Carcinome basocellulaire géant traité avec succès par photothérapie dynamique

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Muriel Creusot (1), Anne Le Pillouer-Pros (t)2 Publié dans la revue de : Mai 2019 Rubrique(s) : Observations cliniques
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Résumé de l'article :

Les carcinomes basocellulaires géants, définis comme des lésions d’un diamètre de 5cm ou plus sont rares. Leur traitement est en général la chirurgie, qui peut s’avérer mutilante selon la taille du carcinome basocellulaire, voire impossible selon l’âge du patient ou la présence de co-morbidités. Depuis 2003, la photothérapie dynamique devient une alternative thérapeutique non invasive dans la prise en charge des carcinomes basocellulaires et a fait ses preuves d’efficacité. Dès 2010, des travaux ont montré l’intérêt d’intensifier les séances de photothérapie dynamique conventionnelle par de multiples méthodes, dont le laser CO2 fractionné, afin de permettre une délivrance trans-épidermique de méthylester d’acide lévulinique (MAL) et donc d’amplifier la réponse thérapeutique.

Que savons-nous à ce propos ?

Les carcinomes basocellulaires géants (diamètre supérieur à 5cm) sont rares Les options thérapeutiques actuelles sont : la chirurgie, la radiothérapie, la photothérapie dynamique conventionnelle Traitement par photothérapie dynamique, mais intensifié par laser CO2 fractionné (délivrance assistée trans-épidermique du MAL)

Que nous apporte cet article ?

Il s’agit d’une proposition d’une alternative thérapeutique du carcinome basocelluaire géant par photothérapie dynamique intensifiée en l’occurrence dans notre cas par laser CO2 fractionné, mais également possible par micro-dermabrasion au papier de verre (Sandpaper), ou par les micro-aiguilles des dermarollers ou des radiofréquences fractionnées (microneedling) La photothérapie dynamique intensifiée permet de réduire le nombre de séances et le temps d’incubation de la molécule photosensibilisante (MAL)

Mots-clés

Carcinome basocellulaire superficiel géant, phytothérapie dynamique, laser CO2 fractionné, délivrance assistée de médicament

Article complet :

Introduction

Les carcinomes basocellulaires (CBC) sont définis comme « géants » lorsque leur plus grand diamètre atteint 5 cm ou plus. Ils sont rares et représentent moins de 1% des CBC (1).

Ils présentent un certain nombre de caractéristiques communes : durée d’évolution prolongée, histologie mixte et complexe, avec souvent des composantes de type superficielle et nodulaire dans la même lésion, des patients avec un état général altéré ou des localisations à risque, nécessitant le recours à des alternatives à la chirurgie radicale qui reste, lorsqu’elle est possible le traitement de référence (1).

Dans la littérature, le seul traitement alternatif des CBC géants a longtemps été la radiothérapie, mais avec un risque de récidives plus larges et plus invasives, encore plus difficiles à traiter (2).

La PTD est une méthode thérapeutique non invasive, utilisée en dermatologie pour traiter les kératoses actiniques, les carcinomes basocellulaires et les maladies de Bowen. Elle consiste en l’application d’un photosensibilisant, l’acide amino-méthyl lévulinique (MAL), suivie après incubation de 3 heures, d’une illumination en lumière rouge (632nm), libérant des protoporphyrines IX (PpIX), responsables d’une apoptose cellulaire.

Depuis 2003, date de la première publication de Horn et collaborateurs dans le British Journal of Dermatology, la photothérapie dynamique (PTD), a pu être proposée comme une alternative non-invasive et efficace du traitement des CBC superficiels et géants (3).

Par ailleurs, dès 2010, des travaux ont montré l’intérêt « d’intensifier » les séances de PDT dite conventionnelle pour augmenter son efficacité. Différentes méthodes physiques de « microporation » sont proposées pour altérer le stratum corneum et augmenter la pénétration du MAL et l’intensité de fluorescence PpIX: laser fractionné ablatif CO2 ou Er :YAG 2940 nm, dont l’effet est de créer des microzones d’ablation en puits séparés par des espaces de peau saine, micro-aiguilles des dermarollers ou des radiofréquences fractionnées (microneedling), curetage, micro-dermabrasion douce au papier de verre à grain fin, (Sandpaper), laser fractionné non-ablatif.

Observation

Une femme âgée de 85 ans se présente avec un CBC géant superficiel du dos (8X5 cm) (Figure 1), confirmé par une histologie cutanée (Figure 2).

Au vu du type histologique superficiel, et de la taille de la lésion, une prise en charge non-invasive par PDT topique intensifiée par laser CO2 fractionné est décidée en première intention, sous surveillance clinique. Le protocole de ce traitement est le suivant : passage de laser CO2 en mode fractionné (SmartXide DOT² –DEKA), à faible densité (1000µm-5%) et faible énergie (10mJ/MTZ) sur la zone du carcinome et 1 cm autour, en vue de créer une dermabrasion, puis application du méthyl-amino-lévulinate (MAL) en couche fine, incubation de 2h (Figure 3), et enfin illumination par LED rouge 632 nm, 37J/cm² sous anesthésie locale par infiltration de lidocaïne non adrénalinée (non adrénalinée pour ne pas diminuer la concentration locale en oxygène indispensable aux réactions photodynamiques) (Figure 4).

Après une séance amenant une rémission clinique complète durant 6 mois, une récurrence est observée tant sur le plan clinique (Figure 5), qu’à l’examen dermoscopique et confirmée par l’histologie (Figure 6).

