La maltraitance infanto-juvénile, parlons-en !

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Maya Drachman, Emmanuel de Becker Publié dans la revue de : Janvier 2020 Rubrique(s) : Psychiatrie infanto-juvénile
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Résumé de l'article :

La maltraitance infanto-juvénile est une question sociétale autant que médicale dont la prise en charge a évolué au cours du temps. Il importe, en tant que médecin, de connaitre les points d’appel et de savoir comment penser et agir en cas d’inquiétude et de suspicion. Sur le terrain, lorsqu’un médecin rencontre un enfant qui décrit des actes de maltraitance, il a le devoir de tout mettre en œuvre pour lui apporter de l’aide, tout en étant tenu au secret professionnel. Un médecin peut rompre ce secret lorsqu’il évalue un danger imminent, grave et urgent mettant en péril la vie de l’enfant. On sait aujourd’hui que la maltraitance des enfants a des conséquences sur les adultes de demain avec une augmentation des problèmes physiques et psychiques.

Nous proposons des balises pour la prise en charge des enfants victimes de maltraitance tout en tenant compte de la particularité du système belge.

Mots-clés

Maltraitance, prévention, traumatisme, multidisciplinarité, judicaire, soin, réseau

Article complet :

Introduction

La maltraitance infanto-juvénile est une question sociétale autant que médicale dont la prise en charge a évolué au cours du temps. Il importe, en tant que médecin, de connaitre les points d’appel et de savoir comment penser et agir en cas d’inquiétude et de suspicion.

Rappelons au préalable l’importance de la maltraitance sur le plan épidémiologique.

L’organisation mondiale de la santé1 nous donne quelques chiffres éloquents : un adulte sur quatre déclare avoir été victime de violences physiques et une femme sur cinq ainsi qu’un homme sur treize parlent de violences sexuelles durant l’enfance. On peut dès lors s’interroger sur la rareté des interpellations des médecins en salle d’urgence qui, confrontés à des lésions suspectes, n’ont pas toujours le réflexe de faire appel aux services spécialisés. Cette contribution propose un recueil de quelques balises pratiques sous forme de questions/réponses, ceci pour aider le clinicien à repérer et à (bien) réagir dans toute situation avérée ou suspectée de maltraitance de mineurs d’âge.

1. Organisation Mondiale de la Santé  : OMS, L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), est l’institution spécialisée de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour la santé publique créée en 1948

Qu’est-ce que la maltraitance infanto-juvénile ?

Dès son arrivée au monde, l’enfant a des besoins, des besoins primaires qui tendent à préserver l’intégrité physique, des besoins de sécurité affective et matérielle, de reconnaissance et de limites. Tout parent tente de répondre au mieux à ces différentes attentes. Il s’agit en soi d’un travail quotidien, souvent éreintant. Certains adultes sont en difficulté pour apporter sécurité et bien-être nécessaires à l’enfant afin qu’il puisse bien grandir. Il est donc important de pouvoir repérer les situations préoccupantes afin de pouvoir apporter l’aide et le soin nécessaire aux familles pour tendre vers l’équilibre le plus serein. Avant de la définir, il est important de noter que la maltraitance n’est pas dépendante du milieu social.

La maltraitance infanto-juvénile désigne des faits de négligence ou de violence allant à l’encontre d’une personne âgée de moins de 18 ans et considérée comme vulnérable.

Si on se réfère à la définition brêve du Larousse Médical, il s’agit de : « Toute violence physique, tout abus sexuel, tout sévice psychologique sévère, toute négligence lourde ayant des conséquences préjudiciables sur l’état de santé de l’enfant et sur son développement physique et psychologique. »

