Le financement de l’activité hospitalière en Belgique

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Guy Durant Publié dans la revue de : Octobre 2022 Rubrique(s) : Médecine et société
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Résumé de l'article :

Comment nos hôpitaux, et les médecins qui y travaillent, sont financés ? Selon quel mode de calcul et quelles modalités les fonds sont-ils alloués ? L’auteur de l’article présente son livre sur le sujet. Il y explique les constituants du financement hospitalier belge, le compare à ce qui se fait à l’étranger, expose ses points forts et ses faiblesses, et évoque la réforme ambitieuse projetée par le Ministre Vandenbroucke.

Mots-clés

Institutions hospitalières, financement hospitalier, paiement de l'activité hospitalière, forfaitarisation, réforme

Article complet :

Analyse internationale

En 2021, les Editions MARDAGA publiaient un livre co-écrit avec deux collègues de l’ULB [1] : nous y analysions le financement hospitalier à travers le monde et présentions les principes méthodologiques qui sous-tendent les différents systèmes.

Les méthodes de paiement des hôpitaux et des médecins hospitaliers dans les différents pays présentent des divergences, mais surtout de larges convergences : partout on vise l’équité entre les établissements, la transparence sur l’activité et sur les coûts, la responsabilisation des acteurs, l’incitation à la performance clinique et financière. Au centre des méthodes déployées figurent les classifications médicales et médico-économiques et le concept de forfaitarisation, préféré à tout financement sur base des dépenses, des journées d’hospitalisation ou des prestations médicales.

Les techniques de budget global ou de paiement par procédure sont dépassées. Aujourd’hui prévaut (dans 60 pays, dont les USA, la France, l’Allemagne ou encore la Suisse) le paiement forfaitaire par admission par pathologie, honoraires médicaux inclus ou non : il s’agit d’un financement quelles que soient les dépenses réelles, en fonction de l’activité mesurée par la technique des groupes homogènes de malades, cliniquement similaires et consommant des ressources identiques, encore dits DRG (diagnosis related groups). Par ailleurs émergent de nouveaux systèmes comme les paiements groupés (bundled payments) ou encore les paiements pour une population, forme moderne de capitation.

Le système mérite cependant d’être amélioré pour mieux prendre en compte la qualité des soins et leur coordination, ce que les Américains appellent le value-based purchasing (un financement fondé sur la valeur du soin).

Le système particulier de la Belgique

Le même éditeur, Mardaga, vient de publier « Le financement de l’activité hospitalière en Belgique « [2]. Nous y décrivons, pour les hôpitaux aigus, psychiatriques et de revalidation, le système actuel, constitué de trois parties : le Budget des moyens financiers (anciennement appelé prix de journée), les honoraires médicaux et les produits pharmaceutiques.

Les règles sont nombreuses et très complexes. Il est difficile de s’y retrouver dans le dédale des prescriptions légales et règlementaires, la documentation est rare, l’information sur les sites de l’INAMI et du SPF Santé publique est éparse, parfois très détaillée, parfois lacunaire. Le livre a pour objet de rendre le système lisible et accessible pour le plus grand nombre d’acteurs hospitaliers.

Le Budget des moyens financiers (« BMF ») constitue un des trois volets du financement des hôpitaux pour les patients hospitalisés. Il s’agit d’une enveloppe annuelle, distincte hôpital par hôpital, calculée par le SPF Santé publique et payée aux hôpitaux par les mutuelles (sous déduction d’une très légère quote-part individuelle des patients). La somme est, pour les hôpitaux généraux (aigus = court séjour), basée sur l’activité de l’année antérieure la plus récente possible de chaque hôpital, celle-ci étant mesurée par la technique des groupes homogènes de malades (APR-DRG pour All patients refined diagnosis related groups), avec quatre niveaux de sévérité. Les DRG, issus des RHM (Résumé hospitalier minimum) sont notamment utilisés pour fixer les durées de séjour standard de chaque pathologie traitée dans chaque institution, lesquelles servent à calculer le nombre de journées justifiées (par l’activité) de l’hôpital, et partant, son nombre de lits justifiés. Celui-ci est recalculé chaque année, base des moyens qui sont alloués à l’hôpital. D’autres paramètres et mécanismes sont utilisés, comme la performance issue de la comparaison entre établissements pour la fixation de la sous-partie relative aux services administratifs et logistiques, les normes minimales de personnel soignant par lit justifié, les actes médicaux, les NRG (Nursing related groups) pour la mesure de l’activité infirmière, le nombre et le type d’interventions chirurgicales et leurs temps standard, le nombre d’accouchements ou encore le nombre de passages aux urgences. Il y a par ailleurs de nombreux financements forfaitaires pour diverses activités et fonctions de l’hôpital. Certains éléments du BMF donnent lieu à des révisions ultérieures en fonction des charges réelles constatées, avec un rattrapage, positif ou négatif, qui intervient plusieurs années après.

Le financement de l’activité médicale consiste essentiellement en une facturation à l’acte, sur base d’une nomenclature gérée par l’INAMI qui fixe les tarifs de près de 4000 codes. Il existe toutefois une série d’honoraires forfaitaires, les plus significatifs concernant les forfaits partiels par journée et par admission en biologie clinique, ceux en imagerie et les honoraires forfaitaires globalisés pour les soins à basse variabilité. L’honoraire est, sauf exception, complet, couvrant la rémunération du médecin mais aussi les coûts de la pratique, en frais de personnel équipement et locaux. Ces coûts étant généralement à charge de l’hôpital qui est l’employeur du personnel et propriétaire du matériel et des infrastructures, un prélèvement sur honoraires a lieu pour les couvrir.

