LA PHARMACOGÉNÉTIQUE COMME AIDE PRÉCIEUSE AU MONITORING THÉRAPEUTIQUE : L'EXPÉRIENCE ACQUISE AUX CLINIQUES UNIVERSITAIRES SAINT-LUC AVEC LES MÉDICAMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS UTILISÉS EN TRANSPLANTATION RÉNALE*

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M. De Meyer, M. Mourad, P. Wallemacq, V. Haufroid Publié dans la revue de : Septembre 2015 Rubrique(s) : Pharmacogénétique
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Résumé de l'article :

*Actualisation d’un texte publié en 2011 dans le Bulletin et Mémoires de l’Académie royale de Médecine de Belgique (Bull Mem Acad R Med Belg 166: 191-201)

Certains médicaments, bien que très efficaces, peuvent néanmoins présenter des effets secondaires non négligeables et être caractérisés par un index thérapeutique relativement étroit. Il est alors parfois nécessaire de contrôler régulièrement leur concentration sanguine afin de rechercher le meilleur compromis entre une efficacité thérapeutique optimale et une toxicité réduite. Ce monitoring thérapeutique (TDM) s’applique notamment aux immunosuppresseurs utilisés en transplantation d’organe. Une première voie d’amélioration par rapport au TDM classique consiste à essayer de comprendre l’origine de la variabilité interindividuelle au niveau pharmacocinétique de manière à pouvoir anticiper cette dernière et à proposer des dosages individualisés en fonction des caractéristiques génétiques de chaque patient. Une voie d’amélioration complémentaire consiste à mesurer la dose biologiquement active du médicament, directement au niveau des tissus cibles (les lymphocytes dans ce cas particulier) et à étudier les facteurs, génétiques ou autres, influençant ce paramètre. En complément au TDM classique, la pharmacogénétique permet donc une meilleure individualisation des traitements médicamenteux.

 

 

 

Article complet :

Auteurs

V. Haufroid1,2, M. De Meyer3, P. Wallemacq1,2, M. Mourad3

Introduction

Le développement de nouvelles molécules actives est une source importante de progrès dans le domaine pharmacothérapeutique. Toutefois, la recherche d’une utilisation optimale des molécules existantes, se traduisant dans la pratique par un meilleur usage des médicaments, constitue une autre voie de progrès.

La pharmacogénétique est la discipline qui a pour objectif d’améliorer la réponse clinique aux traitements médicamenteux (meilleure efficacité thérapeutique et réduction des effets secondaires) en prenant en compte les caractéristiques génétiques des patients lors de la prescription. Les médicaments dont l’index thérapeutique (différence entre la dose susceptible de créer un effet thérapeutique et celle engendrant une toxicité) est étroit constituent actuellement le champ d’application privilégié de cette discipline. Ainsi, la combinaison du monitoring thérapeutique (dosage du médicament suivi par une adaptation individualisée de la dose) et de la pharmacogénétique devrait permettre d’améliorer l’utilisation clinique de nombreux médicaments faisant notamment partie des classes pharmacologiques suivantes : anticancéreux, immunosuppresseurs, antiépileptiques, antidépresseurs et anti-infectieux (antibiotiques ou antiviraux).

Le monitoring thérapeutique en greffe d'organe

La mise à disposition des médicaments immunosuppresseurs dans l’arsenal thérapeutique utilisé en transplantation d’organe a permis d’améliorer de manière spectaculaire le taux de succès des greffes (foie, rein, poumon, cœur,…). Ainsi, après transplantation rénale, en administrant un traitement immunosuppresseur associant le tacrolimus (cf. infra), le mycophénolate mofétil et de petites doses de corticostéroïde, la survie du greffon atteint 97% à un an et le taux de rejet aigu précoce (prouvé par biopsie) s’est réduit à 10% (1).

Parmi les médicaments immunosuppresseurs actuellement utilisés en greffe rénale, les inhibiteurs de la calcineurine (IC), initialement représentés par la cyclosporine (Neoral Sandimmun®) et plus récemment par le tacrolimus (Prograft® et sa nouvelle forme « once a day » Advagraf®), occupent une place de première importance. Ces médicaments, bien que très efficaces, présentent des effets secondaires non négligeables (néphrotoxicité, complications infectieuses, diabète, neurotoxicité,…) et sont caractérisés par un index thérapeutique relativement étroit, ce qui nécessite de contrôler régulièrement leur concentration sanguine (monitoring thérapeutique).

