Nouveautés en nutrition clinique

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Camila Terken, Aude Anzévui, Audrey Loumaye, Nicolas Lanthier Publié dans la revue de : Mai 2025 Rubrique(s) : Nutrition clinique
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Résumé de l'article :

Depuis près de 20 ans, le symposium de nutrition clinique des Cliniques universitaires Saint-Luc met à l’honneur une thématique d’actualité présentée par un orateur invité, ainsi que des prises en charge de soins nutritionnels spécifiques issues de collaborations interdisciplinaires. Durant une matinée, cette formation continue permet ainsi la rencontre entre l’actualisation des recommandations en nutrition clinique et l’expertise clinique de terrain. Ce 23 novembre 2024, a eu lieu, sur le site de l’UCLouvain Bruxelles Woluwe, le symposium annuel de nutrition clinique organisé par le Comité Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) et le service Alimentation et Diététique des Cliniques universitaires Saint-Luc. Il a rassemblé plus de 200 personnes et a remporté un vif succès. Six exposés ont été donnés par des experts diététiciens, infirmiers, médecins… abordant des thématiques variées comme les polluants de notre assiette, les nouveaux défis concernant la nutrition en cas de mucoviscidose, le repas en milieu hospitalier, la dysphagie, le syndrome de renutrition inappropriée et la maladie cœliaque (Figure). Une interaction entre les différents intervenants et des exposés souvent préparés par équipes sont les atouts de ce symposium. Nous vous proposons ci-dessous un court résumé de chaque présentation avec les noms et fonctions des différents orateurs. Mots-clés  Nutrition, pollution, mucoviscidose, dysphagie, maladie cœliaque, syndrome de renutrition inappropriée

Article complet :

Les polluants dans l'assiette et leur risque pour notre santé

Ce sujet d’actualité a été présenté par Mme Céline Bertrand, infirmière pédiatrique spécialisée en santé publique et santé environnementale et membre de la cellule environnement de la société scientifique de médecine générale (SSMG). Les polluants chimiques peuvent contaminer les aliments à tous les stades du système alimentaire et être repartis en 8 catégories : les pesticides, les polluants organiques persistants (POPs), les perturbateurs endocriniens (PEs), les métaux lourds, les micro – et nano-plastiques, les hydrocarbures, les résidus de médicaments et les nanoparticules. Certains composés chimiques peuvent appartenir à plusieurs catégories. On retrouve ces polluants par exemple dans les produits d’origine animale (POPs) (1), les aliments infantiles (pesticides), les aliments conservés dans des emballages, films et contenants plastiques (PEs) (2), les céréales, les légumes (métaux lourds) et les produits de la mer (métaux lourds, micro- et nano-plastiques). Les différents risques pour notre santé ont été décrits : troubles neurologiques, de la reproduction, endocriniens, risque de diabète, cancers, maladies cardio-vasculaires… (1) Un dernier point d’attention a été émis quant à la consommation de produits ultra-transformés qui nous expose à des contaminants présents dans le produit suite à son processus de fabrication (transformation alimentaire, ajout d’additif) et de conservation dans un emballage (3). 

Soins nutritionnels des patients atteints de mucoviscidose traites par modulateurs du CFTR

L’apparition des modulateurs du « cystic fibrosis transmembrane conductance regulator » (CFTR) nécessite la mise en place de nouvelles recommandations nutritionnelles pour les patients atteints de mucoviscidose. En effet, les modulateurs du CFTR améliorent en plus de l’espérance de vie, les sécrétions pancréatiques et donc l’absorption des nutriments (4). Depuis l’utilisation de ces traitements, une augmentation de la prévalence de l’excès de poids est observée chez les patients traités (de 18 à 42%). Les anciennes recommandations visant un apport énergétique de 110-200% par rapport à la population saine avec une répartition de 35-40% de lipides, 20% de protéines, 40-45% de glucides restent de mise pour les patients non traités par modulateurs du CFTR. Néanmoins, il est primordial de recommander une alimentation saine et équilibrée tant lors de l’alimentation hypercalorique que lors de l’alimentation normocalorique recommandée chez les patients traités par modulateur du CFTR afin d’éviter des prises pondérales excessives et de promouvoir de mauvaises habitudes alimentaires (5). Il n’existe pas encore de recommandations nutritionnelles fondées sur des données probantes pour les patients traités par modulateurs du CFTR (6). L’intervention nutritionnelle est donc personnalisée en fonction de l’évolution pondérale. Cet exposé a été donné en tandem par Mme Alexia Martino, diététicienne clinique, référente en revalidation et en mucoviscidose et la Professeure Sophie Gohy, pneumologue au centre de référence de la mucoviscidose.

