Nul n’est une île Responsabilité sociale en santé : un texte fondateur

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Carl Vanwelde Publié dans la revue de : Avril 2020 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Nul n’est une île, en soi suffisante. Tout homme est une parcelle de continent, une partie du tout.

John Donne

Article complet :

Les séismes s’annoncent toujours, un souffle imperceptible, un frémissement, quelque chose dans l’air que seuls perçoivent les prophètes. Le canari du mineur cesse de chanter avant le grisou… Serions-nous pareillement à l’aube d’un changement d’échelle face aux nouveaux défis de santé aussi nombreux qu’impérieux qui se profilent à l’échelle planétaire ? L’art de soigner, traditionnellement individuel, inscrit dans le colloque singulier dès l’Antiquité, s’impose progressivement comme une préoccupation sociétale prioritaire et un projet global. Paraphrasant Thomas Merton, le médecin découvre que « tout homme est un peu de lui-même, car faisant partie de l’humanité. Chacun de nous demeure responsable du rôle qu’il joue dans la vie de l’ensemble ».

Paradoxe : face à une médecine techniquement triomphante, grâce à laquelle « les aveugles voient, les sourds entendent, les paralysés marchent », un certain nombre de questions de santé récurrentes sont loin d’être résolues. Une mortalité infantile qui marque le pas, une cassure de l’espérance de vie là où on ne l’attendait pas, l’émergence d’épidémies neuves favorisées par des situations sanitaires dégradées par les conflits et les déplacements de populations annoncent une accentuation des disparités interrégionales. Ces inégalités se retrouvent par ailleurs au sein des groupes sociaux d’un même pays, où la consommation d’alcool, la surcharge pondérale, le tabagisme et les assuétudes constituent de nouveaux défis particulièrement alarmants. Les maladies émergentes, les pathologies chroniques, le vieillissement des populations et les facteurs environnementaux (pollutions de l’air, de l’eau et des sols, changement climatique, utilisation de pesticides) alourdissent encore le fardeau. Le XXIe siècle verra-t-il l’émergence d’une prise de conscience de responsabilité collective, mondialisée et sensible aux problématiques contemporaines complexes et interdépendantes ? La responsabilité sociale en santé préfigure la concrétisation d’une éthique collective qui respecte les valeurs de base que sont l’équité, l’efficience, la solidarité, la justice sociale. Car, sans la santé, pas de développement humain, ni économique, ni moral. Mais si chacun s’accorde sur le fait que ce processus inédit réinterroge une conception traditionnelle des politiques de santé, en revanche, aucun ouvrage n’avait jusqu’ici tenté de clarifier cette notion, de la définir, de cerner selon les contextes les lieux et les cultures, ses implications, mais aussi ses limites en termes de transformation.

C’est cette absence que ce premier dictionnaire francophone vient combler. Cet ouvrage permet de rassembler des connaissances dispersées issues de différentes disciplines, de dessiner le cadre conceptuel de la démarche, de rassembler plusieurs communautés de chercheurs, de praticiens ou de gestionnaires et de contextualiser les initiatives. Il mobilise plus de soixante-dix auteurs d’horizons géographiques variés (Belgique, Cameroun, Canada, Centrafrique, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Guyane française, Haïti, Liban, Madagascar, Mali, Mauritanie, Maroc, Roumanie, Tunisie, Vietnam), de cultures, de formations, de disciplines différentes (médecine générale et spécialisée, santé publique, sciences humaines et sociales, sciences de l’éducation, économie de la santé,philosophie, géographie, sciences de l’information et de la communication, anthropologie, etc.) qui soulèvent une diversité de questions, exposent des méthodes, offrent des apports théoriques ou opérationnels organisés en 134 entrées par ordre alphabétique. Leur multiplicité procède du choix éditorial de faire un premier tour de la question sans l’épuiser totalement.

L’émergence d’un nouveau paradigme sociétal affleure les différentes contributions du dictionnaire. Il transparaît à travers la prise de conscience de la nécessité d’une approche complexe pour aborder un monde interdépendant où chacun doit se remettre question pour le bien-être de tous. Il se profile par la promotion d’une clinique fondée sur les valeurs, celle du patient, du soignant et de la communauté dont l’approche intégrative et personnalisée serait susceptible de contrebalancer une application rigide et déshumanisée de la médecine basée sur les preuves (EBM). De même, il se manifeste avec l’accent mis sur la formation comme levier du changement. Une attention particulière est portée aux partenariats entre les services de santé, les institutions académiques et les acteurs de la société civile.

Cet ouvrage foisonnant n’est qu’une première pierre à l’édifice, mais pierre angulaire cruciale pour la solidité de ce nouveau paradigme en construction. La responsabilité sociale ne doit pas être une simple posture, un outil de management ou un supplément d’âme, ni se voir réduite à une action de santé publique ou une aide aux plus défavorisés. Comme le résume bien Charles Boelen dans sa préface, ce dictionnaire jette un regard ambitieux en considérant la responsabilité sociale comme un socle sur lequel peut s’édifier un modèle nouveau de société qui considérerait l’ensemble des déterminants du bien-être humain et engagerait également des acteurs du monde politique, économique et social. Utopie qui prend forme, la responsabilité sociale en santé possède enfin son texte fondateur, incitant à la réflexion pour entreprendre des initiatives réformatrices et gratifiantes, notamment par des échanges entre partenaires animés d’une même vision. Une invitation à diffuser des actions audacieuses, publier leurs résultats, former les collègues, assurer un leadership à un niveau international, démarche indispensable pour montrer l’émergence d’un nouveau modèle en train de se construire.