Nouveautés thérapeutiques en 2021

Précédent
Halil Yildiz, Lucie Pothen, Chantal Lefebvre, Julien De Greef, Leila Belkhir, Anne Vincent, Fabien Roodhans, Jean-Luc Balligand, Jean Cyr Yombi, Philippe Hainaut Publié dans la revue de : Février 2022 Rubrique(s) : Médecine interne et maladies infectieuses
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

La médecine interne dit « générale » est une discipline prenant en charge des patients aux pathologies multiples et/ou complexes. A ce titre, l’expertise clinique de l’interniste en fait un acteur incontournable de la prise en charge des patients hospitalisés, notamment en hiérarchisant leurs différentes problématiques, de même qu’un interlocuteur privilégié pour le médecin généraliste. La médecine interne collabore également avec les autres disciplines lorsque des soins plus spécifiques sont requis.

L’interniste prend en charge de manière autonome de nombreuses pathologies inflammatoires, auto-immunes, vasculaires. Il est aussi un acteur central dans la prise en charge de la maladie thromboembolique, des poly-adénopathies, de la fièvre d’origine inexpliquée, de l’amaigrissement involontaire, du syndrome inflammatoire inexpliqué, d’une affection néoplasique d’origine indéterminée ou dans la gestion des patients atteints d’une sarcoïdose ou d’une vasculite. Son expertise porte à la fois sur le diagnostic (avec orientation secondaire vers les disciplines concernées ; par exemple : cancer, maladie inflammatoire du tube digestif, hémopathie maligne) mais également le traitement spécialisé de nombreuses affections. Un autre aspect de la spécialité est le diagnostic et le traitement des maladies infectieuses : tuberculose, HIV, fièvres tropicales, en plus de la COVID-19.

Nous souhaitons faire découvrir ces facettes multiples de notre spécialité au travers de quelques innovations thérapeutiques récentes.

Mots-clés

Maladies systémiques, artérite cellules géantes, Behcet, maladie de Still de l’adulte, porphyrie aigue intermittente, tocilizumab, canakinumab, apremilast, givosiran

Article complet :

Nouveautés thérapeutiques dans les maladies systémiques : trois médicaments nouvellement disponibles en Belgique en 2021 pour le traitement de l’artérite à cellules géantes, la maladie de Still de l’adulte et la maladie de Behçet

Le tocilizumab dans l’artérite à cellules géantes

L’artérite à cellules géantes (ACG), anciennement appelée artérite de Horton, est une vasculite qui touche les vaisseaux de moyen et grand calibre (1). Sur le plan physiopathologique, l’activation et le recrutement de cellules immunitaires (cellules dendritiques, lymphocytes T [CD4, CD8]) ainsi que le remodelage vasculaire y joue un rôle important. Les cellules dendritiques, au sein de la paroi vasculaire, sont les premières à être activées et induisent l’activation de lymphocytes T CD4+, par l’intermédiaire de cytokines (IL-12, IL-18, IL-6, IL-1, IL-23, IFN-gamma) et chémokines (2). L’IFN-gamma est responsable des symptômes ischémiques (3) alors que l’IL-6 semble être essentiellement à l’origine des symptômes systémiques. Les manifestations cliniques sont bien connues (1): symptômes systémiques (fatigue, fièvre, perte de poids), céphalées temporales, claudication de la mâchoire, pseudopolyarthrite rhizomélique et manifestations ophtalmologiques. En cas d’atteinte ophtalmologique, la perte de vision est brutale, sévère et le plus souvent irréversible (1).

Le diagnostic de l’ACG se base sur une combinaison de preuves recueillies par l’anamnèse, l’examen clinique, la présence d’un syndrome inflammatoire à la biologie et sur une confirmation par un examen radiologique (échographie Doppler des artères temporales, 18F-FDG-PET/CT, ou angio-IRM des vaisseaux du cou) et/ou une biopsie de l’artère temporale (4).

