Les nouvelles recommandations de l’insuffisance cardiaque en 2023

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Anne-Catherine Pouleur Publié dans la revue de : Décembre 2023 Rubrique(s) : Résumés des webinaires
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Résumé de l'article :

Les nouvelles recommandations de l’insuffisance cardiaque émises par la Société Européenne de Cardiologie en 2021 et l’update plus récent en 2023 marquent une nouvelle étape dans la gestion de cette pathologie complexe (1,2).

Article complet :

L’insuffisance cardiaque touche environ 6,5 millions de personnes aux États-Unis ; > 960 000 nouveaux cas apparaissent chaque année. Environ 26 millions de personnes sont affectées dans le monde. Le pronostic reste sombre malgré les avancées thérapeutiques, avec une mortalité pouvant atteindre 50% à 5 ans.

L’insuffisance cardiaque est une condition médicale chronique dans laquelle le cœur n’est pas capable de pomper le sang de manière efficace pour répondre aux besoins du corps. Elle peut résulter de diverses affections cardiaques sous-jacentes telles que l’hypertension artérielle, les maladies coronariennes, les malformations valvulaires, des cardiomyopathies, des myocardites ou d’autres affections qui affaiblissent la fonction cardiaque au fil du temps. L’incapacité du cœur à pomper efficacement le sang peut conduire à une accumulation de liquide dans les poumons et d’autres tissus, provoquant des symptômes et des signes tels que l’essoufflement, la fatigue, des crépitants pulmonaires et un gonflement des jambes.

Il existe plusieurs classifications de l’insuffisance cardiaque, notamment la classification de la New York Heart Association (NYHA) et la classification de l’American College of Cardiology/American Heart Association (ACC/AHA), et enfin une classification en fonction de la fraction d’éjection du ventricule gauche. Ces classifications sont basées sur la sévérité des symptômes et le degré d’altération de la fonction cardiaque.

Classification NYHA

La classification de la NYHA est largement utilisée pour évaluer la sévérité des symptômes de l’insuffisance cardiaque. Elle se divise en quatre classes :

1. Classe I (NYHA I) Aucune limitation des activités physiques. Aucun symptôme apparent pendant l’activité normale.
2. Classe II (NYHA II) Légère limitation des activités physiques. Aucun symptôme au repos, mais une fatigue ou un essoufflement survient lors d’une activité normale.
3. Classe III (NYHA III) Importante limitation des activités physiques. Aucun symptôme au repos, mais une fatigue ou un essoufflement survient au moindre effort
4. Classe IV (NYHA IV) Incapacité à effectuer toute activité physique sans inconfort. Les symptômes sont présents même au repos.

Classification de l’ACC/AHA

La classification de l’ACC/AHA est basée sur les stades de l’insuffisance cardiaque, prenant en compte les dommages structurels cardiaques et les symptômes. Elle comprend les stades A, B, C, et D (3).

1. Stade A : patients à risque de développer une insuffisance cardiaque en raison de présence de facteurs de risque, mais sans dommage structurel ni symptôme.
2. Stade B : patients présentant des anomalies structurelles au niveau cardiaque (hypertrophie ventriculaire gauche (HVG), dilatation de l’oreillette gauche, élévation des pressions de remplissage, …) sans symptômes évidents d’insuffisance cardiaque.
3. Stade C : patients avec des anomalies structurelles au niveau cardiaque et des symptômes actuels ou passés d’insuffisance cardiaque.
4. Stade D : patients présentant une insuffisance cardiaque avancée nécessitant une attention spécialisée

Classification en fonction de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG)

La fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) est une mesure de la fonction cardiaque qui évalue la quantité de sang éjectée par le ventricule gauche à chaque contraction. Elle est exprimée en pourcentage. La FEVG est un indicateur crucial dans la classification de l’insuffisance cardiaque et peut influencer les décisions thérapeutiques. Trois catégories principales sont utilisées pour classer l’insuffisance cardiaque en fonction de la FEVG, en présence chaque fois de symptômes et de signes typiques d’insuffisance cardiaque.

1. Insuffisance Cardiaque à Fraction d’Éjection Réduite. Dans cette catégorie, la FEVG est inférieure à 40%. Cela signifie que le ventricule gauche a une capacité réduite à pomper le sang, et les cavités sont souvent dilatées.

2. Insuffisance Cardiaque à Fraction d’Éjection Légèrement Réduite. La FEVG est comprise entre 40 et 50%.

3. Insuffisance Cardiaque à Fraction d’Éjection Préservée. Dans ce cas, la FEVG est préservée, supérieure à 50% et on retrouve d’autres anomalies structurelles telles une dilatation de l’oreillette gauche, une HVG, des anomalies de la relaxation du muscle cardiaque

La mesure de la FEVG est cruciale pour orienter les décisions thérapeutiques. Les traitements pharmacologiques et autres interventions vont effectivement varier en fonction de la catégorie de l’insuffisance cardiaque. Une évaluation régulière de la FEVG permet de surveiller la progression de la maladie et d’ajuster le plan de traitement en conséquence.

