Maladie de Crohn et rectocolite : quelle stratégie thérapeutique ?

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Olivier Dewit Publié dans la revue de : Mai 2018 Rubrique(s) : Congrès UCL de Médecine Générale
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Résumé de l'article :

Durant la dernière décennie, la stratégie thérapeutique des MICI a été modifiée par la capacité des traitements à cicatriser les lésions. L’objectif est actuellement de traiter au-delà des symptômes, pour atteindre une rémission profonde. En agissant précocement avec des médicaments efficaces, tels les immunosuppresseurs et les biologiques, on empêche davantage la survenue de dommages irréversibles. Cette stratégie de traiter jusqu’à atteindre cet objectif prédéfini, impacte l’histoire de la maladie en diminuant les complications, les hospitalisations et le recours à la chirurgie. Un contrôle strict par des paramètres objectifs est nécessaire pour vérifier l’adéquation du traitement et réaliser les éventuels ajustements afin d’atteindre cette rémission profonde.

Mots-clés

MICI, Maladie de Crohn, Rectocolite, stratégie de traitement, cicatrisation muqueuse, rémission profonde

Article complet :

L’incidence des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) est en augmentation, non seulement dans les pays « occidentaux » (plus de 2 millions d’européens et 1,6 millions d’américains sont atteints), mais également dans les autres pays du monde récemment industrialisés (1). La maladie de Crohn (MC) et la Rectocolite (RC) font dès lors l’objet d’énormément de recherches tant fondamentales, génétiques, environnementales que thérapeutiques. Nos traitements ont évolué au cours de ces deux dernières décennies avec notamment l’arrivée de traitements biologiques qui ont eu un impact important sur la prise en charge des maladies.

 

STRATÉGIE POUR MODIFIER L’HISTOIRE NATURELLE DES MICI

Appelons histoire naturelle l’évolution habituelle des MICI. Les médicaments ont pour but de modifier ou d’enrayer le processus inflammatoire chronique qui altère anatomiquement les zones atteintes du tube digestif. Notre objectif thérapeutique a évolué au cours de la dernière décennie : il est passé du contrôle ou de l’arrêt des symptômes à une cicatrisation, si possible complète, des lésions. Notre but principal demeure l’amélioration ou la normalisation de la qualité de vie du patient, à court, moyen et long terme. Or, les poussées inflammatoires successives entrainent des dommages irréversibles qui impacteront négativement la vie du patient, notamment par la perte de fonction engendrée (2). Près de 30 % des RC et 70 à 80 % des MC vont devoir subir une intervention chirurgicale. L’objectif d’amélioration « anatomique » de l’intestin est devenu possible grâce à l’utilisation de traitements efficaces (immunomodulateurs ou biologiques). Un patient dont les lésions ont cicatrisé présente moins de risque de chirurgie ou d’hospitalisation, en d’autres termes une maladie de bien meilleur pronostic (Figure 1). Les experts s’accordent pour souligner qu’une intervention thérapeutique efficace précoce est nécessaire pour enrayer le processus. Tous les potentiels nouveaux médicaments des MICI sont testés pour cette « capacité à cicatriser ». Dès lors, il est important d’expliquer au patient que son suivi ne s’arrête pas à ses symptômes et, que même en période de rémission, un suivi médical est nécessaire. Nous lui expliquons la différence entre « rémission clinique » (absence de symptômes) et « rémission profonde » (absence de lésions) qui devient le nouvel objectif thérapeutique. Ce dernier ne peut être atteint qu’en surveillant l’évolution (silencieuse entre les poussées), pour dépister son activité et agir avec efficacité avant que des dégâts irréversibles ne s’installent. En effet, le processus inflammatoire non contrôlé mène à différentes complications telles que fibrose de la paroi et perte de compliance de l’intestin, sténose, fistule voire cancer. Une stratégie de contrôle étroit de l’activité de la maladie est proposée et comprend les outils de surveillance suivants : biologie, calprotectine (remboursée 2x/an dans le suivi de la maladie de Crohn en Belgique), échographie, RMN ou iléo-coloscopie. Cette stratégie, notamment d’ajustement des traitements en fonction de ces paramètres paracliniques, permet d’obtenir davantage d’efficacité de nos médicaments (escalade ou désescalade thérapeutique) (3). Il demeure essentiel d’optimaliser au maximum le traitement utilisé (compliance, ajuster la dose, la fréquence, …) avant de considérer son échec et de changer de molécule. Le but est d’être proactif plutôt que réactif, pour une amélioration sur le long terme !

