Le linceul de Turin

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Christian Brohet Publié dans la revue de : Décembre 2023 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Le linceul de Turin est une étoffe de lin de 4m42 de long sur 1m14 de large, conservée dans la cathédrale de Turin en Italie.

Article complet :

Introduction

Le linceul de Turin est une étoffe de lin de 4m42 de long sur 1m14 de large, conservée dans la cathédrale de Turin en Italie. Ce drap est vénéré par d’innombrables croyants comme pouvant être le linceul ayant enveloppé le corps supplicié de Jésus-Christ, bien que l’Eglise Catholique ne se soit jamais clairement prononcée à ce sujet, estimant qu’il s’agissait d’une icône plutôt qu’une véritable relique.

Sur ce drap se trouve représentée l’empreinte à peine visible d’un homme ayant été torturé, flagellé et crucifié, avec les traces de sévices tels que décrits dans un article précédent concernant les circonstances de la mort physique de Jésus. Cependant, d’autres observateurs considèrent que ce « linceul » n’est rien d’autre qu’un « faux » fabriqué au Moyen Age et une datation au carbone 14 réalisée en 1988 semble leur avoir donné raison. Pourtant, des travaux scientifiques ultérieurs ont invalidé cette assertion et nous nous retrouvons avec une question lancinante : le linceul de Turin (parfois appelé improprement « Saint-Suaire de Turin »), vrai linceul authentique du Christ ou artefact datant de l’époque médiévale ?

Mon intérêt pour cette question remonte au milieu des années 1980 lors d’une nuit passée dans un avion me ramenant des Etats-Unis à Bruxelles. Je m’étais acheté à la librairie de l’aéroport américain un livre intitulé « Report on the Shroud of Turin », publié en 1983, dont l’auteur, le Dr John H. Heller, décrivait les résultats des recherches menées sur le linceul par une équipe d’une quarantaine de scientifiques américains, dénommée « STURP » (pour Shroud of TUrin Research Project). Deux chercheurs de cette équipe, notamment le Dr Heller, biophysicien, et son collègue le Dr Adler, un chimiste juif, purent démontrer que les traces de sang présentes sur le tissu étaient bien du sang humain. Rédigé comme un véritable polar, ce livre m’a tenu éveillé pendant tout le voyage de retour, cette nuit blanche ayant définitivement suscité mon envie d’en savoir plus…

Mais que savons-nous de l’histoire du Linceul de Turin ?

Parcours historique du linceul de Turin

On peut suivre l’histoire du linceul non pas depuis son origine, lors de la découverte à Jérusalem du tombeau vide par Simon-Pierre et Jean le 5 avril de l’an 33, mais lors de son arrivée dans la ville d’Edesse (située en Turquie actuelle) vers 387-388. Avant cela, on peut supposer que le linceul fut caché à Jérusalem, peut être plié et conservé dans une jarre. La légende d’Abgar mentionne l’existence d’une image « acheiropoïète », c’est à dire non faite de main d’homme, représentant la face du Christ. Ce linge fut appelé le « Mandylion ». En tout cas, à partir de son arrivée à Edesse, les représentations artistiques du Christ se modifient : plutôt qu’un beau jeune homme imberbe style jeune berger, le Christ devient un homme mûr de type sémite avec longue chevelure, une raie au milieu de la tête, et une barbe en pointe ou bifide, exactement comme sur l’image du linceul.

Ensuite, l’existence du linceul est attestée en 944 à Constantinople, capitale de l’empire Byzantin ou empire romain d’Orient. Un chevalier français, Robert de Clari prétend avoir vu le linceul à Constantinople en 1203 et qu’il aurait ensuite disparu lors du sac de la ville par les croisés l’année suivante en 1204. Il a probablement confondu une fausse relique conservée dans l’église des Blachernes avec le vrai linceul conservé dans l’église du palais impérial au Pharos distante de 4 km. Nicolas de Mésaritès, gardien des reliques en parle en 1207 comme étant toujours au palais du Pharos. Pourtant, en 1205, le garde des sceaux de l’empereur avait écrit au pape Innocent III pour se plaindre du rapt de reliques, dont le linceul, par les croisés, notamment par un certain Othon de la Roche qui aurait emporté le linceul à Athènes et l’aurait remis au clan des Achaiens composé de chevaliers français séjournant en Grèce.

