L’entérocolite du prématuré : la comprendre, la reconnaitre, la prévenir

Précédent
Stéphanie Jasienski (1), Bénédicte Van Grambezen (1) , Renaud Menten (2), Olivier Danhaive (1) Publié dans la revue de : Septembre 2021 Rubrique(s) : Cas cliniques
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

L’entérocolite ulcéro-nécrosante (ECUN) est une pathologie intestinale aiguë du prématuré. C’est une des premières causes de morbidité et de mortalité. Elle peut parfois être imprévisible et fulminante. La physiopathologie reste incomplètement comprise et plusieurs facteurs interviennent : l’immaturité de la muqueuse intestinale avec une dérégulation de la réponse de l’immunité du chorion sous-muqueux, l’immaturité vasculaire et un déséquilibre du microbiote (parfois iatrogène). Sa prévention doit rester la règle. La reconnaissance précoce d’une possible intolérance digestive (stade I de la classification de Bell, pré-ECUN) au cours de l’alimentation orale est capitale. Le traitement essentiellement médical et rapide permet d’améliorer son pronostic. La prise en charge est multidisciplinaire en cas de complications. Le traitement chirurgical en centre tertiaire est nécessaire dans les formes sévères et doit viser une approche conservatrice dans la mesure du possible. Ses complications peuvent être précoces ou tardives. Hormis le contrôle rigoureux de la progression alimentaire entérale, les seuls facteurs réellement préventifs établis sont le lait humain, idéalement le lait de la propre mère, et les probiotiques.

Que savons-nous à ce propos ?

L’ECUN du prématuré reste une complication grave de la prématurité, malgré les progrès en néonatologie, avec une mortalité élevée et des complications significatives à long terme.

Que nous apporte cet article ?

La physiopathologie de l’ECUN du prématuré est complexe et ses présentations variées. Il est important d’en reconnaître rapidement les signes initiaux et d’en faire le diagnostic différentiel afin de la traiter au mieux. Certaines mesures préventives offrent la possibilité d’en réduire l’incidence et les conséquences.

Mots-clés 

Entérocolite ulcéro-nérosante, prématuré, physiopathologie

Article complet :

Introduction

Charles Billiard décrit l’ECUN en 1823 comme une « entérite gangréneuse ». En 1950, on utilise le terme « entérocolite » et en 1969, Stevenson propose un traitement chirurgical (1,2). Cette pathologie reste mal comprise malgré de nombreuses études à son sujet. La présentation clinique parfois insidieuse rend le diagnostic difficile. Le traitement doit être instauré rapidement car elle peut être fulminante. A côté de l’ECUN du prématuré, il existe des formes d’entérocolite associées à d’autres pathologies (1-3). L’objectif de cet article est d’aider le pédiatre à reconnaître les nouveau-nés à risque, identifier les symptômes précocement et établir le diagnostic différentiel afin de traiter ces enfants adéquatement, d’autant plus que cela peut influencer le devenir neurologique de l’enfant (1-4).

Épidémiologie

L’ECUN est une cause majeure de mortalité et de morbidité du prématuré. Son incidence est stable malgré les progrès en néonatologie. Plus de 90% des cas concernent les prématurés nés avant 32 semaines d’âge gestationnel et environ 10% des nouveau-nés de moins de 1500 grammes (1,5,6). Sa fréquence est inversement proportionnelle à l’âge gestationnel. Elle survient surtout chez le prématuré et rarement chez l’enfant né à terme. Sa prévalence est plus élevée autour de 30-32 semaines d’âge corrigé indépendamment de l’âge gestationnel (1,3). Le taux de mortalité va jusqu’à 30-40%, avec une tendance à l’amélioration selon les séries publiées et les modalités de traitement (1-3,5).

