Tempête sur le O négatif : « dégât collatéral » du Patient Blood Management ?

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Véronique Deneys, Louisiane Courcelles, Christine Pirlet, Corentin Streel Publié dans la revue de : Janvier 2022 Rubrique(s) : Immunohématologie
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Résumé de l'article :

Le Patient Blood Management est une approche multidisciplinaire qui a pour objectif de personnaliser et d’optimiser la transfusion. Outre l’intérêt évident pour le patient, l’application de cette méthodologie permet de réduire la consommation globale en composants sanguins. Un effet collatéral observé est une diminution non proportionnée de tous les composants sanguins selon le groupe sanguin, avec un effet de réduction négligeable portant sur les concentrés érythrocytaires O Rh négatif, déséquilibrant la chaîne d’approvisionnement. Ceci pourrait annoncer une pénurie chronique en ces produits. Il est donc indispensable de rééquilibrer besoins et ressources en composants sanguins en travaillant sur trois leviers d’action : réduire la demande, diminuer le gaspillage et optimiser l’approvisionnement.

Mots-clés

Patient Blood Management, O Rh négatif, pénurie, transfusion

Article complet :

Abréviations

BEST : Biomedical Excellence for Safer Transfusion, CED : Concentré Erythrocytaire Déleucocyté, CSH : Cellules Souches Hématopoïétiques, ISBT : International Society of Blood Transfusion, PBM : Patient Blood Management

 

Introduction

Le Patient Blood Management (PBM) ou « Gestion du sang du patient et pour le patient » (1) , est un concept développé afin de faire face à l’augmentation des demandes en composants sanguins suite à l’accroissement de l’offre de soins et au vieillissement de la population (2). Il s’agit d’une approche thérapeutique multidisciplinaire et multiprofessionnelle, centrée sur le patient ayant pour objectif de personnaliser et optimiser la transfusion. Cette approche repose sur trois piliers : l’optimisation de l’hématopoïèse et des réserves sanguines du patient, la minimisation des pertes de sang et l’optimisation de la tolérance physiologique à l’anémie.

L’implémentation du PBM dans les institutions hospitalières belges a été favorisée grâce à la mise en place du Comité BeQuinT au sein du SPF Santé Publique en 2013. Celui-ci, par le biais d’enquêtes et de mise à disposition de matériel didactique pour la formation du personnel médical et soignant, a renforcé l’adoption de bonnes pratiques en matière de transfusion dans les hôpitaux.

Quel est l’impact du PBM en Belgique ?

La mise en place du PBM a eu un effet considérable sur la consommation des composants sanguins, particulièrement les concentrés érythrocytaires (CED). En effet, selon les statistiques disponibles sur le site de l’AFMPS, le nombre de poches transfusées par les institutions hospitalières a diminué de 12.8% entre 2013 et 2018 (3). [Durant la même période, la diminution a atteint 9.2% au sein des Cliniques universitaires Saint-Luc.] Cette diminution ne s’est pas faite de façon proportionnelle selon le groupe ABO, mais a porté essentiellement sur les CED de groupes sanguins A et AB, alors que la proportion des CED de groupes sanguins B et O a quant à elle légèrement augmenté (Figure 1).

Fait plus inquiétant, si l’on prend en considération le groupe sanguin O Rh négatif en particulier, la diminution de consommation a été quasiment anecdotique durant la même période (-1.1%), soit 489 poches par rapport à une diminution totale de 60.706 CE, tous groupes confondus (Figure 2).

La conséquence en est donc qu’actuellement les CED de groupe sanguin O négatif représentent plus de 11% des poches distribuées dans les institutions hospitalières, alors que ce groupe sanguin n’est présent que chez 6.8% des individus caucasiens constituant la toute grande majorité des donneurs de sang en Belgique.

