Melanome nodulaire plantaire : à propos d’un cas

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Jean-Luc Kambire1, Souleymane Ouedraogo1, Fagnima Traore2, Salam Ouedraogo1, Tioulé Mamadou Traore3 Publié dans la revue de : Septembre 2017 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

Le mélanome cutané est rare en Afrique ; il est le plus souvent de type nodulaire ou acral lentigineux et de siège plantaire. Son diagnostic est tardif et son pronostic sombre. L’amélioration du taux de survie du mélanome passe par la promotion d’un diagnostic précoce. Nous rapportons le cas d’une tumeur ulcéro-bourgeonnante du talon évoluant depuis plus de deux ans chez une patiente de 30 ans pour atteindre 4 cm au moment de son diagnostic. L’examen histologique de la pièce d’exérèse a conclu à un mélanome nodulaire ulcéré avec un indice de Breslow supérieur à 4 mm, soit un stade T4b.

Mots-clés

Mélanome nodulaire, diagnostic

Article complet :

INTRODUCTION

Le mélanome cutané est une tumeur maligne développée aux dépens des cellules mélanocytaires. Il représente 5% des cancers cutanés mais est à l’origine de 75% des décès attribuables à ces cancers. En France, le mélanome cutané constitue le 6ème cancer chez la femme et le 8ème chez l’homme. Son incidence en France est estimée à 7,6/100000 habitants chez l’homme et 9,5/100000 habitants chez la femme (1,2). En Afrique, le mélanome est rare, mais il est presque toujours palmaire ou surtout plantaire, de type acro-lentigineux, avec, faute de diagnostic à ce stade, formation ultérieure d’un nodule d’évolution rapide. La forme nodulaire d’emblée est nettement plus rare. Sauf diagnostic dès le stade acro-lentigineux in situ, le pronostic est sombre, posant ainsi le problème de l’efficacité de sa prise en charge.

OBSERVATION CLINIQUE

Il s’agissait d’une patiente de 30 ans, admise en consultation de chirurgie pour une tumeur ulcéro-bourgeonnante plantaire évoluant depuis 3 ans. À l’examen, on notait une altération de l’état général et une anémie clinique ; au niveau locorégional, on notait au talon droit, une tumeur ulcéro-bourgeonnante asymétrique, à bordure irrégulière, hyper pigmentée, de 5 cm de grand axe. Au niveau inguinal droit, on notait une adénopathie d’aspect ulcéro-bourgeonnant, d’environ 12 cm de grand axe.
L’examen de l’appareil digestif objectivait des adénopathies abdominales et au niveau pulmonaire, un épanchement liquidien pleural droit.
L’hypothèse de mélanome plantaire avec métastases ganglionnaires et pulmonaire a été posée. L’échographie abdominale a objectivé de multiples adénopathies mésentériques et latéro-aortiques de même qu’une pleurésie droite de grande abondance. Le bilan biologique a révélé une anémie avec un taux d’hémoglobine à 7g/dl. Il a été réalisé une exérèse de propreté de la tumeur plantaire et de l’adénopathie inguinale.
Les suites opératoires immédiates ont été simples avec cicatrisation des plaies opératoires au bout d’un mois. L’examen histologique des pièces d’exérèse a conclu à un mélanome nodulaire ulcéré, avec un indice de Breslow supérieur à 4 mm, suggérant un stade T4b. Aucune chimiothérapie palliative, ni aucune immunothérapie n’ont été entreprises du fait de leur inaccessibilité géographique et le décès de la patiente est survenu au bout de 5 mois.

DISCUSSION

Le mélanome cutané est une tumeur maligne rare en Afrique. Son incidence est estimée à 0,4 pour 100.000 habitants (3). À l’opposé, cette incidence est en augmentation chez les sujets caucasiens de 3 à 7% par an; en France, elle est estimée à 7,6 pour 100.000 habitants chez l’homme et à 9,5 pour 100.000 habitants chez la femme (1,2). La prédominance féminine de l’affection n’est pas partagée par certaines séries africaines (4,5,6). Notre observation a porté sur un sujet de sexe féminin.