Physiopathologie

La physiopathologie est multifactorielle et encore mal comprise. Il existe une réaction inflammatoire excessive et incontrôlée de la paroi intestinale immature qui fait suite à la colonisation intestinale du microbiote périnatal, laquelle accompagne généralement l’amorce d’une alimentation entérale. Certains récepteurs spécifiques de la reconnaissance bactérienne, dont le Toll-like Récepteur 4 (TLR-4) pour les bactéries à gram-négatif, se trouvent déjà présents au niveau du pôle basal des cellules épithéliales (1,3,7,8). D’autres TLR’s sont également exprimés sur toutes les cellules de l’immunité innée présentes au niveau du chorion sous-muqueux digestif. Les endotoxines bactériennes sont en effet capables d’activer toutes ces différentes voies des récepteurs cellulaires Pathogen Associated Molecular Pattern (PAMP), au niveau du relais de l’ensemble des cellules de l’immunité innée. Cette dernière, représentée par les cellules muqueuses et les cellules du chorion sous-muqueux (lymphocytes intraépithéliaux (LIE-CD8+γδ), macrophages, cellules dendritiques, lymphocytes innés (ILC)), est en effet déjà bien fonctionnelle chez l’enfant prématuré. Cependant, l’immunité adaptative, représentée par les lymphocytes effecteurs naïfs CD4+ et les lymphocytes naïfs tueurs CD8+αβ, localisés surtout au sein des plaques de Peyer, et initiée au travers des cellules dendritiques, reste encore cependant largement immature. Cela concourt à un manque de contrôle de la réponse pro-inflammatoire initiale et donc aussi de l’acquisition de la balance immunitaire locale optimale entre réponse lymphocytaire effectrice (Th1, Th2 et Th17) et réponse lymphocytaire régulatrice induite (iTreg CD4+CD25+ FoxP3+ et autres iTreg Th3, Tr1 FoxP3-). Cet excès de réponse immunitaire locale non régulée peut mener à une réponse inflammatoire intense dans la lamina propria, notamment médiée par le Tumor Necrosis Factor-α (TNF-α) l’Interleukine-1β et d’autres cytokines (1,3,6,7,8). L’immaturité de la muqueuse peut aussi augmenter la perméabilité intestinale aux différents antigènes et favoriser le risque de translocation bactérienne (passage massif de bactéries au travers de la muqueuse encore immature) ( 9).

L’immaturité fonctionnelle de l’intestin du prématuré est réelle. Cela l’expose d’abord à un risque de distension gazeuse des anses, avec un risque plus élevé d’ischémie et de nécrose pariétale. Cette immaturité touche aussi la micro-vascularisation de l’intestin. Cela rend l’intestin plus fragile aux variations de volémie et de résistance vasculaire. La muqueuse intestinale est ainsi exposée à un risque plus élevé d’hypoxie. L’explication de cette fragilité vasculaire est notamment liée à la présence d’une balance encore mal contrôlée entre, d’une part les médiateurs vasoconstricteurs (endothéline 1 (ET-1) et, d’autres part, les médiateurs vasodilatateurs (oxyde nitrique (NO)) (6,9). En conséquence, les variations inadéquates de perfusion peuvent être aussi la source d’une augmentation de la perméabilité endothéliale capillaire et d’inflammation (7). En effet, le NO, en interagissant avec les radicaux libres, forme des péroxynitrites pro-oxydants. Cette réaction en chaîne peut générer de l’apoptose et diminuer les mécanismes de réparation des entérocytes. Ce déséquilibre de perfusion peut ainsi contribuer à une réaction inflammatoire mal contrôlée et à la nécrose pariétale qui conduisent, ensemble, à l’ECUN (6,7,9). Ce circuit capillaire immature est sensible à l’hypotension, l’hypovolémie et l’hypoxie, ce qui peut expliquer l’association de l’ECUN chez l’enfant plus mature avec certaines cardiopathies. Chez le prématuré, les voies de signalisation pro-angiogéniques impliquant le Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF), sont interrompues avant que la micro-vascularisation intestinale n’ait pu se développer suffisamment. Les stress périnataux réduisent encore la signalisation du VEGF. Cette micro-vascularisation intestinale sous-développée ne peut répondre adéquatement à la demande métabolique de l’alimentation entérale, ce qui peut aussi contribuer ainsi à l’ischémie pariétale et à la nécrose (6-10).

Il existe un déséquilibre au sein du microbiote intestinal induit par la prématurité elle-même et ses propres causes, parfois d’origine infectieuse. La naissance en milieu hospitalier, l’antibiothérapie périnatale fréquemment associée, l’insuffisance du choix d’un allaitement maternel exclusif, pourtant protecteur, sont des facteurs environnementaux qui précipitent la cascade inflammatoire. Cette dysbiose intestinale colonisatrice diminue le développement de bactéries anaérobes strictes plus protectrices au profit de bactéries pathogènes susceptibles d’induire une cascade inflammatoire plus intense (6). Ces dernières, anaérobes facultatives pour la plupart, interfèrent plus inadéquatement avec le développement de la barrière muqueuse, augmentant la perméabilité intestinale et contribuant ainsi aux lésions épithéliales et au déclenchement d’une réponse inflammatoire (1,3,6,7). La dysbiose déjà présente dès le départ peut alors être aussi aggravée en postnatal par l’alimentation artificielle, la prise répétée d’antibiotiques et/ou d’antiacides (1,3,6,7).

