Comment interpréter et bilanter une perturbation des transaminases ?

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Perrine Vande Berg, Peter Stärkel (1) Publié dans la revue de : Juillet 2019 Rubrique(s) : ECU-Congrès de médecine générale
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Résumé de l'article :

Une perturbation des transaminases peut avoir de multiples étiologies et doit être investiguée de façon systématique et rigoureuse. En premier lieu, il faut tenter d’établir si la perturbation des transaminases est aigue ou chronique. Quoi qu’il en soit, une anamnèse poussée concernant les antécédents personnels et familiaux, l’exposition aux toxiques, la consommation de médicaments ou de compléments alimentaires (ou autre suppléments) doit être réalisée. Par la suite, dans les atteintes aigues nous proposons de réaliser un bilan de base virologique comprenant le dosage de l’antigène HBs (HBs Ag), l’Ac HBc, les anticorps IgM anti-HAV, anti-HEV, anti-HIV et les anticorps IgM anti-EBV/CMV/HSV/VZV. Pour d’autres étiologies, plus rares, il est souhaitable de solliciter un avis spécialisé.

Dans les atteintes chroniques, la consommation d’alcool doit être précisée, le syndrome métabolique recherché et un dosage des sérologies HCV et HBV et un bilan martial (ferritine, saturation de la transferrine) doit être demandé. Dans un second temps, les maladies auto-immunes et génétiques du foie sont à rechercher. Une échographie doppler du foie doit être réalisée dans les atteintes aigues afin d’exclure une atteinte vasculaire et dans les atteintes chroniques afin d’établir la présence de stéatose ou des signes de cirrhose. Tout patient avec une atteinte hépatique aigue sévère ou une atteinte chronique virale (B ou C), auto-immune, métabolique ou génétique doit être référé en milieu spécialisé.

Mots-clés

Transaminases, étiologies, prise en charge, hépatite, atteinte toxique, atteinte métabolique, génétique

Que savons-nous à ce propos ?

Une augmentation des transaminases est associée à une augmentation de la mortalité liée au foie et globale et doit donc être investiguée.

Que nous apporte cet article ?

L’article vous propose une démarche systématique devant une perturbation des transaminases et un rappel des différentes étiologies tant aigues que chroniques.

Article complet :

Introduction

De nos jours, les tests hépatiques sont fréquemment demandés lors des prises de sang de routine et comprennent les transaminases telles que les ALT (GPT) et les AST (GOT) qui sont des marqueurs d’atteinte hépatocellulaire ainsi que les metalloprotéinases telles que la phosphatase alcaline (PPA) et la bilirubine qui reflètent l’atteinte des voies biliaires et/ou la cholestase. La fonction hépatique quant à elle est représentée par la bilirubine (à prédominance directe), l’albumine et l’INR. Une perturbation de ces tests doit inciter tout médecin à suivre et à bilanter.

Les ALT sont les plus spécifiques du foie alors que les AST et les PPA se trouvent dans beaucoup d’autres organes tels que respectivement le muscle cardiaque, les muscle squelettique, … l’os, le placenta, … et peuvent être augmentées en cas d’atteinte de ces tissus. Afin de confirmer l’origine hépatique des PPA, un dosage de l’enzyme canaliculaire GGT peut être effectué. Les normes sont définies selon une population en bonne santé répartie sur une courbe de Gausse et peuvent varier entre les différents laboratoires.

Une augmentation des transaminases est associée à une augmentation de la mortalité liée au foie (1) et globale (2) et doit être investiguée si persistante. Notons que des valeurs normales n’excluent pas une atteinte hépatique significative.

Une perturbation des transaminases peut avoir diverses origines et une bonne anamnèse, un bon examen clinique et quelques examens complémentaires peuvent orienter vers le bon diagnostic et la bonne prise en charge.