Cette observation n’est pas propre à la Belgique et inquiète bon nombre d’experts en transfusion (4, 5). A titre d’exemple, on peut citer la situation en Australie où la proportion de CED de groupe O Rh négatif distribués aux hôpitaux est actuellement de 17% (6). Une prudence s’impose cependant dans l’interprétation de ces chiffres puisque ceux-ci renseignent plutôt sur la proportion de produits distribués par les établissements de transfusion sanguine aux hôpitaux et non sur la consommation réelle des hôpitaux (7) qui pourrait dans certains cas, ne pas être appropriée.

« Où part le O négatif » ?

Les raisons évoquées devant l’augmentation de la proportion de O Rh négatif sont diverses (4, 8, 9) : utilisation préférentielle dans les situations d’urgence lorsque le groupe sanguin du patient n’est pas connu, utilisation exclusive en néonatalogie, utilisation lorsqu’il existe une pénurie dans un autre groupe sanguin, utilisation dans le décours des allogreffes de CSH ABO non identiques, rationalisation dans la gestion des stocks de l’hôpital (surtout pour les petites structures), utilisation pour éviter la péremption, utilisation chez les patients ayant des allo-anticorps ou nécessitant des globules rouges portant un phénotype particulier. A titre d’exemple, on peut citer le phénotype Dccee présent chez plus de 45% des personnes d’origine africaine mais chez seulement 2% des individus caucasiens (10). La seule alternative possible pour transfuser ces patients Dccee, le plus souvent de groupe O, est de choisir des CED de groupe (O) Rh négatif,

L’utilisation des CED O Rh négatif a été évaluée aux Cliniques Universitaires Saint-Luc durant l’année 2020. Les résultats sont repris ici (Figure 3). 1731 CED ont été transfusés durant ces douze mois : près de la moitié (49.5%) ont été transfusés en isogroupe à des receveurs O Rh négatif, 24.6% à des receveurs O Rh positif, majoritairement des patients d’origine africaine (cf. supra) et des nouveau-nés, 14.5% à des receveurs d’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, 4.4% à des receveurs B Rh négatif et 7% à des receveurs non O.

Ces données sont très proches de celles obtenues par l’étude GROUP (Group O Utilization Patterns) du groupement collaboratif BEST (Biomedical Excellence for Safer Transfusion) réalisée dans 38 hôpitaux de 11 pays différents (8). Une autre grande étude rétrospective réalisée dans trois hôpitaux académiques et portant sur 314.968 transfusions a permis de mettre en évidence que 8.9% de CED de groupe O ont été transfusés à des receveurs non O pour les raisons suivantes : situation de trauma, risque de péremption, utilisation en ambulatoire, pénurie dans les autres groupes sanguins, besoin de sang phénotypé, patients hospitalisés en unité de soins intensifs (11).

Il existe divers facteurs qui peuvent influencer l’utilisation accrue mais appropriée de CED de groupe O Rh négatif, comme le nombre et le type de spécialités médicales présentes dans l’hôpital : on peut ainsi évoquer la présence d’un trauma center, d’une maternité, d’une unité de chirurgie cardiovasculaire urgente (12).

Cependant force est de constater que dans certaines situations, l’utilisation de CED O Rh négatif n’est pas optimale voire inappropriée, parmi lesquelles : la transfusion à des receveurs non O Rh négatif pour éviter la péremption [l’âge moyen des CED O Rh négatif au moment de la transfusion est en moyenne plus élevé que pour les CED d’autres groupes sanguins, dû au fait que les CED ne seraient pas transfusés tant qu’il n’y a pas une indication obligatoire pour leur utilisation avec le risque d’augmenter le taux de péremption (13)], la transfusion à des receveurs non O Rh négatif ayant besoin de CED avec un phénotype particulier (« surdépendance » liée au fait que le phénotype étendu est réalisé plus fréquemment sur les CED O Rh négatif), la dispersion des ressources (stocks satellites en particuliers dans les services d’urgence ou en cas d’organisation multi-sites), l’utilisation abusive en situation d’urgence sans switch vers le groupe sanguin du patient,…

Quelles sont les conséquences pour les banques de sang hospitalières ?