Si le concept d’intentionnalité renvoie par essence à la philosophie, nous nous limiterons à une compréhension clinique de celui-ci dans notre cadre spécifique de travail. Ainsi l’acte maltraitant intentionnel correspond à une volonté délibérée, consciente de l’adulte d’agresser l’enfant. À côté de ces cas de figure, nous rencontrons des situations où certes le parent violente l’enfant, mais sans qu’il ne soit en réalité capable de considérer la portée de ses actes. C’est le cas pour les personnes développant une symptomatologie psychiatrique avérée avec par exemple processus délirant ou hallucinatoire manifeste; la question se pose également pour les personnes présentant une déficience cognitive. Si les conséquences sur l’enfant peuvent être similaires, il y a lieu, dans le chef des cliniciens chargés de l’évaluation, de différencier les situations et d’estimer ce qui est à l’œuvre dans la psyché de l’adulte (ou de l’adolescent) auteur de maltraitance. Dans toute prise en charge, nous devons toujours tenir compte de certains mécanismes défensifs puissants (comme la dissociation ou le déni) qui peuvent empêcher les individus à ouvrir des pans de leur fonctionnement psychique. Il en découle souvent une grande complexité quant aux aspects de responsabilité…Comment se positionner sans tomber dans une simplification délétère basée sur un raisonnement binaire (non-responsable/ totalement responsable)?...

Par ailleurs, il y a lieu de considérer ce que d’aucuns nomment le « relatif culturel ». Ici, le parent répète par exemple certains comportements dans une dimension éducative sans toujours percevoir les retombées sur l’enfant. Ce n’est alors que lors de la phase d’évaluation que les adultes concernés, entendant les professionnels ouvrir les multiples aspects relationnels entre parents et enfants, peuvent comprendre d’une part les conséquences sur les enfants et d’autres part la nécessité d’opérer certains changements dans leurs propres attitudes.

Regroupons alors les principales formes de maltraitance :

- la maltraitance physique (lésions visibles ou non, généralement infligées à l’enfant comme des coups, des morsures, des coupures, etc. pouvant donner lieu à des plaies, ecchymoses, rougeurs, etc.) est potentiellement visible à l’examen clinique. Le syndrome du bébé secoué est repris dans ce type de maltraitance bien que la dimension d'intentionnalité de nuire peut parfois être difficilement définie ;

- la maltraitance sexuelle : évoque la participation (active/passive) d’un enfant ou d’un mineur d’âge à une activité sexuelle qu’il n’est pas en mesure de comprendre et qui ne concorde pas à son développement ou qui transgresse les interdits fondamentaux concernant les filiations au sein de la famille ;

- la maltraitance psychologique : concerne l’ensemble des interactions négatives à l’encontre de l’enfant : propos systématiquement dénigrants, humiliation, implication dans des conflits qui ne le concerne pas, chantage affectif, etc. ;

- les négligences : correspondent à des situations de carence qui compromettent le développement psychologique et physique de l’enfant. Il s’agit d’élément essentiel du quotidien : alimentation, habillement, soins médicaux, stimulation, etc.

Il est important d’attirer l’attention sur les enfants dits à risque. Ce sont des jeunes sujets qui évoluent dans des situations limites, avec des risques de glissement vers la maltraitance. Ces situations-là méritent autant notre préoccupation que celles qui évoquent la maltraitance avérée. Soulignons encore les situations des enfants confrontés à la violence conjugale et aux séparations familiales très conflictuelles.

En Belgique, comment s’est déployé le système psycho-médico-social ?

Abordons succinctement quelques éléments de repères du contexte sociojuridique. Suite à une recherche-action menée par plusieurs universités, un premier décret, datant de 1985, a établi la mise en place d’équipes SOS-Enfants, subventionnées par l’ONE2. Celles-ci ont pour mission de proposer un espace d’aide et de soins gratuits pour accompagner la gestion de tensions socio-familiales violentes sans automatiquement interpeller un tiers sociojuridique. En parallèle, le service d’aide à la jeunesse (SAJ) a été créé en 1991. Il s’agit d’une autorité publique sociale, propre au système belge, intervenant uniquement dans le cadre protectionnel (c’est à dire qu’elle n’intervient ni dans le domaine civil, ni dans le domaine pénal). Le SAJ peut entendre les difficultés des jeunes et les orienter vers un service plus spécialisé dans l’un ou l’autre champ (comme un PSE3, CPMS4, CPAS5, SSM6, etc.). Il correspond donc à un service gratuit qui, par ses actions et/ou conseils, vient en aide aux jeunes en difficulté ou en danger ainsi qu’à leurs familles. Précisons que le SAJ intervient dans bien d’autres domaines de la vie d’un mineur d’âge que la maltraitance. Son objectif principal est de faire émerger, toujours en collaboration avec le jeune de plus de 12 ans et sa famille, des pistes de solutions aux problématiques exposées sans recourir nécessairement à l’intervention de la justice. Lorsqu’il y a échec de la prise en charge proposée au SAJ et que la situation demeure inquiétante (non-collaboration des personnes concernées, menace pour l’enfant, etc.) malgré toutes les propositions et actions, les travailleurs sociaux au sens large ont un devoir (clinique, éthique et déontologique) d’interpeller la justice via le parquet. Une fois le contact pris, le juge de la jeunesse via le tribunal de la jeunesse mandate le service protectionnel de la jeunesse (SPJ) afin de convenir de l’aide contrainte à établir. Il est important de savoir que les équipes SOS-Enfants ne travaillent pas dans l’anonymat et qu’elles ne remplacent pas la justice.