« Un repas est un soin »

Aux Cliniques universitaires Saint-Luc, la thématique de la dénutrition liée à la maladie a été intégrée au modèle qualité institutionnel. Cette approche collaborative vise à prévenir les principaux risques et réduire les erreurs évitables et préjudices pour le patient, afin de prévenir la dénutrition grâce à la participation de patients partenaires, des vidéos ont été créées afin de conscientiser les équipes cliniques aux facteurs organisationnels qui peuvent engendrer un risque de dénutrition et améliorer ainsi le soin nutritionnel aux patients hospitalisés. Elles ont été partagées avec l’assistance : La dénutrition liée à la maladie, tous concernés ! https://youtu.be/FG2kNvix_7I Le temps du repas fait partie du traitement https Un repas est un soin https://www.youtube.com/watch?v=RyMSxxghRks L’équipe formée de Mme Aude Anzévui, responsable de la qualité en nutrition clinique et de Mme Paola Volpe, aide-soignante relais en prévention et gestion des risques, notamment du risque de dénutrition, a insisté sur la nécessité de faire du repas un soin en passant par 4 axes : conscientiser les patients et les professionnels de santé à l’importance de la nutrition, se mettre à la place de la personne, créer un environnement de prise de repas centré sur le patient, créer une collaboration étroite entre les patients et les professionnels de santé. Cette collaboration, qui est essentielle, peut être soutenue par des outils développés autour de 7 points clés : je décide de manger (https://www.youtube.com/watch?v=zsMm0tM_kEg), je participe aux soins de ma maladie ; je me mets à la place de la personne (https://www.youtube.com/watch?v=RyMSxxghRks) ; j’ose dire et bien dire ; j’interpelle mes collègues ; je transmets à mes collègues ; j’aide le patient à manger ; je crée un environnement centré sur le patient. Enfin, l’intervention d’une patiente partenaire pour illustrer les enjeux a souligné l’importance de cette prise en charge et ses bienfaits humains, au-delà des preuves scientifiques.

JaGi-L© 2024 : Un outil de communication autour de la dysphagie

Le concept JaGi-L© a été présenté par Mme Dominique Gihousse, ancienne diététicienne aux Cliniques universitaires Saint-Luc, référente en dysphagie et en chirurgie cardio-thoracique. Le nom du code rend hommage au travail de deux chevilles ouvrières de son développement, Mmes Jamar et Gihousse et à leur institution (JamarGihousse-Luc) (7). Il est composé d’une grille de lecture : l’échelle JaGi-L©, de pictogrammes et d’un manuel de procédure. Dans la version 2024 a été ajoutée la correspondance de l’initiative internationale de normalisation de l’alimentation thérapeutique pour la dysphagie (IDDSI) pour les textures des repas et des boissons. Les statuts de la dysphagie ont également été revus dans cette version afin d’y intégrer par exemple la chronicité de la dysphagie. Bien que dans cette version des modifications propres à Saint-Luc aient été effectuées, l’outil JaGi-L© est utilisable dans d’autres structures, car il est facile à comprendre et à utiliser, s’intègre facilement dans les outils informatiques, est peu onéreux, permet une transmission complète et rapide de l’information, un procès de qualité et une meilleure sécurité pour le patient. Ceci permettrait une communication plus aisée inter hospitalière mais également avec des logopèdes indépendantes. Des petits exercices interactifs au sein de l’assemblée ont d’ailleurs été proposés pour illustrer l’exposé.

Le syndrome de renutrition inappropriée chez la personne agée

Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI) est l’ensemble des manifestations cliniques et biologiques adverses à la renutrition chez le patient dénutri ou ayant subi un jeune ou une restriction alimentaire prolongée. Le SRI survient en particulier lorsque la réalimentation est trop rapide. Il n’existe actuellement pas de critères diagnostiques précis. Dès lors, il est difficile de déterminer la prévalence de ce syndrome. Les facteurs de risque de développer ce syndrome sont un indice de masse corporelle (IMC) faible, une perte de poids, une diminution prolongée des apport nutritionnels, une prise de médicaments (inhibiteur de la pompe à proton par exemple), des marqueurs biologiques altérés (troubles ioniques) et une altération de la composition corporelle (8,9). En gériatrie, beaucoup de patients présentent ces facteurs de risque même s’ils sont parfois difficiles à identifier dans cette population. Le SRI est favorisé par le passage d’un catabolisme prolongé secondaire à la dénutrition à un anabolisme secondaire à la renutrition. La renutrition va induire une sécrétion d’insuline qui entrainera d’une part un transfert intracellulaire de glucose et d’ions et d’autre part une consommation accrue de thiamine (vitamine B1) qui seront à l’origine du SRI. Le SRI aura des conséquences multiples comme des troubles ioniques, un état confusionnel, une défaillance cardiaque et une insuffisance rénale. Il est primordial d’identifier les patients à risque afin d’utiliser des protocoles de réalimentation adaptés et de prévenir ces complications (10). L’équipe de gériatrie composée de Mme Marine Etienne, diététicienne clinique, référente en gériatrie et de la Docteure Isabelle Gilard, gériatre, a proposé des cas cliniques intéressants pour souligner la détection et la prise en charge de ces patients.