D’après les recommandations de l’EULAR (2018), l’usage de corticoïdes à haute doses (bolus en iv. 500 mg à 1g 1x/j pendant 3 à 5 jours) est le premier choix en cas d’atteinte ophtalmique (4). En l’absence d’atteinte ophtalmique, la dose préconisée est de 40 à 60 mg de prednisolone/j avec un schéma dégressif par la suit. Toutefois, dans notre pratique clinique, en l’absence d’atteinte ophtalmologique, nous utilisons des doses plus faibles de prednisolone de 15 à 20mg/j avec succès. Le méthotrexate est réservé aux patients présentant trop d’effets secondaires des corticoïdes ou une rechute lors de la diminution ou l’arrêt du traitement par corticoïdes. Depuis mai 2021, le tocilizumab (TCZ) est disponible en Belgique et réservé aux patients ayant fait une rechute sous méthotrexate, ou ayant une intolérance ou une contre-indication à celui-ci. Le tocilizumab, ou Ro-Actemra, est un anti-interleukine-6 qui s’administre par voie sous-cutanée de façon hebdomadaire. L’étude de JH. Stone et al. (5) concernant 251 patients a confirmé l’efficacité du TCZ dans le traitement de l’ACG. Les résultats du suivi à plus long terme de cette cohorte montrent que les rechutes sont possibles à l’arrêt du TCZ (+/- 50%) mais que le taux de rechute à 2-3 ans est nettement inférieur dans le groupe ayant reçu du TCZ en comparaison du groupe prednisolone seul (6). Il est important de souligner que le tocilizumab inhibe la synthèse hépatique de la CRP, ce qui rend plus complexe l’interprétation de l’évolution biologique de ces patients. Récemment, l’équipe de Uwizoni et al. (7) a montré que l’haptoglobine, un marqueur biologique simple, peu couteux et aisément accessible, est plus élevée chez les patients en récidive sous TCZ par rapport à ceux sous corticoïdes seuls. Ces données doivent encore être validées par d’autres études et avec un nombre suffisant de patients. Le 18F-FDG PET/CT peut être un outil de suivi intéressant mais nécessite encore une validation par des études prospectives randomisées contrôlées. A l’heure actuelle nous le réservons aux suspicions de rechute ou d’échappement au traitement. La surveillance sera donc essentiellement clinique.

Références

  1. Borchers TA, Gerhwin EM. Giant cell arteritis : a review of classification , pathophysiology, geoepidemiology and treatment. Autoimmun Rev. 2012;11 :544-54.
  2. Terrier B, Geri G, Chaara, et al. Interleukin-21 modulates Th1 and Th17 responses in giant cell arteritis. Arthritis and rheumatism. 2012 ;64 :2001-11.
  3. Corbera-Bellalta M, Planas-Rigol E, Lozano E, et al. Blocking interferon gamma reduces expression of chemokines CXCL9, CXCL10 and CXCL11 and decreases macrophage infiltration in ex vivo cultured arteries from patients with giant cell arteritis. Ann Rheum Dis. 2016 Jun;75(6):1177-86.
  4. Dejaco C, Ramiro S, Duftner C, et al. EULAR recommendations for the use of imaging in large vessel vasculitis in clinical practice. Ann Rheum Dis. 2018;77:636-43.
  5. Stone JH, Tuckwell K, Dimonaco S, Klearman M, Aringer M, Blockmans D, et al. Trial of Tocilizumab in Giant-Cell Arteritis. N Engl J Med. 2017 Jul 27;377(4):317-328.
  6. Stone JH, Han J, Aringer M, Blockmans D, Brouwer E, Cid MC et al. Long-term effect of tocilizumab in patients with giant cell arteritis: open-label extension phase of giant Cell Arteritis Actemra (GIACTA) trial. Lancet Rheumatol. 2021;E328-E336.
  7. Unizony S, Morris R, Kreuzer J, et al. OP0338 Mass spectrometry identifies novel biomarkers in giant cell arteritis, useful in patients on interleukin-6 receptor blockade. Annals of the Rheumatic Diseases 2020;79:207-208.

Le canakinumab dans la maladie de Still de l’adulte

La maladie de Still de l’adulte est une pathologie inflammatoire rare qui se caractérise cliniquement par de la fièvre (93-100%), un rash cutané (58-87%) et des arthralgies (86-100%). D’autres manifestations cliniques sont également décrites comme des maux de gorge (27-74%), des adénopathies (28-74%), une hépatosplénomégalie, une péricardite (6-38%) ou une pleurésie (8-53%) (1). La biologie montre classiquement un syndrome inflammatoire avec une hyperleucocytose neutrophile et une hyperferritinémie. Une de ses complications graves est le syndrome d’activation macrophagique (15%) (1). Les études récentes montrent qu’il prédomine deux phénotypes: un phénotype systémique (fièvre, rash, etc..) et un phénotype articulaire (2). Le traitement de première ligne consiste en l’utilisation d’AINS et de glucocorticoides (1-3). Le methotrexate est préconisé comme traitement de seconde ligne (3). Malgré cela, 40 et 30 % des patients s’avèrent réfractaires aux corticoïdes et au methotrexate. Des agents biologiques peuvent alors être utilisés.