Dans ce contexte, les doses journalières des IC sont ajustées de manière périodique en fonction des concentrations sanguines résiduelles (encore appelées concentrations de vallée), mesurées juste avant une nouvelle prise du médicament. La pratique quotidienne du monitoring thérapeutique montre qu’il existe de grandes variations interindividuelles dans les concentrations sanguines de vallée et donc dans les doses journalières à administrer pour atteindre des taux sanguins se situant dans l’intervalle thérapeutique. En transplantation, il est crucial d’atteindre cet intervalle thérapeutique rapidement afin d’éviter un rejet précoce.

Peut-on dès lors anticiper la variabilité interindividuelle de type pharmacocinétique et ainsi atteindre plus rapidement les concentrations sanguines efficaces et non toxiques du médicament ?

Une part importante de la variabilité interindividuelle au niveau de la pharmacocinétique des immunosuppresseurs, et en particulier du tacrolimus, semble liée à l’activité des enzymes de biotransformation (isoenzymes du cytochrome P450, en particulier le CYP3A4 et CYP3A5) et de protéines intervenant dans le transport de ces médicaments (notamment la P-glycoprotéine ou P-gp). Comme l’illustre la figure 1, la biodisponibilité par voie orale des IC peut varier de 5 à 40%, suite à des effets de premier passage intestinal et hépatique.

 

 

 

Dès le début des années 2000, des études ont suggéré que l’activité du CYP3A5 et de la P-gp était influencée par des polymorphismes génétiques. Dans le cas du CYP3A5, un allèle particulier (CYP3A5*3, 6986G>A) est associé à un défaut d’épissage de l’ARN qui est responsable de l’apparition d’un codon stop prématuré et de la synthèse d’une protéine tronquée d’activité réduite (2). Il est par ailleurs intéressant de signaler que ce polymorphisme est très fréquent dans la population caucasienne où 85% des patients sont porteurs homozygotes (CYP3A5*3/*3) et donc considérés comme métaboliseurs lents pour le CYP3A5 (la présence d’un seul allèle sauvage CYP3A5*1 suffit à la production d’une quantité significative de CYP3A5). La proportion de métaboliseurs lents chute respectivement à 50 et 15% chez les Asiatiques et les Africains. En ce qui concerne la P-gp (protéine d’efflux codée par le gène ABCB1), certains polymorphismes génétiques (ABCB1 1236C>T, 2677G>T/A et 3435C>T en déséquilibre de liaison ainsi que 1199G>A) semblent associés à des différences d’activité de la protéine vis-à-vis de certains substrats spécifiques (p.ex. digoxine, nelfinavir) (3).

Le premier objectif des travaux de recherche réalisés au sein de notre laboratoire était d’évaluer l’importance relative de ces polymorphismes génétiques dans la variabilité globale de biodisponibilité des IC. Ensuite, nous avons essayé de proposer des ajustements de doses a priori, basés sur les caractéristiques génétiques des patients de manière à atteindre le plus rapidement possible les concentrations sanguines efficaces et non toxiques (individualisation des traitements, médecine personnalisée).

Une première étude pilote a été réalisée dès 2003 au sein des Cliniques universitaires Saint-Luc (4). Son objectif était de vérifier si les différences interindividuelles observées dans les concentrations de vallée du tacrolimus chez les patients transplantés rénaux à l’état stable pouvaient être expliquées, du moins en partie, par des différences d’origine génétique dans la capacité du patient à métaboliser (CYP3A5) et/ou à transporter (ABCB1) ce médicament immunosuppresseur. Ainsi, plusieurs semaines après la greffe rénale, les patients exprimant l’isoenzyme CYP3A5 (CYP3A5*1/*1 ou *1/*3) avaient besoin d’une dose journalière de tacrolimus au moins deux fois plus importante que les patients n’exprimant pas cette isoenzyme (CYP3A5*3/*3) pour atteindre des concentrations sanguines de vallée se situant dans l’intervalle thérapeutique (5-15 ng/ml). Cela se traduisait en pratique par des concentrations de vallée de tacrolimus (ajustées par rapport à la dose reçue) respectivement 3 et 5,8 fois inférieures chez les patients exprimant le CYP3A5 (CYP3A5*1/*3 et CYP3A5*1/*1) par rapport aux patients n’exprimant pas cette isoforme (CYP3A5*3/*3) (figure 2).

