Réflexion sur la prise en charge de l’hydronéphrose anténatale

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Hélène Legrand (1), Nathalie Godefroid (2), Axel Feyaerts (3), Stéphane Thiry (3), David Tuerlinckx (4) Publié dans la revue de : Janvier 2021 Rubrique(s) : Pédiatrie
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Résumé de l'article :

Si l’hydronéphrose anténatale (HNA) est la malformation congénitale la plus fréquente, sa prise en charge est cependant controversée surtout en ce qui concerne le bilan à réaliser et l’intérêt d’une prophylaxie. Des études récentes remettent en doute l’indication systématique d’une cystographie à la recherche d’un reflux associé tout comme le bénéfice de l’antibioprophylaxie sur la survenue d’infection urinaire. Une approche moins agressive est discutée tenant compte essentiellement des données échographiques obtenues en postnatal.

Nous proposons un algorithme de prise en charge tenant compte de ces données.

Mots-clés

Hydronéphrose anténatale, cystographie, antibioprophylaxie, algorithme de prise en charge

Article complet :

Introduction

Il n’existe actuellement que peu de données et d’études concernant la prise en charge des hydronéphroses anténatales (HNA), ne permettant pas d’établir de recommandations généralisées. Celles-ci diffèrent en effet selon les centres et les pays. Ces dernières années, plusieurs études ont remis en question l’intérêt de la recherche systématique d’un reflux vésico-urétéral associé d’autant plus qu’une antibioprophylaxie dans la prévention des infections urinaires (IU) chez les enfants avec un reflux vésico-urétéral (RVU) est controversée. Il n’existe malheureusement que peu de données, parfois contradictoires, en ce qui concerne le bénéfice d’une antibioprophylaxie chez les patients avec HNA. Nous abordons le sujet afin de proposer un algorithme de prise en charge, sur base des données récentes de la littérature.

La prise en charge a pour objectif de détecter les enfants à risque de développer des lésions rénales tout en limitant les examens complémentaires inutiles ainsi que l’inquiétude parentale.

L’hydronéphrose anténatale est la malformation congénitale la plus fréquente touchant de 1 à 5% des grossesses. Il n’y pas de consensus clair quant à la définition d’un diamètre antéro-postérieur (DAP) du pyélon anormal.

Nous considérerons ici une hydronéphrose (HN) comme légère si le DAP du pyélon est inférieur à 7 mm au deuxième trimestre (T2) de la grossesse et inférieur à 9 mm au troisième trimestre (T3), modérée si le DAP du pyélon est de 7-10 mm au T2 et de 10-15 mm au T3, ou sévère si le DAP est supérieur à 10 mm au T2 et supérieur à 15 mm au T3. Dans la majorité des cas, l’hydronéphrose sera transitoire et bénigne, mais elle peut également être associée à des anomalies majeures de l’arbre urinaire.

L’échographie

Le premier examen à réaliser après la naissance est une échographie des voies urinaires. Cet examen non irradiant permettra de déterminer le degré d’hydronéphrose et de détecter des signes directs ou indirects d’autres anomalies de l’arbre urinaire et/ou de souffrance rénale (épaisseur et apparence du parenchyme). Elle sera réalisée dès la reprise du poids de naissance (5-7 jours), ou dans les premières 48h de vie en cas d’une hydronéphrose anténatale sévère, d’une suspicion de valve de l’urètre postérieur, d’une hydronéphrose bilatérale ou sur rein unique, étant donné le risque de pathologie significative et la nécessité d’intervention précoce.

En termes de classification, l’hydronéphrose en période néonatale est considérée comme légère si le DAP du pyélon est inférieur à 10 mm, modérée s’il est de 10-15 mm et sévère s’il est supérieur à 15 mm. La classification SFU (Society for Fetal Urology) proposée en 1993 (1) est également utilisée (Figure 1) et reprend en plus l’épaisseur du parenchyme rénal. Nguyen et al. (2) a établi en 2014 un score (Figure 2) qui détermine le risque d’atteinte rénale et d’infections urinaires en fonction des anomalies échographiques retrouvées. Nous nous basons notamment sur ces scores pour établir notre algorithme de prise en charge.