Par après, l’histoire du linceul pourra être retracée de façon plus précise. Il semble avoir été transféré en France, avec d’autres reliques de la Passion, cédées par Baudouin II, l’empereur latin, à Saint Louis, roi de France. Les reliques, dont le linceul et la couronne d’épines, sont conservées pendant un siècle dans la Sainte Chapelle à Paris. En septembre 1347, le roi de France Philippe VI de Valois offre le linceul (dont il sous-estime la valeur) à son porte-oriflamme le chevalier Geoffroy de Charny. Celui-ci devient donc propriétaire du linceul qui est exposé dans la collégiale de Lirey, près de Troyes en Champagne où ont lieu les premières ostensions en 1355. La petite fille de Geoffroy de Charny, Marguerite, cède le linceul au duc Louis de Savoie. Le linceul devient propriété de la maison de Savoie à partir de 1453. Il est transféré de Genève à Chambéry où il est victime d’un incendie de la chapelle en 1532, ce qui nécessitera un reprisage par les Clarisses de Chambéry. Le duc de Savoie cède alors le linceul qui est transporté à Turin en 1578. Plus tard d’autres incendies mettront le linceul en péril, ceux de 1973 et 1997, ce dernier sinistre ayant pu être maîtrisé par un pompier qui parvint à briser une vitre de protection réputée incassable ! En 1983, la donation effectuée deux ans auparavant par l’ex-roi d’Italie Umberto III au Vatican est acceptée par le pape Jean-Paul II qui décide que la relique resterait à Turin et désigne comme custode pontifical du Saint Suaire le cardinal Ballestrero qui donnera son accord pour la datation au carbone 14…

Recherche scientifique sur le linceul de Turin

Le début de l’histoire scientifique du linceul remonte à la fin du XIXe siècle lorsque, à l’occasion d’une ostension du Saint Suaire conservé à la cathédrale Saint Jean Baptiste de Turin, la première photographie de l’image représentée aboutit à une découverte exceptionnelle. Cette photographie fut réalisée en mai 1898 par un notable de la ville, le chevalier Secundo Pia, avocat de profession et féru de cette nouvelle technique inventée quelques années auparavant. En développant le cliché, le chevalier Pia eut l’énorme surprise de constater que le négatif obtenu donnait une représentation beaucoup plus nette et plus précise de l’empreinte inscrite sur le drap. Alors que sur le drap lui-même on distingue à peine une image de couleur jaune paille très pâle qui ne peut être discernée qu’à plus de deux mètres de distance, sur le négatif de la photo on voit nettement l’image des deux faces, ventrale et dorsale, tête bêche, d’un homme mort, avec des traces de torture et de crucifiement. Il y a inversion des teintes, le clair devenant sombre et le sombre clair. Cela signifie que l’image inscrite sur le drap équivaut à un négatif photographique (puisque le négatif obtenu par Pia a les caractéristiques d’un positif et que négatif sur négatif donne positif). Pour la première fois un être humain pouvait contempler cette image mystérieuse de « l’homme du linceul » ! La surprise du photographe fut telle qu’il faillit laisser choir la plaque de verre où était imprimée l’image positive du corps…

Lors d’une ostension ultérieure en mai 1931, un autre photographe, le chevalier Giuseppe Enrie obtint des clichés encore plus détaillés de l’image du linceul. C’était le début d’une intense recherche scientifique pour tenter d’expliquer la composition et la nature du linceul de Turin.