Algorithme de traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG réduite

Auparavant, les traitements étaient très séquentiels. Actuellement, chez tout patient souffrant d’insuffisance cardiaque à FEVG réduite, il est recommandé de débuter d’emblée un traitement comprenant 4 classes thérapeutiques (régulièrement appelées les 4 fantastiques) à petite dose et de titrer le traitement aux doses maximales recommandées le plus rapidement possible (4,5). Et de ne pas attendre la dégradation du patient pour instaurer ces différentes molécules.

1. Inhibiteurs de l’Enzyme de Conversion de l’Angiotensine (IECA) ou Antagonistes des Récepteurs de l’Angiotensine II (ARA-II) ou Inhibiteurs des Récepteurs de l’Angiotensine et Néprilysine (ARNI)
o Initier un IECA ou un ARA-II en première intention chez les patients présentant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection réduite.
o Titrer la dose selon la tolérance du patient et les objectifs thérapeutiques.
o Envisager l’introduction d’un ARNI chez les patients présentant une insuffisance cardiaque symptomatique malgré un traitement optimal par IECA/ARA-II et bêta-bloquants.
o Titrer la dose de manière graduelle pour maximiser les bénéfices cliniques.

2. Bêta-bloquants
o Introduire un bêta-bloquant en fonction de la tolérance hémodynamique et de la fréquence cardiaque.
o Titrer la dose de manière progressive pour atteindre les doses cibles recommandées.

3. Antagonistes des Récepteurs de l’aldostérone (ARA)
o Titrer la dose selon la fonction rénale et les taux de potassium.

4. Inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT-2) – Gliflozines (Empaglifozine ou Dapaglifozine).

Introduire une gliflozine chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite, indépendamment du diabète (6,7).

5. Traitements de 2e ligne: symptômes persistants
o Ivabradine Indication: FEVG ≤ 35% et fréquence cardiaque ≥ 70/min sous BB dose maximale ou mal tolérés.
o Vericiguat (8)
o Hydralazine et isosorbide dinitrate
o Digoxine

6. L’implantation d’un défibrillateur implantable est recommandée chez certains patients atteints d’IC à FEVG altérée en cas de pathologie ischémique et devrait être considérée chez ceux qui n’ont pas de cardiopathie non ischémique (recommandation passant de I à IIa pour ce dernier cas).

7. La resynchronisation cardiaque est recommandée dans l’IC à FEVG altérée en rythme sinusal, avec un bloc de branche gauche, QRS ≥150 ms et peut être considérée chez ceux avec un bloc de branche gauche, QRS ≥ 130-149 ms ou non-LBBB, QRS ≥ 150ms (la recommandation passe de I à IIa pour ces deux derniers cas).

Par ailleurs, les directives de l’ESC soulignent l’importance cruciale d’une prise en charge multidisciplinaire et la participation à un programme de revalidation cardiaque. La collaboration étroite entre cardiologues, médecins généralistes nutritionnistes, physiothérapeutes et psychologues est encouragée pour offrir une approche globale et holistique de la maladie cardiaque. Cette démarche collaborative vise à traiter non seulement les aspects physiologiques, mais aussi les facteurs psychosociaux qui peuvent influencer la progression de l’insuffisance cardiaque. Enfin, le patient doit être revu précocément après sa sortie d’hospitalisation pour s’assurer de sa stabilité et poursuivre l’optimalisation thérapeutique.

Algorithme de traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG légèrement réduite

Peu de traitements ont fait leurs preuves pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection légèrement diminuée.

- Glifozines. Dapaglifozine ou Empaglifozine.

- Diurétiques à visée symptomatique (voir Décongestion)

- Traitements à considérer

o IECA ou ARA II à dose maximale
o Béta-bloquant
o Anti-aldostérone spironolactone ou éplérénone

Algorithme de traitement de l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée

Traitements recommandés pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Jusque récemment, aucun traitement n’avait démontré d’amélioration du pronostic dans l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Ce n’est que récemment que l’étude EMPEROR-Preserved est devenue le premier essai à montrer une réduction significative du risque combiné de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque avec un traitement pharmacologique chez ces patients (9). L’étude DELIVER a également démontré le bénéfice de la Dapaglifozine (10).

- Glifozines SGLT2i : Empaglifozine ou Dapaglifozine

- Diurétique à visée symptomatique (voir Décongestion)

- Contrôle strict des facteurs de risque cardiovasculaire, des comorbidités (arythmie…) et surcharges volumiques (solutés, produits de contraste iodés)

Les nouvelles recommandations mettent également un accent particulier sur la décongestion (11). Les approches de décongestion visent à réduire l’accumulation de fluides dans les poumons et d’autres tissus, soulageant ainsi les symptômes tels que l’essoufflement et l’œdème. Il est important de noter que la décongestion doit être adaptée individuellement à chaque patient, en tenant compte de sa présentation clinique spécifique et de ses réponses aux différentes modalités de traitement. Un suivi régulier et une communication étroite entre le patient et l’équipe soignante sont fondamentaux pour ajuster le plan de traitement au fil du temps.

