L’appareillage de l’amputé du membre supérieur

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Julie Jacques (1), Ellen Verbraeken (2), Jean-Marie Vanmarsenille (1) Publié dans la revue de : Avril 2019 Rubrique(s) : Médecine Physique et Réadaptation
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Résumé de l'article :

Plus que pour toute autre amputation, l’appareillage du membre supérieur nécessite la mise en place d’un projet. Établi entre l’équipe pluridisciplinaire et le patient, ce projet doit répondre aux souhaits esthétiques et fonctionnels de ce dernier. L’appareillage du membre inférieur, même s’il présente d’autres difficultés, vise essentiellement à recouvrer la marche. La fonction du membre supérieur est plus complexe. Il nous incombe alors de redoubler d’attention pour éviter l’abandon précoce de la prothèse. Mots-clés  Membre supérieur, amputation, appareillage, réadaptation.

Article complet :

Introduction L’amputation des membres inférieurs et son appareillage sont des processus fréquents et relativement bien connus (1,2). L’amputation des membres supérieurs est plus rare et l’appareillage présente certaines particularités. La littérature fait état d’une prévalence des amputations de 20 pour 100 000 aux Pays-Bas (1,2). L’extrapolation de ces chiffres permet d’évaluer le nombre d’amputés à 7700 en Belgique, avec 1800 nouveaux cas par an. L’amputation des membres inférieurs concerne 95% de cette population, les causes vasculaires et, en particulier, le diabète dominant le tableau (90%). Il existe une prédominance masculine (60%) et des personnes âgées (80% de plus de 65 ans) (3). L’amputation des membres supérieurs concerne donc 5% de cette population. Les sujets sont plus jeunes et les étiologies traumatiques (61%) (Figure 1) dominent le tableau (4) alors que 13% ont une étiologie congénitale (Figure 2) et 13 % une étiologie néoplasique. Plus de 40% des amputations concernent la main et 3% sont bilatérales (5). Le projet Plus que pour toute autre amputation, l’appareillage du membre supérieur nécessite la mise en place d’un projet entre le patient et l’équipe pluridisciplinaire. Ce projet tiendra compte des facteurs objectifs comme l’âge, le niveau d’amputation, les possibilités d’appareillage, … mais surtout des facteurs plus subjectifs comme les attentes du patient, sa motivation ou encore ses capacités cognitives. Un grand nombre de prothèses sont effectivement rapidement abandonnées lorsque le projet est insuffisamment réfléchi. Des facteurs comme le poids de la prothèse, son aspect inesthétique, son absence de fonction, les difficultés d’apprentissage, peuvent rapidement conduire à l’abandon du projet initial. L’appareillage doit donc répondre intimement aux besoins du patient, qu’ils soient fonctionnels ou esthétiques, afin de viser une qualité de vie optimale. Appareillage et niveaux d’amputations Les prothèses du membre supérieur sont, comme leurs homologues des membres inférieurs, constituées d’une emboiture, d’effecteurs intermédiaires et d’un effecteur terminal (Figure 3). Ces effecteurs terminaux peuvent être multiples (crochets, pinces, …), mais sont en général morphologiques, et donc purement esthétiques. L’emboiture est constituée d’une partie souple en silicone, appelée « soft socket », placée au contact de la peau et d’une partie rigide appelé le « fût ». La majorité des prothèses prescrites sont effectivement “esthétiques”. Non fonctionnelles, elles permettent d’améliorer le schéma corporel et l’intégration sociale. Les amputations sont qualifiées de mineures ou de majeures. Les amputations mineures (doigt …) ne sont en général pas appareillées. La persistance de “pinces” permet souvent le maintien de performances fonctionnelles supérieures à l’appareillage (Figure 4). Parmi les amputations majeures, les amputations trans-radiales permettent un appareillage esthétique et myoélectrique (Figure 5). La persistance du coude permet “l’accrochage” de la prothèse; un moignon relativement long permettra la conservation de la prono-supination. Les amputations humérales (Figure 6) ne permettent en général qu’un appareillage esthétique. Le moignon doit, à nouveau, être d’une certaine longueur si l’on veut pouvoir réaliser un fût. Souvent, celui-ci devra néanmoins être maintenu par des sangles hétéro-latérales. Certaines prothèses sont dites “actives”, c’est-à-dire que le patient peut lui-même mobiliser les articulations par un système de câbles. La mobilisation des articulations s’effectue de manière mécanique, à l’aide de ce câble commandé par les mouvements de la partie proximale du bras. Elles ne sont plus guère utilisées. Enfin, les désarticulations scapulo-humérales (Figure 7) ne tolèrent qu’une prothèse esthétique, essentiellement proximale, un bras prothétique ne pouvant être soutenu par le moignon résiduel. Cas particulier : Les prothèses myo-électriques Il existe des prothèses “myoélectriques” (6,7). Le but principal de celles-ci est de permettre au patient de la mobiliser via la contraction de muscles sains. Cela est réalisable grâce à la récupération et la transmission du signal électrique musculaire. Le signal musculaire est capté en surface, amplifié et transmis à la prothèse (Figure 8). Les muscles utilisés sont choisis en fonction du niveau d’amputation, des couples agonistes-antagonistes contrôlant les mouvements contraires de la prothèse. Les avantages principaux sont de permettre des mouvements plus naturels et ne nécessitant pas l’utilisation du membre controlatéral. En contrepartie, ces prothèses ont un poids non négligeable pour le patient et nécessitent une rééducation et un apprentissage particulier. De multiples prothèses existent sur le marché, tant en ce qui concerne la commande qu’en ce qui concerne les effecteurs (main polydigitale permettant une mobilisation distincte des doigts, …). Ces prothèses sont fonctionnelles et permettent la réalisation de certains mouvements. Cet optimisme est néanmoins tempéré par la complexité d’utilisation et la nécessité d’un entrainement régulier. Elles peuvent être particulièrement utiles chez les amputés bilatéraux. Réadaptation Comme toute autre amputation, l’appareillage du membre supérieur nécessite un certain nombre d’étapes successives. La phase préopératoire permettra à l’équipe pluridisciplinaire d’élaborer un projet spécifique pour chaque patient: choix du niveau d’amputation, information du patient sur son appareillage, sur sa rééducation et surtout sur les possibilités fonctionnelles attendues. Après la phase chirurgicale, la phase de cicatrisation (Figure 9) permettra de préparer le moignon à cet appareillage: mobilisation des articulations, renforcement musculaire, application de bandages élastiques, permettront d’obtenir un moignon cicatrisé dont le volume est stabilisé. Le moulage pourra alors être réalisé et la prothèse livrée après quelques jours (Figure 10). La phase de rééducation est indispensable à tout appareillage. Elle peut être relativement courte en ce qui concerne la prothèse esthétique. Il est néanmoins indispensable de conseiller le patient pour la réalisation des activités qui étaient bi-manuelles et de l’aider à intégrer psychologiquement et socialement ce nouveau schéma corporel. Il n’en va pas de même pour les prothèses myoélectriques. La rééducation, qui doit impérativement se réaliser en centre spécialisé, est souvent longue et ardue. Elle nécessite notamment la réussite de tests de myostimulation pré-appareillage (Myohand – VariPlus – Speed d’Ottobock) (Figure 11). Enfin, lors de la phase de stabilisation, il incombe à l’équipe pluridisciplinaire d’accompagner le patient à moyen-terme, de manière à optimaliser sa vie sociale, à reprendre ses loisirs et, si possible, une vie professionnelle, même si celle-ci doit être adaptée. La reprise de la conduite automobile est intégrée dans ce cadre (CARA). Cet accompagnement permettra également de prévenir l’abandon précoce de la prothèse, ce qui est malheureusement un phénomène fréquent. Difficultés et complications Ces phénomènes sont fréquents lors de l’appareillage des membres inférieurs. Les pressions exercées par le poids du corps sur le moignon ou encore les lésions vasculaires peuvent expliquer en partie ces phénomènes. Ces difficultés sont moins présentes au niveau des membres supérieurs, mais, néanmoins, des retards de cicatrisation ou des plaies persistantes peuvent également survenir au niveau des membres supérieurs. Les douleurs neuropathiques semblent également moins fréquentes, mais néanmoins des névromes symptomatiques peuvent subvenir au niveau de ces moignons, nécessitant alors une thérapeutique ciblée (Figure12). Prescription – renouvellement La prescription est établie par un médecin spécialiste. Elle est particulière pour les prothèses myoélectriques. Le médecin spécialiste doit être lié à un centre de rééducation fonctionnelle, neurologique ou locomotrice, ayant conclu une convention avec l’INAMI. La prescription devient pluridisciplinaire (médecin, kinésithérapeute, ergothérapeute). Pour les adultes, le délai de renouvellement est de 5 ans pour les prothèses esthétiques (+ de 21 ans) et de 4 ans pour les prothèses myoélectriques (+ de 18 ans). Ces délais sont évidemment raccourcis pour les enfants et les adolescents. À noter que la prescription d’une prothèse myoélectrique autorise le cumul avec la prescription d’une seconde prothèse, purement esthétique. Des entretiens réguliers (gants …) sont prévus et remboursés par la mutuelle. Enfin, des renouvellements anticipés des emboitures peuvent être demandés par le médecin sur base d’une prescription motivée (nouvelle intervention chirurgicale, modification morphologique du moignon, …). Perspectives et conclusions La qualité des résultats obtenus est fortement modulée par la complexité de l’organe à remplacer, par le peu d’utilité des prothèses «passives» et par les difficultés et la longueur d’apprentissage lors de l’utilisation des prothèses plus «actives». De plus, la persistance du membre hétérolatéral peut souvent suffire à l’obtention d’une certaine indépendance, notamment dans les pathologies congénitales ou du jeune enfant. Les évolutions technologiques actuelles nous permettent d’imaginer pouvoir mieux répondre aux attentes des patients appareillés. Des prises de moulages réalisés par ordinateur, des matériaux plus légers, des articulations plus sophistiquées, souvent à gestion électronique sont mises à notre disposition. Demain, des applications sur smartphone permettront de modifier les réglages de ces prothèses électroniques et des « grips » placés à des endroits stratégiques permettront d’initier certains mouvements de la prothèse lors du passage du patient. Nous pouvons encore espérer que d’autres moyens permettront d’améliorer le feedback sensitif de nos prothèses. Il nous incombe à l’heure actuelle de mettre en place des équipes rodées, pluridisciplinaires plus attentives à certains détails, comme le poids de la prothèse ou l’aspect esthétique de l’effecteur terminal, si l’on veut donner à ces patients déjà handicapés une qualité de vie optimale. affiliations 1 Service de Médecine Physique et Réadaptation, Cliniques universitaires Saint-Luc 2 Orthopedie Van Haesendonck Leuven Correspondance Dr. J.-M. Vanmarsenille Université catholique de Louvain Cliniques universitaires Saint-Luc Service de Médecine Physique et Réadaptation Avenue Hippocrate 10 B-1200 Bruxelles jean-marie.vanmarsenille@uclouvain.be Références 1. Geertzen J, Voesten H. Dutch evidence-based guidelines for amputation and prosthetics of the lower extremity : Amputation surgery and postoperative management. Part 1. Prosthet Orthot Int. 2015 Oct ; 39 (5) : 351-60. 2. Geertzen J, Voesten H. Dutch evidence-based guidelines for amputation and prosthetics of the lower extremity : Rehabilitation process and prosthetics. Part 2. Prosthet Orthot Int. 2015 Oct ; 39 (5) : 361-71. 3. Vanmarsenille JM, Dierick F, Detrembleur C, De Cuyper F. L’appareillage de l’amputé de jambe adulte. Louvain Med. 2001 ; 120 : 349-353. 4. Nguyen Ung V, Vanmarsenille JM. Appareillage du patient amputé au niveau de la partie proximale du membre inférieur. Louvain Med. 2012 ; 131 (6) : 276-280. 5. André JM, Paysant J. Les amputés en chiffre : épidémiologie. Cofemer. DIU de médecine de rééducation. Nancy. 2006. 6. Rithcie S, Wiggins S. Perceptions of cosmesis and function in adults with upper limb prostheses: a systematic literature review. Prosthetics and orthotics international. 2011; 35 (4): 332-341 7. Carey S, Lura D. Differences in myoelectric and body-powered upper prostheses: Systematic literature review. Journal of rehabilitation research and development. 2015; 52: 247-262.