La cystographie

Actuellement, la cystographie est communément admise dans le bilan des HNA modérées à sévères afin d’exclure un RVU associé considéré comme un facteur de risque d’infection urinaire et de cicatrice rénale. Il s’agit d’un examen coûteux, désagréable, irradiant, avec un risque d’infection urinaire estimé à 1% si on utilise le cathétérisme vésical.

Jusqu’à récemment, elle faisait systématiquement partie du bilan des enfants avec syndrome de jonction, la prévalence de RVU étant estimée à 30% chez ces patients.

La méta-analyse Weitz (3) étudie l’intérêt d’une cystographie pour détecter un RVU chez les patients avec syndrome de jonction, l’étiologie d’HNA la plus fréquente après l’HNA transitoire. Elle se base sur 20 études rétrospectives et environ 2000 enfants (0-18 ans) chez qui le diagnostic de syndrome de jonction a été posé par scintigraphie ou IRM, et tente de déterminer la prévalence réelle du RVU chez ces patients. Les auteurs estiment une prévalence de RVU dans la population générale de 1.6 à 2.6 %. Celle-ci est probablement sous-estimée étant donné qu’on ne peut faire subir de cystographie de dépistage chez des enfants sains.

La prévalence de RVU estimée chez les patients avec syndrome de jonction ne serait que trois fois supérieure (8.2% CI 6.2-11.5% ; n=2089) chez les enfants < 18 ans et quatre à cinq fois supérieure (11.1% CI 2.5-17.7% ; n=408) chez les enfants < 2 ans. Le screening des RVU chez les enfants avec syndrome de jonction n’est donc pas indiqué de façon systématique.

L’étude rétrospective Hodhod et al. (4) examine l’indication d’une cystographie en fonction de la présence d’une dilatation urétérale à l’échographie (> 4 mm). L’étude se base sur 148 enfants avec une HNA SFU grade 3 et 4 ou un DAP supérieur à 10 mm.

Les résultats montrent que la présence d’une dilatation urétérale à l’échographie a une valeur prédictive négative importante (96.5%) pour la présence d’un RVU, et encore plus importante (100%) pour la présence d’un RVU de haut grade. Ces résultats plaident pour une limitation des indications de cystographie aux patients ayant une dilatation urétérale à l’échographie.

En cas de RVU avéré, le gain d’une antibioprophylaxie (ABP) par rapport au développement de cicatrices rénales reste controversé. L’étude RIVUR (5) en 2014 compare ainsi l’efficacité d’une antibioprophylaxie par triméthoprime-sulfaméthoxazole versus placébo chez près de 600 enfants de 2 à 71 mois avec RVU, suivis pendant une période de 2 ans. L’étude montre que malgré un taux augmenté d’IU de près de 50 % chez les RVU de haut grade non traités, les cicatrices rénales ne sont quant à elles pas majorées dans le groupe sans antibioprophylaxie (11.8 % sous ABP versus 10.2% sous placébo). En effet, la majorité des cicatrices rénales seraient d’origine congénitale, suite à un développement rénal anormal, et non d’origine acquise suite aux infections urinaires. De plus, la majorité des RVU s’améliorent voire disparaissent par la suite. Compte tenu du gain discutable d’une ABP chez les patients avec RVU en termes de cicatrices rénales, il semblerait judicieux de restreindre l’indication des cystographies aux patients avec HN plus dilatation urétérale, avant toute chirurgie ou en cas d’IU récidivantes (étant donné l’impact social et financier de celles-ci).

La scintigraphie avec administration de diurétique (scintigraphie MAG3LASIX) et la scintigraphie à l’acide dimercaptosuccinique (DMSA)

La scintigraphie rénale avec administration de diurétique (furosémide) est utilisée pour le diagnostic d’une obstruction de l’arbre urinaire. Le radio-isotope le plus utilisé est le technétium-99m-mercaptoacétyltriglycine (Tc-99m-MAG3) qui est absorbé par le cortex rénal, filtré à travers la membrane basale glomérulaire vers les tubules rénaux et excrété dans le pyélon et les voies urinaires. Cet examen permet de mesurer le temps de drainage à partir du pyélon rénal et permet d’estimer la fonction rénale relative. En général, un temps de demi-vie de plus de 20 minutes pour éliminer l’isotope est considéré comme un indicateur d’obstruction.

