Les vaccins à ARN, une victoire de l'intelligence collective

Précédent
Michel Goldman Publié dans la revue de : Janvier 2023 Rubrique(s) : Livres
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Les vaccins contre le Covid-19 ont sauvé près de 20 millions de vie dans le monde selon les données modélisées par une équipe britannique [1]. Ce succès sans précédent est attribuable pour une large part aux vaccins à ARN messager.

Article complet :

Ils ont été développés en un temps record, d’abord et avant tout grâce une technologie innovante qui est le fruit de plus de 30 ans de recherche académique multidisciplinaire. Le long et difficile parcours qui a conduit à cette nouvelle génération de vaccins a fait l’objet de plusieurs revues récentes [2–4]. Les obstacles à l’utilisation de l’ARN messager pour faire produire les antigènes vaccinaux in vivo étaient nombreux. Ils n’ont pu être surmontés que grâce à des recherches impliquant des biologistes moléculaires, des immunologistes, des chimistes et des pharmacologues. Il s’agissait d’abord de permettre la pénétration de l’ARN dans les cellules humaines tout en le protégeant de la destruction enzymatique par les RNAses qui sont ubiquitaires. Dans la suite d’expériences menées avec des liposomes, il s’est avéré que des nanoparticules lipidiques représentaient d’excellent vecteurs pour remplir cette double fonction. Il fallait encore surmonter un autre obstacle de taille lié aux propriétés immuno-inflammatoires de l’ARN qui limitent sa tolérance clinique. Les cellules humaines possèdent en effet différents récepteurs qui détectent l’ARN viral et déclenchent de puissantes réactions inflammatoires. Ce sont les recherches menées par Katalin Kariko et Drew Weissman qui ont apporter la solution, en démontrant que l’incorporation de pseudouridine dans l’ARNm réduit de manière considérable ses propriétés inflammatoires mais augmente aussi sa stabilité et facilite ainsi la synthèse de la protéine codée. D’autres modifications de la séquence non-codante de l’ARN viennent encore renforcer l’efficacité de la synthèse protéique après administration in vivo. En parallèle, les nanoparticules lipidiques utilisées pour encapsuler l’ARN se sont révélées des composants essentiels pour l’induction de puissantes réponses vaccinales. Ce sont en effet les lipides ionisables contenus dans les nanoparticules qui jouent le rôle d’adjuvant dans les vaccins à ARN anti-Covid-19 [5]. Ils sont très probablement en cause dans les rares réactions indésirables sévères qui ont été observées et qui doivent continuer à être surveillées [6].

Ainsi, parmi les différentes formulations de l’ARN qui ont été évaluées dans des essais cliniques depuis près de 15 ans, la plus prometteuse est sans nul doute celle qui fait appel à l’ARN avec modification nucléotidique, encapsulé dans des nanoparticules lipidiques. Les firmes BioNTech en Allemagne et Moderna aux Etats-Unis disposaient des plateformes technologiques permettant de produire ces vaccins lorsque la pandémie de Covid-19 a surgi. Dès la publication de la séquence génomique du virus par des chercheurs chinois, elles ont donc pu se lancer dans la production de candidat-vaccins basés sur la séquence de la protéine Spike, choisie en raison des connaissances préexistantes sur les coronavirus apparentés au SARS-CoV-2. Les données pharmacologiques déjà disponibles sur ce type de vaccins ont permis de lancer très rapidement les premières études cliniques. Les données obtenues ont permis de lancer sans délai les études de phase 3 à large échelle. Elles ont établi l’efficacité remarquable de ces vaccins et leur niveau de sécurité élevé. Sur cette base, les autorités réglementaires (Food and Drug Administration aux Etats-Unis, European Medicines Agency en Europe) ont autorisé leur déploiement à large échelle. On l’aura compris, le succès des vaccins à ARN ne peut être attribué ni à un seul chercheur, ni à une seule discipline. C’est la convergence des progrès de la biologie moléculaire, de la virologie, de l’immunologie, de la chimie et de la pharmacologie qui a permis leur développement. Et n’oublions pas les contributions des cliniciens-chercheurs, bioinformaticiens et régulateurs qui ont su répondre à l’urgence de santé publique sans compromettre la rigueur nécessaire en matière de sécurité.

Encore fallait-il répondre au défi de la production en masse de ces vaccins. C’est pour y faire face que BioNTech a noué un partenariat avec Pfizer et que le gouvernement américain a lancé l’Operation Warp Speed. En Europe, la Commission Européenne a mis en place un système de pré-commandes groupées pour les 27 Etats Membres qui a permis de faire rapidement bénéficier les citoyens européens d’une protection vaccinale efficace.

Même si l’apparition des variants Omicron a fort réduit la capacité des vaccins à empêcher l’infection et limiter la transmission du virus, ils restent tout à fait efficaces pour prévenir les formes graves du Covid-19, notamment grâce à l’induction de puissantes réponses des lymphocytes T, y compris les lymphocytes CD8 cytotoxiques [7].

Les connaissances accumulées sur les vaccins à ARN anti-Covid ont accéléré l’utilisation de cette plateforme technologique pour le développement de vaccins contre d’autres maladies infectieuses en particulier la grippe[8] mais aussi de vaccins thérapeutiques contre le cancer avec des premiers résultats très encourageants dans le mélanome ( https://bit.ly/3j0KJBe ). Dans ce domaine aussi, c’est la multidisciplinarité et la mobilisation de l’intelligence collective qui permettra des avancées victorieuses. Comme l’indiquait Jules Bordet «L’un des grands services que chaque science peut rendre à nos recherches, c’est de nous inviter, en servant d’introduction, à la quitter pour sa voisine.»

Affiliations

1. Président de l'institut I3h (ULB), Membre de l'Académie Royale de Médecine de Belgique

Correspondance

Pr. Michel Goldman
Institut I3h, Université libre de Bruxelles,
CP 135, 50 avenue Franklin Roosevelt
B-1050 Brussels, Belgium
mgoldman@i3health.eu
+32498 98 46 25

Conflits d’intérêts
Michel Goldman est membre des conseils d'administration de la Tuberculosis Vaccine Initiative et de Friends of the Global Fund Europe. Il représente la Fédération Européenne des Académies de Médecine au Civil Society Forum de l'agence européenne HERA. Il a fondé l'Institut d'Immunologie Médicale de l'Université libre de Bruxelles en partenariat avec GlaxoSmithKline et a été directeur exécutif de l'Innovative Medicines Initiative. Il est membre de l'Advisory Board d'AstraZeneca sur les anticorps monoclonaux.