Les bactéries anaérobes strictes (Bifidobacteries, Lactobacilli, ...), dont le développement est favorisé par un allaitement maternel exclusif bien conduit, maintiennent grâce à l’élaboration locale d’acides gras à courte chaîne un pH luminal intestinal plus acide. Outre l’aide apportée par un nombre impressionnant de facteurs immuno-modulateurs protecteurs présents dans le lait humain, celui-ci concourt au développement adéquat de ces bactéries protectrices. Le lait de la propre mère aide ainsi, directement et indirectement, au bon développement immunitaire de cette muqueuse intestinale immature. Tout en diminuant sensiblement le développement des bactéries anaérobes facultatives plus fréquemment pathogènes, le lait maternel favorise aussi le transit intestinal (1,3,6,11). Enfin, le faible âge gestationnel à la naissance, le retard de croissance intra-utérin, petit poids à la naissance favorisé ou non par une souffrance fœtale, sont autant de facteurs de risque supplémentaires bien établis (1,3).

Présentation clinique et diagnostic

La présentation clinique de l’ECUN est variable et peut être lente et insidieuse ou rapidement progressive, menant au décès en quelques heures. Depuis 1978, les critères de Bell sont utilisés pour classifier les entérocolites en 3 stades (12). Avec l’utilisation du surfactant et la ventilation non invasive, cette classification, basée sur des signes cliniques et radiographiques, sur-diagnostique les entérocolites peu sévères et aspécifiques (stade I). Ils ont été modifiés par Kliegman et Walsh en 1987 afin d’optimaliser la prise en charge (tableau 1) (1,6,12).

Les signes cliniques sont aspécifiques et comprennent un large éventail de signes généraux et digestifs détaillés dans le tableau 1.

La plupart des prématurés qui vont développer une ECUN sont généralement en bonne santé, alimentés et suivent une bonne croissance. Il se développe une intolérance digestive (augmentation des résidus gastriques, vomissements parfois bilieux, ballonnement, sensibilité abdominale, sang dans les selles), souvent accompagnée de symptômes plus généraux (apnées, insuffisance respiratoire, léthargie, instabilité thermique et hémodynamique dans les cas les plus sévères) à reconnaître précocement et correspondant au stade I de Bell qui sera le prémisse d’une entérocolite plus sévère, se résoudra spontanément ou orientera vers un autre diagnostic (12). Actuellement, la mesure régulière des résidus gastriques en pré-prandial est controversée et il s’avère qu’elle retarde l’autonomisation alimentaire sans améliorer le diagnostic d’ECUN (13). Cette mesure des résidus gastriques est cependant encore beaucoup utilisée en pratique. Les signes biologiques sont aspécifiques mais la leucopénie, la neutropénie, l’élévation de la C-Reactive Protein (CRP) ou de la procalcitonine, la thrombopénie, l’acidose métabolique ou mixte, les signes de coagulation intravasculaire disséminée sont des signes qui peuvent appuyer un diagnostic et dans 20% des cas une hémoculture est positive. Certains auteurs ont mentionné la mesure de la protéine de liaison des acides gras intestinaux (I-FABP) plasmatique et urinaire comme biomarqueur du développement, de l’aggravation ou de l’amélioration de l’ECUN (14). On peut aussi utiliser le dosage de certaines interleukines et mesurer la calprotectine fécale, mais c’est actuellement peu utilisé en pratique clinique (1).

La radiographie de l’abdomen à blanc peut montrer une pneumatose pariétale, une aéroportie, une anse figée et des symptômes d’occlusion, un épaississement des parois intestinales, un abdomen non aéré ou, dans les cas avancés, de l’ascite ou un pneumopéritoine. Elle est peu spécifique et parfois tardive. L’échographie intestinale précoce est de plus en plus utilisée dans certains centres, même si elle n’est pas encore reconnue comme gold standard. Comme pour l’abdomen à blanc, elle permet de voir l’aéroportie, la pneumatose et le pneumopéritoine, mais aussi de détecter précocement une dysaération, une diminution du transit et de détecter et analyser la composante d’un épanchement péritonéal. Par ailleurs, elle se réalise facilement au lit du patient sans l’irradier (1,9).