Caractéristiques de la pièce de lin

Le drap du linceul est un tissu de lin, un sergé à chevrons 3/1 avec torsion des fils en Z, blanchi après tissage selon l’usage au Moyen Orient avant le 8e siècle. Il s’agit d’une pièce de grand prix dont la valeur actuelle serait d’environ 10.000 euros, identique à certains tissus découverts à Massada en Palestine et datant du 1er siècle de notre ère. La principale caractéristique est sa grande finesse, son épaisseur n’étant que de 0,3mm. La toile contient quelques traces de coton (connu en Palestine dès l’Antiquité, mais pas en Europe avant le 15e siècle) sans trace de laine selon les prescriptions du Deutéronome qui interdisait le mélange de fibres animales et végétales. Cela semble donc bien correspondre à l’origine proche-orientale de ce drap.

Caractéristiques de l’empreinte

Les caractéristiques de l’empreinte de coloration jaune paille et des traces de coloration rougeâtre furent étudiées par le STURP, ce groupement de 35 chercheurs scientifiques américains dont 24 vinrent sur place à Turin pour analyser le linceul au moyen de 6 tonnes de matériel sophistiqué, lors de l’ostension de 1978. Les recherches aboutirent à la conclusion que l’image de l’empreinte était le résultat d’une « oxydation déshydratante acide », donnant une espèce de « roussissure » superficielle de la partie supérieure des fibres de lin, ne portant que sur 40 microns ! Les chercheurs Heller et Adler prouvèrent que les traces rougeâtres provenaient de sang humain, qu’on pouvait y distinguer du sang artériel, du sang veineux et du sang post mortem et que l’empreinte du corps n’existait pas sous ces traces de sang, ce qui indiquerait qu’elle se serait formée postérieurement par rapport à ces taches. En tout cas, il est certain qu’il ne peut s’agir en aucun cas d’une peinture car l’empreinte ne montre pas de contour net, pas de pigment décelable, pas de traces de collagène ni de poils de brosse…La coloration rouge carminée du sang a longtemps intrigué les chercheurs parce-que le sang vieilli prend normalement une coloration rouge foncé, brune ou noire. En fait, c’est la bilirubine présente dans le sang qui explique ce phénomène, et la bilirubine est un produit de dégradation de l’hémoglobine qui apparait lorsque le corps a subi de violents traumatismes ce qui est le cas de l’homme du linceul. C’est l’un des participants aux travaux du STURP, Barrie Schwortz, un photographe juif, qui amena cette réflexion.

L’image de l’empreinte présente un autre aspect bien intrigant. Il s’agit d’un caractère de « tridimensionnalité », comme si l’image s’était imprimée par projection orthogonale d’un rayonnement émis par le corps qui aurait été « suspendu », en apesanteur, à faible distance du drap étalé horizontalement, à plat ! En effet, la densité de la coloration des fibres est inversement proportionnelle à la distance entre la source émettrice (la surface du corps) et l’objet recevant l’émission (le drap). De plus, l’image ne comporte aucune ombre qui habituellement donne l’impression de relief, et l’image n’est pas non plus déformée comme ce cela se produirait par contact direct avec le corps. Ce caractère de tridimensionnalité a été démontré en 1976 par Jackson et Jumper en utilisant un analyseur d’images VP8 de la NASA. Les chercheurs Thierry Castex et Petrus Soons ont produit des images saisissantes, en 3-D de l’empreinte du linceul. Tout se passe donc comme si un rayonnement (dont la nature sera évoquée plus loin) était sorti du corps flottant, en apesanteur, à faible distance du linge parfaitement plat !

Analyse iconographique du linceul

Le corps imprimé sur le linceul est celui d’un homme d’âge mûr, entre 30 et 40 ans, de constitution robuste dont la taille est d’environ 1,80m à 1,90m.