 

 

 

Cette étude démontrait ainsi que le polymorphisme génétique CYP3A5 devait être pris en considération d’autant plus qu’il permettait d’expliquer à lui seul, dans un modèle d’analyse multivariée, environ 45% de la variabilité interindividuelle observée dans la dose journalière de tacrolimus. Il s’agissait là de la mise en évidence, pour la première fois, d’un facteur génétique influençant de manière hautement significative la pharmacocinétique du tacrolimus chez les patients transplantés (4). Le polymorphisme CYP3A5 semblait, par contre, avoir un impact moins important sur la pharmacocinétique de la cyclosporine, sans doute à cause d’une métabolisation préférentielle de cette substance par l’isoenzyme CYP3A4. De la même manière, les polymorphismes de la P-gp n’influençaient pas significativement les concentrations sanguines des deux IC (contrairement aux concentrations intra-tissulaires, cf. infra).

Nous avons ensuite conduit une étude complémentaire dont l’objectif était de vérifier si les différences associées au statut CYP3A5 du receveur avaient également un impact sur les concentrations sanguines de vallée dès la première administration du médicament, moment où le risque de rejet aigu est le plus critique. Si cela s’avérait exact, une individualisation des doses en fonction du génotype CYP3A5 pouvait alors être envisagée dès le début du traitement immunosuppresseur. Cette deuxième étude transversale, réalisée elle aussi en transplantation rénale, a en effet confirmé que l’impact du génotype CYP3A5 du receveur sur les concentrations de vallée de tacrolimus s’observait effectivement dès la première administration du médicament (5).

À ce stade, une étude pharmacocinétique plus complète, réalisée chez des volontaires, devait permettre de proposer des doses initiales individualisées en fonction du génotype CYP3A5. Il s’agissait en pratique de vérifier l’impact du polymorphisme CYP3A5 sur les principaux paramètres pharmacocinétiques du tacrolimus (AUC0-24, CL, Vd, C24) après la première administration d’une dose standard du médicament (0.100 mg/Kg, 2 fois/jour pour le Prograft®) (6). Cette étude sur volontaires (patients sur liste d’attente de greffe rénale) a tout d’abord confirmé l’influence très significative du génotype CYP3A5 sur les principaux paramètres pharmacocinétiques du tacrolimus (AUC0-24, CL, Vd, C24) et ceci dès la première administration du médicament. Les volontaires exprimant le CYP3A5 (volontaires CYP3A5*1/*1 ou *1/*3) avaient une AUC0-24 représentant seulement 40% de l’AUC0-24 de ceux qui n’exprimaient pas cette isoforme (volontaires CYP3A5*3/*3) (figure 3). Cette étude apportait donc un argument solide justifiant le doublement des premières doses de tacrolimus chez les patients identifiés a priori comme étant CYP3A5*1/*1 ou *1/*3 sur les listes d’attente de greffe. Au lieu d’une dose initiale uniquement basée sur le poids corporel du patient (0.100 mg/Kg, 2 fois/jour), les résultats de cette étude démontraient que le dosage initial devait donc également être adapté en fonction du génotype CYP3A5 de la manière suivante : 0.150 mg/Kg, 2 fois/jour chez les patients exprimant le CYP3A5 (patients CYP3A5*1/*1 ou *1/*3) et 0.075 mg/Kg, 2 fois/jour chez les patients n’exprimant pas le CYP3A5 (patients CYP3A5*3/*3) (6). Malgré l’ajustement des doses initiales de tacrolimus, le monitoring thérapeutique restait néanmoins important pour permettre de prendre en compte les paramètres non génétiques influençant les concentrations sanguines du médicament.

 

 

 

Il ne restait plus alors qu’à démontrer l’efficacité clinique de ces ajustements de dose en fonction du génotype CYP3A5. Ceci pouvait être réalisé grâce à la mise en place d’une étude contrôlée et randomisée en double aveugle dans laquelle les patients reçoivent soit la dose standard du médicament (uniquement calculée par rapport à leur poids et selon les recommandations initiales de la firme pharmaceutique commercialisant le tacrolimus, 0.100 mg/Kg) soit la dose ajustée en fonction du génotype CYP3A5, selon nos propres recommandations publiées dans le journal américain de transplantation (0.075 versus 0.150 mg/Kg). Les résultats de cette étude multicentrique (coordonnateur Pr.Thervet, Paris) ont été publiés en 2010 et ils montrent que les patients faisant partie du groupe avec adaptation de dose atteignent non seulement l’intervalle thérapeutique de manière beaucoup plus rapide mais nécessitent également moins d’adaptation de posologie que les patients faisant partie du groupe contrôle (7). Il y a donc un avantage clair au niveau pharmacocinétique et contrôle des patients. Même si cette différence n’atteignait pas le seuil de signification statistique, les patients faisant partie du groupe avec adaptation de dose avaient également une meilleure fonction rénale évaluée par l’estimation du débit de filtration glomérulaire calculé à partir de l’équation MDRD (modification of diet in renal disease) trois mois après la transplantation (données non publiées communiquées par les auteurs).