Prise en charge

Le rôle essentiel du pédiatre se trouve d’abord dans la prévention de l’ECUN, au travers de la reconnaissance précoce des signes cliniques d’intolérance digestive. C’est à ce moment (Stade I de Bell) qu’il faut être prudent pour éviter une entérocolite irréversible. Lorsque l’ECUN s’installe malheureusement, le traitement médical doit être instauré au plus vite car les conséquences systémiques multi-organiques peuvent se développer rapidement. L’arrêt de l’alimentation entérale, l’instauration d’une alimentation parentérale et l’usage précoce d’une antibiothérapie intraveineuse à large spectre permettent souvent d’éviter la chirurgie. Un support respiratoire et/ou hémodynamique peut être parfois nécessaire (1,6,12). Si la prise en charge est chirurgicale, une attitude conservatrice avec dérivation intestinale temporaire est à privilégier. Le traitement chirurgical dépend de la symptomatologie et des examens para cliniques intégrés dans les critères de Bell modifiés (1,6,12). Le stade III est divisé en stade IIIA dans lequel la chirurgie est discutable et en stade IIIB où la chirurgie est indispensable (1,12). La prise en charge de l’entérocolite confirmée (stade II de Bell et plus) doit être multidisciplinaire et requérir une hospitalisation dans un centre spécialisé avec un chirurgien pédiatrique.

Complications

Les complications aiguës sont la nécrose intestinale ischémique d’étendue variable (focale, multifocale, générale) qui peut mener à la perforation intestinale, au choc septique, à la défaillance multi-systémique et au décès (1,12,15). A long terme, plusieurs complications peuvent survenir. L’alimentation parentérale provoque une cholestase et favorise les infections nosocomiales (15). Les sténoses intestinales compliquent 15 à 43% des entérocolites et apparaissent généralement dans les 3 mois qui suivent la résolution de l’épisode (âge médian de 23 à 42 jours). Elles peuvent être plus ou moins étendues et toucher l’intestin grêle et/ou le colon. Une sténose survient plus souvent après une entérocolite sévère. La sanction est chirurgicale (15-16).

Le grêle court, qui résulte de zones atteintes qui n’ont pas récupéré ou de résections plus ou moins étendues, provoque des pathologies de malabsorption. Des problèmes de motilité et une constipation chronique sont possibles. Une allergie aux protéines de lait de vache et/ou une intolérance au lactose peut(vent) aussi se présenter (15). Les séquelles neuro-développementales peuvent aussi apparaitre dans ce contexte inflammatoire majeur. En effet, la perméabilité augmentée de la barrière hémato-encéphalique aux cytokines pro-inflammatoires circulantes à cet âge peut engendrer la destruction de la substance blanche cérébrale de ces prématurés, menant à des retards développementaux et dans les cas extrêmes à une leucomalacie périventriculaire (1,4).

Diagnostic différentiel et présentations atypiques

Certaines pathologies sont confondues avec l’entérocolite chez des patients présentant des rectorragies, une distension abdominale, une rétention gastrique ou une perforation intestinale.

L’entérocolite secondaire à une anomalie intestinale congénitale, l’ischémie mésentérique d’origine cardiaque ou hémodynamique, l’iléus septique, l’allergie aux protéines de lait de vache, la perforation intestinale spontanée, l’entérite infectieuse, les fissures anales, l’appendicite néonatale sont autant de diagnostics à évoquer. Il est parfois difficile d’identifier la cause ou la conséquence de ces entités physiopathologiques (2,3,7).

L’entérocolite secondaire à une obstruction intestinale, bien décrite dans la maladie de Hirschsprung, est essentiellement provoquée par la distension récidivante de la paroi intestinale et la pullulation bactérienne, toutes deux secondaires à l’existence de cette déficience fonctionnelle distale. La sténose digestive anténatale, dont l’expression extrême est l’atrésie intestinale, est en revanche liée à une ischémie anténatale d’étiologies diverses (2,3). Dans ces deux cas de figure, l’âge gestationnel avancé, la précocité des symptômes apparemment en relation avec l’alimentation entérale et la précocité de la sténose dans le décours de l’épisode aigu peuvent plaider pour une anomalie digestive congénitale, et donc par définition présente avant la naissance. La précocité de la symptomatologie obstructive du fait de cette sténose doit y faire penser plutôt qu’être la conséquence morbide d’une ECUN (Vignette 1). Cela reste cependant difficile à prouver en l’absence d’images fœtales ou périnatales suggestives antérieures.