L’analyse de l’image de ce corps imprimée sur le linceul fournit des informations extrêmement précises qui correspondent en tous points à la description donnée par les évangiles du déroulement de la Passion du Christ. En voici la liste :

- conséquences des sévices infligés lors du procès : tuméfaction des arcades sourcilières, gonflement de l’œil gauche, cartilage du nez cassé, barbe en partie arrachée ;
- traces de la flagellation : utilisation du fouet romain (flagrum) muni de petites billes de plomb à l’extrémité des lanières, 100 à 120 marques de coups réparties sur tout le corps sauf les avant-bras, hypothèse de deux exécutants, le bourreau de droite plus grand et plus actif ;
- traces de la couronne d’épines : en forme de bonnet plutôt que couronne, perforations du cuir chevelu avec saignement abondant bien visible sur la face postérieure du crâne, coulées plus discrètes à l’avant comme la trace en epsilon inversé qui s’explique par le cheminement du sang au niveau de l’arcade sourcilière ; Ce couronnement d’épines est un phénomène unique dans l’histoire antique des crucifixions romaines ;
- traces du portement de la croix : larges contusions sur une épaule et le dos dues au frottement du patibulum, la poutre horizontale portée par le condamné jusqu’au lieu de l’exécution. Présence de boue avec cristaux d’aragonite sur le genou gauche, les pieds et le nez, conséquences des chutes du condamné;
- traces du crucifiement : localisation des clous au niveau des poignets (et non pas dans les paumes des mains comme le représentent la grande majorité des peintures religieuses). Cette particularité est bien connue depuis les travaux du chirurgien français, le Dr Pierre Barbet. On remarque aussi l’absence de visualisation des pouces qui se sont rétractés suite à la lésion du nerf médian. Cette particularité se retrouve sur un dessin reproduit dans un manuscrit, le codex de Pray, une œuvre datant de 1192-1195 conservée à la bibliothèque nationale de Budapest. Certains détails suggèrent que l’auteur de cette miniature a vu le linceul à Constantinople à cette époque ; l’examen de la position des clous des pieds laisse persister un doute, un seul clou pour les pieds superposés ou deux clous, un pour chaque pied dont enclouage dans l’espace de Mérat pour le pied droit et dans le sinus du tarse pour le pied gauche;
- causes de la mort du crucifié : probablement par asphyxie suite à l’épuisement total et la rigidité musculaire empêchant la victime de s’arc-bouter sur les clous des pieds en tirant sur les bras pour respirer. Thorax bloqué en inspiration comme chez l’asthmatique, coulées de sang sur les avant-bras, grande plaie sur le côté droit de la poitrine due au fameux « coup de grâce » asséné au moyen de la lancea romaine, suivant les prescriptions de Jules César, pour s’assurer du décès du crucifié, plaie non refermée ce qui témoigne de la mort du condamné, présence de sang (provenant de l’oreillette droite) et de sérosité correspondant à l’écoulement de liquide pleural et péricardique, absence de fractures des os des jambes ;
- circonstances de l’ensevelissement et de la mise au tombeau : les chercheurs n’ont pu mettre en évidence aucun signe de putréfaction, de décomposition, ce qui suggère que le corps n’aurait séjourné que moins de 30 heures dans son linceul.

Cette concordance totale entre le récit des évangiles et les caractéristiques de l’image du linceul est encore renforcée par la découverte ultérieure de plusieurs indices concernant la position du corps sur la croix, la trace de pièces de monnaie sur les yeux, la présence d’inscriptions administratives, etc. Déjà en 1902, le Pr Yves Delage, un scientifique agnostique, spécialiste d’anatomie, avait relevé cette concordance entre récit évangélique et image du linceul. Mais sa communication à l’Académie des Sciences avait été refusée par Berthelot, le secrétaire permanent de l’Académie, également agnostique. Delage lui répondit dans une lettre que « si, au lieu du Christ, il s’était agi d’un Sargon ou d’un pharaon quelconque, personne n’eût rien trouvé à redire ».

