Un cas rare de grossesse extra-utérine : la grossesse cornuale après salpingectomie

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C. Bentin, F. Grandjean Publié dans la revue de : Décembre 2016 Rubrique(s) : Gynécologie et Obstétrique
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Résumé de l'article :

Cet article présente un cas clinique de grossesse extra-utérine logée dans le moignon d’une salpingectomie. Une grossesse implantée à cet endroit est une rareté, ce qui rend son diagnostic difficile. Nous allons décrire un cas et, à l’aide d’une revue de la littérature, expliquer les différentes méthodes diagnostiques et thérapeutiques tant médicales que chirurgicales. Nous apprendrons toute l’importance d’effectuer une salpingectomie au ras de la corne utérine ainsi que de coaguler la portion intramurale de la trompe. Cet article présente un cas clinique de grossesse extra-utérine logée dans le moignon d’une salpingectomie. Une grossesse implantée à cet endroit est une rareté, ce qui rend son diagnostic difficile. Nous allons décrire un cas et, à l’aide d’une revue de la littérature, expliquer les différentes méthodes diagnostiques et thérapeutiques tant médicales que chirurgicales. Nous apprendrons toute l’importance d’effectuer une salpingectomie au ras de la corne utérine ainsi que de coaguler la portion intramurale de la trompe.

Nous terminerons par quelques recommandations pratiques.

Que savons-nous à ce propos ?

1. La localisation des grossesses extra-utérines au niveau interstitiel est très rare, mais plus mortelle que les localisations ampullaires.

2. Le diagnostic différentiel avec une grossesse intra-utérine peut être malaisé.

3. Il existe deux options thérapeutiques dans les cas de grossesses extra-utérines et l’option chirurgicale est la plus indiquée pour ces rares localisations ectopiques.

Que nous apporte cet article ?

1. Il faut se méfier des images endocavitaires en début de grossesse, car elles peuvent correspondre à des pseudo-sacs.

2. L’importance de pratiquer des salpingectomies au ras du corps utérin pour éviter les moignons, sièges de grossesses cornuales.

3. Les grossesses cornuales peuvent récidiver après traitement médicamenteux.

Mots-clés

Grossesse interstitielle, méthotrexate, salpingectomie, laparoscopie

Article complet :

CAS CLINIQUE

Une patiente âgée de 29 ans se présente aux urgences, se plaignant de l’apparition brutale d’une douleur en fosse iliaque gauche et hypogastre. Cette patiente présente de lourds antécédents obstétricaux, elle est G5P1. En l’occurrence, elle a eu une grossesse spontanée et normale avec un accouchement par césarienne. Un an plus tard, elle a eu une grossesse extra-utérine tubaire traitée par salpingectomie droite. Quelques années après cet épisode et face à un tableau de stérilité secondaire, sans étiologie mise en évidence, la patiente et son conjoint entament des cycles de fécondation in vitro (FIV) qui se soldent, premièrement par une fausse couche, puis, par une grossesse interstitielle. Cette dernière, située dans le moignon de la salpingectomie droite, a été traitée par injection de Métothrexate intra-musculaire. Après ce second échec, le couple décide d’observer une pause dans les cycles de FIV. La patiente est alors enceinte spontanément.

Compte tenu de la date des ses dernières règles, la patiente est à 7 semaines d’aménorrhée le jour de sa venue aux urgences. Selon elle, son gynécologue a pratiqué une échographie endovaginale quatre jours auparavant, laquelle confirmait une grossesse intra-utérine.

La prise de sang réalisée aux urgences montre un HCG à 25035 mU/ml (17536 trois jours plus tôt) et une progestérone à 15,83 ng/ml (21,46 trois jours plus tôt).

La patiente, initialement prise en charge par un médecin urgentiste, ressent brutalement une exacerbation de sa douleur en fosse iliaque gauche, accompagnée d’un malaise. Ses paramètres évoquent un choc hypovolémique avec une TA systolique maintenue péniblement à 70 mmHG malgré une perfusion de 2L de solution colloïde. Son examen clinique se dégrade et la patiente devient péritonéale à la palpation abdominale.

En conséquence, une échographie endovaginale est réalisée au lit. Pratiquée dans des conditions non optimales, celle-ci permet d’observer un utérus latéro-dévié à gauche, ne contenant pas de sac gestationnel intra-utérin, le cul-de-sac de Douglas est encombré d’une masse mal délimitée et hétérogène faisant penser à des caillots.

Un contact téléphonique avec son gynécologue nous apprend que l’échographie réalisée quelques jours auparavant n’a pas mis en évidence de manière formelle la localisation intra-utérine de la grossesse et que l’image alors aperçue pouvait correspondre à un pseudo-sac.

Au vu des antécédents de la patiente, de l’aspect échographique et surtout de son état clinique et hémodynamique, nous décidons de pratiquer une laparoscopie diagnostique.