Dans un deuxième décret datant de 1998, suite à « l’affaire Dutroux » qui a ébranlé fortement notre pays, ces équipes ont davantage inclus la prise en charge de la maltraitance sexuelle vu les demandes ciblées sur cette thématique. Avant la mise en place des équipes SOS-Enfants, les situations de ce type étaient habituellement judiciarisées (un juge de la jeunesse doit protéger les plus vulnérables). Cependant, dans des cas complexes impliquant des membres de la même famille, la justice se retrouvait vite devant nombre de difficultés pour garantir la sécurité, les bonnes conditions générales pour un développement positif de l’ensemble des membres de la famille. Un juge, avec comme repère premier la loi, ne pouvait apporter une aide suffisante et souvent, le silence était adopté. Dans notre société, avec la vitesse des échanges et des réseaux de communication, le développement d’internet et des Smartphones, la réponse immédiate est attendue… et la justice n’était pas en mesure de répondre à cette exigence. Il y avait donc là un besoin urgent de services médico-psycho-sociaux aptes à répondre à cette temporalité.

Un dernier décret datant de 2004 revoit l’organisation des équipes SOS-Enfants. A partir de celui-ci, ces équipes se composent de médecins et de psychologues et non plus l’un ou de l’autre. Par ailleurs, celles-ci doivent être en mesure de prendre en charge autant les victimes que les auteurs de maltraitance mineurs d’âge. Précisons également que le travail en réseau s’est doté de protocoles d’intervention entre les différents secteurs concernés. Citons à titre d’exemple : le protocole d’intervention entre le secteur médico-psycho-social et le secteur judiciaire (2007) ainsi que le protocole de collaboration entre le secteur de l’aide à la jeunesse et les équipes SOS-Enfants (2010). Relevons aussi le nouveau code de la prévention de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse du 18 janvier 2018. L’ensemble de ces textes tente de déterminer avec le plus de rigueur possible les modalités du travail en réseau en donnant priorité à l’intérêt de l’enfant concerné et des membres de son entourage familial. Les points de repères cliniques que nous proposons respectent les principes énoncés même si de subtiles nuances existent entre les pratiques wallonnes et les pratiques bruxelloises... Sans parler des procédures valables du côté nééerlandophone.

2 Organisation National de l’Enfance : Service public dépendant du Ministère de la communauté française. A pour mission d’encourager et de développer la protection de la femme enceinte, de la mère et du jeune enfant par le biais de l’action médico-sociale et de l’accompagnement des milieux d’accueil.
3
PSE : Promotion de la santé à l’école.
4
CPMS : Centre Psycho-Médico-Social.
5
CPAS : Centre Public d’Action Sociale.
6
SSM : Service de Santé Mentale.

Quels sont les signes qui doivent faire penser à de la maltraitance ?