Le fait que les cardiopathies congénitales complexes ducto-dépendantes ont été associées à un risque accru d’entérocolite dans de nombreuses études est remis en question, surtout chez l’enfant à terme (17). L’immaturité du réseau capillaire intestinal du prématuré le rend cependant vulnérable aux variations hémodynamiques. L’entérocolite survenant dans un contexte de cardiopathie congénitale est expliquée par la diminution du flux mésentérique provoquée par le bas débit et l’utilisation de médications vaso-actives (2). Les zones plus souvent atteintes sont alors souvent celles aux confins de la limite de perfusion des territoires dépendants des artères mésentériques (iléon distal, valve iléo-caecale ou côlon ascendant) (1-3,7,10,11,18). La précocité des symptômes et l’âge gestationnel avancé suggèrent le rôle d’une comorbidité comme par exemple celle de la coarctation aortique, qui n’a toutefois pas pu être prouvée dans ce cas présenté (Vignette 2) vu le manque d’examens diagnostiques probants (échocardiographie initiale, doppler mésentérique).

Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires est une réaction d’hypersensibilité à des antigènes alimentaires, non IgE-médiée (2). L’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) touche 3 à 7% des nouveau-nés mais son incidence reste méconnue chez le prématuré (19). Elle se manifeste par des vomissements, des diarrhées, un état léthargique, des rectorragies (2). Elle est moins fréquente chez le nouveau-né allaité (2). Chez le prématuré, l’APLV et l’ECUN sont difficiles à différencier (19,20). L’APLV peut aussi se développer comme conséquence d’une ECUN, dans le décours de laquelle une augmentation de cytokines pro-inflammatoires (interféron-ϓ spécifique à la caséine et interleukine-4) a été décrite. Les cellules immuno-modulatrices induites physiologiques de tolérance (lymphocytes régulateurs induits iTreg) et leurs cytokines anti-inflammatoires (notamment Transforming Growth Factor-β (TGF-β) aidant à l’acquisition de la tolérance aux protéines exogènes de l’alimentation peuvent être compromises dans leur action à la suite de l’épisode aigu (19-22). La précocité de l’épisode initial et la récidive rapide à la reprise du lait artificiel peuvent suggérer une APVL préexistante, tout comme on peut postuler que l’APLV soit la conséquence de l’entérocolite récidivante (Vignette 3). Le traitement de l’APLV est l’éviction des protéines de lait de vache. Il n’existe pas d’évidence claire en faveur d’une diète semi-élémentaire ou à base de lait humain pour la prévention de l’APLV après une entérocolite. Le choix dépend de la tolérance et la capacité d’absorption de l’intestin résiduel (2,19-22).

Peut-on prévenir l’entérocolite ?