La banque de sang est une fonction hospitalière. L’Arrêté Royal du 17 février 2005 lui a confié diverses missions, parmi lesquelles celle de disposer en tout moment du sang correspondant aux besoins des patients et de délivrer du sang compatible dans les délais requis en respectant les règles immunologiques. Elle exerce donc diverses tâches de gestion basées sur quelques principes fondamentaux de fonctionnement :

- Il est indispensable de connaître les besoins des patients, tant quantitatifs que qualitatifs (indicateurs d’activité, indicateurs clés de performance).

- Il faut disposer de procédures claires pour faire face à toutes les situations et en particulier les urgences hémorragiques avec menace vitale immédiate.

- Il est essentiel de pouvoir trouver un équilibre entre les risques de pénurie et les risques de péremption : par respect éthique vis-à-vis des donneurs de sang et par souci budgétaire.

- Il est fondamental de ne pas perdre de vue que la banque de sang a un intérêt « collectif » puisqu’elle doit pouvoir répondre aux besoins de tous les patients de son institution hospitalière et non pas uniquement à ceux d’un patient donné.

Les globules rouges de groupe O rh négatif sont-ils vraiment « universels » ?

La présence d’anticorps naturels anti-A et/ou anti-B chez 97% des individus (les sujets de groupe sanguin A, B et O) fait du groupe O celui qui est utilisé dans toutes les situations où le groupe ABO du patient n’est pas connu, puisque les hématies de sujets O ne portent ni antigène A ni antigène B ; et puisque l’antigène RhD est le plus immunogène des antigènes érythrocytaires (14), on a toujours privilégié le choix de sang RhD négatif pour minimaliser au maximum les risques d’alloimmunisation. Si les globules rouges de groupe O Rh négatif ont longtemps été considérés comme « universels », c’est-à-dire transfusables sans danger à n’importe quel individu quel que soit son groupe sanguin, on sait maintenant que ceux-ci doivent plutôt être considérés comme un « moindre mal nécessaire » dans les situations d’urgence et qu’ils peuvent dans certains cas, se révéler totalement incompatibles (receveurs de groupe Bombay).

En effet, le groupe de travail « Nomenclature » de la Société Internationale de Transfusion Sanguine (ISBT) a actuellement décrit 43 systèmes de groupes sanguins (ABO étant le premier d’entre eux, RH le quatrième) et plus de 350 antigènes, potentiellement présents à la surface des hématies. Les molécules des systèmes ABO et RH ne représentent donc qu’une petite facette des antigènes érythrocytaires. Tous ces antigènes peuvent induire une réaction d’alloimmunisation (en cas de transfusion et/ou de grossesse), résultant en la synthèse d’anticorps anti-érythrocytaires que l’expertise du laboratoire d’immunohématologie permettra d’identifier afin de prévenir tout incident d’incompatibilité ultérieure.

Plusieurs cas ont été rapportés dans la littérature de présence d’anticorps préformés chez des patients transfusés en situation d’urgence avec menace vitale immédiate par des globules rouges O Rh négatif qui se sont révélés a posteriori incompatibles par la présence d’un anticorps anti-RH4 ou anti-JK1 par exemple (15, 16).

Comment ré-équilibrer besoins et ressources

Equilibrer l’approvisionnement et les besoins en composants sanguins est un véritable défi de tous les jours, en période stable et en situation fragile, mais surtout en cas de pénurie. Les solutions sont multiples et impliquent les différents partenaires de la chaîne transfusionnelle, établissements de transfusion sanguine, banques de sang hospitalières et prescripteurs (17).

Une pénurie est définie lorsque les besoins des patients dépassent les capacités de production des établissements de transfusion sanguine (14), avec un risque de sous ou non transfusion dont les conséquences peuvent être graves. Elle peut être globale, mais le plus souvent elle se manifestera graduellement par l’épuisement de certains groupes ou phénotypes, le groupe O Rh négatif étant le candidat le plus à risque.