Les médicaments et les dispositifs médicaux (prothèses, implants, matériel de synthèse), troisième constituant des revenus de l’hôpital, font l’objet d’une facturation séparée. Ensemble, les prestations pharmaceutiques représentent jusqu’à 20% du chiffre d’affaires des hôpitaux. C’est principalement lors des soins en ambulatoire que les dépenses surviennent, et elles sont en augmentation spectaculaire au cours des dix dernières années. Mais la facturation à l’unité délivrée, pour les patients hospitalisés, ne vaut plus que pour 25%, le solde faisant l’objet d’une forfaitarisation partielle : chaque hôpital se voit signifier chaque année, en fonction de ses DRG, le forfait par admission qu’il peut facturer à l’organisme assureur. Il existe cependant une liste d’exceptions : les médicaments (chers et innovants) y repris restent facturés à la prescription. Les dispositifs médicaux font, eux, l’objet d’un remboursement forfaitaire ou non, se référant à des listes publiées par l’INAMI. La grande majorité des implants ne doivent pas être couverts par le BMF.

La réforme du financement hospitalier

Il est largement reconnu, et ce depuis dix ans, que le financement de l’activité hospitalière en Belgique, datant de 2002 pour la dernière version du BMF et remontant à 50 ans pour la nomenclature des actes médicaux (même s’il y a eu plusieurs révisions), doit être réformé en profondeur. La comparaison que fait le livre avec ce qui se fait à l’étranger montre que notre système est atypique et dépassé. Certes, il présente des qualités : l’utilisation de paramètres objectifs pour assurer l’équité dans l’attribution du budget fédéral disponible entre hôpitaux ; la liaison avec l’activité -l’hôpital est payé pour ce qu’il fait et non ce qu’il est- ; l’abandon de la journée comme unité de facturation au profit de l’admission ; une responsabilisation des acteurs quant à la durée de séjour et l’hospitalisation de jour. Mais le système présente aussi des défauts : il est composite et peu lisible (une enveloppe pour le BMF, des actes, des forfaits -parfois partiels-) ; avec des mélanges de prospectif et de rétrospectif ; il est rapporté parfois à la journée, parfois à l’admission ; il est dual, BMF d’un côté, honoraires de l’autre, ce qui ne correspond pas au concept d’un hôpital intégré ; l’utilisation des DRG est cantonnée au calcul du nombre de lits justifiés et à la détermination des forfaits partiels en biologie, imagerie et médicaments ; il ne fait que peu de place à la qualité des soins, à leur coordination, à la multidisciplinarité, à la prévention et la promotion de la santé. Le système est complexe : l’Arrêté royal du 25 avril 2002 sur le BMF comporte 160 pages et les modifications sont incessantes ; le système est peu transparent ; les hôpitaux ne disposent pas d’un financement stable ; les révisons a posteriori créent beaucoup d’incertitudes financières. Quant aux actes médicaux, la nomenclature est obsolète, sans transparence sur les tarifs qui ne représentent plus le prix de revient des actes.

Il n’est donc pas surprenant que la Ministre Onkelinx puis la Ministre De Block aient envisagé des réformes mais elles n’ont, soit pas abouti, soit ne concernaient qu’une petite partie de l’activité. Le 28 janvier 2022, le Ministre Vandenbroucke publiait une note de 17 pages, portant notamment sur une réforme du financement des hôpitaux. L’objectif est de passer du système de lits justifiés à un système prospectif de forfaits par pathologie (x euros pour une prothèse de hanche, y euros pour un pontage coronaire), comme à l’étranger, pour les activités liées aux soins. Les honoraires médicaux restent facturés séparément pour la partie pure, les coûts de la pratique étant inclus dans le forfait par admission. A terme, les coûts pour la pré- et la post-hospitalisation pour certaines pathologies pourront aussi être inclus dans le forfait (= les bundled payments). Le système sera fondé sur les coûts réels par pathologie (pour le BMF comme pour les actes médicaux) et la nomenclature sera révisée, avec une distinction entre la partie professionnelle des actes et la partie coûts de fonctionnement (ce qui ne rendra plus nécessaires les prélèvements sur honoraires, encore dits rétrocessions). Une plus grande partie qu’aujourd’hui sera affectée au financement de la qualité.

La réforme prendra cinq ans car beaucoup d’analyses doivent être effectuées. Nous croyons pouvoir dire que, considérée comme impérieuse, elle est bien accueillie par l’ensemble des acteurs hospitaliers, même si plusieurs critiques sont légitimement adressées.

La plupart des parties prenantes s’accordent à dire que pour aboutir, la réforme doit s’accompagner d’une véritable gestion de projet et d’un engagement des autorités politiques pour affronter les intérêts divergents des parties. Les conditions de réussite sont : la gouvernance du projet, le sentiment à faire passer de l’urgence et du caractère inévitable de la réforme, une vision motivante, une concertation permanente avec les acteurs et une réponse claire à toutes les questions.

Correspondance

Pr. Guy Durant
Cliniques universitaires Saint-Luc
Administrateur général honoraire
Pr. émérite à l’UCLouvain

Références

  1. Durant, G., Leclercq, P., Pirson, M. Le financement des hôpitaux et de l’activité médicale – Panorama international et principes méthodologiques, Bruxelles : Mardaga, 2021, 400 p.
  2. Durant, G. Le financement de l’activité hospitalière en Belgique - Contexte, situation actuelle et perspectives, Bruxelles : Mardaga, 2022, 170 p.