Le tocilizumab (anti-IL6) et les anti-TNFα semblent surtout efficaces dans le phénotype articulaire (1, 2, 4). L’IL-1 est également augmentée dans la maladie de Still de l’adulte et joue un rôle important dans la physiopathologie (5) en particulier dans les formes systémiques. L’anakinra (Kineret®), un inhibiteur du récepteur de IL-1, peut être utilisé en Belgique et donne d’excellents résultats (1, 3, 5). Son principal inconvénient est la nécessité d’une injection sous-cutanée quotidienne, ce qui peut nuire à la compliance des patients, souvent jeunes. Depuis le 1er décembre 2021, le canakinumab (Ilaris®), un anticorps monoclonal dirigé contre l’IL-1 beta, est disponible en Belgique. Son utilisation est limitée aux patients qui ont des effets secondaires et/ou une réponse insuffisante sous anakinra. Contrairement à l’anakinra, le canakinumab s’administre en SC mensuellement grâce à sa longue demi-vie de 26 jours et est relativement bien toléré. Malgré cet avantage, il est important de souligner qu’il y a un manque crucial d’études prospectives randomisées contrôlées (3). Enfin, un dernier point, non négligeable, est son prix (10 828 € /injection).

Références

  1. Giacomelli R, Ruscitti P, Shoenfeld Y. A comprehensive review on adult onset Still’s disease. J Autoimmun. 2018 Sep;93:24-36.
  2. Vercruysse, F., Barnetche, T., Lazaro, E. et al. Adult-onset Still’s disease biological treatment strategy may depend on the phenotypic dichotomy. Arthritis Res Ther. 2019 ; 21, 53. Cota-Arce JM,
  3. Cota J, De León-Nava MA, Hernández-Cáceres A, Moncayo-Salazar LI, Valle-Alvarado F, et al. Efficacy and safety of canakinumab in the treatment of adult-onset Still’s disease: A systematic review. Semin Arthritis Rheum. 2021 Dec;51(6):1282-1290.
  4. Fautrel, B, Sibilia, J, Mariette, X, Combe, B, and Club Rhumatismes et Inflammation. Tumour necrosis factor alpha blocking agents in refractory adult Still’s disease: an observational study of 20 cases. Ann. Rheum Dis. 2005; 64:262-266.
  5. olafrancesco S, Priori R, Valesini G, Argolini L, Baldissera E, Bartoloni E, et al. Response to Interleukin-1 Inhibitors in 140 Italian Patients with Adult-Onset Still’s Disease: A Multicentre Retrospective Observational Study. Front Pharmacol. 2017 Jun 13;8:369.

L’apremilast dans la maladie de Behçet

La maladie de Behcet est une vasculite qui se caractérise par des aphtes récidivants au niveau de la bouche et de la sphère génitale, une atteinte inflammatoire au niveau des yeux, des lésions cutanées de type pseudofolliculite et une atteinte articulaire (1). D’autres systèmes peuvent être affecté comme le système nerveux central, le tube digestif et les vaisseaux (artères de petit, moyen, ou gros calibre et atteinte veineuse). L’aphtose buccale est un des principaux symptômes qui conduit au diagnostic et peut être très handicapant pour le patient, l’empêchant de s’alimenter et de parler correctement lors des poussées inflammatoires. Le traitement de première intention des aphtes oraux est un stéroïde par voie topique. Si les poussées deviennent trop fréquentes, un traitement par colchicine peut être administré (2).

En 2019, une étude publiée dans le New England Journal of Medicine a montré l’efficacité de l’apremilast (Otezla®), un inhibiteur de phosphodiestérase 4, dans le traitement des aphtes buccaux avec une réduction significative du nombre d’ulcères buccaux comparé au placebo (3). L’apremilast agit en empêchant la dégradation de l’adénosine monophosphate cyclique, diminuant ainsi la production de cytokines pro-inflammatoires et augmentant la production de médiateurs anti-inflammatoires. L’Otezla® s’administre par voie orale à la dose de 30mg/12h. Les effets secondaires principaux sont des diarrhées, des nausées et des céphalées. Un programme d’usage compassionnel devrait être disponible début 2022. Il sera réservé aux patients avec résistance ou intolérance à la colchicine et sera à disposition des médecins spécialistes en médecine interne.

Références

  1. Yazici H, Seyahi E, Hatemi G, Yazici Y. Behçet syndrome: a contemporary view. Nat Rev Rheumatol. 2018;14:119-119.
  2. Hatemi G, Christensen R, Bang D, et al. 2018 update of the EULAR recommendations for the management of Behçet’s syndrome. Ann Rheum Dis. 2018;77:808-818.
  3. Hatemi G, Mahr A, Ishigatsubo Y, Song YW, Takeno M, Kim D, et al. Trial of Apremilast for Oral Ulcers in Behçet’s Syndrome. N Engl J Med. 2019 Nov 14;381(20):1918-1928.