Préciser les circonstances et le contexte

Avant de se lancer dans des investigations supplémentaires et parfois complexes, il est utile de se poser une série de questions qui permettent d’orienter la mise au point. Dans un premier temps, il est important de savoir s’il s’agit d’une perturbation aigue des transaminases ou chronique de plus de 6 mois, ce pourquoi il faut rechercher des prises de sang antérieures afin d’apprécier la durée de la perturbation.

Le contexte de l’apparition de la perturbation peut orienter le diagnostic différentiel : « Est-ce que votre patient a voyagé récemment et dans quel pays ? A-t-il présenté de la fièvre, un syndrome grippal ou des plaintes digestives ? A-t-il pris des toxiques tels que de l’alcool, des drogues (cocaïne, l’ecstasy, …), des nouveaux médicaments (endéans les ٣ mois), des suppléments alimentaires ou des phytothérapies tels que les thés du Dr. Ernst, Herbalife, … ? Est-ce que votre patient est en surcharge pondérale ? ».

Il est important de connaître les facteurs de risques des virus hépatotropes tels que les antécédents de transfusion, tatouage, piercing, acupuncture… mais également connaître le carnet vaccinal (hépatite A, hépatite B) de votre patient qui vous aidera également à exclure certaines étiologies virales et éviter des demandes de prise de sang inutiles. L’état d’immunosuppression de votre patient peut également favoriser certaines infections virales et est donc importante à prendre en compte.

Finalement, le profil cytolytique ou cholestatique des perturbations et l’importance de ceux-ci (inférieur à 5 fois la norme, de 5 à 15 fois la norme, au de-là de 15 fois la norme) pourront vous aider à orienter le diagnostic (3) tout comme la présence de LDH associé.

Étiologies

Selon les circonstances et l’importance des perturbations biologiques, certaines étiologies doivent préférentiellement être recherchées. Chez les patients avec des ALT et/ou des AST inférieures à 5 fois la norme, on recherche plutôt des atteintes chroniques telles qu’une infection par le virus de l’hépatite B et C, la maladie alcoolique du foie, la NAFLD, et les atteintes liées aux médicaments/suppléments alimentaires. Si ces atteintes ont été formellement exclues, on se tournera vers l’hémochromatose, les autres maladies génétiques et les hépatites auto-immunes surtout s’il s’agit d’une femme.

En cas de perturbations aigues avec des ALT et/ou AST entre 5 et 15 fois la norme, une recherche d’atteintes virales aigues tels que l’hépatite A, l’hépatite E, le virus Ebstein-Barr (EBV), le cytomégalovirus (CMV) doit être réalisée. D’autres virus comme le virus de l’hépatite B, le virus herpès simplex et zoster et l’HIV peuvent également être incriminés. Cependant, toute infection virale ou bactérienne peut s’accompagner d’une perturbation aigue des tests hépatiques parfois importante sans que l’on puisse nécessairement épingler l’agent causal. Il ne faut pas non plus négliger la prise récente d’un nouveau « médicament » (en automédication ou prescrit) au sens large du terme.

Si les ALT et/ou AST dépassent 15 fois la norme (souvent en association avec une nette élévation des LDH), ou en cas d’une élévation massive des ALT au-delà de 10 000 U/L, une toxicité au paracétamol et une atteinte vasculaire (tel que le Budd Chiari) ou ischémique hépatique (trouble du rythme cardiaque intermittent, foie de choc) doit être recherchée. Il ne faut pas oublier les pseudo-hépatites aigues liées à une atteinte infiltrative par les lymphomes et les invasions tumorales (4).

Toxiques

Alcool

La consommation d’alcool constitue un problème de santé publique y compris en Belgique (5). Elle est la cause principale d’une atteinte hépatique chronique et est fréquemment un cofacteur. 10 à 20% des consommateurs chroniques d’alcool développent une atteinte hépatique sévère (6). Une consommation d’alcool > 140 g pour une femme et > 210 g par semaine pour un homme, et/ou la présence d’un Dupuytren, d’une hypertrophie parotidienne et une atrophie testiculaire à l’examen clinique peuvent orienter vers une étiologie alcoolique de même que des AST supérieures aux ALT surtout si le ratio est approximativement de 2 pour 1. D’autres marqueurs biologiques peuvent renforcés la suspicion d’un abus d’alcool comme la macrocytose et l’augmentation des GGT, des triglycérides, de l’acide urique et des IgA.