Nous utiliserons la scintigraphie avec administration de diurétiques chez les patients avec HNA présentant des signes échographiques d’obstruction des voies urinaires (ex : dilatation urétérale, atrophie du parenchyme, …).

La scintigraphie DMSA est un examen statique, réalisé après l’injection intraveineuse de 99mTc-DMSA qui sera capté par les cellules du tubule contourné proximal. L’activité rénale mesurée reflète donc la masse corticale fonctionnelle, et permet ainsi d’évaluer le retentissement fonctionnel des uropathies malformatives et celui de leurs complications.

L’étude Visuri et al. (6) étudie chez 125 patients avec HNA la valeur de la scintigraphie rénale comme moyen diagnostique du RVU de haut grade. Les résultats montrent qu’une fonction rénale relative inférieure à 44 % à la scintigraphie rénale (DMSA ou Mag3furosémide) était retrouvée chez 70 % des patients avec un RVU de grade 4-5. La scintigraphie rénale n’est donc pas suffisamment sensible pour déterminer à elle seule l’indication d’une cystographie, mais peut servir d’outil dans la prise en charge et le bilan des enfants avec HNA.

L’antibioprophylaxie

Si l’antibioprophylaxie des infections urinaires est en général recommandée chez les nourrissons avec HNA, il n’existe que peu d’arguments scientifiques pour défendre une telle attitude étant donné l’absence d’étude placebo-contrôle (7). La méta-analyse d’Easterbrook (8) en 2017 étudie une population d’enfants de moins de 2 ans, avec un diagnostic d’HNA.

Les grades SFU I et II et les DAP du pyélon rénal inférieurs à 15 mm sont considérés comme HNA de bas grade. L’HNA de haut grade est quant à elle définie comme un DAP supérieur à 15 mm ou des grades SFU III et IV. Dix études ont été sélectionnées (6 prospectives, 4 rétrospectives, aucune étude randomisée), cumulant un total de 3909 patients. On observe dans cette méta-analyse un taux d’IU chez les patients avec ABP (9.9% CI 95% 7.4-11.4) similaire à celui des patients ne recevant pas d’ABP (7.5% CI 95% 6.4-8.6). Néanmoins, l’OR étant de 0.84 (IC 95% 0.45-1.55), ces résultats pourraient indiquer un léger effet protecteur de l’ABP en cas d’HNA de haut grade, même s’ils ne s’avèrent pas statistiquement significatifs. Aussi, suite au manque de données, aucune conclusion définitive n’a pu être tirée en ce qui concerne l’association entre l’utilisation d’ABP et le sexe, le grade d’HN, la circoncision et la présence de RVU. Il reste dès lors prudent d’offrir une ABP chez les patients avec HN de haut grade en attente d’études de meilleure qualité, et randomisées. En Belgique, selon le consensus INAMI 2016 (9), le choix de l’ABP se portera en dessous de l’âge de 2 mois sur l’amoxicilline (10-25mg/kg/jour en deux prises) ou la céphalexine (10mg/kg/jour en deux prises), et après l’âge de 2 mois vers le triméthoprime-sulfamethoxazole ou triméthoprime seul (2mg/kg/jour de triméthoprime en une prise) ou vers la nitrofurantoine (1-2mg/kg/jour en une prise).

Discussion de l’algorithme

Nous proposons ci-dessous un algorithme (Figures 3 à 6) de prise en charge en fonction des données discutées précédemment. Il convient néanmoins d’adapter celle-ci au cas par cas en favorisant une approche multidisciplinaire et centrée sur le patient. Rappelons également qu’il est important d’exclure rapidement une IU chez tout enfant avec HNA présentant un épisode fébrile, ainsi que de contrôler les facteurs favorisant les IU, notamment la constipation et le phimosis.

