L’Ordre des médecins fait son aggiornamento

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Maurice Einhorn Publié dans la revue de : Avril 2019 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

C’est une nouvelle réforme du Code de déontologie qu’a introduit il y a près d’un an le Conseil national de l’Ordre des médecins, soucieux de suivre les évolutions, de plus en plus spectaculaires, de la pratique médicale. Le Conseil national de l’Ordre entend notamment mettre aujourd’hui l’accent sur son rôle de conseil plus que sur son rôle répressif.

Article complet :

C’est une nouvelle réforme du Code de déontologie qu’a introduit il y a près d’un an le Conseil national de l’Ordre des médecins, soucieux de suivre les évolutions, de plus en plus spectaculaires, de la pratique médicale. Le Conseil national de l’Ordre entend notamment mettre aujourd’hui l’accent sur son rôle de conseil plus que sur son rôle répressif. C’est pour mieux nous éclairer à propos de la philosophie qui a sous-tendu cette réforme que nous avons interrogé à ce sujet le vice-président francophone du Conseil national de l’Ordre des médecins, le professeur Jean-Jacques Rombouts. Au-delà de la carrière brillante dont il peut se targuer (lire encadré), le Pr Rombouts incarne parfaitement l’esprit qui a présidé à cette nouvelle réforme du Code de déontologie médicale.

Une brillante carrière

Né en 1941, Jean-Jacques Rombouts obtient son diplôme de docteur en médecine, chirurgie et accouchements, en 1966. C’est en 1971 qu’il obtient sa reconnaissance en chirurgie orthopédique.

La place nous manque ici pour détailler toutes les fonctions qu’il a assumées tout au long de sa carrière, mais soulignons celles de directeur de l’administration des stages de la Faculté de médecine de l’UCLouvain, de chef du service de chirurgie orthopédique et de traumatologie aux Cliniques Universitaires Saint-Luc et de Doyen de la Faculté de médecine de l’UCLouvain.

Il est par ailleurs auteur ou co-auteur de plus de 100 publications scientifiques.

Il est entré comme membre nommé au Conseil National de l’Ordre des Médecins en 2008 et en assure la vice-présidence francophone depuis 2012.

La structure du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM)

La loi qui détermine le fonctionnement ordinal et qui date de 1967, il y a donc plus de 50 ans, précise que la présidence du Conseil national de l’Ordre des médecins est assumée par un magistrat bilingue, qui est actuellement Benoît Dejemeppe, président de section à la Cour de cassation, garant de son bon fonctionnement dans le cadre de nos institutions. Le président, dont le suppléant est Edward Forrier, président émérite de section de la Cour de cassation, est flanqué de deux vice-présidents, l’un du rôle francophone, qui est précisément le Pr Rombouts (avec le Pr Martin Buysschaert comme suppléant), l’autre du rôle néerlandophone, le Pr Michel Deneyer, de la VUB, ces derniers étant élus par les membres du Conseil national de l’Ordre.

Le Conseil national (CNOM) est l’organe législatif qui produit le Code de déontologie ainsi que les avis, qui constituent des données normatives destinées à guider le comportement des médecins et qui sont édictés à raison de quatre à cinq par mois en moyenne. La fonction disciplinaire relève, elle, des Conseils provinciaux, qui sont composés exclusivement de membres élus, dont le nombre varie selon les provinces en fonction des effectifs médicaux de celles-ci. Les médecins qui en font partie sont assistés par un magistrat, qui joue le rôle d’assesseur.

A côté du président et des vice-présidents, le Conseil national est encore composé de dix membres, désignés par chacun des Conseils provinciaux, ainsi que des membres nommés sur proposition des six universités qui existaient en 1967, ce qui signifie qu’à l’heure actuelle celles d’Anvers, de Mons et de Namur sont encore exclues du jeu. Tout ce qui est produit par le Conseil national l’est par un consensus de seize personnes, en plus des magistrats impliqués dans la structure ordinale.

C’est en fonction de son rôle normatif que le Conseil national édicte le Code déontologie, dont la version la plus récente date de 2018.

En ce qui concerne l’histoire de l’Ordre lui-même, on peut dire qu’elle commence sous une mauvaise étoile. Créé par une loi de 1938, l’Ordre n’a pas été mis en place avant l’invasion allemande(1,2). C’est l’occupant qui l’a fait, ce qui a donné lieu à un comportement odieux de ses membres, avec des morts, des déportations et notamment l’interdiction faite aux médecins de soigner des patients juifs, rappelle le Pr Rombouts. L’Ordre a donc logiquement été dissout en 1945 et ses présidents emprisonnés. Il a progressivement été remis en route en 1947, époque qui était encore celle de la Régence, sur base d’un nouveau texte et non de celui de 1938. L’organisation actuelle est donc déterminée par la loi de 1967, introduite à l’initiative d’un gouvernement qui fonctionnait sous un régime de pouvoirs spéciaux, donc sous forme d’un Arrête royal qui n’a pas fait l’objet d’un vote au Parlement.