Médicaments

L’atteinte hépatique liée aux drogues (DILI : Drug-induced Liver Injury) est définie par une atteinte hépatique liée à la prise de xénobiotiques, de plantes ou de médicaments qui provoquent une perturbation des tests hépatiques avec ou sans dysfonction hépatique associée (7). Elle peut aller d’une simple perturbation des enzymes hépatiques à une atteinte aigue voire même des atteintes fulminantes mais peut également donner des perturbations chroniques. Près de mille médications ont été incriminées dans des atteintes hépatiques et elle est la première cause de décompensation aigue du foie dans certains pays (4). Les antibiotiques et les antiépileptiques représentent plus de 60% des DILI (8). Une intoxication accidentelle ou volontaire au paracétamol donne une atteinte cytolytique qui peut être fulminante avec des transaminases au-delà de 10 000 UI/L associée à une bilirubine faiblement augmentée pouvant évoluer rapidement vers une défaillance multi-systémique.

On peut classifier les atteintes médicamenteuses selon le type de perturbation biologique : atteinte cholestatique, cytolytique ou mixte selon la valeur R (ALT/VN ALT divisée par les PPA/VN PPA). Les atteintes cytolytiques sont les plus fréquentes et de plus mauvais pronostic. Les différentes atteintes avec la valeur R correspondante et les médicaments les plus fréquemment incriminés ont étés reprise dans le Tableau 1 (8).

Il existe aussi une atteinte de type stéatohépatite rencontrée avec le tamoxifene et l’amiodarone et des atteintes veino-occlusives avec les chimiothérapies tel que le Busulfan et le cyclophosphamide.

Suppléments alimentaires, phytothérapies, drogues, autres

Tout comme les médicaments, les compléments de type médecine alternative ou suppléments diététiques, ... pris par le patient endéans les 6 mois peuvent provoquer une atteinte soit aigue soit chronique se manifestant parfois des mois plus tard. 9% des atteintes hépatiques incriminées aux drogues sont liées aux plantes et aux suppléments alimentaires (9) mais la vraie incidence est difficilement calculable vu le faible contrôle que l’on a sur les ventes et sur les différents mélanges complexes contenant différentes substances. Le Tableau 2 donne un aperçu des substances les plus fréquemment associées à une toxicité hépatique (10,11).

Les drogues dures telles que le 5 – Methoxy – 3,4 – methylenedioxymethamphétamine (Ectasy, MDMA), la cocaïne, la phencyclidine (Angel Dust ») et les colles contenant du Toluene, le tricholoroethylene ou le chloroform peuvent également donner des atteintes hépatiques.

L’intoxication à l’Amanite Phalloïde qui provient d’un champignon vénéneux donne une atteinte hépatocellulaire après une phase gastro-intestinale avec nausée, vomissement et douleur abdominale.

Métaboliques

Maladie stéatosique non-alcoolique

La maladie stéatosique non-alcoolique du foie (NAFLD) est de plus en plus fréquente dans notre population et atteint 17-46% de la population (12). Elle est caractérisée par la présence d’une stéatose souvent en association avec un syndrome métabolique (surpoids/obésité (BMI>30 kg/m2), hypertension artérielle, perturbations lipidiques, intolérance glucidique/diabète) et une consommation calorique importante souvent sous forme de sucres rapides. Les transaminases sont peu corrélées à la sévérité de la pathologie. Cependant, en cas de perturbation des transaminases, ces patients sont plus à risque d’avoir une NASH et d’évoluer vers une cirrhose (3). Il n’y a pas de pattern biologique spécifique mais les GPT sont fréquemment plus élevés que les GOT et ne dépassent que rarement les 300 UI/l. Il n’y a pas de sérologie ou de test diagnostique spécifique ; la NALFD reste un diagnostic d’exclusion.