Une autre séance est alors réalisée selon le même protocole. Une rémission complète sans récidive avec actuellement un recul de 5 ans est alors objectivée (photo à 6-12 mois (Figures 7-8)

et 5 ans (Figure 9). La cicatrisation a toujours été obtenue rapidement chez cette patiente, en 4 à 10 jours sous pansement semi-occlusif (tulle neutre paraffiné ou hydrocellulaire).

Discussion

La photothérapie dynamique conventionnelle (C-PTD) représente une alternative thérapeutique à la chirurgie dans la prise en charge des CBC superficiels, notamment lorsque la taille de la lésion est conséquente (CBC géants) et risque de provoquer des dégâts esthétiques ou, lorsqu’en présence de comorbidités sévères associées et de l’âge du patient l’acte chirurgical pourrait être compromis.

Cependant, dans le cadre des CBC « géants », des séances répétées de C-PTD sont nécessaires pour obtenir une rémission, requérant par ailleurs des temps d’incubation relativement longs car le MAL est une molécule lipophile qui pénètre peu et lentement la barrière cutanée. Les cas cliniques rapportés dans la littérature ont cependant toujours répondu positivement (4-6).

Depuis 2010, de nombreuses recherches sur l’intérêt de la délivrance assistée trans-épidermique du MAL par laser fractionné, pour augmenter l’efficacité des séances de PDT par une meilleure pénétration du photosensibilisant, ont été conduites par l’équipe de Copenhague du Pr Haedersdal.

Ces études ont d’abord été menées chez l’animal (7,8) puis chez l’homme pour les champs de cancérisation (9) afin de définir les paramètres efficaces du laser et les délais (10), mais aussi comme alternative et pour éviter la chirurgie chez les transplantés d’organe, par exemple dans le cas de carcinomes géants (11).

La pénétration du photosenbilisant représente une étape fondamentale de la PTD. Par conséquent, sachant que la biodisponibilité transcutanée d’un médicament appliqué sur la peau est seulement de 1 à 5 %, l’objectif est de créer une altération de la couche cornée, afin d’assurer une administration efficace de MAL au cœur de la cible, permettant également des temps d’incubation plus courts.

Dans une étude comparative récente de la même équipe de Copenhague, le laser fractionné CO2 a été le plus efficace en multipliant par 4 l’intensité de fluorescence par rapport aux contrôles, La zone de coagulation résiduelle créée par ces lasers fractionnés CO2 autour des micropuits réalisent un milieu favorable à la diffusion du MAL, plus favorable en tous cas que les techniques de microporation « froides » par laser fractionné ablatif Er :YAG, micro-dermabrasions, curetage, microaiguilles ou par laser fractionné non ablatif (12).

Toutes les études citées ont confirmé l’intérêt de cette technique, pour augmenter l’efficacité des séances, diminuer les délais d’incubation, et réduire au final le nombre de séances total, notamment dans le contexte de lésions de grande taille.

Il reste des écueils car les effets secondaires sont plus marqués que lors de la PTD conventionnelle :

- la douleur qui doit se gérer par l’utilisation d’une anesthésie par infiltration, toujours non adrénalinée, pour ne pas modifier le contenu en oxygène indispensable au bon déroulement des réactions photodynamiques ;

- l’intensité de la réaction phototoxique (œdème, érythèmes intenses et prolongés, exsudation, croûtes, desquamation…) ;

- les retards de cicatrisation en fonction de la fragilité de la peau et de la localisation (notamment aux membres inférieurs chez ces patients âgés) …

- Le rapport bénéfices- risques de cette technique de PTD intensifiée reste à évaluer pour chacun de nos patients. Sur des terrains ou localisations à risque, il peut être indiqué de débuter par une séance de PDT conventionnelle, et de ne réaliser une séance de PDT intensifiée que dans un deuxième temps, afin de réduire ces effets secondaires.

Conclusion

Dans certains cas de CBC superficiels et géants dont la prise en charge thérapeutique est complexe, la photothérapie dynamique semble être une bonne alternative à la chirurgie avec, notamment grâce aux protocoles d’intensification, un taux de réponse élevé, une bonne tolérance sous réserve de réaliser une anesthésie locale, et un excellent résultat cosmétique. Deux séances sont a priori nécessaires dès le début, espacées de ١ à ٤ semaines. Cette observation devrait bien sûr être complétée par des études ultérieures avec un suivi à long terme afin d’établir des recommandations de prise en charge, mais aussi pour optimiser nos indications, nos modalités techniques, et bien évaluer les risques.

Recommandations pratiques

- Examen dermatoscopique et biopsie en vue d’analyse anatomopathologique.

- Photothérapie dynamique intensifiée par laser CO2 fractionné ou à défaut, par micro-dermabrasion au papier de verre, micro-aiguilles des dermarollers ou des radiofréquences fractionnées afin d’amplifier la réponse thérapeutique par délivrance assistée de MAL.

- Nécessité de connaitre les effets secondaires afin de mieux les gérer, voire les prévenir.

- Comme toute lésion carcinologique, la technique ne dispense pas d’un suivi au long cours.

Affiliations

1. Centre médical de Genappe, Centres hospitaliers Jolimont
2. Service de Dermatologie, Hôpital Privé Clairval, Marseille, France

Correspondance

Dr. Muriel Creusot
Centre Dermatologique du Roy
28B chemin de la maison du roi
1380 Plancenoit
muriel.creusot@gmail.com

Références

  1. Le Boit PE, Burg G, Weedon D, Sarasin A(eds.).World Health Organisation Classification of Tumors. Pathology and Genetics of Skin Tumors. Lyon: IARC Press, pp. 10-33, 2006.
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