Un syndrome de Nicolau post-injection de glucocorticoïdes

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Stéphanie Bouvy, Sophie Fossoul (1) Publié dans la revue de : Avril 2019 Rubrique(s) : Observations cliniques
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Résumé de l'article :

Cet article a pour objectif de présenter une complication iatrogénique rare survenant dans le décours d’une injection médicamenteuse relativement courante en médecine. Il rapporte un « syndrome de Nicolau » post-injection de glucocorticoïdes, syndrome se manifestant par une dermite livédoïde douloureuse et pouvant entraîner de sérieuses complications. Cet article veut avant tout souligner l’importance de la prévention de ce syndrome, basée sur les recommandations techniques relatives aux injections et sur les indications correctes d’utilisation des glucocorticoïdes. Il rappelle également la nécessité de poser le diagnostic à temps pour traiter ce syndrome le plus adéquatement possible.

Que savons-nous à ce propos ?

Le Syndrome de Nicolau est une complication iatrogénique survenant dans le décours d’une injection médicamenteuse.

Que nous apporte cet article ?

Cet article nous apporte conseils et méthodes de prévention ainsi que traitements adéquats en fonction de la phase d’évolution de ce syndrome.

Mots-clés

Dermite livédoïde de Nicolau, embolie cutanée médicamenteuse, syndrome de Nicolau

Article complet :

Introduction

Le syndrome de Nicolau, également connu sous le nom de « dermite livédoïde de Nicolau » ou encore d’« embolie cutanée médicamenteuse », est une forme rare et peu connue de nécrose tissulaire post-injection médicamenteuse (1). Il se manifeste par une douleur intense et immédiate au niveau du site d’injection, accompagnée rapidement d’un patch réticulé livédoïde ainsi que d’un rash cutané érythémateux. Un œdème local peut également apparaître, suivi d’une nécrose plus ou moins profonde dans les 5 à 14 jours (pouvant atteindre la couche musculaire) avec possible ulcération (2).

Il est important de diagnostiquer le syndrome de Nicolau à temps pour appliquer le traitement le plus adéquat et limiter les complications. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas à négliger ; allant de la simple cicatrice au syndrome des loges en passant par une perte de sensibilité et/ou de force, une paralysie ou encore des douleurs neuropathiques, elles peuvent être dramatiques tant sur le plan physique que psychologique (3, 4). Des facteurs de risque ont été mis en évidence, tels qu’une insuffisance veineuse et une répétition d’injections au même endroit (5).

Le but de cet article est de mettre en avant, une complication iatrogénique peu connue pour un acte qui est relativement courant en médecine, d’en connaître les traitements proposés et surtout les méthodes de prévention.

Case report

Nous rapportons le cas d’une patiente se présentant aux urgences en janvier 2018 pour douleur intense et réaction cutanée au niveau de l’épaule gauche. En l’espace de 7 mois, la patiente avait été traitée pour une périarthrite scapulo-humérale par 3 infiltrations intra-bursales de Depo-Medrol® (acétate de méthylprednisolone) + Lidocaïne® (chloryhydrate de lidocaïne). Lors de la dernière infiltration, la patiente a ressenti une vive douleur au niveau du site d’injection, douleur qu’elle n’avait pas éprouvée les fois précédentes et accompagnée cette fois de paresthésies dans le membre supérieur gauche. Presque instantanément, une tache violacée et réticulée d’environ 16 x 10 cm est apparue au niveau de son épaule gauche. Une première échographie prescrite par son médecin traitant a pu objectiver des remaniements fibreux au niveau des tissus cutanés, sous-cutanés et musculaires résultant d’une probable réaction œdémateuse. Dans les jours qui ont suivi, la plaque est devenue plus érythémateuse, prenant l’aspect d’une brûlure et mesurant alors 10 x 6 cm. La figure 1 illustre l’évolution de la lésion.