Diabète déséquilibré

Les patients atteints d’un diabète de type 2 ont un certain degré d’insulinorésistance et un taux élevé d’acides gras circulants. Ces modifications, surtout en présence d’un déséquilibre diabétique modéré à important, ont été associées à une perturbation souvent modérée des transaminases qui se normalisent une fois que le diabète est équilibré (13).

Dysthyroïdie

On sait depuis de longues années que les hormones thyroïdiennes peuvent moduler l’activité métabolique de différents tissus. Une dysthyroïdie, que ce soit une hyperthyroïdie ou une hypothyroïdie, peut s’accompagner d’une perturbation des transaminases. Ces perturbations disparaissent également une fois que la pathologie thyroïdienne est contrôlée (14).

Atteintes Virales

Atteinte virales aigues

Les atteintes virales aigues peuvent être causées par les virus hépatotropes tels que les virus de l’hépatite A, B et E. Ces atteintes peuvent évoluer vers une décompensation hépatique aigue dont la mortalité est la plus élevée dans les hépatites aigue B (4).

Le virus de l’hépatite B est un virus à ADN et peut donner une hépatite aigue lors d’une infection de novo ou une réactivation. L’infection par le virus de l’hépatite B est surtout transmise verticalement dans les régions endémiques telles que l’Asie et l’Afrique et par voie parentérale ou sexuelle aux Etats Unis et les pays occidentaux. Le diagnostic d’une hépatite virale B aigue est basée sur la présence de l’antigène HBs et des anticorps anti-HBc IgM.

Le virus de l’hépatite A est un virus à ARN et a comme seule réservoir les humains. La transmission se fait par voie féco-orale sur un mode sporadique ou endémique dans des pays en voie de développement. Les facteurs de risque pour une atteinte hépatique fulminante sont un âge avancé et une pathologie hépatique sous-jacente. La période d’incubation est de 28 jours et la symptomatologie débute le plus souvent par des nausées, des vomissements, de la fièvre, des douleurs abdominales puis l’apparition d’un ictère cholestatique. Les transaminases sont souvent supérieures à 1000 (ALT>AST) et cette perturbation précède l’augmentation de la bilirubine qui reste habituellement inférieure à 10 mg/dL et les PPA jusque 400 U/L. Le diagnostic se pose par la présence d’anticorps IgM anti-HAV. Les IgG apparaissent dans la phase de convalescence et confèrent une protection à vie tout comme la vaccination.

Le virus de l’hépatite E est un virus à ARN dont les génotypes 1 et 2 ont un réservoir humain et les génotypes 3 et 4 un réservoir surtout porcin. Il existe une pandémie mondiale et elle est la première cause d’hépatite virale aigue (15). Le virus de l’hépatite E est transmise par voie féco-orale (ou par transfusion) sur un mode sporadique (génotypes 3 et 4) ou endémique dans les pays en voie de développement (génotype 1 et 2). Le temps d’incubation est de 40 jours et la majorité des infections sont asymptomatiques. Son mode de présentation est fort semblable à l’hépatite A avec un syndrome grippal avec myalgie, fièvre, trouble du transit et douleur abdominale suivie d’une apparition d’un ictère. On peut observer des hépatites aigues sévères en présence d’une pathologie hépatique sous-jacente ou chez des femmes enceintes ou des patients immunodéprimés. Le diagnostic se fait par la recherche d’anticorps anti-HEV IgM qui peuvent persister jusqu’à ٣ à 4 mois après l’infection. Les IgG restent positifs au long court. La réalisation d’une PCR est importante surtout chez les patients immunodéprimés, notons toutefois que la virémie est de courte durée.

