (ou loco-régionale) est habituellement réalisée. La mobilisation douce immédiate est recommandée pour éviter les adhérences fixant le nerf. La main est gardée souvent à hauteur du cœur pour 48h afin d’éviter le gonflement. S’ils ne sont pas résorbables, les fils sont enlevés à 2 semaines. De petits massages de la cicatrice sont alors recommandés. La kinésithérapie n’est habituellement pas nécessaire. La plupart des activités manuelles (professionnelles) sont reprises après 4 semaines. Les paresthésies (notamment nocturnes) disparaissent habituellement dès les premiers jours après l’opération. Dans les atteintes sévères, une réinnervation sensitive et motrice partielle est possible, les axones régénérant vers la périphérie à raison d’environ 1 mm par jour. Pour éviter les séquelles, la chirurgie doit être réalisée avant les atteintes sévères.

Complications

- En cas de retard de traitement : amyotrophie, perte de sensibilité.

- Syndrome douloureux régional complexe). Une chirurgie peu traumatique et une mobilisation précoce limitent ces réactions.

- Davantage en cas de chirurgie ouverte, la zone opérée et la cicatrice restent parfois un peu sensible (rarement au-delà de 2-3 mois).

- Une libération chirurgicale complète du nerf, notamment par section complète du retinaculum, est indispensable pour prévenir une résolution incomplète ou une récidive des symptômes.

Neuropathie ulnaire au coude

Définition-pathogénie

Deuxième en fréquence, la neuropathie ulnaire au coude est souvent causée par étranglement du nerf dans le tunnel cubital, par une arcade fibro-musculaire à la sortie de la gouttière épitrochléo-olécrânienne). La flexion du coude diminuant significativement le diamètre du tunnel et étirant le nerf aggrave la situation. La neuropathie peut aussi être liée à des appuis, à des tumeurs compressives ou à une déformation osseuse du coude (compression ou traction par valgus).

Diagnostic et variantes

Plaintes : paresthésies dans les 2 derniers doigts de la main, irradiations douloureuses au bord ulnaire de l’avant-bras, sensations de gonflement de la main, perte de force, difficultés à manipuler les petits objets.

Signes cliniques : signe de Tinel (souvent à la partie distale de la gouttière épitrochléo-olécrânienne), amyotrophie de la musculature intrinsèque de la main (avec signe de Froment (par déficit du muscle adducteur du pouce)).

L’EMG avec des stimulations multiples le long du trajet du nerf ulnaire au coude permet souvent de localiser précisément la zone de lésion maximale.

L’échographie peut confirmer le site de compression du nerf et éliminer d’autres pathologies compressives (kyste, tumeur,…). Elle peut aussi confirmer l’instabilité du nerf sautant de part et d’autre de l’épitrochlée lors des mouvements de flexion-extension. Ce phénomène n’est pas rare dans la population mais peut être lié aux symptômes de neuropathie (justifiant une transposition chirurgicale du nerf à la face antérieure du coude). L’IRM montre aussi les nerfs. Elle n’a pas les capacités dynamiques de l’échographie et sa résolution reste souvent inférieure.

Classification

La classification de McGowan (9) est fréquemment rapportée : 0= normal ; I= troubles sensitifs sans faiblesse musculaire ; II= faiblesse musculaire sans atrophie ; III= atrophie musculaire.

Traitement

Dans les atteintes légères, le traitement conservateur avec information concernant les mouvements et positions (Figure 4) peut diminuer les symptômes subjectifs (10).

La flexion peut être limitée par une attelle souple et les compressions évitées par une attelle rembourrée en regard du nerf. Une attelle nocturne d’extension peut être utile. Près de 50% des patients s’améliorent, sans nécessiter de chirurgie (11).

Si les symptômes sensitifs et moteurs ne s’améliorent pas ou que l’atteinte initiale semble sévère (notamment vitesse de conduction < 40 m/s au coude), la chirurgie est envisagée. Elle vise à décomprimer le nerf (par voie ouverte ou endoscopique), essentiellement en sectionnant la gaine du tunnel cubital. Un mauvais état de la gouttière épitrochléo-olécrânienne ou une instabilité du nerf justifient sa transposition à la face antérieure du coude.

Suites opératoires : mobilisation précoce. Le retour aux activités se fait après 3-4 semaines dans les libérations simples (davantage après transposition). Environ 80% de patients sont améliorés. En moyenne, un grade de McGowan est gagné (signifiant aussi l’absence de récupération complète dans les cas sévères et justifiant un traitement chirurgical suffisamment précoce).

Autres neuropathies compressives au membre supérieur, moins fréquentes, provoquant des paresthésies de la main

Les manœuvres diagnostiques, les examens complémentaires et l’approche thérapeutique sont similaires aux neuropathies des nerfs médians et ulnaires dans le canal carpien et le tunnel cubital.

Nerf ulnaire au niveau du canal de Guyon

Ce canal, au bord cubital du poignet donne passage à l’artère ulnaire et au nerf ulnaire qui se divise à sa sortie en branche motrice pour la musculature intrinsèque de la main et en branche sensitive pour les 4 et 5e doigts (figure 3). Une compression du nerf idiopathique, par une masse ou par pression externe (comme sur un guidon de vélo (12)) peut être rencontrée.

Nerf médian au niveau de l’arcade du rond pronateur

La compression du nerf médian entre les chefs du rond pronateur, à la partie proximale de l’avant-bras peut se manifester par une atteinte sensitive dans le territoire médian de la main. L’EMG et l’échographie peuvent aider au diagnostic.

Branche sensitive du nerf radial à la partie distale de l’avant-bras

Des paresthésies peuvent se noter dans le territoire sensitif du nerf radial à la main (face dorsale du 1er espace intermétacarpien et de la base de l’index, dos du pouce) suite à une compression de la branche sensitive du nerf radial perforant l’aponévrose de l’avant-bras. Ce syndrome (Wartenberg) peut être provoqué par la pronation, l’inclinaison ulnaire du poignet et la percussion (signe de Tinel environ 9 cm en amont de la styloïde radiale). La tendinopathie de De Quervain (sans trouble sensitif) est un diagnostic différentiel. L’adaptation des mouvements, l’évitement de compression externe et éventuellement une infiltration sont souvent adéquats en traitement.

Affiliations

1 Service de chirurgie orthopédique et de traumatologie, cliniques universitaires Saint-Luc, 1200 Bruxelles
xavier.libouton@uclouvain.be

Correspondance

Pr. Olivier Barbier
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de chirurgie orthopédique et de traumatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
olivier.barbier@uclouvain.be

Références

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