Très récemment (en mars 2015), le site internet de référence dans le domaine de la pharmacogénétique, The Pharmacogenomics Knowledgebase (https://www.pharmgkb.org) a publié une recommandation officielle concernant l’adaptation des doses de tacrolimus en fonction du génotype CYP3A5 du patient (8). Sur le site internet, la conclusion générale émise est la suivante: « The CPIC (Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium) dosing guideline for tacrolimus recommends increasing the starting dose by 1.5 to 2 times the recommended starting dose in patients who are CYP3A5 intermediate or extensive metabolizers, though total starting dose should not exceed 0.3 mg/kg/day. Therapeutic drug monitoring should also be used to guide dose adjustments », et est en parfaite cohérence avec les recommandations initiales émises par notre groupe de recherche dès 2006 (6).

Depuis janvier 2011 déjà, ces ajustements de doses sont d’application en transplantation rénale adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL, Bruxelles) avec la version once a day du tacrolimus (Advagraf®). L’intérêt de ces ajustements de dose a priori fait d’ailleurs l’objet d’un manuscrit actuellement soumis pour publication (M. De Meyer et al., en soumission) qui démontre les avantages pharmacocinétiques et pharmacoéconomiques (plus aucun dosage de monitoring thérapeutique n’est réalisé avant le 4ème jour post-transplantation) ainsi que la sécurité d’utilisation d’une telle stratégie innovante.

Il est également intéressant de signaler qu’en plus du génotypage CYP3A5, les adaptations de doses du tacrolimus pourraient également impliquer le génotypage du CYP3A4. En effet, un polymorphisme décrit récemment (CYP3A4*22) a été associé à une diminution d’expression et d’activité du CYP3A4 vis-à-vis de certains de ses substrats (9). Nous avons pu démontrer que cet effet était également important (mais dans une moindre mesure que celui du CYP3A5) dans la biotransformation du tacrolimus chez les patients transplantés rénaux (10, 11). Ceci nous a mené à proposer de nouvelles recommandations tenant à la fois compte du polymorphisme CYP3A5 mais aussi du polymorphisme CYP3A4 (12). Les patients n’exprimant pas le CYP3A5 (CYP3A5*3/*3) et porteurs d’au moins un allèle CYP3A4*22 sont beaucoup plus à risque de présenter des concentrations supra-thérapeutiques (toxiques) de tacrolimus. Il est donc fort probable que ces deux polymorphismes devront être pris en considération simultanément dans le futur.

Quel est le comportement pharmacocinétique au niveau des tissus cibles ?

Pour des raisons pratiques évidentes, le monitoring thérapeutique s’effectue la plupart du temps au départ de prélèvements sanguins. Les médicaments sont alors dosés soit dans le sang total soit dans le plasma ou le sérum et ces concentrations doivent être mises en rapport avec les différents biomarqueurs d’efficacité et/ou de toxicité. Or, la cible des immunosuppresseurs est essentiellement intracellulaire. Afin de mesurer la dose biologiquement active, directement au niveau des tissus cibles (les lymphocytes dans ce cas précis), il a donc d’abord fallu développer et valider des méthodes analytiques basées sur l’utilisation de la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS). Ces méthodes ont été validées pour la quantification intracellulaire du tacrolimus (13).

Les rejets histologiques et cliniques étant plus fréquents en transplantation hépatique (vs. transplantation rénale), nous avons donc réalisé une étude longitudinale dont l’objectif était d’évaluer la valeur prédictive du dosage de tacrolimus intracellulaire par rapport aux évènements de rejet histologique et clinique (14).