D’autres virus non hépatotropes peuvent être associés à une atteinte hépatique aigue et la biologie sera souvent marquée par un taux de LDH élevé. Le cytomégalovirus et le virus de l’Ebstein Barr peuvent donner des atteintes hépatiques chez les immunocompétents et les immunodéprimés. Les perturbations biologiques sont associées à de la fièvre, de la fatigue et des adénopathies. Une infection aigue à HIV peut donner des symptômes digestifs avec nausée, diarrhée et anorexie et une hépatite. Le virus herpès (HSV1, HSV2 et VZV) peut donner une atteinte hépatique lors d’une primo-infection ou une réactivation surtout chez les immunodéprimés et les femmes enceintes. Le tableau est marqué par la présence de fièvre et des transaminases à plus de 50 fois la normale, une bilirubine inférieure à 10 mg/dL et une leucopénie. La suspicion clinique suffit pour traiter par un traitement antiviral. Le diagnostic de ces différentes affections virales se fait par des tests sérologiques en dosant des anticorps de type IgM. La détermination d’anticorps de type IgG est peu utile en cas d’hépatites aigues.

Atteinte virale chronique

Le bilan d’une perturbation des transaminases comporte la recherche d’une infection par les virus de l’hépatite C et B. L’infection par le virus de l’hépatite C doit être recherchée surtout s’il y a des facteurs de risque notamment des antécédents d’utilisation de drogues intraveineuses ou intranasales, de comportement sexuel à haut risque et d’autres cités plus haut. Le screening de l’infection est réalisé par un dosage des anticorps anti-HCV qui ont une sensibilité de 92-97%. Si ceux-ci sont présents, l’infection doit être confirmée par la recherche de l’HCV ARN par PCR (16).

La recherche du virus de l’hépatite B doit être réalisée par un dosage de l’antigène HBs (AgHBs; signe d’infection hépatique), d’anticorps anti-HBc (signe d’exposition préalable) et anti-HBs (signe d’immunité). Si l’antigène HBs est positif il est conseillé de déterminer la virémie en dosant l’HBV DNA par PCR (17).

Notons qu’en Belgique, la couverture vaccinale contre l’hépatite B est supérieure à 95 % pour la troisième dose du calendrier vaccinal (18), ce qui n’est pas nécessairement le cas pour d’autres pays.

Atteintes auto-immunitaires

La perturbation des transaminases due à une atteinte hépatique auto-immune est rare (16-18 cas/100 000 habitants) dont le tableau clinique est très hétérogène. L’hépatite auto-immune peut avoir une présentation chronique ou aigue, voire même fulminante. Elle touche surtout les femmes (4 femmes pour 1 homme) et a deux pics d’incidence : un pic vers l’adolescence et entre 40-60 ans. Elle peut être associée à des atteintes cholestatiques telles qu’une cholangite biliaire primitive ou une cholangite sclérosante ; on parle alors d’un overlap syndrome (19).

Notons qu’une hépatite auto-immune peut apparaître après une atteinte hépatique médicamenteuse ou virale. L’hépatite auto-immune est caractérisée par un taux élevé d’IgG et par la présence de marqueurs sérologiques tels que le facteur anti-nucléaire (FAN), les anticorps anti-muscle lisse, et anti-actine. Un dosage des anticorps anti-mitochondries et des ANCA est également recommandé afin de détecter un éventuel overlap syndrome. Des formes très rares avec présence d’anticorps anti-LKM1, anti-cytosol ou anti-SLA existent.

D’autres atteintes auto-immunes, telle que la maladie cœliaque, peuvent s’accompagner d’une perturbation des transaminases. En effet, 40% des patients avec une maladie cœliaque ont une augmentation des transaminases au diagnostic et celle-ci disparaît avec un régime sans gluten (20). Devant un tableau d’anémie ferriprive, de diarrhée et de perturbation des transaminases, une recherche d’anticorps anti-transglutaminases associée à un dosage des IgA doit être recommandée.