Polémique autour du test de datation au Carbone 14

La tentative de datation du linceul au moyen du test au Carbone 14 avait été acceptée par l’archevêque-custode Anastasio Ballestrero qui en annonça les résultats en proclamant le 13 octobre 1988 que « l’intervalle de datation du tissu du suaire, déterminé avec un taux de fiabilité de 95%, se situait entre 1260 et 1390 de notre ère ». Autrement dit, le linceul serait un tissu datant de l’époque médiévale. Le lendemain, ces résultats qui semblaient contredire l’authenticité du linceul, furent commentés de façon triomphaliste par les responsables scientifiques des trois laboratoires ayant participé à cette datation, situés à Oxford, Tucson et Zurich.

Cependant, très vite des questions se posèrent quant à la fiabilité de cette « recherche ». En plus du climat anti-religieux entourant cette expérience, on s’aperçut que les clauses du protocole (indépendance des trois centres, respect du double insu, etc.) n’avaient pas été totalement respectées. Les scientifiques des trois laboratoires s’étaient concertés et avaient éliminé certaines dates qui ne leur convenaient pas…En outre, l’article publié le 16 février 1989, plus de sept mois après la fin des analyses, sous forme de quatre petites pages de la revue Nature, laisse sur sa faim : ne sont rapportées que des moyennes, aucun chiffre brut, et une discordance inattendue entre les résultats des trois laboratoires suggérant qu’il n’y avait que 5% de chances que ces laboratoires aient analysé le même tissu ! Après avoir obtenu les chiffres bruts en 2017, on put estimer que la dispersion était encore plus grande et qu’il n’y avait plus que 1% de chances que les trois laboratoires aient analysé le même tissu. En 2005, un chercheur américain, Raymond Rogers, constata que les prélèvements avaient pu être réalisés dans une zone de ravaudage expliquant que des fils de tissu dont des fibres de coton auraient été insérés au moyen-âge. En 2013, quatre chercheurs purent affirmer que les échantillons analysés n’étaient pas représentatifs de l’ensemble du tissu, ce qui amena le cardinal Ballestrero à conclure : « oubliez le carbone 14, j’ai été trompé. »

Une hypothèse audacieuse concernant un « rajeunissement » factice du tissu a été proposée par le Père J-B Rinaudo qui est docteur en biophysique à la faculté de médecine de l’université de Montpellier. Il suggère que l’origine de l’empreinte s’expliquerait par un rayonnement produit par l’éclatement de particules de deutérium issues du corps et leur transformation en protons et neutrons. Le bombardement par des protons provoque une oxydation acide déshydratante à la surface des fibres tandis que le bombardement par des neutrons apporte du C14 sur la cellulose, ce qui aurait pour conséquence de rajeunir le tissu, et donc de fausser le test au Carbone 14. Bien entendu, la nature de ce rayonnement reste à ce jour inconnue.

Une nouvelle technique de datation

En avril 2022, une équipe italienne menée par le Pr Liberato De Caro à l’institut de cristallographie de Bari a publié les résultats d’un nouveau test de datation du linceul, utilisant une méthode de datation aux rayons X appelée « Wide Angle X-Ray Scattering (WAXS) ». Cette méthode consiste à mesurer le vieillissement de la cellulose du lin au moyen de rayons X et à le convertir en temps écoulé, tenant compte des conditions de conservation, en comparant le tissu du linceul à d’autres échantillons de lin datés entre -3000 avant J-C et + 2000 après. Ces chercheurs arrivèrent à la conclusion que le tissu du linceul datait bien du premier siècle de notre ère, qu’il était de structure très proche de celle d’un échantillon témoin d’une pièce de lin trouvée dans les ruines de la citadelle de Massada détruite par l’armée romaine de Titus en 73 de notre ère.

L’avantage de cette nouvelle technique est son caractère peu « invasif » : l’analyse est faite directement au niveau des fibres de cellulose, ce qui permet d’éliminer les contaminations intervenues avec le temps. L’échantillon peut être de petite taille (0,5X 1mm) et on peut fixer des conditions de température et d’humidité qui correspondent assez bien à ce qu’on sait du périple historique du linceul. On peut donc espérer que d’autres chercheurs tenteront de reproduire cette expérience et de confirmer les résultats de cette nouvelle technique de datation.

