Comment intégrer les nouvelles technologies numériques dans les enseignements?

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Léticia Warnier, Pascal Vangrunderbeeck, Benoit Raucent Publié dans la revue de : Avril 2022 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

La situation sanitaire de ces deux dernières années a montré l’importance du numérique pour rendre possible les adaptations et rendre flexible les modalités d’enseignement.

Article complet :

La situation sanitaire de ces deux dernières années a montré l’importance du numérique pour rendre possible les adaptations et rendre flexible les modalités d’enseignement. S’il a permis d’assurer une « continuité » des enseignements, il a aussi mis en tension trois dimensions et les nombreuses questions associées à chacune d’elle :

- Sur le plan organisationnel des cours : par exemple, comment coordonner le présentiel, le distanciel et le comodal pour un programme de cours et ce sur une journée et une semaine ?

- Sur le plan de l’équipement technique : par exemple, comment choisir le matériel en fonction des usages à prévoir ? Comment soutenir les enseignants dans l’usage des logiciels de visio-conférence, tels que Teams, et des équipements de captation vidéo en auditoire ?

- Sur le plan pédagogique : par exemple, comment maintenir l’attention, l’implication et l’engagement des étudiants à distance ? Comment assurer l’animation d’un groupe composé d’étudiants en présence et d’étudiants à distance ?

C’est cette dernière dimension que nous souhaitons brièvement discuter pour souligner trois principes fondamentaux de toute situation d’enseignement et d’apprentissage. L’objectif est de combiner le meilleur de la présence et de la distance afin de dépasser le « remote emergency teaching » (des modalités d’enseignement réalisées partiellement ou totalement en ligne en raison des circonstances d’urgence imposées par la crise sanitaire) (Hodges et al., 2021).

Premier principe : l’alignement pédagogique (Biggs and Tang, 2011 ; Carnet de l’enseignant, 2016, p.74) vise la triple concordance entre les acquis d’apprentissages visés par le cours, les apprentissages évalués à travers le dispositif d’évaluation et les apprentissages que les étudiants ont travaillés et développés à travers les activités de formations qui leur ont été proposées. Il s’agit par exemple, que le dispositif de formation proposé par l’enseignant permette effectivement aux étudiants d’acquérir les acquis d’apprentissage visés.

Second principe : l’interactivité (Carnet de l’enseignant, 2016, p. 83) pour susciter la controverse, le conflit socio-cognitif (Bourgeois, 2006). Il s’agit de proposer des activités entre les étudiants, et entre l’enseignant et les étudiants, qui suscitent la clarification et la confrontation constructive d’informations et de points de vue, l’argumentation, le débat et l’esprit critique. Cette confrontation constructive vise à faire émerger des contradictions ou incompatibilités entre ses représentations (sa compréhension intuitive de la matière). Ceci a pour effet de créer un conflit cognitif, ce qui constitue une étape indispensable à tout nouvel apprentissage. Ainsi, à travers ces interactions, l’étudiant fait évoluer ses représentations et approfondit sa compréhension des concepts étudiés.

Troisième principe : la dynamique motivationnelle (Carnet de l’enseignant, 2016, p. 51), moteur essentiel pour l’apprentissage. Pour Viau (1997), la motivation en contexte d’apprentissage est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’a l’étudiant de :

- la valeur qu’il donne à l’activité proposée (Cela fait-il sens pour moi ?),

- ses compétences à réaliser l’activité proposée (Suis-je capable ?),

- sa contrôlabilité (Est-ce que j’ai mon mot à dire ?),

- son sentiment d’appartenance (Est-ce que je me sens intégré ?).

Ses perceptions influencent le degré d’engagement et de persévérance de l’étudiant dans l’accomplissement de l’activité proposée afin d’atteindre un but. La réussite de cette activité ayant un impact direct positif sur ses perceptions. Dans la suite de cet article, nous illustrons la mise en application de ces principes au travers de deux exemples de pratiques enseignantes et de scénario pédagogiques au sein du secteur des soins de la santé.

Favoriser les interactions de groupe dans un grand auditoire avec le télévoteur Wooclap. En permettant aux étudiants d’intervenir via leur smartphone, Wooclap est devenu un outil très populaire dans les auditoires du secteur des sciences santé. Jean-Baptiste Demoulin commence son cours de biotechnologies en demandant le prix du médicament le plus cher sur le marché… peu d’entre eux savent qu’il monte à deux millions d’euros. Cette question générale permet de capturer l’attention du public étudiant à a question du jour. Ensuite, Wooclap permet de rompre la monotonie de l’exposé (maintenir la dynamique motivationnelle) en introduisant des questions tout au long du cours. L’outil permet aussi de stimuler la controverse en auditoire suite à la consultation de documents sur Moodle, éventuellement liés à un sujet d’actualité médicale. La formule fonctionne particulièrement bien lorsqu’elle est couplée à la lecture de documents présentant des points de vue contradictoires (la vaccination, la place du lait dans l’alimentation…). Notons cependant qu’une utilisation trop fréquente de l’outil finit par lasser certains des étudiants. Finalement, Wooclap offre la possibilité de préparer les étudiants à l’examen, en particulier lorsque des questions à choix multiples sont prévues. Le cas échéant, cet exercice permet aussi aux étudiants d’attirer l’attention de l’enseignant sur un défaut d’alignement entre les questions posées et la matière telle qu’elle a été présentée. L’enseignant peut alors réguler, adapter son dispositif.