À l’introduction du vidéolaparoscope, nous observons une cavité péritonéale remplie de sang coagulé. Après rinçage et aspiration du cul-de-sac de Douglas, nous analysons l’annexe gauche, laquelle semble intacte. À droite, nous remarquons que l’angle utérin est perforé et que le sang s’écoule activement par cet orifice. À l’aide d’une pince, nous dégageons de la perforation utérine une masse tissulaire ressemblant à du matériel trophoblastique. L’extraction de la grossesse a pour conséquence une diminution immédiate du saignement (Figure 1).

À ce stade, nous obtenons la confirmation que la grossesse se trouve implantée dans la portion interstitielle de la salpingectomie droite antérieure.

Avant de refermer la cavité utérine à l’aide de trois points en X de vicryl 2-0, nous utilisons la bipolaire pour coaguler la portion d’endomètre cornual éventrée et ainsi éviter qu’une prochaine grossesse s’implante à nouveau à cet endroit.

Les suites post-opératoires ont été marquées par une transfusion de deux unités de sang au vu de la faiblesse clinique de la patiente et de son taux d’hémoglobine (Hb 6 g/dl venant de 13,6g/dl). Celle-ci a quitté l’hôpital quatre jours après l’intervention.

Lors du suivi de la décroissance du taux d’HCG, nous observons un plateau à 20 jours post-opératoires. Le taux d’HCG stagne à 940 mU/ml puis 1027 mU/ml une semaine plus tard.

Nous procédons dès lors à une injection intra-musculaire de Méthotrexate (MTX) 50mg. La négativation de l’HCG sera obtenue après 57 jours post-MTX (Tableau 1).

Afin d’évaluer le risque de récidive, une hystérosalpingographie est réalisée à trois mois post-opératoire. Celle-ci montre une portion intra-murale muette à droite, ce qui rend le risque de récidive homolatérale très faible (Figure 2).

 

REVUE DE LA LITTÉRATURE ET DISCUSSION

La portion interstitielle de la trompe de Fallope correspond au segment proximal incorporé dans le mur musculaire utérin (0,7x1,5cm). Une grossesse implantée à cet endroit est appelée une grossesse interstitielle (2). Lorsqu’elle se situe dans une corne rudimentaire d’un utérus bicorne ou dans le moignon restant d’une trompe traitée par salpingectomie, on parle de grossesse cornuale (21). Une revue de la littérature permet de confirmer le caractère extrêmement rare de cette localisation pour une grossesse extra-utérine. Effectivement, la presque totalité (98%) des grossesses extra-utérines se situent au niveau des trompes de Fallope (1). La fréquence des grossesses interstitielles est comprise entre 2-3% de toutes les grossesses extra-utérines, avec un taux de mortalité deux fois plus important que les grossesses tubaires (2, 22).

Les grossesses extra-utérines interstitielles, angulaires (développées au niveau de l’ostium tubaire au fond de la cavité utérine) et cornuales sont souvent regroupées et représentent une même entité clinique et thérapeutique (21).

La rupture des grossesses interstitielles est particulièrement hémorragique en raison d’une riche vascularisation cornuale et d’une distension myométriale plus importante par une grossesse plus évoluée (19).

Les grossesses interstitielles peuvent être diagnostiquées à tort comme intra-utérines en raison de leur implantation partielle dans l’endomètre. Contrairement aux idées reçues, la rupture des grossesses interstitielles apparaît relativement tôt dans la grossesse.

Les facteurs de risque sont similaires aux autres grossesses extra-utérines (antécédent de grossesse extra-utérine, de pathologie et chirurgie tubaire, exposition intra-utérine de DES, infections génitales, tabac, FIV) excepté pour la salpingectomie ipsilatérale qui est un facteur de risque propre à la grossesse interstitielle (3).

Le diagnostic repose sur une synthèse de la clinique, de l’HCG plasmatique et de l’échographie transvaginale (21).

Les critères échographies suivants ont été proposés par Timor-Tritsch en 1992 pour ce diagnostic : une cavité utérine vide, un sac gestationnel excentrique et situé à >1cm du mur latéral de la cavité utérine et une fine (<5mm) couche de myomètre autour du sac (4). L’échographie 3D ainsi que l’IRM permettent également un diagnostic précoce exact si la grossesse interstitielle est suspectée à l’échographie 2D (5, 6).

Le traitement chirurgical initial de la grossesse interstitielle consistait en une salpingectomie et résection cornuale par laparotomie, ceci résultant probablement du retard diagnostic (21, 7). Outre ce traitement radical, plusieurs cas de traitement conservateurs ont été rapportés (21).

Dans la pratique courante actuelle, la grossesse interstitielle est typiquement diagnostiquée à un âge gestationnel précoce et avant la rupture, ce qui laisse l’opportunité de pratiquer un traitement médical ou chirurgical conservateur (9).