Atteintes génétiques

Les maladies génétiques sont encore plus rares. Elles font partie du diagnostic différentiel des atteintes chroniques mais, à l’exception de l’hémochromatose, ne sont qu’à rechercher en cas de bilan étiologique initial négatif.

Hémochromatose

L’hémochromatose est l’atteinte héréditaire la plus fréquente. Elle touche surtout les caucasiens de l’Europe du Nord où la prévalence de la mutation homozygote C282Y est de 1/220-250 patients et la mutation hétérozygote de 1/10. La surcharge en fer peut toucher de nombreux organes (foie, pancréas, peau, articulations, cœur) avec des signes cliniques spécifiquement liés à l’atteinte de ceux-ci. Le diagnostic repose sur la saturation de la transferrine de plus de 45% avec une ferritine élevée suivie d’une analyse génétique. La présence d’une homozygotie C282Y confirme une hémochromatose HFE. Les hétérozygotes C282Y/H63D ont rarement une atteinte hépatique.

La maladie de Wilson

La maladie de Wilson est une atteinte autosomique récessive rare qui atteint 1 sur 30 000 patients avec une perturbation des transaminases. Elle se manifeste à l’âge jeune (< ٣٠ ans) et ce sont fréquemment des jeunes hommes avec une atteinte hépatique, neurologique et/ou psychiatrique. Un dosage de la céruloplasmine abaissé doit évoquer la maladie. La mise au point sera complétée par une cuprurie de 24 heures qui sera élevée et par un examen ophtalmique pour identifier un anneau de Kayser-Fleischer pathognomonique. Une analyse génétique peut être réalisée pour la mutation ATP7B mais il existe plus de 32 mutations différentes sans mutation prédominante.

La déficience en alpha1 anti-trypsine

La déficience en alpha1 anti-trypsine est une maladie génétique rare chez les adultes mais la cause génétique la plus fréquente de maladie hépatique chez les enfants. Le déficit en alpha-1-antitrypsine peut donner un emphysème pulmonaire et une atteinte hépatique progressive. Un dosage de l’alpha-1-antitrypsine doit être réalisé. En cas d’un taux sanguin bas, une analyse génétique à la recherche de la mutation de PiZZ peut être réalisée.

Mise au point

Lors d’une perturbation des transaminases, une bonne anamnèse est primordiale et doit contenir les antécédents personnels du patient, les antécédents familiaux, son traitement, ses suppléments alimentaires et sa consommation d’alcool ou autres toxiques. Un examen clinique rigoureux doit comprendre la taille du patient et son poids afin de calculer son BMI, son tour de taille

Atteinte aigue (Figure 1)

Lors d’une perturbation aigue des transaminases, nous recommandons un bilan de base comprenant l’Ag HBs, des anticorps anti-HBc, IgM anti-HAV, IgM anti-HEV, et des sérologies IgM EBV/CMV/HSV/VZV/HIV. L’historique des voyages récents et une anamnèse médicamenteuse et toxique fouillée doit être conduite. Le taux sanguin de paracétamol doit être déterminé en cas de doute/suspicion. Une imagerie abdominale doit être réalisée afin de visualiser les axes vasculaires.

Pour la recherche des causes plus rares après un bilan initial négatif, il est judicieux d’adresser le patient en milieu spécialisé.

Atteinte chronique (Figure 2)

En absence de biologies antérieures et avant de lancer tout un bilan biologique, nous conseillons de vérifier la prise de sang afin de confirmer la persistance de la perturbation des transaminases. Les analyses biologiques supplémentaires conseillées sont : un bilan lipidique, un bilan glucidique (HbA1c, glycémie à jeun), un dosage de la TSH, des sérologies virales (HBV, HCV), un bilan martial (saturation de la transferrine et ferritine), bilan auto-immun (IgG, FAN, anticorps anti-muscle lisse, anti-actine et anti-mitochondrie), une céruloplasmine (patient < 35ans) et un dosage de l’alpha-1-antitrypsine. Tout patient doit bénéficier d’une échographie-doppler hépatique. Pour évaluer le degré de fibrose hépatique, un fibroscan peut être réalisé.