En conclusion de ces quelques 500.000 heures d’études scientifiques qui font du linceul de Turin l’objet archéologique le plus étudié au monde, nous pouvons considérer que cette étoffe de lin qui date vraisemblablement du premier siècle de notre ère, a servi à ensevelir un homme crucifié avec tous les stigmates de la Passion du Christ tels que décrits dans les évangiles, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une peinture datant de l’époque médiévale, que l’image du corps s’est imprimée après l’imprégnation par les caillots de sang, qu’on ne connait pas le procédé par lequel s’est imprimée cette image.

Arguments en faveur de l’authenticité du linceul de Turin

Aujourd’hui encore, la controverse persiste entre les tenants et les opposants de la thèse de l’authenticité du linceul. Il faut d’emblée souligner le fait que reconnaître l’authenticité n’est pas synonyme de l’accepter comme preuve de la résurrection du Christ. Croire en la résurrection est en effet une question de foi, tandis que la question de l’authenticité fait appel à des arguments d’ordre scientifique.

Une bonne vingtaine de détails inconnus au Moyen-âge, inimaginables à cette époque, plaident pour l’authenticité et permettent d’exclure l’hypothèse d’un « faux » fabriqué de main d’homme :

1. L’image du linceul est assimilable à un négatif photographique. Il est impensable qu’un artiste de l’époque médiévale ait conçu d’utiliser une technique qui ne serait inventée que quatre siècles plus tard ! Et pourquoi s’évertuer à réaliser une œuvre en négatif à peine visible, alors qu’elle aurait pu être réalisée directement en « positif » (comme tous les faux suaires connus, réalisés au moyen-âge) ?

2. Avec la dégradation des teintes, sans contours nets, sans ombre projetée, sans effet latéral, l’image a des caractères de tridimensionnalité qui explique l’impression de relief, ce qui ne serait pas concevable pour un faussaire de l’époque médiévale.

3. Certains détails contredisent les idées courantes qui auraient inspiré un faussaire voulant plaire à son public : la nudité complète du corps, inconcevable comme prouvé par les représentations des ostensions du 16e siècle où l’on a habillé l’empreinte, la couronne d’épines non pas circulaire mais en bonnet, les clous dans les poignets et non dans les paumes, position en forme de « S » sur la croix, avec l’épaule droite plus basse que la gauche , contrairement à toutes les représentations picturales de la crucifixion.

4. L’empreinte expose des caractéristiques précises, hors de portée des connaissances d’un faussaire du Moyen-âge : tuméfaction de la face suite aux sévices du procès, marques des coups administrés par le flagrum (instrument inconnu au Moyen-âge) avec disposition en double éventail, marques sur le dos et l’épaule du port du patibulum alors que les modalités du crucifiement étaient méconnues à cette époque, absence de signe d’écrasement des masses musculaires notamment les fessiers comme si le corps était en apesanteur entre les deux feuillets du drap, absence d’empreinte sous les traces de sang rendant impossible la réalisation d’un faux.

5. La nature du tissu permet d’écarter l’hypothèse d’un faux : tissu de grand prix, très fin, avec tissage en chevrons, en lin pur, avec quelques fibres de coton (matière inconnue en Occident au Moyen-âge) sans trace de laine. Un faussaire aurait sans doute utilisé un tissu plus grossier, de moindre prix…

6. L’analyse de l’image a révélé des détails non perceptibles à l’œil nu, donc inimaginables pour un faussaire : présence à la plante des pieds, sur les genoux et sur le nez de poussière d’aragonite, sorte de carbonate de calcium qu’on a retrouvé dans des tombes de la Jérusalem antique ; inscriptions visibles le long du visage « in necem ibis » (à la mort tu iras), probablement écrites par l’huissier romain lors de la fermeture du tombeau ; trace d’une pièce de monnaie placée sur l’œil droit, correspondant à un lepton frappé entre l’an 29 et 31, sous Ponce-pilate. Ont également été identifiés des pollens et des plantes qui ne poussent qu’au printemps dans la région entre Hébron et Jérusalem, et même une fleur du Proche-Orient disparue depuis le 8e siècle.

