Piège de la médecine diagnostique : une cause rare d’ulcères des membres inférieurs

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Eva Larrañaga, Jean-Baptiste Nicolas, Julian Muguerza Publié dans la revue de : Avril 2020 Rubrique(s) : Médecine Interne Générale
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Résumé de l'article :

La calciphylaxie, ou artériopathie calcifiante est un syndrome rare et complexe, se manifestant par une micro-angiopathie occlusive dans le tissu adipeux sous-cutané, entraînant des lésions cutanées ischémiques nécrosantes très douloureuses. Le pronostic est mauvais et le taux de mortalité important. Ce syndrome atteint majoritairement des patients souffrant d’insuffisance rénale, mais peut parfois, de manière encore plus exceptionnelle, se développer chez des patients avec une fonction rénale normale. La physiopathologie ne semble pas être liée aux calcifications vasculaires rencontrées fréquemment dans la population générale. Il n’y a pas, à ce jour, de recommandations claires concernant l’attitude thérapeutique, mais des études récentes ont permis d’élucider certains aspects physiopathologiques qui pourraient augurer de thérapies prometteuses. À travers une vignette clinique, nous abordons la difficulté diagnostique d’un tel syndrome, les mécanismes physiopathologiques impliqués et les démarches diagnostiques et thérapeutiques à envisager.

Que savons-nous à ce propos ?

La calciphylaxie est une maladie rare, de très mauvais pronostic, et souvent sous diagnostiquée car méconnue. Une fois suspectée, une biopsie est nécessaire pour poser le diagnostic. Il n’y a pas de lignes de conduite clairement établies concernant l’attitude thérapeutique. La prise en charge se doit d’être multidisciplinaire, et comprend le contrôle des facteurs de risque associés, la gestion de l’analgésie et des soins de plaies, ainsi que l’utilisation de certains agents pharmaco-actifs

Que nous apporte cet article ?

Cet article rappelle les caractéristiques cliniques et les facteurs de risque de la calciphylaxie. Il résume les mécanismes physiopathologiques élucidés à ce jour et décrit les options thérapeutiques.

Mots-clés 

Calciphylaxie, artériolopathie calcifiante non urémique, facteurs de risque, thiosulfate de sodium

Article complet :

Vignette clinique

Un homme âgé de 61 ans est hospitalisé pour prise en charge de plaies ulcéro-nécrotiques des membres inférieurs, évoluant depuis un an. La douleur est insomniante et non contrôlée malgré une antalgie de palier III. Les plaies se sont aggravées après un traitement par antagoniste de la vitamine K (Sintrom®). Celles-ci s’accompagnent d’une importante altération de l’état général (asthénie, anorexie, fonte musculaire) et d’un déclin fonctionnel majeur, le patient est grabataire depuis un an.

Les antécédents du patient sont dominés par une possible polyarthrite rhumatoïde (non érosive et séronégative), une hypertension artérielle, une embolie pulmonaire compliquant une thrombose veineuse profonde bilatérale (immobilisation prolongée sur tassement vertébral), une fibrillation auriculaire paroxystique, et une hépatopathie d’origine éthylique avec suspicion de cirrhose non confirmée (pas de biopsie hépatique ou de fibroscan réalisés). Son traitement habituel comporte : méthylprednisolone (depuis de nombreuses années), bisoprolol, lisinopril, énoxaparine, paracetamol, fentanyl et clonazépam.

À l’examen clinique, on retrouve des plaies ulcéreuses, nécrotiques, fibrineuses, localisées au niveau de la face antéro-interne des deux jambes (Figure 1a et 1b). On note également une atrophie musculaire majeure et un livedo reticularis. Les paramètres vitaux sont normaux.

L’analyse biologique montre un syndrome inflammatoire avec une CRP à 41mg/L, une anémie et une thrombopénie modérées (Hb 10mg/dL et 120.000 plaquettes/µL), la formule leucocytaire est neutrophilique. La fonction rénale est normale : l’urée est à 24mg/dL et la créatinine à 0,55mg/dL. Il existe une hypo-albuminémie à 24g/L et une cholestase anictérique avec des phosphatases alcalines à 228U/L (nl 38-126) ainsi que des gammaGT à 205UI/L (nl 15-73). Carence en vitamine D (<8ng/mL) avec PTH majorée à 111ng/L (nl < 53). La calcémie corrigée et la phosphatémie se trouvent dans des valeurs normales. Les tests de coagulation ne sont pas altérés. Les marqueurs de l’auto-immunité (facteur rhumatoïde, anti corps anti peptides cycliques citrullinés, anticorps anti-nucléaires, anticorps anti-cytoplasme des neutrophiles) sont négatifs. Il n’y a pas d’argument biologique en faveur d’un syndrome des phospholipides (anticorps anticardiolipines et anticorps anti B2GP1 négatifs, pas d'anticoagulant lupique), le taux de protéines S et C sont diminuées. Le patient n’est pas sous AVK à ce moment-là. Une échographie-Doppler des membres inférieurs objective une athéromatose calcifiée diffuse de tout le réseau artériel de manière bilatérale, en l’absence d’insuffisance ou de thrombose veineuse.