 

LES TRAITEMENTS DES MICI

Les tableaux 1 et 2 reprennent les traitements de la MC et de la RC. Les principales différences apparaissent en couleurs. Les aminosalicylés (les 5-ASA) sont très efficaces dans la RC et demeurent le traitement de première ligne. Par contre, dans la MC, ils ne sont plus repris dans les « lignes de conduite thérapeutique » européennes (4). Ils ont un possible effet chémopréventif du cancer colorectal et sont dès lors également utilisés dans cette indication dans les deux maladies. Les corticoïdes (CS) classiques ou topiques (moins d’effets systémiques) sont un traitement de la poussée, et jamais utilisés en traitement de fond. Autant il peut être difficile de convaincre un patient d’utiliser des CS lors d’une première poussée, autant il faut se méfier de l’automédication une fois que le patient a « goûté » à l’efficacité de ces CS. Par ailleurs, ils ne sont pas efficaces, voire délétères en cas de fistule. Des immunosuppresseurs (IS) et/ou des biologiques sont introduits chez un patient corticoréfractaire, pour lutter contre une corticodépendance ou pour modifier l’histoire naturelle d’une maladie potentiellement invalidante. Parmi les IS, les Thiopurines (Azathioprine, Mercaptopurine) sont les plus utilisés tant dans la MC que dans la RC. Le Methotrexate n’a démontré son efficacité que pour la MC.

La Ciclosporine est principalement utilisée en cas de colite grave hospitalisée ne répondant pas aux CS intra-veineux. Les biologiques (anticorps dirigés contre une protéine spécifique) sont remboursés si la maladie demeure évolutive malgré 3 mois de CS et/ou d’IS ou s’il existe une intolérance ou une contre-indication à ces traitements. Ils diffèrent notamment selon leur voie d’administration, leur mode et rapidité d’action. Parmi ces biologiques on distingue :

Les anti-TNF : ils sont utilisés depuis 20 ans dans les MICI. En Belgique, plusieurs biosimilaires de l’infliximab (premier des anti-TNF utilisé) sont disponibles et leur arrivée a permis (par le principe de concurrence) une diminution du coût du médicament. Des biosimilaires de l’adalimumab sont également attendus. Le golimumab n’est remboursé que dans la RC. Les Anti-TNF ont démontré une capacité à induire une cicatrisation rapide et durable. Logiquement, chez ces patients cicatrisés, les hospitalisations et les interventions chirurgicales ont diminué.

Le Vedolizumab (Entyvio®) : médicament anti-adhésion des globules blancs ou « anti-intégrine α4β7 », sélectif du tube digestif. Le mode d’action consiste à empêcher la migration des lymphocytes depuis l’endothélium vasculaire digestif vers la muqueuse intestinale. Cette action est ciblée puisqu’elle s’exerce exclusivement sur les vaisseaux digestifs. Les lymphocytes n’accèdent plus au tissu malade, l’inflammation n’est plus « entretenue » et s’éteint progressivement. Ce médicament est disponible en Belgique depuis septembre 2015 tant dans le traitement de la maladie de Crohn que de la Rectocolite. Il s’administre en intra-veineux, en hôpital de jour, selon le même schéma que l’infliximab (0, 2, 6 semaines puis toutes les 8 semaines).

L’Ustekinumab (Stelara®) : anti-Il12/Il23. Ce médicament est utilisé en Belgique depuis 2009 pour le traitement du psoriasis réfractaire. Il ne s’agit donc pas d’un « nouveau médicament ». Il n’est remboursé dans la maladie de Crohn que depuis le 1er septembre 2017. Ses indications sont les mêmes que pour les autres biologiques. En bloquant les interleukines 12 et 23, il empêche la différenciation des lymphocytes naïfs en lymphocytes Th1/Th17, la sécrétion de nombreuses cytokines pro-inflammatoires (dont le TNFα), la multiplication des lymphocytes activés, et dès lors l’ensemble du processus inflammatoire. La première dose est intraveineuse, suivie d’injections sous-cutanées tous les 2 à 3 mois.