Du nouveau dans la maladie cœliaque ? 

La maladie cœliaque est une maladie auto-immune provoquée par l’ingestion de gluten. Elle est caractérisée par une activation du système immunitaire et aboutit à une atrophie villositaire (11). Le gluten est une protéine résultant d’une action mécanique telle que le pétrissage et présente dans le blé, le seigle, l’avoine, le triticale, l’épeautre, le kamut et l’orge. Le diagnostic de la maladie cœliaque est confirmé par endoscopie chez les adultes en cas de sérologie positive (IgA anti-transaminase). Cette maladie nécessite un régime sans gluten strict afin de réduire les symptômes et prévenir les complications (12). Une prise en charge multidisciplinaire et une éducation nutritionnelle du patient sont donc nécessaires. Cet exposé a été donné par Mr Pierre Garin, responsable diététique et le Professeur Pierre Deprez, gastroentérologue et président du conseil d’administration de la Société Belge de la Cœliaque (SBC). Les deux orateurs ont également abordé la recherche liée à la maladie et les questions en suspens. Certains médicaments sont en effet en cours d’évaluation. Ils pourraient permettre de traiter les maladies cœliaques réfractaires au régime sans gluten ou éventuellement de permettre aux patients des écarts occasionnels de régime. Le rôle éventuel des additifs alimentaires dans la sensibilité à la genèse de la maladie a également été évoqué (13). En conclusion, ces différents exposés dans des domaines divers de la nutrition clinique donnés par des spécialistes issus de disciplines variées mais réunis pour leur intérêt au soin nutritionnel ont permis de faire le point sur les progrès et les questions en suspens dans ce domaine passionnant. Nous vous donnons rendez-vous pour l’édition du prochain symposium !

Références

  1. Guo W, Pan B, Sakkiah S, et al. Persistent organic pollutants in food: Contamination sources, health effects and detection methods. Int J Environ Res Public Health. 2019;16(22).
  2. Rashid H, Alqahtani SS, Alshahrani S. Diet: A Source of Endocrine Disruptors. Endocr Metab Immune Disord Drug Targets. 2019;20(5).
  3. Srour B, Touvier M. Ultra-processed foods and human health: What do we already know and what will further research tell us? EClinicalMedicine. 2021;32.
  4. Bear CE. A Therapy for Most with Cystic Fibrosis. Cell [Internet] 2020;180(2):211. Available from: https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0092867419313947
  5. Leonard A, Bailey J, Bruce A, et al. Nutritional considerations for a new era: A CF foundation position paper. Journal of Cystic Fibrosis. 2023;22(5).
  6. Wilschanski M, Munck A, Carrion E, et al. ESPEN-ESPGHAN-ECFS guideline on nutrition care for cystic fibrosis. Clinical Nutrition. 2024;43(2).
  7. François S, Fiack A, Deslangles V, et al. Interdisciplinary Communication Between Members of the Dysphagia Management Team: The JaGi-L Coding System [Internet]. In: Oropharyngeal Dysphagia. Cham: Springer International Publishing; 2019. p. 89–95. Available from: http://link.springer.com/10.1007/978-3-319-92615-5_6
  8. Stanga Z, Brunner A, Leuenberger M, et al. Nutrition in clinical practice - The refeeding syndrome: Illustrative cases and guidelines for prevention and treatment. Eur J Clin Nutr. 2008;62(6).
  9. da Silva JSV, Seres DS, Sabino K, et al. ASPEN Consensus Recommendations for Refeeding Syndrome. Nutrition in Clinical Practice. 2020;35(2).
  10. Barras-Moret AC, Guex E, Coti Bertrand P. Le syndrome de renutrition inappropriée: la clé du traitement est la prévention. Nutrition Clinique et Métabolisme. 2011;25(2).
  11. Lindfors K, Ciacci C, Kurppa K, et al. Coeliac disease. Nat Rev Dis Primers. 2019;5(1).
  12. Catassi C, Fabiani E, Iacono G, et al. A prospective, double-blind, placebo-controlled trial to establish a safe gluten threshold for patients with celiac disease. American Journal of Clinical Nutrition. 2007;85(1).
  13. Lamas B, Breyner NM, Malaisé Y, et al. Evaluating the Effects of Chronic Oral Exposure to the Food Additive Silicon Dioxide on Oral Tolerance Induction and Food Sensitivities in Mice. Environ Health Perspect. 2024;132(2).

Affiliations

1. Service d’Hépato-Gastroentérologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
2. Laboratoire d’Hépato-Gastroentérologie, Université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique.
3. Service Alimentation et Diététique, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
4. Comité Liaison Alimentation Nutrition, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
5. Service d’Endocrinologie, diabétologie et nutrition, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique.
 

Correspondance

Pr Nicolas Lanthier, MD, PhD
Cliniques universitaires Saint-Luc - UCLouvain
Service d’Hépato-Gastroentérologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles
nicolas.lanthier@saintluc.uclouvain.be