L’analyse histologique d’une biopsie cutanée a montré des larges plages de stéatonécrose avec nombreux polynucléaires neutrophiles et la présence de multiples calcifications vasculaires associées à un épaississement intimal, éléments compatibles avec le diagnostic de calciphylaxie (Figure 2a et 2b) (1-3).

Sur le plan thérapeutique, une prise en charge multidisciplinaire a été nécessaire : gestion de l’antalgie, suivi régulier en clinique des plaies, optimalisation nutritionnelle avec alimentation entérale complémentaire, substitution en vitamine D et vitamine K, kinésithérapie, ainsi qu’un traitement à base de thiosulfate de sodium en solution intraveineuse à la dose de 25g trois fois par semaine pendant 3 mois. L’évolution fut lente mais favorable : diminution progressive des antalgiques, rééducation à la marche et cicatrisation des plaies (Figure 3a et 3b).

Discussion

La caciphylaxie est une cause rare d’ulcère cutané (1) responsable d’une importante morbi-mortalité (2). Elle est plus fréquente chez les patients atteints d’insuffisance rénale - elle est alors dite « urémique », mais peut rarement se manifester chez des patients avec une fonction rénale normale (3) – elle est alors dite « non urémique ». Les lésions cutanées sont majoritairement situées au niveau des membres inférieurs et parfois au niveau de l’abdomen (3). Son incidence et prévalence exactes sont inconnues (3). Elle est estimée à 35 cas pour 10000 patients dialysés aux États Unis et à 30 cas pour 70000 patients dialysés en Allemagne (1,3). L’incidence est inconnue pour les patients ayant bénéficié d’une greffe rénale ou non dialysés (1). L’âge moyen au diagnostic est de 60 ans, et les femmes sont plus souvent atteintes que les hommes (60-70%) (2). Les patients avec une fonction rénale conservée semblent avoir une meilleure survie (1).

La physiopathologie de la calciphylaxie est mal connue. Néanmoins, une hypothèse validée dans la littérature serait que la présence de calcifications dans les vaisseaux de petit calibre mène à une ischémie à bas bruit, induisant des lésions endothéliales et un état pro-inflammatoire et pro-thrombotique local (indépendant d’un état pro-coagulant systémique) qui conduit à la formation de micro-thrombi et d’une ischémie cutanée (1). Le développement de calcifications vasculaires semble être un phénomène actif qui dépend de la balance entre agents pro- et anti-calcifiants. Sous l’influence des facteurs extérieurs, les cellules musculaires lisses artériolaires acquièrent un phénotype ostéochondrogénique (1). Ces cellules produisent des vésicules contenant du calcium et du phosphore qui, une fois libérées, précipitent sous forme de cristaux d’hydroxyapatite.

Parmi les agents pro-calcifiants, l’un des mieux étudiés est la Matrix Gla Protein (MGP), une protéine de la matrice extracellulaire synthétisée par les cellules de l’endothélium et du muscle lisse. Lorsque cette MGP est carboxylée (MGPc), elle inhibe le processus de calcification de manière directe, mais également indirecte en inhibant l’action d’autres facteurs calcifiants comme les Bone Morphogenetic Proteins (BMP) - qui participent à la différentiation ostéochondrogénique des cellules musculaires lisses (1). La MGP carboxylée inhibe la calcification et maintien l’intégrité vasculaire. La carboxylation de la MPG est, entre autres, dépendante de la vitamine K (4). Les patients sous antagonistes de la vitamine K, présentent une diminution de la carboxylation de la MGP. Plusieurs études ont mis en évidence le lien entre une carence en vitamine K (antagonistes, apports insuffisants) et le risque de développer une calciphylaxie (4). Il n’y a pas de lien établi à ce jour entre les anticoagulants oraux directs et la calciphylaxie. La fetuin-A, participe à la formation de particules de calciprotéine qui transportent des cristaux et participent à l’inhibition de la calcification. L’inflammation chronique diminue le taux de fetuin-A (1). Des mutations dans les gènes qui participent à la régulation du métabolisme du pyrophosphate (un autre inhibiteur de calcification) ont également été retrouvées chez les patients souffrant de calciphylaxie (1).