Cours en ligne à usage autonome, basée sur l’exploitation de vidéos de consultation patient-médecin : le projet piloté par le Professeur Franck Verschueren vise à mettre à disposition des vidéos portant sur les « plaintes médicales ». Ce cours en ligne a été construit avec pour objectif d’accompagner l’étudiant, en amont et pendant le stage, dans le développement de la démarche clinique lors de la prise en charge d’un patient, dont l’étape d’identification des informations les plus pertinentes. De par l’approche transversale requise pour développer le raisonnement clinique, ce cours en ligne se veut complémentaire aux cours magistraux enseignés par discipline. En amont du stage, ces vidéos sont accessibles afin d’aider les étudiants à démystifier certaines plaintes et thématiques liées. Pendant le stage, ces mêmes vidéos peuvent être consultées en tant que ressource « soutien ». En outre, ces vidéos sont mobilisées par les étudiants pour préparer l’examen final de médecine. Au-delà de la formation initiale, l’approche pratique et transversale des vidéos rencontre même un certain succès auprès de jeunes médecins.

Concrètement, ce cours en ligne est organisé en sections regroupant différentes « plaintes médicales ». Chacune de ces sections comprend l’interview d’un expert répondant aux questions de jeunes médecins ou de stagiaires ainsi que des vidéos de consultation patient-médecin simulée. Il est à noter que la détermination des sujets de ces vidéos et leur réalisation s’est faite à travers un processus de co-création entre étudiants, jeunes médecins et enseignants, ce qui permet d’accentuer la dynamique motivationnelle. De la littérature et des fiches de synthèse viennent compléter chacune des sections du cours. Des interactions sont prévues d’une part, avec le contenu au moyen d’exercices d’évaluation formative et d’autre part, entre les participants et l’équipe pédagogique via un forum de discussion. Les vidéos et les interactions ont été conçues pour un usage en autonomie.

Les deux exemples présentés montrent bien l’importance des trois principes pédagogiques à exploiter. Il existe d’autres dispositifs et scénarios pédagogiques intégrant les nouvelles technologies (Carnet de l’enseignant, 2016, p. 83). Pour ne citer que quelques exemples : mettre en place un enseignement en classe inversée composée de courtes vidéos, expliquant les concepts clés du cours, à visionner en amont de la séance de cours et de séances de cours où les étudiants, en interaction avec l’enseignant, analysent des études de cas demandant de mobiliser les concepts clés ; stimuler le travail collaboratif à distance par la co-écriture numérique (Ex. : Moodle : glossaire, base de données, wiki ; murs virtuels : Mural, Miro) faciliter et outiller l’évaluation formative par les pairs (ex : Moodle, Comproof), faciliter et outiller la correction d’examen questions ouvertes à l’aide de critères (ex. gradescope) et ce avec pour effet une diminution le temps de correction et une plus grande équité.

Avant tout usage d’une nouvelle technologie, il est essentiel de se positionner sur l’objectif pédagogique à atteindre ainsi que sur la contribution de cet outil à l’alignement pédagogique, à la dynamique motivationnelle des étudiants et à la création d’interactivités.

Remerciements

Merci aux Professeurs Demoulin et Verschueren ainsi qu’à Madame Nsengiyumva pour leurs apports.

Affiliations

Léticia Warnier, Pascal Vangrunderbeeck, Benoit Raucent
Louvain Learning Lab, UCLouvain

Références

  1. Bourgeois E. (2006). « La motivation à apprendre ». In E. Bourgeois & G. Chapelle (éd.), Apprendre et faire apprendre. Paris : PUF, p. 229-246.
  2. Biggs, J. and Tang, K. (2011). Teaching for quality learning at University. 4th ed. Maidenhead: Oxford University Press
  3. Hodges, C., Moore, S., Lockee, T., & Boond, A. (s. d.). The Difference Between Emergency Remote Teaching and Online Learning. Educause. Consulté 29 septembre 2021, à l’adresse https://er.educause.edu/articles/2020/3/the-difference-between-emergency...
  4. Viau, R. (1997). La motivation en contexte scolaire (2è éd.). Bruxelles : De Boeck & Larcier.
  5. Carnet de l’enseignant. Voyages en pédagogie universitaire (2016), Louvain Learning Lab. https://uclouvain.be/fr/etudier/lll/carnet-de-l-enseignant.html