Une innovation thérapeutique pour un groupe de maladies génétiques rares : le Givlaari® (givosiran) pour le traitement des porphyries hépatiques aigues

Les porphyries hépatiques aigues sont un groupe de maladies génétiques rares dans laquelle le foie ne peut pas produire correctement une substance appelée « hème ». En conséquence, les précurseurs utilisées pour fabriquer l'hème (notamment l’acide aminolévulinique (ALA) et le porphobilinogène (PBG)) s’accumulent dans le corps et provoquent des crises de douleurs abdominales sévères, des vomissements et des troubles du système nerveux (pouvant aller jusqu’au syndrome de Guillain-Barré). Il existe 4 sous-groupes de porphyries hépatiques aigues : porphyrie aigue intermittente, porphyrie variegata, coproporphyrie héréditaire et le déficit héréditaire en acide delta aminolévulinique-déhydrase (1). La porphyrie aigue intermittente est la plus fréquente. Le traitement des crises consiste en l’administration d’antalgiques (dérivés morphiniques), une hydratation suffisante avec perfusion de glucose 5% et l’administration d’hème (Normosang) 3mg/kg/j pendant 3à 4 jours par voie intraveineuse (2). Dans certains cas sévères (crises très fréquentes et invalidantes), la mise en place d’un port-à-cath est nécessaire pour l’administration régulière « prophylactique » d’hème, de manière mensuelle voire hebdomadaire. La prévention est très importante et consiste essentiellement en l’éviction des facteurs déclencheurs (alcool, tabac, drogues douces, régimes….) et des médicaments porphyrynogènes (un listing complet et fréquemment mis à jour des médicaments autorisés est disponible sur le lien : https://www.porphyrie.net/medicaments).

En 2020, l’étude ENVISION utilisant une nouveauté technologique thérapeutique, un siRNA, a été publiée dans le New England Journal of Medicine (3). Le givosiran (Givlaari®) est un petit ARN interférant (siRNA) qui cible et régule de façon négative l’ALA synthétase hépatique-1 (4,5), réduisant ainsi la production d’ALA et de PBG. L’utilisation de givosiran était associée à une réduction significative de la fréquence des crises de porphyrie et des consultations aux urgences, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité de vie.

Le givosiran est disponible en Belgique depuis juillet 2021 et est administré à une dose de 2,5 mg/kg par voie sous-cutanée 1 fois par mois. Il est réservé aux patients adultes et adolescents (à partir de 12 ans) avec une porphyrie hépatique aigue (soit les 4 sous-groupes) présentant des crises fréquentes (≥ 2 crises nécessitant une hospitalisation sur les 6 derniers mois soit ≥ 4 crises/an) et doit être initié par un médecin associé à un centre EPNET (European Porphyria Network). Etant donné que le médicament est absorbé par les hépatocytes dans lesquels il diminue l’activité de l’ALA synthétase-1, quelques patients ont présenté une élévation de l’alanine aminotransférase et de l’aspartate aminotransférase sérique suffisamment importante pour justifier l’arrêt temporaire ou définitif du médicament. Il a également été associé à une légère augmentation du taux de créatinine sérique mais ce dernier point reste débattu. Quelques cas d’hyperhomocystéinémie ont également été décrits (6). Il n’est pas inutile de mentionner le prix du givosiran qui est vertigineux : 48 788 € pour une ampoule de 189 mg.

Références

  1. Balwani M, Desnick RJ. The porphyrias: advances in diagnosis and treatment. Blood. 2012;120:4496-4504.
  2. Pischik E, Kauppinen R. An update of clinical management of acute intermittent porphyria. Appl Clin Genet. 2015;8:201-214.
  3. Balwani M, Sardh E, Ventura P, Peiró PA, Rees DC, Stölzel U, et al; ENVISION Investigators. Phase 3 Trial of RNAi Therapeutic Givosiran for Acute Intermittent Porphyria. N Engl J Med. 2020 Jun 11;382(24):2289-2301.
  4. Sardh E, Harper P, Balwani M, et al: Phase 1 trial of an RNA interference therapy for acute intermittent porphyria. N Engl J Med. 380(6): 549–558, 2019.
  5. Wang B, Rudnick S, Cengia, Bonkovsy HL: Acute hepatic porphyrias: Review and recent progress. Hepatology Communications. 2019 ; 3:193−206.
  6. Petrides PE, Klein M, Schuhmann E, Torkler H, Molitor B, Loehr C, et al. Severe homocysteinemia in two givosiran-treated porphyria patients: is free heme deficiency the culprit? Ann Hematol. 2021 Jul;100(7):1685-1693.

Affiliations

1. Service de médecine interne et maladies infectieuses, Cliniques Universitaires Saint Luc-UCL, Bruxelles

*ont contribués de manière égale comme premiers auteurs

Correspondance

Dr. Halil Yildiz
Cliniques Universitaires Saint Luc-UCL
Service de médecine interne et maladies infectieuses
Avenue Hippocrate 10 B-1200 Bruxelles
halil.yildiz@uclouvain.be