Selon Soriano et son équipe, la meilleure pratique consiste à enlever la grossesse interstitielle via cornuostomie avec résection de la portion interstitielle de la trompe si nécessaire et suture de l’hystérotomie (10, 21). Avec l’avènement de la cœlioscopie, les équipes entrainées pratiquent sur la patientes hémodynamiquement stables, une traitement chirurgical conservateur par laparoscopie (21).

Un retrait par voie hystéroscopique de la grossesse interstitielle a également été décrit avec succès (11).

Pour tout traitement conservateur, la décroissance de l’HCG doit être surveillée jusqu’à négativation complète (21).

Le traitement médicamenteux de la grossesse interstitielle consiste en l’injection de Métothrexate par un schéma multidose (MTX 1mg/kg IV/IM au jour 1, 3, 5 et 7 avec Leucovorin 0,1mg/kg oral au jour 2, 4, 6 et 8 avec une possibilité de ré-administrer la thérapie 7 jours après la dernière dose) (12) associé à un traitement chirurgical en cas de détérioration de l’état clinique (13). Le taux de succès rapporté est de 66% (14). Si dans le cadre de grossesses extra-utérines tubaires classiques, une injection unique de MTX est devenue le standard, il semble que pour les grossesses interstitielles, les doses répétées soient plus intéressantes (21). Il n’y a à ce jour pas de consensus sur le protocole à suivre pour le schéma multidose.

Le traitement médical in situ par injection de méthotrexate sous contrôle échographique, coelioscopique ou hystéroscopique a été rapporté avec succès par certaines équipes. C’est la seule indication du traitement médical par voie cœlioscopie (15).

En dehors d’un contexte de rupture, il est licite de proposer aux patientes un traitement médical. Il n’existe pas de consensus concernant le taux limite d’HCG ou la présence d’une activité cardiaque. Le traitement par voie locale semble obtenir de meilleurs résultats par rapport au MTX par voie générale. En cas de croissance du sac sous MTX, le traitement chirurgical s’impose (21).

La durée moyenne du taux d’HCG indétectable dans le sérum est de 43 +/- 64 jours (13).

Une masse résiduelle interstitielle ou une aire hétérogène avec une vascularisation persistante à l’échographie ont été rapportées (17). Sous réserve d’une négativation complète de l’HCG, ils ne constituent pas un échec thérapeutique (21). Un suivi rapproché des patientes traitées médicalement est conseillé.

Après un traitement médical d’une grossesse interstitielle, le risque de rupture utérine reste inconnu pour une future grossesse (18). Cette préoccupation existe pour les grossesses interstitielles traitées chirurgicalement et médicalement (8).

Compte tenu du fait que ces techniques ne sont décrites que pour des cas isolés, aucune donnée n’est disponible quand à la solidité de la cicatrice cornuale lors d’une grossesse ultérieure intra-utérine. Cependant, la corne utérine opérée paraît être une zone fragile et des cas de rupture au deuxième trimestre ont été décrits. On suppose que même après traitement médical, un doute persiste sur la qualité du myomètre cornual après traitement. Actuellement, la plupart des auteurs préconisent de pratiquer une césarienne avant tout début de travail lors d’une grossesse ultérieure (21).

On retiendra que lors d’une salpingectomie, il est important de réaliser une section tubaire au ras de l’utérus. Effectivement, des récidives de grossesses extra-utérines ont été décrites en cas de moignon tubaire résiduel après salpingectomie (20).

Dans le cas présent, la patiente souffre d’une récidive de grossesse cornuale après un traitement médical. Dès lors, pour cette localisation particulière, on déconseillera un traitement par Métothrexate, et nous encouragerons les praticiens à favoriser la voie chirurgicale. Le geste thérapeutique étant plus compliqué que le traitement d’une grossesse extra-utérine classique, les gynécologues ne doivent pas pratiquer de laparotomie (geste trop invasif) mais plutôt apprendre la technique par laparoscopie afin d’offrir à leurs patientes une prise en charge optimale au regard du tableau clinique.

 

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

1. La grossesse interstitielle est une localisation rare (2,4%) de la grossesse extra-utérine.

2. Il faut y penser lors d’une localisation intra-utérine excentrée à plus d’un centimètre du mur latéral de la cavité, avec un pourtour myométrial fin.

3. Le traitement de référence est chirurgical par voie coelioscopique (en l’absence de trouble hémodynamique).

4. Le traitement médical peut également être utilisé dans des cas sélectionnés (sans qu’il existe de consensus sur les critères d’éligibilité).

5. Il est important de suivre la décroissance de l’HCG jusqu’à négativation de celui-ci.

6. Un antécédent de salpingectomie homolatérale est un facteur de risque non négligeable.

 

CORRESPONDANCES

Dr Charlotte Bentin

Cliniques universitaires Saint-Luc
Obstétrique
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
charlotte.bentin@student.uclouvain.be

 

RÉFÉRENCES

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