« Médecin retraité » et poursuite d’activités médicales en Afrique

Précédent
Augustin Ferrant Publié dans la revue de : Janvier 2018 Rubrique(s) : Ama Contacts
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

L’abandon de ses activités professionnelles pour raison d’âge, alors que les capacités physiques et mentales semblent encore adéquates, peut être malaisé. Il est fréquent de rencontrer des personnes, admises récemment à la pension, qui manifestent leur désarroi. Il survient parfois un sentiment d’inutilité, surtout si les activités professionnelles ont été prenantes, ne laissant que peu d’espace à la préparation à une vie de pensionné(e).

Article complet :

La profession médicale donne souvent l’occasion de poursuivre des activités ; néanmoins, en médecine hospitalière, beaucoup d’institutions interdisent la poursuite d’une pratique médicale à partir d’un âge prédéfini par eux.

En ce qui me concerne, il persistait des possibilités et une demande de poursuivre des travaux d’ordre administratif dans des instances non – universitaires, mais ce type d’activités, réalisées en dehors de la réalité clinique, ne m’intéresse que peu, me plaçant dans une catégorie professionnelle réservée à des personnes avec des motivations et des intérêts différents.

Une opportunité de poursuivre une activité médicale clinique au Togo s’est ouverte à moi, suite à une rencontre avec deux époux médecins généralistes.

Leur retraite, toujours bien occupée, comprend des séjours dans le centre médical « La Source » à Sokodé, au Togo. Ils m’ont interrogé sur mon intérêt à exercer dans ce centre, pour des périodes de 2 à 3 mois.

Dans un premier temps, j’étais indécis, ma spécialité médicale étant pointue, et nécessitant de prescrire des traitements et une technologie trop avancés pour être utiles dans un pays émergeant. Mon apport, comme médecin spécialiste, dans des établissements médicaux moins avancés me posait aussi question. Néanmoins, la perspective de continuer des activités cliniques dans une structure avec un bon équipement de base, et l’espoir de rendre service, me séduisaient ; aussi, la formation de spécialiste sur large assise de médecine interne (merci aux Prs Arcq et Michaux), limite l’écueil d’avoir exercé une médecine très spécialisée durant la plus grande partie de la carrière.

J’ai donc dans un premier temps été informé par mes deux collègues médecins généralistes, puis par le Dr François Vignon qui est responsable médical au sein de la Communauté du Puits de Jacob qui gère le centre médical « La Source ».

J’ai surtout pu compter sur l’accord et la très aimable tolérance de mon épouse, déjà habituée à mes présences limitées au domicile. Néanmoins, mes abandons temporaires, regrettables, de mes obligations familiales ne me laissent pas indifférent. Elle avait envisagé de m’accompagner, mais son activité d’orthopédagogue et son implication dans l’intégration de réfugiés sont restés prioritaires.

 

LE CENTRE MÉDICAL « LA SOURCE » DE LA COMMUNAUTÉ DU PUITS DE JACOB (1)

La Communauté du Puits de Jacob s’est formée, en 1977, autour d’un groupe d’étudiants à Strasbourg, inspiré par le père jésuite, Bertrand Lepesant. Cette communauté fut d’emblée franco – togolaise, comprenant un médecin togolais et son épouse, médecin également. À la demande de l’évêque de Sokodé, Mgr Ambroise Djoliba, le père Lepesant créait une communauté à Sokodé, en 2002. Une orientation médicale de cette implantation était estimée souhaitable, la région étant peu servie en structures de soins de qualité. Grâce à de généreux soutiens financiers, les travaux du centre médical ont débuté en 2007, et il a ouvert ses portes en 2010.

Le centre est ouvert à des consultations de médecine générale et de gastro-entérologie, avec présence de 2 médecins généralistes et du gastro-entérologue qui effectue gastroscopies et colonoscopies. Des médecins spécialistes en diabétologie, cardiologie, dermatologie et hématologie y exercent à titre temporaire et volontaire. En pratique, 3 à 4 médecins sont présents pour les consultations et pour les patients hospitalisés. Chaque médecin reçoit 10-15 patients par jour, et un rôle de garde et de responsabilité pour les patients hospitalisés est organisé.

Les pathologies chirurgicale et obstétricale ne sont pas prises en charge.

Le laboratoire, très performant, est dirigé par une médecin biologiste, et effectue les examens biologiques courants et les examens bactériologiques.

Un appareil de radiologie récent et un échographe sont l’équipement d’imagerie.

Il y a 13 lits d’hospitalisation, avec une chambre d’isolement, et un local pour soins intensifs.

