Vega-Nor de Victor Vasarely

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Chantal Daumerie Publié dans la revue de : Janvier 2022 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Très souvent, trop souvent, la vue d’une œuvre d’art non figurative suscite un étonnement, apparemment légitime, qui, au pire pousse au rejet de l’œuvre, au mieux engendre une ouverture d’esprit créatrice, le cas échéant, d’adhésion, voire d’admiration.

Article complet :

Très souvent, trop souvent, la vue d’une œuvre d’art non figurative suscite un étonnement, apparemment légitime, qui, au pire pousse au rejet de l’œuvre, au mieux engendre une ouverture d’esprit créatrice, le cas échéant, d’adhésion, voire d’admiration.

Les questions relatives d’une part à la représentation objective d’une œuvre et d’autre part à sa capacité de susciter le sentiment du beau ont perdu leur légitimité première. L’art post figuratif invite à transcender ces questionnements.

Comme l’a écrit André Malraux : « L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme ».Il permet de communiquer . Dans l’art figuratif, l’artiste, nous peint le réel. Avec l’art post figuratif, la communication se déplace dans d’autres champs : partage d’un ressenti ou d’une expérience, évocation d’une idée ou d’un concept, proposition de recherche ou de nouvelle technique, exploration du sens, voire même du non-sens, sont quelques chemins que les créateurs ne manquent pas d’explorer.

Aussi, ensemble faisons l’exercice.

À quoi vous fait penser ce tableau ?

À une boule ? Un ballon ? Une dépression d’une surface malléable ? Un dessin numérique ?

Vous n’y êtes pas .

C’est en 1968 que Vasarely réalise cette peinture trompe l’œil, huile sur toile de 200 cmx200 cm et la nomme Vega-Nor en référence à l’étoile la plus brillante de la constellation de la Lyre. Le motif évoqué par le titre de l’œuvre n’augure en rien de sa représentation objective. Il est l’occasion d’autre chose, d’une autre communication.

Depuis l’aube des temps, l’être humain a peint. Confronté aux contraintes techniques de la représentation en deux dimensions, il a fallu attendre la fin du XIVe siècle avec Filippo Brunellesci pour imaginer les premiers balbutiements de la mise en perspective. à la Renaissance, les techniques diverses se sont affinées pour créer l’illusion de la perspective.

Vasarely va contribuer à pousser davantage encore cette notion de perspective.

Avez-vous remarqué en contemplant le tableau ci-dessus que l’artiste crée l’illusion d’une œuvre en trois dimensions. Comment a- t -il pu donner l’illusion de voir le motif en 3D ?

Les couleurs chaudes ont été choisies pour entourer les places centrales ce qui donnent l’impression que les carrés ressortent. Les carrés deviennent progressivement plus minces au fur et à mesure qu’ils s’éloignent du centre. Les lignes renforcent l’illusion. Les lignes centrales, horizontales et verticales sont droites, même si ce n’est pas les cas à première vue.Oui Vasarely est le pape et le grand maître de l’art optique, dit « op art » Sans doute un jour dira-t-on que Vasarely fut le précurseur de l’art virtuel !…

L’Op art est une forme d’art abstrait qui s’appuie sur des illusions d’opti-que pour tromper l’œil du spectateur et pour donner l’impression du mouvement. Il faut savoir que Vasarely avait entamé des études de méde-cine et il a trouvé dans la science une source d’inspiration.

Il exploite la relation fonctionnelle entre la rétine de l’œil (organe qui voit les motifs) et le cerveau ( organe qui interprète les motifs). Certaines créations génèrent une confusion entre ces deux organes, ce qui entraine la perception d’effets optiques irrationnels.

L’Op art n’essaie pas de dépeindre ce que nous savons dans la vraie vie. Il se détache complètement de la réalité en donnant au spectateur une place nouvelle, celle d’acteur. Celui-ci participe pleinement à la communication émise par le créateur. Un lien se crée, bien réel même si on ne peint pas le réel ; l’art optique est vie. à ce titre, il peut et doit concerner tout être humain. Aussi, Vasarely fut très attaché à une forme de démocratie de l’art : indépendamment des milieux éducatifs ou des expériences, il devrait être possible d’ouvrir des voies où il n’y a rien à raconter, pas d’histoire à savoir pas de symbolisme essentiel à la compréhension de l’œuvre. Recevoir l’œuvre et en être acteur, chacun et chacune à sa mesure, sans qu’il soit nécessaire qu’en émerge une vérité.

Ainsi par exemple, Vasarely a créé l’alphabet plastique ; à partir d’une unité plastique c’est-à-dire d’une structure de base composée de 2 formes géométriques superposées auxquelles correspondent des couleurs, il put produire une infinité de variations. Comme médecins et scientifiques, nous faisons immédiatement le rapprochement avec les 4 bases constitutives de notre ADN, source d’une infinité d’éléments génétiques. Inutile de dire que l’appréciation de la valeur de notre patrimoine génétique ne requiert nullement d’en avoir une connaissance approfondie.

La question du sentiment du beau doit -elle être évacuée pour autant ?

L’acteur est certes la source de ce sentiment qui émerge ou le submerge. Les expériences et les connaissances peuvent en favoriser l’éclosion. Ainsi, en va-t-il d’e l’appréciation ou non d’une œuvre musicale. Ainsi en va-t-il de l’appréciation d’un raisonnement mathématique : que c’est beau !

Mais la recherche de ce sentiment n’est pas l’objet premier de la communication d’un auteur d’art non figuratif. La finalité esthétique d’une œuvre peut être sans cesse remise en question.

Francis Picabia, le prince du dadaïsme, ce mouvement artistique qui voulut remettre en question les finalités de l’art académique n’écrivait-il pas : « Pour que vous aimiez quelque chose, il faut que vous l’ayez vu…entendu depuis longtemps…… tas d’idiots ».

Plutôt que de vous parler davantage de la vie de Vasarely, comme je le faisais dans mes articles précédents, je vous laisse méditer avec humilité.

Chantal Daumerie