La survenue du mélanome dans la population caucasienne est en rapport avec les facteurs de risques que sont le phénotype clair, l’incapacité à bronzer et l’exposition au soleil. En Afrique, on incrimine l’immunodépression liée au virus de l’immunodéficience humaine, les ulcérations chroniques, l’inflammation, l’albinisme et l’exposition aux ultra-violets (1,2). Outre ces facteurs de risque, le mélanome survient sur un terrain de prédisposition génétique. En effet, une mutation sur les gênes CDKN2A et CDK4 situés respectivement sur les chromosomes 9 et 12 entraine l’apparition de mélanome. Par ailleurs, le gêne BRAF est impliqué dans plus de la moitié des mélanomes métastatiques (7).

Cliniquement, le mélanome se présente sous plusieurs formes : le mélanome d’extension superficielle, le plus fréquent dans 70% des cas, le mélanome de Dubreuilh et le mélanome acral lentigineux. Ces formes sont dites superficielles et s’opposent au mélanome nodulaire qui se manifeste dans 15% des cas. Notre patiente présentait un mélanome nodulaire plantaire avec métastase ganglionnaire comme nous le présentent les figures 1 et 2. L’aspect ulcéro-bourgeonnant de siège plantaire est rapporté par plusieurs séries africaines (4,5,8,9) et la confirmation diagnostique reste histologique. L’immunohistochimie à travers la recherche d’anticorps anti-Melan A, anti-protéine S100 et l’anticorps HMB45 peut compléter l’histologie (10). Cette recherche immuno-histochimique n’a pas été pratiquée dans notre observation. Du reste, elle n’est pas nécessaire dans les formes évidentes. Les types histologiques acral lentigineux et nodulaire sont les plus fréquemment observés chez le phénotype noir avec une prédominance du type nodulaire à localisation acrale (4,8,9). Le retard diagnostique est classique et les formes métastatiques fréquentes.

Le traitement du mélanome demeure une préoccupation majeure et la chirurgie prend une part importante dans ce traitement. Elle vise à réaliser une exérèse carcinologique. Toutefois, ceci n’est pas toujours réalisable dans les stades avancés comme dans notre observation où la patiente présentait une métastase pulmonaire. Une exérèse de propreté a alors été réalisée comme le montre la figure 3.

Des mesures complémentaires incluant la chimiothérapie, l’immunothérapie, les thérapies ciblées et dans une moindre mesure la radiothérapie s’imposaient. Ces thérapies complémentaires sont inaccessibles géographiquement dans certaines régions en Afrique au sud du Sahara comme dans notre observation. Si les suites opératoires immédiates ont été simples chez notre patiente comme nous le présentent les figures 4 et 5, elle est décédée au bout de 5 mois. En effet, le pronostic du mélanome métastatique est sombre. La moyenne de survie est de seulement 6 à 9 mois et la survie à 5 ans est de moins de 5% (1,2). Les facteurs pronostiques prennent en compte l’indice de Breslow, le type histologique, la présence d’une ulcération et le niveau de Clark. En regard du sombre pronostic du mélanome, la priorité doit être donnée à la prévention primaire et secondaire. Toute tache pigmentée plantaire évolutive devrait faire l’objet d’une biopsie et, en cas de diagnostic de mélanome acral lentigineux, d’une exérèse élargie.

CONCLUSION

Le mélanome est une pathologie rare en Afrique. Il se manifeste sous plusieurs formes. La forme nodulaire à prédominance acrale est prépondérante. Son diagnostic repose sur l’histologie. Ce diagnostic est le plus souvent tardif, au stade métastatique, aggravant ainsi son pronostic. La promotion de la prévention primaire et secondaire est indispensable à la détection précoce du mélanome

Affiliations

  1. Assistants de Chirurgie générale au centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya
  2. Assistant de Dermatologie au centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya
  3. Assistant d’Urologie au centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya

Correspondance

Dr. Jean Luc Kambire
Assistant de chirurgie générale
Centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya
Tél : 70338914
Email : jeanluckambire@yahoo.fr

Références

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