Un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les banques de sang est le déséquilibre entre la répartition des groupes sanguins ABO RH de leurs patients (liée à la variation des origines ethniques) et celle des donneurs de sang (principalement caucasiens). A titre d’exemple, nous avons cité précédemment le phénotype Dccee présent principalement dans les ethnies africaines. Ce problème est aggravé par les nouvelles modalités de prise en charge des patients drépanocytaires, bénéficiant depuis quelques années d’échanges érythrocytaires qui nécessitent des quantités importantes de CED.

Globalement, il existe trois leviers d’action : réduire la demande, diminuer le gaspillage et augmenter/optimiser l’approvisionnement.

Réduire la demande et adapter la distribution nominative

Le Comité de transfusion hospitalier et les experts en transfusion doivent réaliser un travail efficace afin d’optimiser la qualité des prescriptions de composants sanguins (14) et faire la chasse aux indications inappropriées (18) en tenant compte des catégories de patients dont ils ont la charge.

- Toute initiative en termes de PBM doit être encouragée : dépistage et correction des anémies préopératoires en cas de chirurgie élective, diminution du volume sanguin prélevé pour les analyses de laboratoire, réduction des saignements peropératoires, politique transfusionnelle restrictive plutôt que libérale (19), distribution unitaire des concentrés érythrocytaires et vérification de leur efficacité,…

- Des indicateurs clés de performance et de suivi concernant l’utilisation des composants sanguins (20) doivent être mis en place et discutés au moins une fois par an en comité de transfusion et avec l’établissement de transfusion sanguine, fournisseur des composants sanguins.

- Un élément essentiel est de définir une priorisation des indications de transfusion tenant compte de la gravité de la situation clinique du patient et du degré d’urgence (21). Celle-ci doit être définie par le Comité de transfusion, idéalement « à froid », c’est-à-dire en dehors d’une situation de pénurie.

- Les CED O Rh négatif doivent être réservés pour des indications bien définies et indispensables (6, 12).

- La rareté des composants sanguins Rh négatif rend inévitable la transfusion de CED de groupe Rh positif dans certaines situations (6), soit pour prévenir un risque de pénurie, soit malheureusement lorsque celle-ci est installée. L’étude OPTIMUS du groupe BEST (9) a permis de calculer que l’utilisation de CED O Rh négatif aurait pu être réduite de 44.5% si des CED O Rh positif avaient été transfusés à tous les receveurs O Rh négatif de plus de 50 ans, de 9.9% à tous les patients de plus de 80 ans, de 8.7% à tous les patients de plus de 50 ans hospitalisés dans une unité de soins intensifs. Le risque d’une alloimmunisation préexistante chez le patient à transfuser et qui ne serait pas détectée est quasi de zéro compte tenu de la sensibilité des techniques de laboratoire utilisées actuellement. Par contre, la transfusion de CED Rh positif à des receveurs de groupe Rh négatif peut entraîner l’apparition d’anticorps chez certains patients. Le taux d’immunisation varie selon divers facteurs: s’il est en moyenne compris entre 20 et 30% chez des patients polytraumatisés (22), il est bien inférieur chez les patients plus âgés (13) ou immunodéprimés (23, 24, 25, 26). Dans une étude prospective portant sur 554 patients de groupe Rh négatif transfusés, si l’incidence de l’alloimmunisation était globalement de 21.4% après transfusion de CED Rh positif, on a pu constater que près de 90% des patients avaient formé leurs anticorps lors des quatre premiers CED incompatibles (13), ce qui pourrait constituer un « seuil » d’immunisation. La ré-exposition a des CED de groupe Rh positif après un épisode hémorragique initial n’augmenterait pas le taux d’alloimmunisation (27).