La manifestation clinique principale de la calciphylaxie est la présence de lésions ischémiques cutanées. Initialement ces lésions se présentant sous forme de plaques indurées accompagnées de livedo reticularis ou de purpura. Elles sont souvent multiples et bilatérales et progressent très rapidement en ulcères nécrotiques extrêmement douloureux avec un impact majeur sur la qualité de vie. Des calcifications extra-osseuses sont très fréquemment présentes (Figure 5).

Seule la biopsie cutanée permet de confirmer le diagnostic. Histologiquement, la calciphylaxie est caractérisée par la présence de calcifications, d’une hyperplasie intimale et la présence de micro-thrombi dans les vaisseaux du tissu adipeux sous cutané provoquant des lésions de nécrose ainsi qu’une panniculite septale. Les facteurs favorisants la calciphylaxie sont repris dans le Tableau 1 (1,5).

Un élément déclenchant est probablement nécessaire, en plus de la présence de facteurs favorisants, pour que la calciphylaxie se développe. Il n’y a pas de guidelines thérapeutiques validées, l’attitude thérapeutique (Tableau 2) est donc basée sur l’opinion d’experts. La littérature concernant la calciphylaxie non urémique est très pauvre (7). Les lésions histologiques sont semblables aux formes liées à l’insuffisance rénale. Très peu de données sont disponibles à ce jour concernant l’attitude thérapeutique à suivre.

Conclusion

La calciphylaxie est une maladie rare et complexe qui nécessite une prise en charge précoce et multidisciplinaire. Quelques études ont été réalisées concernant l’approche thérapeutique chez les patients dialysés, mais il y a très peu de données concernant les patients avec une fonction rénale normale. La poursuite de la recherche sur les mécanismes physiopathologiques permettra de mieux cibler les facteurs favorisants et les thérapies efficaces.

Recommandations pratiques

- Devant la présence d’ulcères nécrotiques douloureux chez un patient présentant des facteurs de risque (Tableau 1), il est important de suspecter une calciphylaxie car le pronostic est réservé er l’instauration d’un traitement rapide est capitale.

- La réalisation d’une biopsie cutanée est le gold standard pour la confirmation diagnostique.

- Une anamnèse complète et des analyses complémentaires permettent d’évaluer les facteurs de risque potentiels (Tableau 1) : fonction rénale (urée et créatinine sérique, urines de 24h), bilan phosphocalcique (calcium, phosphore, vitamine D, PTH, phosphatases alcalines), fonction hépatique et albuminémie, coagulation (PTT, INR, protéine C et S, antithrombine III, anti-phospholipides), protéines de l’inflammation et la recherche d’une maladie auto-immune ou néoplasique sous-jacente.

- Le traitement reste un challenge médical et nécessite une approche multidisciplinaire (Tableau 2).

Conflit d’intérêts

Il n’y a pas de conflits d’intérêt

Affiliations

Service de Médecine Interne Générale. CHU UCL-Namur (site Godinne) , B-5530 Yvoir

Correspondance

Dr. Eva Larrañaga
Cliniques universitaires Saint-Luc
Médecine interne
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
eva.larranaga@uclouvain.be

Références

  1. Nigwekar SA, Thadhani R, Brandenburg VM. Calciphylaxis. N Engl J Med. 2018;378:1704-14.
  2. Nigwekar SA, Kroshinksy D, Nazarian RM, Goverman J, Malhotra R, Jackson VA et al. Calciphylaxis : Risk Factors, diagnosis, and treatment. Am J Kidney Dis. 2015;66:133-146.
  3. Brandenburg VM, Kramann R, Rothe H, Kaesler N, Korbiel J, Specht P, et al. Calcific uraemic arteriolopathy (calciphylaxis): data from a large nationwide registry. Nephrol Dial Transplant. 2017;32:126-32.
  4. Phan O, Burnier M. Calcifications vasculaires et déficit en vitamine K : un facteur de risque modifiable dans l’insuffisance rénale chronique. Rev Med Suisse. 2013 ; 9 : 451-5.
  5. Nigwekar SA, Zhao S, Wenger J, Hymes JL, Maddux FW, Thadhani RI et al. A nationally representative study of calcific uremic arteriolopathy risk factors. J Am Soc Nephrol 2016:27(11);3421-3429.
  6. Zitt E, Konig M, Vychytil A, auinger M, Wallner M, Lingenhel G, et al. Use of sodium thiosulphate in a multi-interventional setting for the treatment of calciphylaxis in dialysis patients. Nephrol Dial Transplant. 2013; 28:1232-1240.
  7. Nigwekar SU, Wolf M, Sterns RH, Hix JK. Calciphylaxis from nonuremic causes : a systematic review. Clin J Am Soc Nephrol. 2008:3(4);1139-1143.