 

LA SANTÉ AU TOGO

L’organisation médicale gouvernementale au Togo comprend des unités de soins périphériques, des hôpitaux de district, des hôpitaux régionaux (n=6), et des centres hospitaliers universitaires (n=3). En dehors de ces structures, il y a nombre d’ONGs, dont le centre médical « La Source », qui gèrent des dispensaires et des centres médicaux.

Une minorité des patients (+/-10 %) est couverte par une assurance médicale, telle l’INAM (Institut National Assurance Maladie) pour les employés de l’État du Togo que sont les militaires, les fonctionnaires et les enseignants. Il y aussi des assurances privées et des mutuelles. Les autres patients paient les frais médicaux par leurs propres moyens. Le prix de la consultation, des examens et des médicaments restent souvent des dépenses que les ménages ne peuvent se permettre.

Au Togo, comme dans toute l’Afrique, la médecine traditionnelle continue de jouer un grand rôle dans les soins de santé primaire. Cette médecine couvre les besoins d’environ 80 % de la population. Presque tous les togolais y ont au recours, d’une manière ou d’une autre, parallèlement ou consécutivement à la médecine moderne. Les raisons de l’attachement de la population aux remèdes traditionnels reposent sur plusieurs facteurs : des facteurs culturels - la pharmacopée traditionnelle est fortement ancrée dans la tradition -, et des facteurs économiques : les médicaments occidentaux sont souvent plus chers. Aussi, l’accès aux médications est fréquemment problématique, devant non seulement leur prix et mais aussi leur manque de disponibilité. Les nouveaux médicaments sont financièrement inabordables, même pour les « assurés ». En plus, il y a des médications vendues sur le marché public qui ne sont pas conformes. Heureusement, les traitements de la tuberculose, du SIDA et du paludisme sont fournis, en grande partie, par le Global Fund. La pauvreté est préoccupante.

L’indice de développement humain du Togo atteint 0,484. Le pays se classe ainsi à la 162ème place sur 188 pays. 28 % de la population vit avec moins de 1.25 $US par jour. Par rapport à l’utilisation de l’eau, on note un accès à l’eau potable pour près de 60 % de la population.

Les dépenses de santé couvertes par l’état représentent 5,2 % du produit intérieur brut total (2014). Le nombre de médecins reste faible (0,05 pour 1000 habitants). Le taux de mortalité infantile était de 45 pour 1000 en 2015.

Le paludisme reste la première cause des admissions hospitalières et de consultation dans les centres de santé.

L’hypertension artérielle est courante, de même que le diabète. Une autre pathologie fréquemment rencontrée est l’anémie. Parmi les anémies, il y a la drépanocytose qui affecte beaucoup d’habitants.

L’observance des médications reste difficile, encore devant le manque de moyens. Le patient désire un traitement bref et efficace.

Le manque d’intérêt et de motivation de cotiser pour une mutuelle ou une assurance aggravent encore la précarité en cas de problème de santé.

En dehors des centres médicaux, la prescription de médications, en particulier d’antibiotiques, d’antipaludéens et de médications contre les parasites intestinaux est souvent erratique. Les infirmiers ont possibilité de prescrire des médications, et il n’est pas rare qu’en cas de fièvre, un cocktail comprenant antibiotique, antipaludéen et antiparasitaire soit prescrit. La résistance de germes aux antibiotiques devient préoccupante.

Les possibilités d’imagerie médicale sont limitées : il n’y a pas de CT-scan à Sokodé, seconde ville du pays avec 123 000 habitants, et le scanner à l’hôpital universitaire de Kara, situé à 50 km, est non fonctionnel depuis plus d’un an.

Il n’y a pas assez de centres pour prise en charge de pathologies spécialisées.

L’informatisation des services médicaux, tant au niveau gouvernemental qu’au niveau des hôpitaux, laisse à désirer.

 

LA PRATIQUE MÉDICALE DANS UN CENTRE MÉDICAL

Malgré les aspects positifs repris plus loin, la pratique médicale se heurte à des difficultés. Parmi elles, il y a la tendance à ne pas modifier des attitudes thérapeutiques pouvant être désuètes, ce qui est parfois un obstacle à l’entente parfaite entre médecins et personnel paramédical local. Aussi, la notion d’urgence, avec nécessité d’intervention rapide, apparaît moins développée que chez les collègues occidentaux. Le manque d’anticipation est courant.

Le médecin doit exercer sa profession tenant compte des ressources diagnostiques et thérapeutiques limitées, et aussi des pauvres moyens des patients.