- La prise en charge des hémorragies aiguës avec menace vitale doit suivre un protocole clair : transfuser d’emblée des CED O Rh positif aux patients adultes de sexe masculin et aux femmes au-delà de l’âge de procréer (fixé à 45 ans pour la transfusion aux CUSL) comporte peu de risques puisque plus de 85% des receveurs sont de groupe Rh positif ; ceci permettrait de « sauver » jusqu’à 10% de poches O Rh négatif pour les femmes Rh négatif en âge de procréer ou les patients alloimmunisés, et de réduire le risque de pénurie (28). Si malgré tout, le patient, quel que soit son groupe sanguin, possédait des anticorps anti-Rh préformés [éventualité rare estimée à 1.9% dans une étude australienne, (29)], il n’y a pas de risque de réaction hémolytique intravasculaire aiguë compte tenu de la nature isotypique des anticorps anti-Rh (30). Il faudrait qu’un maximum de deux poches O non compatibilisées soient administrées dans ces situations et qu’ensuite les CED administrés soient « switchés » dans le groupe sanguin du patient afin d’épargner les stocks de sang de groupe O qu’il convient de réserver aux patients de ce groupe sanguin (6).

- La formation continue du personnel de la banque de sang est essentielle afin que soit promue la transfusion de CE ABO identiques plutôt que compatibles. Ceci est d’autant plus important lorsqu’il faut sélectionner des composants sanguins ayant un phénotype particulier (4).

Diminuer le gaspillage

Un composant sanguin est considéré comme gaspillé soit lorsqu’il n’est pas utilisé, soit lorsqu’il est utilisé à mauvais escient. Pour des raisons éthiques évidentes vis-à-vis des donneurs et en vue de respecter un équilibre financier, le gaspillage du sang doit être réduit de façon maximale. Une étude internationale réalisée par l’ISBT a permis d’évaluer le taux de péremption des poches à 1.6% en Europe, 1.3% en Amérique du Nord, et 2.4% dans le reste du monde (31). Il est important de souligner que la majorité des institutions ayant répondu étaient des hôpitaux académiques, disposant de réserves importantes de composants sanguins. Même si ces taux sont relativement bas, ils ont un impact sur l’approvisionnement en réduisant la disponibilité des composants sanguins et en augmentant le coût pour les institutions hospitalières.

Afin de diminuer les risques de péremption et/ ou de destruction des composants sanguins, on peut agir sur différents points :

- Revoir régulièrement les stocks optimaux et critiques de composants sanguins et éviter le « surstock ». Un bon indicateur est la durée de stockage des produits à la banque de sang : celui-ci ne doit pas excéder 7 à 10 jours en moyenne pour les CED de groupes O et A.

- Diminuer le temps de réservation des poches pour un patient donné.

- Surveiller les équipements de stockage pour éviter les ruptures de la chaîne du froid (CED).

- Revoir la nécessité de garder des stocks décentralisés dans les services d’urgences lorsque ceux-ci sont géographiquement proches de la banque de sang ou lorsque l’utilisation des poches d’urgence est peu fréquente.

Même si les conventions entre les hôpitaux et les ETS ne le permettent pas actuellement en Belgique, il serait pertinent de réfléchir à la possibilité de rotation régulière entre les hôpitaux pour minimiser les risques de péremption et d’utilisation inappropriée (pour éviter la péremption). Certains ont même proposé d’appliquer des prix différents pour les composants selon leur groupe sanguin, ceci afin d’éviter que les petites institutions hospitalières ne gardent des stocks trop importants et afin de permettre une rotation plus efficiente vers les plus grandes structures (4).

Augmenter / optimiser l’approvisionnement

Disposer en tout moment de composants sanguins pour faire face aux besoins réguliers mais également à une éventuelle catastrophe, certes rare, est une tâche parfois très laborieuse pour les ETS. Suite aux attaques terroristes récentes, les établissements de transfusion sanguine ont appris à mieux gérer l’urgence, mais les donneurs de sang sont parfois difficiles à convaincre en période « chronique » et ne réalisent pas que le sang transfusé durant les catastrophes a été collecté avant les événements (32).