La persistance de la douleur et la faible régression de la lésion sous pansements de Flammazine® (sulfadiazine d’argent) ont alors amené la patiente à consulter aux urgences. Elle nous décrit une sensation de brûlure diffusément répartie sur l’ensemble de son épaule gauche, avec irradiation de la douleur jusqu’au niveau du cou, de la nuque, du dos et de son membre supérieur gauche. Hormis la dernière injection, il n’y a pas de notion d’acte médical, de brûlure ou de traumatisme récents. Aucune autre plainte n’est rapportée à l’anamnèse systématique. À l’examen clinique, nous constatons une lésion cutanée légèrement tuméfiée, érythémateuse et réticulée d’environ 7 x 5 cm sur la face postéro-externe de l’épaule gauche. La palpation de la zone est extrêmement douloureuse. Il n’y a ni extension de l’érythème ni tuméfaction au-delà de la zone atteinte et il n’y a pas d’adénopathies palpées. Les mobilisations passive et active de l’épaule sont douloureuses et limitées à 30°, mais attribuables également à la périarthrite scapulo-humérale. Une perte de force est notée dans le membre supérieur gauche, mise en évidence par une manœuvre de Barré difficilement tenue unilatéralement (signifiant donc que la patiente n’est pas capable de maintenir son membre supérieur gauche à l’horizontale sans et contre résistance). Les réflexes tricipitaux et bicipitaux sont normaux. La biologie réalisée est normale, plus précisément les bilans sérologiques et de coagulation sont sans particularité. La patiente est afébrile et les autres paramètres sont également corrects. Une biopsie n’a pas été effectuée compte tenu de la douleur et du risque de non-cicatrisation de la lésion.

Le diagnostic de syndrome de Nicolau a donc été posé a posteriori sur base de son histoire récente, de la clinique, du bilan sanguin normal et de son évolution. Dans un contexte d’urgences, la proposition de soins a été la suivante : majoration de l’antalgie par alternance de paracétamol et d’ibuprofène, application de Flamigel® (gel hydrocolloïde enrichi à l’arginine), prescription d’une deuxième échographie de contrôle et rendez-vous en dermatologie pour suivi de la lésion.

La deuxième échographie a démontré qu’il n’y avait pas de thrombose veineuse du creux axillaire mais toujours un remaniement des fibres musculaires du deltoïde. La suite du bilan proposé par le médecin traitant est une IRM pour contrôler le devenir de ce muscle. La patiente nous a fait parvenir l’évolution de sa lésion par photos, où nous pouvons constater une nécrose de l’épiderme avec apparition de 2 petites ulcérations centrales. Elle a bénéficié de soins infirmiers quotidiens pour curetage du matériel fibrineux et application d’Iruxol® (collagénase permettant le débridement enzymatique du tissu nécrotique). Elle souffre actuellement d’un manque de force dans le membre supérieur gauche et de douleurs neuropathiques résiduelles.

Discussion

L’observation rapportée se base sur une complication rare suite à une injection de corticoïdes chez une patiente traitée pour une périarthrite scapulo-humérale de l’épaule. La dermite livédoïde de Nicolau a été diagnostiquée par l’anamnèse et par l’aspect clinique de la lésion, révélant un patch réticulé livédoïde très douloureux et évoluant vers la nécrose cutanée. Biologie, échographie et IRM ont toutes trois été réalisées, sans biopsie de la lésion. Les options thérapeutiques ont été limitées par notre diagnostic tardif, lui-même dû à la méconnaissance de cette entité.

Le syndrome de Nicolau a été décrit pour la 1ère fois par Freudental (1924) puis Nicolau (1925) dans le cadre du traitement de la syphilis par injection intramusculaire de sels de bismuth (3). Même si l’on a d’abord cru qu’il était associé aux injections intramusculaires, on s’est aperçu qu’il pouvait survenir via d’autres voies parentérales, telles que les voies sous-cutanée, intraveineuse, intra-articulaire et sous-acromiale (1). On a également découvert que les produits huileux (6) ainsi que plusieurs médicaments pouvaient être impliqués dans ce syndrome ; anti-inflammatoires non stéroïdiens (diclofénac, piroxicam, kétoprofène, ibuprofène), antibiotiques (pénicilline et dérivés, tétracyclines, streptomycine, gentamycine), antihistaminiques (diphenhydramine et hydroxyzine), anesthésiants locaux (lidocaïne), corticostéroïdes (triamcinolone, dexaméthasone, paraméthasone, hydrocortisone), antipsychotiques (chlorpromazine et phénobarbital), vaccinations (diphtérie-tétanos-coqueluche-influenza) et bien d’autres encore (INF-alpha, vitamine K, cyanocobalamine, etc.) (3). Compte tenu de toutes ces informations, il apparait donc évident que le syndrome de Nicolau est lié à l’injection en elle-même plutôt qu’à une certaine voie d’administration ou un médicament particulier (1, 7).