1 Noterman J. Revue Médicale de Bruxelles 2014;35:94
2
Noterman J. Bulletin du Conseil national. 136, p. 22

Un premier Code de déontologie complètement élaboré en 1975

Si les bases du Code de déontologie ont été jetées en 1950, le premier code complètement élaboré, avec ses 182 articles, date de 1975. L’historique particulier des instances ordinales explique partiellement les contestations qui visent périodiquement l’Ordre des médecins, d’autant plus que « l’on a eu un Ordre qui était extrêmement conservateur à une époque », rappelle J-J. Rombouts. Et de citer comme exemple le délai de cinq ans qu’il a fallu à l’Ordre pour changer le Code de déontologie suite au vote de la loi sur l’euthanasie. « Ces dix dernières années, nous avons constamment veillé à rajeunir l’Ordre et à agir pour que le Code soit en concordance avec l’évolution de la société. Cette volonté est illustrée par le nouveau Code de déontologie de mai 2018. De 1986 à 2011, les lois qui ont déterminé les contours du droit médical ont ainsi révolutionné celui-ci, de celle de 1986 sur la transplantation à celle de 2004 relative aux expérimentations humaines, en passant successivement par celles sur l’IVG, l’euthanasie, les soins palliatifs et les droits des patients. L’aménagement des prescriptions concernant le secret médical ont suivi en 2011 et 2017 à la suite de modifications du Code pénal, découlant principalement de l’affaire Dutroux et des attentats terroristes. C’est ainsi qu’aujourd’hui, le médecin confronté à la maltraitance de personnes vulnérables ou d’enfants a le devoir moral et légal de dénoncer les faits commis à cet égard et dont il a eu connaissance. » Le Pr Rombouts se montre tout à fait d’accord concernant cette dénonciation dans le cas de maltraitance de personnes vulnérables. On le sent moins enthousiaste au sujet du volet concernant le terrorisme, car « on passe là de la protection de l’individu, qui est la tâche normale du médecin, à la protection des individus et de la société ». Pour ce qui est du grignotage du caractère absolu du secret médical il ne faut pas oublier non plus qu’un nombre croissant de médecins travaillent avec des équipes pluridisciplinaires, donc en collaboration étroite avec des non-médecins. Dans ces cas prévaut la notion de secret médical partagé, qui est aussi la règle pour les dossiers médicaux en milieu hospitalier.

Une conception moins absolue et rigide du secret médical

Pour illustrer le caractère délicat de la question, le Pr Rombouts s’attarde notamment sur le cas du co-pilote de la compagnie allemande Germanwings qui a volontairement provoqué le crash de son avion en mars 2015, alors que son médecin savait parfaitement qu’il était suicidaire. Le praticien n’a pas été mis en cause dans cet « accident », parce que le secret médical était encore absolu en Allemagne. « Ce que nous faisons pour remédier à ce genre de dilemme pour le médecin, c’est de rendre l’Ordre plus accessible, de façon à ce que le médecin puisse facilement prendre conseil auprès de son Ordre provincial. Lorsque le cas est trop complexe, la demande va remonter au Conseil national. Celui-ci consacre en effet régulièrement un temps important à fournir une réponse consensuelle à ce type de questions. »

Dans notre pays, on évoquera dans un tel cas l’état de nécessité pour agir en dépit du secret médical. Il faut tenir compte, dans un autre registre, du fait que le médecin est devenu un entrepreneur (l’entreprise étant comprise au sens du Code de droit économique), l’Ordre continuant cependant à refuser radicalement la pratique commerciale de la médecine. Le Code de déontologie est, lui, devenu au fil des années un ensemble pléthorique avec les nombreux avis qui s’y sont ajoutés, si bien que l’on a décidé cette fois de « repartir à zéro », d’autant plus que l’adoption des lois citées ci-dessus ont rendu redondantes un certain nombre de règles déontologiques. « Dans un régime démocratique la loi doit primer sur toute autre règlementation, le rôle de l’Ordre étant plutôt d’influencer le législateur. Durant l’occupation allemande il eût au contraire été sain que les médecins s’opposent en bloc aux lois imposées par le régime nazi. » Les dérapages déontologiques sont-ils plus fréquents aujourd’hui que naguère, autrement dit y-a-t-il un relâchement à cet égard chez les médecins ? Le Pr Rombouts répond par la négative, précisant en passant que les certificats de complaisance représentent aujourd’hui le problème principal auquel sont confrontés les Ordres provinciaux. « La Fondation Roi Baudouin a d’ailleurs fait un travail très intéressant à ce sujet. » On peut également mentionner le fait qu’en Flandre on a ainsi supprimé l’obligation de présentation d’un certificat médical pour une absence scolaire ne dépassant pas quelques jours.

Une aide réelle pour les médecins en difficulté

En ce qui concerne le problème des toxicomanies, auquel sont souvent confrontés les médecins et notamment les généralistes, des structures prennent très bien en charge ces patients, mais il reste deux problèmes plus délicats, qui sont « d’une part celui des médecins toxicomanes et d’autre part celui de ce que l’on pourrait appeler les crypto-toxicomanies, à savoir la consommation des nouveaux analgésiques contenant entre autres des opiacés, mais qui ne figurent pas sur la liste des stupéfiants, malgré leur caractère addictif . L’Ordre des médecins travaille avec celui des pharmaciens sur des façons de lutter contre le shopping médical souvent pratiqué dans ce domaine par les patients concernés ». En ce qui concerne le nouveau Code de déontologie, le Pr Rombouts insiste encore sur l’évolution de l’institution elle-même. « L’Ordre a trop longtemps été considéré comme un organe répressif. Ce que nous voulons développer aujourd’hui c’est la déontologie positive, c’est-à-dire l’aide aux médecins et aux patients. C’est ainsi par exemple qu’à côté de l’interdiction professionnelle décidée en référé au niveau de la Commission médicale pour les médecins toxicomanes, le Conseil national a mis sur pied une structure appelée ‘Médecins en difficulté’, offrant une aide gratuite aux médecins qui s’estiment par exemple en pré-burnout. On va les écouter et les orienter vers des gens qui peuvent les aider. Une personne s’en occupe d’ailleurs à plein-temps. Au niveau du Brabant, on peut consulter une personne qui s’occupe des problèmes sociaux des médecins, comme par exemple l’impossibilité de payer leurs cotisations sociales ou leurs impôts ou encore comment gérer une faillite pour les médecins particulièrement ceux qui ont constitué une société. »