Devant ces limites, l’humilité et la modestie restent de mise. Il ne s’agit pas d’arriver comme le sauveur miraculeux, ni comme riche mécène blanc. Il faut admettre que le manque de moyens d’investigation mène à des erreurs de diagnostic, et à des traitements d’épreuve parfois hasardeux et associés à un coût financier. Frustration aussi devant la perte de patients qui, avec nos moyens occidentaux, auraient dû guérir. Tristesse devant des patients qui abandonnent des traitements par manque de moyens financiers. Mais les déceptions sont adoucies par les malades qui sont améliorés par des traitements simples.

Souvent, le médecin se retrouve dans la situation des années 1970, où nous n’avions à notre disposition que la clinique, une radiologie simple, des examens de laboratoire limités, et un arsenal thérapeutique à l’époque réduit.

Une autre difficulté rencontrée par les médecins occidentaux est la barrière de la langue. Bien que le français soit la langue officielle du Togo, il n’est pratiqué que par environ 50 % de la population.

Nous retrouvons toujours l’importance de l’anamnèse, souvent recueillie à l’aide d’une ou un traduct(rice)eur, et la valeur majeure de l’examen clinique. Les plaintes des patients sont multiples – ils profitent de la visite médicale pour relater une série de symptômes ; il peut être difficile d’isoler la plainte principale.

Parmi les patients vus en consultation, les patients vus « de novo » sont plus nombreux que ceux connus ou qui consultent dans le cadre d’un suivi.

Le médicament est davantage valorisé que la consultation ou l’avis. Les différences culturelles devant la maladie et la fin de vie sont importantes – très difficiles, si pas impossibles à intégrer.

L’apprentissage des moyens diagnostiques et thérapeutiques locaux, sans oublier l’organisation du centre médical, nécessite une période d’adaptation élémentaire d’environ un mois au moins. La courbe d’apprentissage est asymptotique: rapide au premier mois, elle se ralentit par après, et n’approchera pas le sommet - il restera toujours des connaissances à parfaire en médecine africaine.

De manière surprenante, les contraintes administratives, surtout pour les patients assurés, sont lourdes.

Parmi d’autres contrariétés, citons l’éloignement, le climat, l’alimentation africaine, l’accès à l’Internet parfois erratique et souvent désespérément lent, la gestion africaine du temps - « élastique » -, le blanc perçu comme mécène pourvoyeur de cadeaux et prié de débourser davantage pour un même service. Méfiance aussi des autochtones envers la science de l’Occident, qui ne tiendrait pas compte des réalités du continent noir.

 

CONSIDÉRATIONS POUR CONCLURE

Pour nous médecins occidentaux, qui avons accès à une imagerie de qualité, aux examens biologiques de pointe, et aux dernières médications, se pose la question de notre valeur ajoutée, en comparaison avec notre possible contribution dans notre pays d’origine. La réponse à la question variera bien entendu d’un médecin à l’autre. Mais de prime abord, le manque de médecins en Afrique, surtout hors des capitales, justifie la présence de médecins étrangers. Le bilan « médico-économique » paraît positif, avec aide à plus de patients, avec des moyens limités; ce bilan devant être toutefois nuancé devant les différences culturelles quant au vécu de la maladie et la fin de vie.

Souvent des traitements simples et peu onéreux font des miracles. Mais l’arrivée tardive dans les centres de soins rend les approches thérapeutiques malheureusement fréquemment vaines.

Au centre médical, les capacités techniques des infirmiers sont remarquables. Beaucoup ont une bonne compétence pour le diagnostic d’affections courantes au Togo. Les francs échanges avec eux sont enrichissants.

Notre rôle est aussi de participer à l’éducation médicale, avec promotion de la notion de médecine basée sur l’évidence, permettant par ce biais d’aider dans l’immédiat des patients, et aussi de dégager des économies, tout en offrant une approche à une amélioration du système de santé local.

La gratitude des patients est valorisante, mais il y a lieu d’éviter le narcissisme qui pourrait faire suite à ces remerciements.

Malgré leur situation économique peu enviable, les patients sont remarquablement tolérants. Ils montrent beaucoup de respect pour nos approches thérapeutiques. Leur solidarité familiale dans l’adversité est exemplaire.

Aussi, une meilleure connaissance de l’Afrique et de ses habitants est pour nous d’un apport éclairant.

Pour finir, le support moral et logistique de la Communauté du Puits de Jacob est fort apprécié, tout comme les partages avec les médecins et collaborateurs du centre médical « La Source ». Les conditions d’hébergement correctes contribuent au bon déroulement des séjours du personnel médical et paramédical volontaire.

La Communauté qui a mis en place ce centre médical mérite ainsi reconnaissance et un large soutien.

 

NOTE

  1. http://augustinferrant.website