La prévention de cette pathologie redoutable doit rester la règle. Comme l’ECUN est essentiellement observée chez le prématuré alimenté par voie entérale, les premiers auteurs ont essayé de postposer son initialisation (23). Il est cependant admis actuellement que surseoir à l’alimentation entérale ne prévient pas du risque d’ECUN. Au contraire, elle favorise l’atrophie de la muqueuse intestinale et ne fait que postposer, voire faciliter, son émergence. Différentes nouvelles techniques de progression de l’alimentation entérale ont été proposées avec plus ou moins de bénéfices. Son augmentation rapide ne semble pas influer le risque d’ECUN (24). Une méta-analyse arrive à la conclusion que c’est plus l’adoption d’une stratégie uniforme appliquée par les médecins au sein d’un service de néonatologie que le type de stratégie elle-même qui semble être déterminante. Dans la majorité des études, l’allaitement maternel exclusif est clairement démontré comme facteur protecteur (25). Il contient une multitude de composants immuno-modulateurs qui agissent de concert, notamment des oligosaccharides (Human Milk Oligosaccharides (HMO)), des immunoglobulines de type sécrétoires (sIgA), et de la lactoferrine qui diminuent la perméabilité intestinale, améliorent la viabilité des cellules épithéliales intestinales et modifient la flore bactérienne prévenant la cascade inflammatoire (1,26). Même chez les enfants avec un retard de croissance ou une souffrance anténatale, l’alimentation précoce au lait maternel confère une protection intestinale, indépendamment des quantités et de la vitesse d’alimentation (1,3,6,7,11,26). Les probiotiques et les prébiotiques (oligosaccharides du lait maternel), sont de plus en plus impliqués dans ce rôle protecteur (1,5,7,26). Les probiotiques fournissent des bactéries commensales pour améliorer la fonction de la barrière intestinale, moduler les cytokines pro-inflammatoires et réguler la réponse immunitaire innée. La métabolisation des HMO du lait immun par une flore anaérobe stricte ainsi privilégiée stimule la production luminale d’acides gras à chaînes courtes, diminuant ainsi le pH intestinal, augmentant la motilité intestinale et améliorant l’intégrité de la barrière muqueuse. La richesse en lactose, la pauvreté en protéines et la faible concentration en phosphore du lait humain constituent la triade « bifidogène » permettant le développement des bifidobactéries grâce au pouvoir tampon faible du lait humain. Cet effet est toutefois atténué chez le prématuré vu l’enrichissement nécessaire en protéines et en phosphore pour assurer sa bonne croissance et sa bonne minéralisation. Néanmoins, cette alimentation de qualité doit rester la règle pour tenter de diminuer le développement excessif et l’adhésion des bactéries pathogènes à la muqueuse gastro-intestinale (1,3,5,6,11,26). Le lait humain de donneur reste supérieur au lait artificiel, bien que la pasteurisation et le stockage portent à la perte de nombreux facteurs nutritionnels et protecteurs. La lactoferrine, une protéine du lait maternel, est connue pour ses propriétés antimicrobiennes et favorise le développement du système immunitaire muqueux. Son administration peut avoir des effets bénéfiques sur la modification du microbiote néonatal et la réduction des pathogènes, mais l’effet sur l’incidence de l’ECUN est marginal (1,11,26).

Conclusion

L’ECUN du prématuré reste une pathologie assez fréquente mais encore mal comprise. Sa prise en charge et son traitement requièrent une hospitalisation dans un centre de soins intensifs néonatals tertiaire permettant une approche diagnostique et thérapeutique multidisciplinaire incluant la chirurgie pédiatrique. Le rôle essentiel du pédiatre se situe dans la prévention et la reconnaissance précoce de cette pathologie, qui doit être prise en charge rapidement car son évolution peut être fulminante.

Recommandations pratiques

Les facteurs de prévention prouvés de l’ECUN, comme l’allaitement maternel exclusif et prolongé et l’usage éventuel de souches probiotiques démontrées comme efficaces au travers des études, doivent être privilégiés pour éviter sa survenue. Une reconnaissance précoce et une prise en charge rapide de cette pathologie sévère sont nécessaires pour améliorer le pronostic des enfants atteints.

Affiliations

1. Service de Néonatologie des Cliniques Universitaires Saint Luc, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles.
2. Service de Radiologie pédiatrique des Cliniques Universitaires Saint Luc, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles.

Correspondance

Dr Stéphanie Jasienski
Cliniques Universitaires Saint Luc
Service de Néonatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
stephaniejasienski@gmail.com

Références

  1. Knell J, Han S, Jaksic T, Modi B. Current status of necrotizing enterocolitis. Current Problems in Surgery. 2019; 59: 11-38.
  2. Neu J, Modi N, Caplan M. Necrotizing enterocolitis comes in different forms: historical perspectives and defining the disease. Seminars in Fetal and Neonatal Medicine. 2018; 23: 370-73.
  3. Torrazza R, Li N, Neu J. Decoding the enigma of necrotizing enterocolitis in premature infants. Physiopathology. 2014; 21: 21-27.
  4. Hickey M, Georgieff M, Ramel S. Neurodevelopmental outcomes following necrotizing enterocolitis. Seminars in Fetal and Neonatal Medicine. 2018; 23: 426-32.
  5. Robertson C, Savva GM, Clapuci R, Jones J, Maimouni H, Brown E et al. Incidence of necrotising enterocolitis before and after introducing routine prophylactic Lactobacillus and Bifidobacterium probiotics. Arch Dis Child Fetal Neonatal. 2019; 0: F1-7.
  6. Alganabi M, Lee C, Bindi E, Pierro A. Recent advances in understanding necrotizing enterocolitis. F1000 Research. 2019; 8: 107.
  7. Bazacliu C, Neu J. Pathophysiology of necrotizing enterocolitis: an update. Current Pediatric Reviews. 2019; 15: 68-87.
  8. Fusunyan R, Nanthakumar N, Baldeon M, Walker W. Evidence for an innate immune response in the immature human intestine: Toll-like receptors on fetal enterocytes. Pediatr Res. 2001; 49: 589-593
  9. Dominguez K, Moss R. Necrotizing Enterocolitis. Clin Perinatol. 2012; 39: 387-401.
  10. Bowker R, Yan X, De Plaen I. Intestinal microcirculation and necrotizing enterocolitis: The vascular endothelial growth factor system. Seminars in Fetal and Neonatal Medicine. 2018; 23: 411-15.
  11. Thomas Rose A, Mangal Patel R. A critical analysis of risk factors for necrotizing enterocolitis. Seminars in Fetal and Neonatal Medicine. 2018; 23: 374-379.
  12. Kastenberg Z, Sylvester K, The surgical management of necrotising enterocolitis. Clin Perinatol. 2013; 40: 135-148.
  13. Riskin A, Cohen K, Kugelman A, Toropine A, Said W, Bader D. The impact of routine evaluation of gastric residual volumes on the time to achieve full enteral feeding in preterm infants. J Pediatr. 2017; 189: 128-34.
  14. Abdel-Haie O, Behiry E, Abd Almonaem E, Ahmad E, Assar E. Predictive and diagnostic value of serum intestinal fatty acid binding protein in neonatal necrotizing enterocolitis (case series). Ann Med Surg (Lond). 2017; 21: 9–13.
  15. Hau EM, Meyer SC, Berger S, Goutaki M, Kordasz M, Kessler U. Gastrointestinal sequelae after surgery for necrotizing enterocolitis: a systemic review and meta-analysis. Arch Dis Child Fetal Neonat. 2018; 0: F1-F9.
  16. Heida F, Looos M, Stolwijk L, Te Kiefte, Van Den Ende S, Onland W et al. Risk factors associated with post necrotizing enterocolitis strictures in infants. J of Ped Surgery. 2016; 51: 1126-1130.
  17. Nordenström K, Lannering K, Mellander M, Elfvin A. Low risk of necrotising enterocolitis in enterally fed neonates with critical heart disease: an observational study. Arch Dis Child Fetal Neonatal. 2020; 0: F1-F6.
  18. Bubberman J, van Zoonen A, Bruggink J, Van Der Heide M, Berger R, Bos A, Kooi E, Hulscher J. Necrotizing enterocolitis associated with congenital heart disease: a different entity? J Pediatr Surg. 2019; 54: 1755-1760.
  19. Cordova J, Sriram S, Patton T, Jericho H, Gokhale R, Weinstein D et al. Manifestations of cow’s-milk protein intolerance in preterm infants. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2016; 62: 140-144.
  20. Murch S. Cow’s-milk protein as a specific immunological trigger of necrotising enterocolitis – or food protein – induced enterocolitis syndrome in disguise? J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2013; 56: 3.
  21. Bingemann T, Sood P, Jarvinen K. Food protein-induced enterocolitis syndrome. Immunol Allergy Clinic. 2018; 38: 141-152.
  22. Abdelhamid AE, Chuang SL, Hayes P, Fell J. Evolution of in vitro cow’s-milk protein-specific inflammatory and regulatory cytokine responses in preterm infants with necrotising enterocolitis. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2013; 56: 5-11.
  23. Kliegman R, Fanaroff A. Neonatal necrotizing enterocolitis. N Engl J Med. 1984; 310: 1093-1103.
  24. Berseth C, Bisquera J, Paje V. Prolonging small feeding volumes early in life decreases the incidence of necrotizing enterocolitis in very low birth weight infants. Pediatrics. 2003; 111: 529-534.
  25. Patole S, de Kerk N. Impact of standardised feeding regimens on incidence of neonatal enterocolitis: a systematic review and meta-analysis of observational studies. Arch Dis Child Fetal Neonatal Edit. 2005; 90: F147-F151.
  26. Kleist S, Knoop K. Understanding the elements of maternal protection from systemic bacterial infections during early life. Nutrients. 2020; 12: 1045.