Tout converge donc vers la thèse de l’authenticité. Pour l’historien Jean-Christian Petitfils, c’est une certitude absolue : il s’agit bien du linceul de Jésus. Les taches de sang se recoupent parfaitement avec celles présentes sur deux autres reliques, le suaire d’Oviedo en Espagne et la tunique d’Argenteuil en France. Les positions coïncident et toutes ces taches sont du même groupe sanguin AB.

Signification du linceul pour la foi chrétienne

La démonstration de l’authenticité du linceul n’est pas une preuve de la réalité de la Résurrection qui reste du domaine de la foi. Ce qui frappe nos contemporains, c’est la singularité de cet objet qui est unique au monde et que personne ne pourra jamais reproduire. Si l’image provient de causes naturelles, on ne comprend pas pourquoi il n’y en aurait pas d’autres. Mais si elle a été produite par la Résurrection du Christ, événement absolument singulier, alors on comprend que cet objet singulier pourrait logiquement lui correspondre…

Il est vrai que le linceul présente l’image d’un homme mort, sans la moindre trace de vie, au visage empreint de sérénité. On ne comprend pas comment le cadavre a pu se détacher du tissu sans qu’il y ait eu arrachement des filaments de la fibrine de sang des caillots dont les contours sont intacts. En outre, le caractère isotrope et tridimensionnel, avec projection orthogonale de l’image donne à penser que celle-ci s’est formée suite à un rayonnement de nature inconnue (rayonnement de la Résurrection ?) sur un corps maintenu suspendu en apesanteur entre les deux feuillets du drap.

Ce ne sont là que des supputations, en aucun cas une « preuve » de la réalité de la Résurrection. Tout ceci explique la position de l’Eglise Catholique qui reste très prudente, comme toujours, devant des phénomènes extraordinaires, avant que de les considérer comme étant de nature surnaturelle. Plusieurs papes ont cependant pris position, notamment Jean-Paul II qui avait en 1998 qualifié le linceul de Turin de « provocation à l’intelligence ». En tout cas, la contemplation de l’image du linceul de Turin amène le croyant à réfléchir sur la signification de la Passion du Christ et le mystère de la Résurrection.

Références

  1. C Brohet. « Mort de Jésus du point de vue physiopathologique ». AMA Contacts, 124, mars 2023, p 194-199.
  2. Dr J H Heller. « Report on the shroud of Turin ». Houghton Mifflin Company, Boston 1984, 225 pages.
  3. J-C Petitfils. « Jésus ». Editions Fayard, Paris, octobre 2011, 668 pages.
  4. J-C Petitfils. « Le saint Suaire de Turin, témoin de la Passion de Jésus-Christ ». Editions Tallandier, Paris, août 2022, 462 pages.
  5. F Giraud, T Castex, Y-M Giraud. « Etudes et révélations sur le linceul ». Editions Rassemblement à son image, Plouisy, décembre 2017, 349 pages.
  6. P Barbet. « La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien ». 11e édition, Editions paulines, Mediaspaul, Paris, 1986, 264 pages.
  7. J Dartigues. « Le linceul de Turin, énigme de la science ou mystère de la foi ? » Editeur les acteurs du savoir, octobre 2018, 308 pages.
  8. L De Caro, T Sibillano, R Lassandro et al. « X-ray dating of a linen sample from the Shroud of Turin ». Heritage 2022, vol 5, p 860-870
  9. . www.linceulturin.net.
  10. « Le linceul de Turin ne peut venir que de la résurrection du Christ ». Vidéo de 46’ (YouTube).