Attitude thérapeutique

Les atteintes hépatiques aigues sévères doivent être référées à un centre spécialisé afin de compléter le bilan étiologique, administrer un traitement (si disponible) et réaliser un monitoring rapproché de la fonction hépatique du patient. Notons que dans les atteintes hépatiques aigues même non liées au paracétamol, la survie sans transplantation était meilleure dans le groupe ayant eu un traitement par N-acétylcystéine (21).

Concernant les atteintes chroniques, les patients avec une maladie alcoolique du foie doivent viser une abstinence totale et les patients avec une maladie stéatosique non-alcoolique du foie une restriction calorique couplée à une activité physique régulière et une perte pondérale de plus de 7-10% du poids initial (12). Il est également conseillé d’arrêter tout complément alimentaire, phytothérapie etc. En cas de suspicion d’atteinte médicamenteuse, le traitement incriminé est à interrompre. Suite à ces mesures les transaminases peuvent être contrôlées afin d’objectiver l’efficacité de ces mesures et de renforcer un éventuel lien causal.

Tout patient avec une atteinte virale B ou C, une atteinte auto-immune, métabolique et génétique doit être référé afin de compléter le bilan et de discuter d’un traitement ciblé approprié.

Conclusion

Une perturbation des transaminases peut avoir de multiples étiologies et est associée à une augmentation de la mortalité liée au foie et la mortalité globale. Notons que des valeurs normales n’excluent pas une atteinte hépatique significative. Une bonne anamnèse, un bon examen clinique et quelques examens complémentaires peuvent orienter vers le bon diagnostic et vers une prise en charge appropriée.

Recommandations pratiques

1.Précisez si la perturbation des transaminases est aiguë ou chronique.
2.Prenez le temps de réaliser une anamnèse poussée concernant les antécédents personnels et familiaux, les voyages, la prise de médicaments, de suppléments alimentaires ou de toxiques.
3.Dans les atteintes aigues nous recommandons un bilan de base virologique comprenant le dosage de l’antigène HBs, les anticorps anti-HBc et les anticorps IgM anti-HAV, anti-HEV, anti-EBV/CMV/HSV/VZV/HIV.
4.Dans les atteintes chroniques, investiguez la consommation d’alcool, déterminez le IMC et réalisez en première intention les analyses biologiques : un bilan lipidique, un bilan glucidique (HbA1c, glycémie à jeun), des sérologies virales (HBV, HCV) et un bilan martial (saturation de la transferrine et ferritine).
5.Dans les atteintes chroniques, nous recommandons en deuxième intention un bilan auto-immun (IgG, FAN, anticorps anti-muscle lisse, anti-actine et anti-mitochondrie), un dosage de la céruloplasmine (patient < 35 ans) et un dosage de l’alpha-1-antitrypsine.
6.Tout patient doit bénéficier d’une échographie-doppler hépatique que l’atteinte hépatique soit aigue afin d’exclure une atteinte vasculaire ou chronique afin d’établir la présence de stéatose ou des signes de cirrhose.
7.Les atteintes hépatiques aigues sévères doivent être référées à un centre spécialisé.
8.Tout patient avec une infection virale B ou C, une atteinte auto-immune, métabolique ou génétique doit être référé afin de compléter le bilan et de discuter d’un traitement ciblé approprié.

Affiliations

1 Cliniques universitaires Saint-Luc, Hépato-gastroentérologie, Bruxelles, Belgique

Correspondance

Pr. Peter Stärkel
Cliniques universitaires Saint Luc
Service d’Hépato-gastroentérologies
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique
peter.starkel@uclouvain.be
Fax : +32 2 7648927

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