Dans le cas d’une suspicion d’HNA lors des échographies prénatales, nous proposons de réaliser une échographie des voies urinaires dès la reprise du poids de naissance (J5-7), ou dans les 48 premières heures de vie en cas d’hydronéphrose anténatale sévère, de suspicion de valve de l’urètre postérieur, d’hydronéphrose bilatérale ou sur rein unique.

L’échographie nous renseignera sur le degré d’HN ainsi que sur les signes directs et indirects de pathologie associée et/ou de souffrance rénale.

Nous proposons d’offrir une antibioprophylaxie dès la naissance aux patients avec une HN prénatale sévère en l’attente de l’échographie post-natale.

En cas d’hydronéphrose légère (DAP < 10 mm), nous proposons un suivi échographique (à 1 mois, 3 mois, 6 mois et 12 mois) jusqu’à l’observation à deux reprises d’une normalisation du DAP et de l’absence d’anomalies associées. Nous ne recommandons pas d’antibioprophylaxie à ce stade.

En cas d’hydronéphrose modérée (DAP 10-15mm), nous baserons notre prise en charge sur la présence de signes échographiques de pathologies associées et/ou de souffrance rénale (soit dilatation des uretères, anomalie du parenchyme.

Dans le cas où aucune autre anomalie n’est retrouvée, nous proposons un suivi échographique à 1 mois puis trimestriel. Nous ne proposons à ce stade pas d’antibioprophylaxie d’emblée.

Dans le cas contraire, il semble justifié d’élargir le bilan. Une cystographie sera réalisée si un RVU est suspecté, une scintigraphie rénale avec administration de diurétique en cas de suspicion d’obstruction des voies urinaires et/ou une scintigraphie au Tc-99m DMSA pour évaluer l’intégrité du parenchyme rénal ainsi que la fonction relative. Il en est de même en cas d’infections urinaires récidivantes.

En cas d’hydronéphrose sévère (DAP > 15 mm), nous recommandons l’administration d’une antibioprophylaxie d’emblée. Dans la majorité des cas, des signes de pathologies associées seront présents à l’échographie. Dans ce cas, un bilan complémentaire par cystographie et scintigraphie rénale (Mag3- Lasix et/ou DMSA) pourrait être indiqué. En cas d’absence d’autres anomalies échographiques, il convient de décider de la suite de la prise en charge en fonction du contexte. Un suivi échographique seul est possible chez un enfant n’ayant pas présenté d’infections urinaires et vivant dans un environnement favorable à un suivi optimal. Dans le cas contraire, un bilan plus étendu doit être envisagé.

Conclusion

L’hydronéphrose anténatale est un diagnostic fréquent. Dans la majorité des cas, elle est bénigne et de résolution spontanée, mais elle peut également être associée à des malformations de l’arbre urinaire. La prise en charge reste controversée, et diffère selon les centres et les pays.

L’échographie demeure le premier examen complémentaire. Elle nous renseignera sur le degré d’HN et sur les signes directs et indirects de pathologies associées et de souffrance rénale. L’indication de la cystographie doit rester limitée aux patients présentant des signes échographiques suspects de RVU de haut grade ainsi qu’aux patients avec IU récidivantes. La scintigraphie rénale avec administration de diurétiques sera réservée aux patients avec suspicion d’obstruction des voies urinaires.

En ce qui concerne l’antibioprophylaxie dans l’HNA, elle reste indiquée en cas d’HN de haut grade, malgré de récentes études mettant en doute l’efficacité de cette dernière. Nous proposons un algorithme (Figures 3 à 6) de prise en charge en fonction de ces récentes données. Il convient néanmoins d’adapter la prise en charge au cas par cas en favorisant une approche multidisciplinaire et centrée sur le patient.

Affiliations

Cliniques Universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles

1. Service de Pédiatrie
2. Néphrologie pédiatrique
3. Urologie

CHU UCL-Namur-Site Godinne, B-5530 Yvoir
4. Service de Pédiatrie, CHU Dinant-Godinne, B-5530 Yvoir

Correspondance

Dr. Hélène Legrand.
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Pédiatrie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
helene.legrand@student.uclouvain.be

Références

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