1. Diurétiques

Les diurétiques, en particulier les diurétiques de l’anse comme la furosémide, restent un pilier essentiel du traitement de la décongestion. Cependant, l’utilisation judicieuse est préconisée, en tenant compte de la fonction rénale du patient et en ajustant la posologie selon la réponse clinique, à arrêter dès que possible pour permettre le maintien des autres traitements.

2. Ultrafiltration

Dans certains cas sélectionnés, l’ultrafiltration peut être considérée pour la décongestion. Cette technique d’élimination du liquide excédentaire peut être réalisée de manière contrôlée dans un cadre hospitalier.

3. Optimisation du Traitement Médicamenteux Fondamental

Assurer une utilisation optimale des médicaments fondamentaux est également crucial pour la décongestion à long terme. Ces médicaments contribuent à améliorer la fonction cardiaque et à prévenir la rétention de liquides.

4. Surveillance Clinique et Biomarqueurs

Une surveillance régulière des symptômes, du poids corporel, et des biomarqueurs tels que les taux de NT-pro-B-type natriuretic peptide (NT-proBNP) peut guider le processus de décongestion. Des ajustements thérapeutiques peuvent être effectués en fonction de ces indicateurs.

5. Éducation du Patient

L’éducation du patient sur la gestion des fluides, y compris la surveillance quotidienne du poids, la restriction sodée, et la reconnaissance des signes précoces de décompensation cardiaque, est une composante essentielle du plan de traitement.

Technologie avancée

Les recommandations encouragent aussi l’incorporation de dispositifs médicaux connectés et de solutions de télésanté dans le suivi des patients atteints d’insuffisance cardiaque. Cela permet une surveillance en temps réel, une détection précoce des changements et une adaptation rapide des traitements, améliorant ainsi la qualité des soins et le pronostic des patients

En conclusion, les nouvelles recommandations de l’insuffisance cardiaque de l’ESC représentent un jalon important dans la lutte contre cette affection cardiovasculaire. En intégrant les avancées diagnostiques, les thérapies novatrices et une approche holistique centrée sur le patient, ces directives offrent aux professionnels de la santé un guide clinique complet pour améliorer la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Le point clé des recommandations sur le plan thérapeutique est l’algorithme simplifié de traitement et de prise en charge de l’IC à fraction d’éjection réduite avec la possibilité de mettre 4 classes thérapeutiques rapidement avant la sortie de l’hôpital pour lutter contre l’inertie thérapeutique.

En adoptant ces recommandations dans la pratique quotidienne, les cliniciens contribueront à améliorer le pronostic des patients, réduire les hospitalisations pour insuffisance cardiaque et offrir une meilleure qualité de vie pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque, marquant ainsi une avancée significative dans la cardiologie moderne.

Références

  1. McDonagh TA, et al. ESC Scientific Document Group. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC). With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur J Heart Fail. 2022 Jan;24(1):4-131.
  2. McDonagh TA, et al. ESC Scientific Document Group. 2023 Focused Update of the 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J. 2023 Oct 1;44(37):3627-3639.
  3. Bozkurt B, et al. Universal Definition and Classification of Heart Failure: A Report of the Heart Failure Society of America, Heart Failure Association of the European Society of Cardiology, Japanese Heart Failure Society and Writing Committee of the Universal Definition of Heart Failure. J Card Fail. 2021 Mar 1:S1071-9164(21)00050-6.
  4. Mebazaa A, et al. Safety, tolerability and efficacy of up-titration of guideline-directed medical therapies for acute heart failure (STRONG-HF): a multinational, open-label, randomised, trial. Lancet. 2022 Dec 3;400(10367):1938-1952
  5. Savarese G, et al. Patient profiling in heart failure for tailoring medical therapy. A consensus document of the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology. Eur J Heart Fail. 2021 Jun;23(6):872-881
  6. Packer M, et al. EMPEROR-Reduced Trial Investigators. Cardiovascular and Renal Outcomes with Empagliflozin in Heart Failure. N Engl J Med. 2020 Oct 8;383(15):1413-1424
  7. McMurray JJV, et al. DAPA-HF Trial Committees and Investigators. Dapagliflozin in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med. 2019 Nov 21;381(21):1995-2008
  8. Armstrong PW, et al. VICTORIA Study Group. Vericiguat in Patients with Heart Failure and Reduced Ejection Fraction. N Engl J Med. 2020 May 14;382(20):1883-1893
  9. Anker SD, et al. EMPEROR-Preserved Trial Investigators. Empagliflozin in Heart Failure with a Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med. 2021 Oct 14;385(16):1451-1461.
  10. Solomon SD, et al. DELIVER Trial Committees and Investigators. Dapagliflozin in Heart Failure with Mildly Reduced or Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med. 2022 Sep 22;387(12):1089-1098
  11. Brunner-La Rocca HP, et al. The use of diuretics in heart failure with congestion - a position statement from the Heart Failure Association of the European Society of Cardiology. Eur J Heart Fail. 2019 Feb;21(2):137-155.