Cette étude pilote a montré que, contrairement aux taux sanguins, les concentrations intracellulaires de tacrolimus étaient clairement associées aux stades histologiques des rejets ainsi qu’aux paramètres biochimiques caractérisant les rejets cliniques. Ces rejets sont d’autant plus importants que les concentrations intracellulaires sont faibles, ce qui semble traduire l’importance d’une bonne pénétration du médicament au niveau de son site d’action pharmacologique (14). Par ailleurs, la corrélation limitée entre les concentrations sanguines et intracellulaires pour les immunosuppresseurs suppose l’existence de mécanisme(s) de régulation faisant en sorte que, pour une concentration plasmatique donnée, la concentration intracellulaire peut varier d’un patient à l’autre. De nombreuses protéines de transport, notamment des protéines d’efflux (P-gp/ABCB1, ABCC2), sont exprimées sur la membrane externe des lymphocytes T et toute modification de leur activité (d’origine génétique ou autre) est susceptible de modifier le rapport des concentrations intracellulaires versus extracellulaires (ou plasmatiques dans le cas des lymphocytes). Grâce à des études réalisées chez des patients sous médication, nous avons ainsi pu démontrer que des polymorphismes génétiques de la P-gp influençaient les concentrations intracellulaires de tacrolimus (15). Enfin, grâce à des études in vitro faisant intervenir des modèles cellulaires surexprimant la P-gp (codée par le gène ABCB1), en présence ou non des allèles polymorphiques, nous avons pu confirmer l’origine des associations observées in vivo (16).

Intégration des données génétiques pour une meilleure prise en charge des patients

Sur base des résultats de recherche publiés par notre groupe, il apparaît que les données génétiques doivent être utilisées de deux manières distinctes et complémentaires.

  1. Après administration orale, un effet de premier passage intestinal et/ou hépatique, faisant majoritairement intervenir des enzymes de métabolisation de la famille des cytochromes P450 peut avoir un impact direct sur la biodisponibilité du médicament. Des recommandations de doses peuvent dès lors être proposées d’emblée en fonction des caractéristiques génétiques des patients. Nous avons décrit en détail le cas du polymorphisme génétique CYP3A5 pour le tacrolimus. Une adaptation complémentaire sera probablement nécessaire à l’avenir tenant compte également du polymorphisme génétique CYP3A4.
  2. Une fois biodisponible et présent dans la circulation générale, le médicament doit atteindre sa cible pour exercer son activité pharmacologique. Nous avons démontré que les concentrations intracellulaires sont directement liées à l’efficacité thérapeutique, du moins dans le cas des transplantations hépatiques. Comme les dosages intracellulaires sont difficilement envisageables dans un contexte de routine clinique, les données génétiques impliquant cette fois-ci principalement les protéines de transport permettent d’évaluer, de manière individualisée, ces concentrations intracellulaires sur base des concentrations sanguines obtenues en TDM classique. Ainsi, en présence d’un polymorphisme diminuant l’activité d’efflux de la protéine vis-à-vis de son substrat, une réduction des concentrations sanguines totales pourrait être envisagée, de manière à conserver des concentrations intracellulaires inchangées mais à réduire les concentrations totales et ainsi les risques d’effets secondaires systémiques. Ce fine tuning fait actuellement l’objet d’études de modélisation de type pharmacocinétique-pharmacogénétique au sein de notre groupe de recherche (pharmacocinétique de population).

Il est évident que l’utilisation optimale de ces données de type pharmacogénétique doit reposer sur une collaboration étroite et interdisciplinaire entre les cliniciens d’une part, et les spécialistes de laboratoire incluant les analystes, les pharmacologues et les généticiens, d’autre part. Dans ces conditions uniquement, on peut s’attendre à ce que certains médicaments, actuellement sur le marché ou en cours de développement, puissent être utilisés de manière plus efficace et plus sûre ce qui sera bénéfique, au final, à la fois pour les patients mais également pour la société.

Recommandations pratiques

Adapter les doses de tacrolimus en fonction du génotype CYP3A5 (et probablement aussi du CYP3A4) dès la première administration du médicament chez les patients transplantés rénaux permet non seulement d’atteindre l’intervalle thérapeutique plus rapidement (paramètre critique par rapport au risque de rejet aigu) mais aussi de modifier moins fréquemment les doses (prise en charge médicamenteuse simplifiée).

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Correspondance

Pr. VINCENT HAUFROID

Louvain centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP)
Institut de RechercheExpérimentale et Clinique
Université catholique de Louvain
Avenue Mounier 52 bte B1.52.12
B-1200 Bruxelles

Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Biochimie Médicale, Département de Biologie Clinique
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
vincent.haufroid@uclouvain.be

Affiliations

1. Louvain centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP), Institut de Recherche Expérimentale et Clinique, Université catholique de Louvain, Bruxelles.

2. Service de Biochimie Médicale, Département de Biologie Clinique, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles.

3. Service de Chirurgie et Transplantation Abdominale, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles.