Le surdiagnostic du burn out

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Publié dans la revue de : Mai 2017 Rubrique(s) : Congrès UCL de Médecine Générale
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Résumé de l'article :

Le diagnostic de burn out est souvent posé à tort. Dans cet article, nous tentons d’en faire le diagnostic différentiel à partir de l’histoire de la psychiatrie.

Mots-clés

État dépressif, trouble panique, burn out

Article complet :

INTRODUCTION

Il est étonnant que la plupart des absences de moyenne durée sur le lieu du travail portent le label du burn out. Aujourd’hui, peu de gens se disent dépressifs ou anxieux ; ils utilisent plutôt le concept du burn out et, dans une certaine mesure, ils ont raison puisque cet autodiagnostic sera fréquemment renforcé par l’avis d’un médecin. Comment en est-on arrivé là ? Afin de comprendre cette surévaluation, je vais reprendre les trois concepts qui devraient apparaître dans le diagnostic différentiel, à savoir l’état dépressif, le trouble panique et le burn out lui-même, dans une perspective historique. Nous commencerons donc par l’état dépressif et le trouble panique ; l’un et l’autre sont liés à l’une des dimensions fondamentales de l’existence humaine, la dépression à l’humeur et le trouble panique à l’angoisse.

L’ÉTAT DÉPRESSIF

Classiquement, les psychiatres considèrent la dépression comme un trouble de l’humeur. À ce propos, nous pourrions reprendre les réflexions de Saint-Augustin sur le temps et si nous remplaçons le concept du temps, nous pourrions écrire : « Qu’est-ce donc que l’humeur ? Qui en saurait donner facilement une brève explication ? Qui pourrait la saisir, ne serait-ce qu’en pensée, pour en dire un mot ? Et pourtant quelle évocation plus familière que celle de l’humeur ? Nous la comprenons bien quand nous en parlons ; nous la comprenons aussi en entendant autrui en parler. Qu’est-ce donc que l’humeur ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus » (1).

Martin Heidegger a longuement travaillé la question de l’humeur (2). Nous pourrions partir du concept d’atmosphère. Après une réunion, il est fréquent d’entendre les participants parler de l’atmosphère de la rencontre. Que visent-ils en fait ? Les autres membres, étaient-ils sympathiques, détendus ? La pièce était-elle suffisamment spacieuse ? Etait-elle chauffée ? Bref, toutes ces choses qui influencent fortement l’issue d’une discussion. Il en va de même pour l’humeur. L’homme est sans arrêt entouré d’objets animés et inanimés. Il côtoie d’autres personnes, un animal de compagnie, vit dans un logement dont les couleurs, l’ameublement lui plaisent. En un mot, il entre en harmonie avec ce qui l’entoure.

La dépression apparaît lorsque cette harmonie disparaît. Elle se manifeste par trois symptômes cardinaux (3) :

1° L’inversion du rythme nycthéméral. Lorsque je suis en harmonie avec ce qui m’entoure, je le suis forcément avec la Nature ; je m’active le jour et je dors la nuit. Le dépressif, lui, somnole le jour et souffre d’insomnie.

2° La perte d’énergie vitale (l’anhormie). Les philosophes grecs nous ont enseigné que seul, le changement attire notre attention (4). Ainsi, personne ne se pose la question de ce qui lui a permis de se lever le matin, prendre sa douche, et partir travailler. Lorsque ces gestes quotidiens deviennent impossibles, alors seulement, la question de l’énergie vitale se pose ; elle a disparu. En fait, notre élan vital tient de la participation au mouvement du Monde, et donc de notre harmonie avec celui-ci.

3° La perte de capacité de plaisir (anhédonie). La capacité de plaisir est intimement liée à l’harmonie entre la personne et ce qui l’entoure. C’est par ailleurs, le symptôme le plus facile à investiguer en clinique. Si je vois un patient pour la première fois, je lui demande ce qui lui a fait plaisir au cours des trois derniers jours ; un patient dépressif me répond « rien ». C’est encore plus facile si je connais bien le patient. Un grand amateur de football, en bonne santé organique, qui ne se rend plus aux entraînements, qui ne regarde plus les compétitions à la télévision est vraisemblablement anhédonique.

Comme nous le voyons, l’état dépressif est la plupart du temps facile à diagnostiquer. Il répond généralement bien au traitement et le patient peut reprendre ses activités à court terme. Retenons cette dernière notion, elle nous sera utile par la suite.

LE TROUBLE PANIQUE

En 1980 paraît le DSM III. Nous y trouvons le trouble panique. Pour entrer dans la catégorie du trouble panique, les patients doivent avoir des attaques de panique survenant de façon tout à fait inattendue. Voici la définition de l’attaque de panique (5):

Une période bien délimitée de crainte ou de malaise intense, dans laquelle au minimum quatre des symptômes suivants sont survenus de façon brutale et ont atteint leur acmé en moins de dix minutes :

1. palpitations, battements de cœur ou accélération du rythme cardiaque

2. transpiration

3. tremblements ou secousses musculaires

4. sensations de «souffle coupé» ou impression d’étouffement

5. sensation d’étranglement

6. douleur ou gêne thoracique

7. nausée ou gêne abdominale

8. sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide ou impression d’évanouissement

9. déréalisation (sentiments d’irréalité) ou dépersonnalisation (être détaché de soi)

10. peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou

11. peur de mourir

12. paresthésies (sensations d’engourdissement ou de picotement)

13. frissons ou bouffées de chaleur

En fait, l’appellation était nouvelle, la pathologie ne l’était pas. Elle était décrite dans tous les manuels de psychiatrie depuis bien longtemps ; on l’appelait raptus anxieux ou crise d’angoisse (6). Le trouble anxieux est souvent méconnu et reçoit toutes sortes de mauvais diagnostics alors que son traitement est simple et que le pronostic est bon (7).

LE BURN OUT

Aux USA, dans le courant des années 1970, les psychologues sont interpellés par le nombre croissant de soignants que se désengagent de leur activité professionnelle, suite à un état de fatigue (8).

En 1981, Maslach définit le burn out comme « un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement personnel qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès d’autrui » (9).

Le burn out est un syndrome présentant trois caractéristiques principales :

- Un affaiblissement psychique et physique, il s’agit d’un épuisement émotionnel.

- Une perte d’empathie voire du cynisme, il s’agit de la dépersonnalisation.

- La réduction de l’accomplissement personnel entraînant une diminution du rendement et un absentéisme. La personne concernée ne voit plus le sens de son investissement dans l’entreprise.

Le terme de burn out qui en traduction littérale veut dire « réduire en cendres » est emprunté à l’industrie aéronautique : il signifie que l’étage de la fusée a brûlé toute son énergie.

Le burn out n’est pas tant la conséquence d’un stress extrême que d’un déséquilibre entre le stress quotidien et le «return». Expliquons-nous. Toute activité médicale engendre un certain niveau de stress. À titre d’exemple, le travail en salle d’urgences, au quartier opératoire ou aux soins intensifs engendre un état de tension. Celui-ci est généralement bien toléré pour autant que le soignant reçoive un «return», c’est-à-dire une gratification ou au moins un sentiment d’efficacité. Le burn out apparaît généralement lorsque ce «return» s’affaiblit (10).

Dans certains pays, le burn out a atteint de proportions impressionnantes. Ainsi, en Suède, un médecin hospitalier sur trois demande une nouvelle affectation alors qu’un médecin sur dix souhaite quitter la profession médicale (11). En France, dans les hôpitaux universitaires, plus d’un chef de service sur trois souhaite abandonner ses fonctions alors que près d’un non chef de service sur deux refuserait cette promotion si elle lui était proposée. Comment comprendre les résultats de cette étude alors qu’il y a peu le poste de chef de service dans un hôpital universitaire représentait encore le sommet de la carrière médicale ? Selon Masquelet, les charges qui pèsent sur les épaules d’un chef de service sont devenues de plus en plus écrasantes : On attend de lui qu’il soit un excellent clinicien mais également un bon gestionnaire ; il lui faut enseigner et diriger de nombreux travaux de recherche. Parallèlement, son pouvoir de décision s’est considérablement réduit au profit d’une direction de plus en plus administrative. On retrouve donc ici un phénomène de déséquilibre (12).

Nous voyons donc que le pronostic du burn out est mauvais. Habituellement, il faut changer d’employeur, quelquefois la meilleure solution est un changement de métier. Il convient toutefois de se réjouir que des cliniques du burn out voient le jour et tentent une réinsertion professionnelle du travailleur en souffrance. Maslach s’était, en un premier temps, intéressée au monde des soignants. Aujourd’hui, nous considérons que le burn out peut apparaître dans toute entreprise.

Tel que nous l’avons décrit, le burn out est une entité discrète. Toutefois, s’il n’est pas diagnostiqué à temps, il peut se compliquer d’une assuétude ou d’un état dépressif. La prise en charge sera dès lors encore plus difficile.

CORRÉLATS DU BURN OUT

Rössler a longuement étudié les corrélats personnels et les corrélats de l’entreprise en matière de burn out (13). En effet, dans une même entreprise, tout le monde ne fait pas un burn out. En d’autres termes, quelles sont les personnalités à risques, quelles sont les entreprises à risque ?

Corrélats personnels

Enthousiasme, créativité, goût du contrôle.

Les jeunes sont plus à risque que leurs aînés.

Il y aurait une discrète prédominance féminine.

Corrélats de l’entreprise

Organigrammes imprécis.

Charge de travail élevée.

Contact direct avec le patient et sa famille.

Manque de soutien des collègues et de la hiérarchie.

Manque de feedback positifs.

Absence de concertation dans les prises de décision.

PRÉVENTION

À la lecture de ce qui précède, nous comprenons facilement qu’une entreprise qui souhaite améliorer le bien-être de ses travailleurs veillera à améliorer sa communication ainsi qu’à créer une culture de concertation et de feedback positifs (14).

CONCLUSION

Nous constatons que le burn out est une entité bien précise qui prend ses racines dans le milieu du travail et qui, s’il n’est pas compliqué, n’a presque pas de répercussion dans la vie privée : le patient reste énergique à la maison et garde un goût prononcé pour ses loisirs. Quelquefois, le sommeil est discrètement affecté. Il s’agit donc bien d’une maladie professionnelle. Le surdiagnostic du burn out pose donc problème ; en effet, dans le burn out, la prescription d’antidépresseurs sera sans effet et, comme nous l’avons dit, le pronostic sera moins favorable que dans un état dépressif ou un trouble panique. Nous pouvons, à cet égard, émettre une hypothèse. Notre société prône l’excellence, la performance. Un patient dépressif ou anxieux ne répond pas à ces critères. Par contre, celui qui présente un burn out est perçu comme un « battant » qui ne s’est pas ménagé et qui a sans doute méconnu ses limites. Il est bien légitime de réagir ainsi ; lorsqu’on souffre, le regard de l’autre est perçu avec une sensibilité toute particulière.

TAKE HOME MESSAGE

Le burn out est une entité nosographique spécifique qui, lorsqu’elle n’est pas compliquée, relève de la médecine du travail et non de la psychiatrie.

Correspondance

Pr. Alain Luts
Chef de Clinique
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de psychiatrie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

1. Saint-Augustin. Les Confessions. Gallimard 1998; 1040-1041.

2. Safranski R. Heidegger et son temps. Grasset 1994; 172-173.

3. Schotte J. Szondi avec Freud. De Boeck 1990; 173-213.

4. Werner Ch. La philosophie grecque. Payot 1972; 17-41.

5. American Psychiatric Association. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Elsevier Masson 2015; 244-256.

6. Ey H. Manuel de Psychiatrie. Masson 1978; 229.

7. Stein D. Clinical Manual of Anxiety Disorders. American Psychiatric Publishing 2004; 13-35.

8. Freudenberger HJ. Staff burn out. J Social Issues 1974; 30: 159-165.

9. Maslach C, Jackson SE. The measurement of experienced burnout. J Occupation Behav 1981; 2: 99-113.

10. Luts A Le burn out chez le médecin. Santé Conjuguée 2005; 1(32): 63-66.

11. Bonn D. Work-related stress: can it be a thing of the part? Lancet 2000; 355: 124.

12. Masquelet A. La fonction de chef de service en milieu hospitalier. Cités 2001 ; 6: 137-142.

13. Rossler W. Stress, burnout and job dissatisfaction in mental health workers. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci 2012; 262 : 65-69.
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14. Luts A. La santé mentale des médecins. Louvain Med 2002 ; 121 : 1-5.