Rappelons que peu de signes sont pathognomoniques… Lorsqu’un enfant est examiné par un médecin, on pensera à la maltraitance si l’enfant présente des lésions physiques à répétition et visibles à l’examen clinique, des comportements inadéquats par rapport à son âge (par exemple un comportement sexualisé, régressif), un discours inadapté pour l’âge, des troubles externalisés du comportement (violence, fugue, agitation, …), ou des affects anxio-dépressifs conduisant à des mises en danger de ce dernier. Un discours qui ne concorde pas aux lésions et qui change au cours du temps doit attirer l’attention du médecin. Au-delà de ce qui est visible, tenons compte de ce qui ne se voit pas et qui pourtant se vit. Deux processus psychiques peuvent aussi empêcher le clinicien d’attester un fait de maltraitance, semant de sérieux doutes : la capacité de résilience et le syndrome d’accommodation. Le premier correspond à la faculté d’une personne à mobiliser ses ressources personnelles afin de faire face à une situation difficile. Dans ce contexte, le danger serait de passer à côté de certains faits de maltraitance chez ces enfants qui peuvent mobiliser leurs ressources de façon plus efficiente que d’autres. Le second, le syndrome d’accommodation, concerne des personnes qui ne peuvent pas ou plus élaborer d’autres issues que de se soumettre à l’autre et au contexte d’emprise. Comme ces enfants ne parlent pas de ce vécu, il est difficile de le repérer ; soyons donc attentifs au non-verbal et à ce qu’il évoque. Chacune de ces caractéristiques relève d’un trait de personnalité faisant partie intégrante du fonctionnement psychique d’une personne et étant pluricausal (génétique, social, éducatif, systémique). Soyons ainsi vigilants, en tant que professionnels, à ne pas banaliser les comportements de certains enfants qui ne sont pas forcément en adéquation avec ce qu’ils montrent.

Lorsqu’on rencontre un enfant victime ou suspecté victime de maltraitance, vers qui peut-on se retourner ?

Les équipes SOS-Enfants constituent la ligne spécialisée en cas de suspicion de maltraitance. Au nombre de 14 en Fédération Wallonie Bruxelles, elles sont intra ou extrahospitalières et leurs services subsidiés par l’Etat sont gratuits. Ces équipes se composent d’un psychiatre infanto-juvénile, de psychologues, d’assistants sociaux, d’un juriste et d’un pédiatre. Si les missions sont communes, notons quelques différences dans la méthodologie de travail. Sur base d’éléments contextuels, les missions sont les mêmes mais les modalités de prises en charge peuvent différer. Si un tel modèle semble idéal, on ne peut omettre un principe de réalité. Tout d’abord le nombre d’équivalents temps pleins cliniques ne permet nullement de couvrir tout le nycthémère ni les week-ends. Ensuite, le nombre de demandes est souvent supérieur à la capacité de prise en charge. Toutefois, ces équipes veillent, comparativement à l’offre réelle du réseau officiel de santé mentale et de psychiatrie infanto-juvénile, à garder la plus grande disponibilité donnant une réponse concrète (par exemple un rendez-vous) dans les 2-3 jours qui suivent l’appel. Rappelons, si besoin en était, que toutes les situations dites d’urgence ou de danger imminent peuvent amener le praticien à solliciter l’intervention des autorités judiciaires.

À titre d’illustration, ne prônant toutefois pas notre modèle comme unique paradigme, prenons le fonctionnement de l’équipe SOS-enfants des Cliniques Saint Luc à Bruxelles.

Dans notre équipe SOS-Enfants existe une permanence téléphonique quotidienne permettant à tout un chacun d’appeler afin d’obtenir des conseils ou d’être rencontrés. Il peut aussi s’agir de demandes du SAJ/SPJ afin qu’un bilan (ou une expertise) puisse être réalisé. Une des lignes de force de cette équipe est de proposer un espace-tiers non jugeant, au sein duquel une prise en charge à la fois globale et singulière est élaborée. En effet, une des particularités de ce type de travail est de veiller à toujours conjuguer le parcours individuel et la dynamique globale d’un groupe ou d’une famille déterminée. Encore aujourd’hui, nous constatons le risque d’assurer un accompagnement individuel, d’établir des liens transférentiels forts et mobilisateurs sans toutefois tenir compte suffisamment des éléments contextuels qui, par définition, colorent différemment ce que l’individu perçoit et comprend de sa situation.

Il est néanmoins important de nommer l’absence d’obligation en Belgique de se diriger vers ce type d’équipe ou vers la justice tant que l’enfant qui est suspecté victime ou auteur est pris en charge et que la maltraitance (éventuelle) a pris fin. Tout praticien est tenu de mettre en place une aide et des soins appropriés au bénéfice de la personne en souffrance. Ce n’est que dans le cas où une menace de récidive existe et que l’enfant en question est en danger qu’une interpellation des autorités judiciaires peut être envisagée.

Quels sont les points de repère juridiques importants ?

À 18 ans, un enfant atteint sa majorité. Cela signifie qu’il est dès lors considéré comme un adulte, légalement responsable de ses actes. À partir de 16 ans, pour certains faits, le jeune peut être considéré comme responsable de ses actes et jugé comme un adulte. Dès 12 ans, parfois avant même, un enfant peut faire état d’une capacité de discernement et donc souhaiter pouvoir être entendu comme personne à part entière. Il peut faire appel au consentement éclairé et faire des choix qui lui semblent bons comme aller voir un psychothérapeute en désaccord avec ses parents ou décider son traitement médical. Il semble important de nommer qu’au SAJ, dès l’âge de 12 ans, l’accord de l’enfant est requis pour toute décision le concernant. Celui-ci est accompagné le cas échéant d’un avocat. Il est évident que nous évoquons ici des situations litigieuses mais qu’en règle générale, nous avons comme principe que tout parent tente de faire au/le mieux pour son enfant selon les valeurs qu’il a lui-même acquises au cours de sa vie.

Un enfant victime ou suspecté victime… comment pouvoir l’aider ?

Sur le terrain, lorsqu’un médecin rencontre un enfant qui décrit des actes de maltraitance, il a le devoir de tout mettre en œuvre pour lui apporter de l’aide, tout en étant tenu au secret professionnel. Un médecin peut rompre ce secret lorsqu’il évalue un danger imminent, grave et urgent mettant en péril la vie de l’enfant. À ce propos, rappelons l’article 458bis du code pénal : « Toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance d’une infraction prévue aux articles 372 à 377, 392 à 394, 396 à 405ter, 409, 423, 425 et 426, qui a été commise sur un mineur ou sur une personne qui est vulnérable en raison de son âge, d’un état de grossesse, de la violence entre partenaires, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale peut, sans préjudice des obligations que lui impose l’article 422bis, en informer le procureur du Roi, soit lorsqu’il existe un danger grave et imminent pour l’intégrité physique ou mentale du mineur ou de la personne vulnérable visée, et qu’elle n’est pas en mesure, seule ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité, soit lorsqu’il y a des indices d’un danger sérieux et réel que d’autres mineurs ou personnes vulnérables visées soient victimes des infractions prévues aux articles précités et qu’elle n’est pas en mesure, seule ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité ».

Notons que toute situation de maltraitance ne doit pas être nécessairement dénoncée tant qu’il y a un arrêt des faits ainsi qu’une prise en charge acceptée et efficace pour l’ensemble des parties permettant ainsi un accompagnement médico-psycho-social. Reprenons les différentes possibilités existantes lorsque l’on est face à une situation de mineur acteur ou victime d’une infraction sexuelle : l’intervenant peut, par exemple, se tourner vers une équipe comme SOS-Enfants, interpeller le SAJ voire, dans certaines conditions, le juge de la jeunesse (via le Parquet) ou proposer une prise en charge psychothérapeutique. En Belgique, il n’y a pas de canevas imposé mais des pistes de traitement afin d’apporter les meilleurs soins possibles et d’éviter une récidive ou des répercussions psychologiques dommageables pour la victime et l’auteur. La prise en charge au cas par cas est une des clés de notre système et permet théoriquement de s’adapter à toutes les situations en tenant compte du vécu passé et futur des familles concernées. Nous proposons ci-joint, un algorithme décisionnel comme point de repère simplifié afin d’assurer la prise en charge des situations de maltraitance.

Précisons que l’expression « le cas échéant » retrouvée sur plusieurs lignes de l’algorithme intègre différents cas de figure. C’est habituellement suite à une réunion d’équipe, voire à une concertation entre structures appartenant à des champs différents que la situation rencontrée suivra telle ou telle ligne de l’arbre décisionnel.

Ainsi concrètement, même si la famille accepte un traitement il peut être pertinent d’interpeller le SAJ parce que les cliniciens estiment la collaboration fragile ou observent la nécessité de la présence d’une autorité sociale, étant donné qu'une fonction d’autorité juste et adéquate fait défaut dans la famille concernée.

En quoi consiste l’intervention de l’équipe SOS-enfants ?

Dans une situation de maltraitance sur mineurs d’âge, nous privilégions des rencontres singulières avec l’enfant, son entourage familial et son réseau. Lorsque nous rencontrons l’enfant, nous sommes attentifs aux différentes facettes qui le composent : le corps, le psychisme et les liens qu’il a créés autour de lui. Nous explorons donc le champ médical, social et psychique. Afin de soutenir ces rencontres, nous faisons appel à différents médias et spécialistes.

Dans l’équipe SOS-Enfants des Cliniques universitaires Saint-Luc, il est prévu que nous travaillions en dyade en rencontrant les personnes qui entourent l’enfant. Cette dyade se compose d’un professionnel du champ « psy » et l’autre du champ social ou juridique. Elle rencontre la famille et le réseau ; en parallèle le psy voit à plusieurs reprises l’enfant seul. Dans ce modèle, il est aussi prévu que l’assistant social rencontre les parents afin de faire une anamnèse spécifique rendant compte du contexte général de l’enfant et de son entourage. Cela comprend la culture, les ancrages sociaux, les conditions de vie et tout le paysage singulier dans lequel prennent place les différents protagonistes. Il est important aussi de nommer la place particulière de notre juriste. De sa fonction, elle apporte un avis éclairé dans des situations complexes et permet de recadrer les balises légales tout en participant au soin, celle-ci étant sur le terrain comme tous les membres de l’équipe. La pédiatre réalise un examen complet de l’enfant et fait un retour à l’équipe sur son évolution depuis sa naissance. Cette prise en charge somatique a pour objectif de ré-humaniser ce corps traumatisé, tout en mettant en évidence les lésions éventuelles. Les psychologues, formés à l’emploi de différents médias, peuvent s’en servir afin d’affiner les observations. Quand la possibilité en est donnée, il est utile de compléter les données issues des entretiens cliniques par la passation de tests psychologiques centrés sur l’attachement et sur le développement de l’enfant, comme par exemple le Bayley, le Brunet-Lézine ou encore la GED (grille d’évaluation du développement). Par ailleurs, il peut s’avérer précieux d’obtenir un éclairage sur le fonctionnement psychique de chacun des parents, par exemple par la réalisation d’épreuves projectives (TAT, Rorschach,…).

Plusieurs des psychologues sont formés à la thérapie systémique. Une des pierres angulaires de la prise en charge se centre sur les interactions qui animent les familles que nous rencontrons. Il est important de pouvoir analyser les différents enjeux et de se rapprocher au plus près de ce que l’adulte que nous rencontrons a vécu lors de son enfance afin d’éviter un second acte de violence et de soutenir au mieux cette famille au sein de laquelle l’interdit a été transgressé par/sur un mineur d’âge. L’équipe SOS-Enfants est pluridisciplinaire ce qui permet un large angle de vision, bénéficiant de la présence d’un pédopsychiatre établissant entre autres les liens entre l’examen médical, l’examen psychologique/psychiatrique et les autres données recueillies.

Parfois, la victime et l’auteur de l’acte de maltraitance sont pris en charge en même temps; c’est le cas, par exemple, lorsque les faits se déroulent au sein d’une fratrie. Dans ce cas, nous créons une triade avec deux professionnels dits « psy ». Ce modèle permet au travailleur socio-juridique de faire la liaison entre les différentes positions et de maintenir une cohérence comme nous l’avons évoqué plus haut.

Pourquoi est-ce un devoir d’aider l’enfant maltraité ?

On sait aujourd’hui que la maltraitance des enfants a des conséquences sur les adultes de demain avec une augmentation des problèmes physiques et psychiques. En effet, on retrouve plus d’adultes souffrant de maladies mentales (par exemple : troubles anxio-dépressifs), d’addiction (par exemple : consommation de tabac, d’alcool, etc.), de problèmes cardio-vasculaires, de troubles du comportement alimentaire (par exemple : obésité morbide, anorexie, etc.) dans le groupe d’enfants traumatisés. Des études sur le développement cérébral ont montré les conséquences de la maltraitance sur ce dernier ; la plasticité neuronale permet autant l’adaptation à un milieu bienveillant qu’à un milieu malveillant. Ainsi, la maltraitance aura pour conséquence de baigner l’enfant dans un stress récurrent avec une absence marquée de sécurité et un cerveau systématiquement en état d’alerte. Les retentissements sont dramatiques tant sur le potentiel intellectuel et émotionnel, que sur le développement de la personnalité. De plus, un enfant élevé dans un milieu peu chaleureux découvrira difficilement les chemins de l’empathie et parfois… “l’agressé deviendra l’agresseur”… Sans entrer dans un débat sur le sujet, nous soutenons le fait que l’individu se construit sur base de sa liberté tout en s’appuyant sur son « bagage patrimonial » (l’histoire des générations). Ainsi un parent peut décider de son libre arbitre de ne pas reproduire les attitudes maltraitantes qu’il a subies. Mais ce n’est pas toujours aisé ou simple tant des facteurs conscients et inconscients entrent en jeu... On comprend dès lors qu’une intervention précoce permet une diminution des répercussions à l’âge adulte. Il est essentiel de reconnaitre ces situations critiques et de mettre en place une “enveloppe partenariale” efficace tenant compte tant des difficultés du parent à être parent, que de l’enfant… Les parents sont souvent des enfants eux-mêmes maltraités. En tant que médecin, il est de notre devoir de prendre soin de ses enfants maltraités aussitôt que l’on en a conscience ou que l’on nourrit des suspicions.

Finalement …

Un des axes de prise en charge possible de ce type de situation consiste à mettre en place un dispositif d’évaluation intégratif. Le terme « intégratif » s’appuie sur une définition physiologique : il désigne la fonction d’un centre nerveux consistant à recueillir un ensemble d’informations, à l’analyser d’une façon complexe et à produire une réponse coordonnée de plusieurs organes. Notre dispositif tente de répondre à ces critères en l‘appliquant à cette clinique particulière par l’engagement de différentes disciplines posant des regards spécifiques et complémentaires. Ce type de prise en charge a une visée thérapeutique pour l’enfant et son entourage s’appuyant sur un travail en réseau s’étayant sur une enveloppe partenariale autour de l’enfant et de sa famille. Nous différencions les approches et logiques d’aide, de soin et de protection sans omettre la dimension répressive. A nos yeux, au cas par cas, les approches seront mobilisées en s’assurant de leur complémentarité (le cas échéant). Il ne s’agit nullement de “faire du même” mais bien d’opter, au sein d'un algorithme décisionnel, pour l’approche la plus pertinente. L’OMS confirme ce canevas de prise en charge.

En conclusion, nous proposons des balises pour l'aide et les soins des enfants victimes de maltraitance tout en tenant compte de la particularité du système belge. En effet, la Belgique est le pays du compromis et on peut dire que notre système protectionnel belge est un réel modèle de négociation entre le soin, le respect de l’individu, la loi, les familles et le bien-être de l’enfant.

Intervenir de façon concertée, par exemple, en amenant ses interrogations auprès de collègues pédopsychiatres, représente déjà en soi une étape solide sur le chemin de la responsabilité médicale. Sur cette longue route, les progrès se font au moins autant au cas par cas que via l’amélioration de la société et des lois. Et dans cette perspective interindividuelle, les prises en charge échappent souvent aux standards et aux prévisions. Les acquis méthodologiques et sociaux ne constituent jamais que des guidelines non contraignants.

En conséquence, nous avons le devoir de nous former, dans la finalité de la compétence et de l’excellence tant pour faire évoluer la société que pour soigner et prendre en charge efficacement tous les protagonistes concernés par la maltraitance d’un enfant. De la spécialisation oui, mais à chaque nouvelle situation, une réflexion nouvelle, de la flexibilité, de la créativité et la liberté de décider face aux protocoles quelque peu cadenassés. Bien des prises en charge s’enrichissent si nous ne restons pas seuls, individu ou institution isolé(e), pour les gérer et si nous nous donnons le temps de la réflexion anticipatrice, sans précipitation, pour concevoir un plan d’intervention concertée pertinent.

Nous irons encore plus loin ; mieux qu’une prise en charge intégrative, une véritable politique de prévention serait l’idéal en terme de santé publique.

« Être vulnérable par essence »

Affiliations

1. Médecin assistant clinicien candidat spécialiste en psychiatrie infanto-juvénile Université catholique de Louvain.
2. Cliniques universitaires Saint-Luc, Psychiatre infanto-juvénile, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Pr. Emmanuel de Becker
Cliniques universitaires Saint-Luc
Psychiatre infanto-juvénile
Avenue Hippocrate, 10
B 1200 Bruxelles
emmanuel.debecker@uclouvain.be

Références

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