Les données récentes de l’évolution de la consommation en composants sanguins rendent plus que jamais indispensable une adaptation des établissements de transfusion sanguine qui doivent adopter une méthodologie en flux tiré basé sur les besoins réels des institutions hospitalières plutôt qu’en flux poussé.

- Les concentrés érythrocytaires de groupe O Rh négatif doivent être considérés comme une ressource précieuse qui doit être gérée minutieusement (33). Les donneurs de groupe O Rh négatif doivent être particulièrement conscientisés.

- Le nombre de dons de sang autorisés par an en Belgique est de quatre (en termes d’unités globules rouges). Or, le nombre moyen de dons par donneurs est de moins de deux (3), pour des raisons diverses. Le recours aux prélèvements de « doubles rouges » par aphérèse doit absolument être encouragé, en particulier pour les donneurs de groupe O (ce procédé permet de récolter deux concentrés érythrocytaires lors d’une seule séance d’aphérèse). Le Conseil Supérieur de la Santé a rendu un avis favorable en ce sens en 2008 (34).

- Il est indispensable de développer un programme de recrutement parmi les « minorités ethniques », très peu représentées dans la population de donneurs en Belgique et présentant des phénotypes érythrocytaires différents de ce qui est observé chez les individus caucasiens. Ceci permettrait de répondre aux demandes sans cesse croissantes de composants sanguins compatibles pour les patients ayant de grands besoins transfusionnels (prise en charge de la drépanocytose) (35).

- Il est pertinent d’encourager le don de sang auprès des familles des patients transfusés de façon chronique (excellents « ambassa-donneurs »).

- Il semble pertinent de revoir les critères de sélection au don de sang. En effet, en Belgique, la loi sur le sang a été rédigée alors qu’étaient révélés les dessous du scandale du sang contaminé. Suite à cela et parce que le recrutement des donneurs ne posait pas de problème à ce moment-là, le principe de précaution a été appliqué au maximum. Les données récentes devraient autoriser à revoir les décisions dans un processus d’évaluation et de gestion des risques.

Finalement, il est indispensable d’adapter la stratégie de prélèvement d’un composant sanguin particulier selon le groupe sanguin du donneur (« matching personnalisé ») (5) : concentrés érythrocytaires pour les donneurs O, plasma pour les donneurs AB, par exemple.

Conclusions & recommandations pratiques

Disposer d’un approvisionnement sûr en termes qualitatifs mais aussi quantitatifs est un élément clé en médecine transfusionnelle.

L’application du PBM et le déséquilibre ethnique entre les populations de donneurs de sang et de patients sont deux facteurs de risque importants de pénurie chronique en sang O Rh négatif.

Les CED de groupe sanguin O Rh négatif sont le nouvel « or rouge » et ne devraient être transfusés qu’à des patients qui en ont réellement besoin afin de prévenir ou de faire face aux situations de pénurie.

Des procédures claires doivent être approuvées au sein du Comité de transfusion hospitalier.

Les établissements de transfusion doivent s’adapter aux « nouveaux besoins » des institutions hospitalières en adoptant une stratégie de prélèvement de type « matching personnalisé » selon le groupe sanguin, en favorisant le prélèvement de deux unités de globules rouges par aphérèse, et en orientant leur recrutement vers les donneurs provenant des « minorités ethniques ».

Affiliations

Laboratoire d’Immunohématologie & Banque de Sang – Cliniques Universitaires Saint-Luc

Correspondance

Pr. Véronique Deneys
Cliniques Universitaires Saint-Luc
Département des Laboratoires – Service de Biologie Hématologique
Avenue Hippocrate 10
B – 1200 Bruxelles
veronique.deneys@saintluc.uclouvain.be

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