La physiopathologie de ce syndrome n’est pas encore totalement élucidée, bien que 3 mécanismes soient le plus fréquemment mis en cause. Le 1er est une injection intra-artérielle accidentelle du médicament, provoquant des emboles de microcristaux dans les artères cutanées de petits et moyens calibres et une ischémie locale conséquente à l’obstruction de ces artères (3). Le 2ème consisterait en un vasospasme dû à une surstimulation du système sympathique, elle-même induite par la douleur intense lors de l’injection intra-artérielle, périvasculaire ou péri-nerveuse (8). Enfin, le 3ème mécanisme le plus souvent rapporté est une inflammation due à l’injection périvasculaire, endommageant les parois des artères et induisant une nécrose cutanée (3). En résumé, embolie, vasospasme et inflammation sont les 3 hypothèses les plus probantes pour expliquer l’apparition d’une dermite livédoïde post-injection médicamenteuse (9). Compte tenu de cette physiopathologie, le diagnostic différentiel du syndrome de Nicolau doit inclure entre autres vasculopathie livédoïde, cryoglobulinémie de type I, embole du myxome de l’oreillette gauche ou embole de cholestérol, nécrose induite par anticoagulants, syndrome antiphospholipide (1).

Comme nous avons pu le constater, le diagnostic positif du syndrome de Nicolau est avant tout clinique et peut être décomposé en 3 phases (initiale, aiguë et nécrotique), en fonction desquelles différents traitements sont applicables (10). Ilse base également sur une anamnèse évoquant une injection récente et sur la normalité des bilans sérologiques et de coagulation (1, 10). Une biopsie est parfois nécessaire bien que non spécifique, permettant de dévoiler à l’histopathologie ischémie, nécrose, inflammation, microthrombi intraluminaux ou encore zones hémorragiques (4). Une IRM est souvent utile pour définir l’étendue de la lésion (1, 11), comme ce fut le cas pour contrôler le deltoïde de notre patiente.

La prise en charge thérapeutique dépend du moment où le diagnostic est posé. En phase initiale, lorsque la douleur prédomine, le traitement consistera en une antalgie forte. En phase aiguë, phase où la dermite devient visible, des corticostéroïdes topiques ou systémiques peuvent être administrés, ainsi que des anticoagulants type héparine (pour une meilleure reperfusion). En phase nécrotique, le traitement peut aller jusqu’au débridement chirurgical et une chirurgie plastique peut s’avérer nécessaire (1, 4, 10). Certaines observations obtiennent également de bons résultats en utilisant : la nifédipine, vasodilatateur systémique (12) ; la nitroglycérine topique et le réchauffement du membre concerné pour un effet vasodilatateur local ; la pentoxifylline, un inhibiteur de la phosphodiestérase diminuant la viscosité sanguine et augmentant la perfusion périphérique ; l’O2 hyperbare pour une meilleure extraction tissulaire de l’O2 et cicatrisation (13).

Conclusion

Le syndrome de Nicolau se développe donc en plusieurs phases en fonction desquelles plusieurs traitements peuvent être proposés. Cependant, il semble important de signaler qu’une prévention correcte est à considérer en première intention, et ce d’autant plus qu’il n’existe pas encore de consensus thérapeutique « officiel » sur le sujet. Plusieurs mesures doivent être mises en œuvre, telles que l’aspiration pour s’assurer de ne pas injecter le médicament dans un vaisseau sanguin, la « Z-track injection » (technique d’injection permettant de diminuer le risque de reflux du médicament en tirant sur la peau et le tissu sous-cutané), la propreté du site d’injection, le changement de sites si plusieurs injections doivent être prodiguées ou encore l’administration de petites doses par injection (2, 5, 11). Notre observation est caractéristique par le fait que les injections de glucocorticoïdes ont habituellement un rapport bénéfices/risques favorable et que les complications les plus fréquentes (bien que rares) sont infectieuses (14, 15). La prévention consiste donc aussi en la pose des bonnes indications d’infiltrations de glucocorticoïdes. Parmi celles-ci, nous retrouvons les maladies inflammatoires (la polyarthrite rhumatoïde par exemple), les arthroses sévères et non soulagées par des antalgiques per os ou encore les syndromes de compression nerveuse. La périarthrite scapulo-humérale peut être une indication d’infiltration, davantage si elle se complique en une épaule hyperalgique, mais le traitement de base reste la kinésithérapie de renforcement musculaire et l’antalgie simple.

Affiliations

1 Médecin urgentiste SMU, Services des Urgences du Grand Hôpital de Charleroi (GHdC)

Correspondance

Dr. Stéphanie Bouvy
Grand Hôpital de Charleroi (GHdC)
Services des Urgences
Site I.M.T.R., 1 rue de Villers
B-6280 Loverval
stephanie.bouvy@student.uclouvain.be

Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article

Références

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