Le profil de sécurité de ces deux derniers biologiques semble très bon, puisqu’aucun effet secondaire significatif n’a été répertorié à ce jour dans les études princeps et les cohortes de suivi. Ils sont également tous les deux capables d’amener une cicatrisation des lésions. Le tableau 3 reprend la capacité de cicatrisation des différents médicaments.

Les biologiques ne sont plus considérés comme des traitements de la « dernière chance », comme cela a été le cas lors des premiers pas de l’infliximab. Les données sur leur efficacité, leur profil de sécurité (bien meilleur que les CS ou les IS) se sont accumulées et justifient leur utilisation de plus en plus précoce dans l’histoire de la maladie pour en modifier son évolution (tableau 4). Cependant Il n’existe pas une forme unique MC et de RCUH mais de très nombreuses présentations différentes. L’éventail varie de maladies bénignes, nécessitant peu ou pas de traitements jusqu’à des formes extrêmement sévères et déla- brantes. Il en résulte que le traitement doit être adapté au cas par cas selon une balance bénéfice/inconvénient évaluée par le gastro-entérologue et discutée avec le patient. De nombreuses recherches sont menées pour tenter de trouver des éléments prédictifs de mauvaise évolution, afin de mieux cibler les patients qui pourraient bénéficier d’un traitement « intensif » précoce.

Nous ne sommes pas encore capables de guérir ces maladies. Cependant, notre arsenal thérapeutique se renforce et est de mieux en mieux utilisé afin améliorer durablement la qualité de vie de nos patients.

 

POINTS CLÉS

  • Il n’existe pas une forme unique MC et de RCUH mais de très nombreuses présentations différentes. Il en résulte que le traitement doit être adapté au cas par cas selon une balance bénéfice/inconvénient évaluée par le gastro-entérologue et discutée avec le patient.
  • Nous bénéficions de plus en plus de médicaments efficaces, même si la guérison complète n’est pas encore à l’ordre du jour.
  • Les anti-TNF ont profondément amélioré la prise en charge des patients MICI et contribué à modifier les objectifs des traitements.
  • On peut aujourd’hui modifier l’histoire naturelle de la maladie en visant la cicatrisation des lésions et réduire ainsi l’impact négatif de la maladie (qualité de vie, hospitalisation, chirurgie).
  • D’autres médicaments biologiques viennent renforcer l’arsenal thérapeutique…et d’autres suivront. Les MICI font partie des maladies les plus étudiées de la gastro-entérologie, et ce, dans le monde entier.
  • L’impact du tabac et celui de l’observance aux traitements doivent rester bien présents à l’esprit des patients.

 

CORRESPONDANCE

Pr. Olivier Dewit

Cliniques universitaires Saint-Luc
Hépato-gastroentérologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
olivier.dewit@uclouvain.be

 

RÉFÉRENCES

  1. Kaplan GG, Jess T. The Changing Landscape of Inflammatory Bowel Disease: East Meets West. Gastroenterology. 2016; 150:24–26. Ouvrir dans PubMed
  2. Pariente B, Mary JY, Danese S, et al. Development of the Lémann index to assess digestive tract damage in patients with Crohn’s disease. Gastroenterology. 2015, 148:52-63. Ouvrir dans PubMed
  3. Gomollon F, Dignass A, Annese V, et al. 3rd European Evidence-based Consensus on the diagnosis and management of Crohn’s disease 2016: part 1: Diagnosis and Medical management. J Crohn’s Colitis. 2017; 11:3-25 Ouvrir dans PubMed
  4. Colombel Jf, Panaccione R, Bossuyt P, et al. Effect of tight control management on Crohn’s disease (CALM): a multicenter, randomized, controlled phase 3 trial. Lancet. 2018; 390:2779-89 Ouvrir dans PubMed