INNOVATIONS EN DIABETOLOGIE QUE RETENIR DE 2015 ?

Précédent
M. Buysschaert Publié dans la revue de : Septembre 2015 Rubrique(s) : Diabétologie et Nutrition
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

L’année diabétologique 2015 a été riche en publications de grand intérêt clinique et/ou thérapeutique. Le but de cet article est de passer en revue quelques messages clés issus de ces études qui contribuent directement à une meilleure prise en charge des patients diabétiques. La « finalité » des recommandations internationales (ADA, EASD) en termes d’objectifs de démarche clinique dans le diabète de type 2 est à l’avant plan des concepts nouveaux. Les principales innovations thérapeutiques, en particulier dans le champ des DPP-4 inhibiteurs et des SGLT-2 inhibiteurs sont également abordées. Enfin, sont aussi mises en relief l’importance des troubles cognitifs chez le diabétique âgé et, dans un autre cadre, l’association à un diabète de type 1 « jeune » de troubles psychiatriques liés à la maladie princeps.

Mots-clés
Innovation, thérapeutique, gliptines, gliflozines, HbA1c, prédiabète, comorbidité

 

Article complet :

Actualités en diabétologie : l’année 2015 est un « grand cru »

L’année diabétologique 2015 a été dense ! Plusieurs publications d’excellence, dans des revues médicales prestigieuses, ont en effet rapporté des résultats dont la portée clinique, en termes de progrès au service du patient, est évidente - et immédiate.

Le but de cet article est de cibler quelques messages innovants essentiels qui ont contribué, in fine, à cette meilleure prise en charge, en particulier des diabétiques de type 2.

Janvier 2015 est chaque année, pour l’ADA (American Diabetes Association) et l’EASD (European Association for the Study of Diabetes), le temps de l’actualisation des recommandations thérapeutiques (1). Il ressort aujourd’hui de leur lecture que « l’individualisation » des objectifs glycémiques et du traitement – leur personnalisation – sont devenues une approche clinique obligatoire, quasi dogmatique : en d’autres termes, l’objectif de maitrise glycémique, décliné en hémoglobine glycatée (HbA1c) n’est plus « universel ». Il est (très) différent chez un « jeune » diabétique de type 2, sans aucune comorbidité où l’exigence d’une valeur d’HbA1c ≤ 7 % reste entière et chez un « moins jeune » sujet atteint de complications, en particulier cardiovasculaires, et menacé par le risque d’une hypoglycémie sévère et de ses conséquences. Dans ce dernier cas, un taux de l’ordre de 8.0 % ou même davantage chez des individus très fragiles reste licite (1). Quant à l’algorithme thérapeutique proposé par ces sociétés savantes, il intègre pour la première fois la classe des inhibiteurs SGLT-2 (pour Sodium Glucose Cotransporter -2) dès la bithérapie, aux côtés des sulfamides hypoglycémiants, des glitazones, des « incrétinomimétiques » et de l’insuline basale, en ajout à la metformine. Cette décision nous semble rationnelle et pertinente. Adouber les SGLT-2 inhibiteurs (canagliflozine [Invokana®] ; empagliflozine [Jardiance®]) repose en effet sur un dossier très riche qui démontre un effet bénéfique pluriel de ces médicaments glucorétiques (dont l’action est indépendante de la sécrétion et/ou de l’action de l’insuline) : ils amènent en effet une réduction de l’HbA1c vs. placebo de l’ordre de 0.8 %, couplée à une perte pondérale et une diminution de la pression artérielle. Versus des comparateurs actifs (sulfamides ; DPP-4 inhibiteurs), quelques études mettent en évidence une supériorité de ces SGLT-2 inhibiteurs sur le plan glycémique et clinique (poids ; TA). Ces avantages l’emportent largement sur des effets secondaires potentiels comme les infections génitales ou urinaires (5-15 %) ou des symptômes liés à la diurèse osmotique et/ou d’hypovolémie (1-5 %) (2,3). Ces médicaments trouvent donc leur place à part entière à côté d’autres dont l’efficacité a été confirmée, en particulier pour les analogues du GLP-1 (4).

Dans un autre cadre, une preuve établie de sécurité cardiovasculaire est aujourd’hui obligatoire pour les nouveaux médicaments hypoglycémiants. Le leitmotiv est récurrent. Là aussi, l’année 2015 nous a apporté un ensemble d’informations essentielles. Tous les cliniciens se rappellent les conclusions de deux études récentes SAVOR-TIMI et EXAMINE construites dans cet « esprit cardiovasculaire » (5,6). Les deux essais, menés chez des patients diabétiques de type 2, à haut risque cardiovasculaire (SAVOR- TIMI avec la saxagliptine [Onglyza®]), ou aux antécédents récents d’un événement coronaire (EXAMINE avec l’alogliptine) [Vipidia®]), ont rapporté après 2-3 ans un risque cardiovasculaire comparable sous DPP-4 inhibiteurs et placebo, en ajout au traitement hypoglycémiant habituel. Le constat était donc très rassurant. Ceci étant, les auteurs avaient observé, en particulier dans SAVOR, une augmentation significative du risque d’hospitalisation pour décompensation cardiaque (3.5 vs. 2.8 %, p=0.04). Sans explication. Hasard statistique ? L’étude TECOS (Trial Evaluating Cardiovascular Outcomes with Sitagliptine), publiée dans le New England J Med en juin 2015 apporte, heureusement, un démenti cinglant à l’observation précédente : le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque était en effet strictement identique sous sitagliptine (Januvia®) et placebo (Hazard Ratio [HR] :1.0 [95 % CI : 0.83.1.20]) (7). TECOS, par ailleurs, confortait les données de SAVOR et d’EXAMINE en termes d’événements cardiovasculaires (décès cardiovasculaire ; infarctus ou accident vasculaire cérébral (AVC) non fatal) avec un HR à 0.98 [0.88-1.09] (p<0.001 pour la non-infériorité vs. placebo). La cause cardiovasculaire est donc entendue pour les gliptines !

Très récemment, l’étude EMPA-REG OUTCOME a apporté, elle aussi, une pierre très importante à l’édifice (8,9). Elle montre, avec brio pour l’empagliflozine, un SGLT-2 inhibiteur, non seulement une non-infériorité cardiovasculaire par rapport au placebo chez des patients à haut risque cardiovasculaire (qui bénéficient déjà à l’inclusion d’un excellent contrôle des facteurs de risque) mais une supériorité - une plus-value – statistique. Sous empagliflozine vs. le placebo (en ajout au traitement hypoglycémiant habituel), le risque d’événements cardiovasculaires définis par un objectif composite incluant décès cardiovasculaire, infarctus ou AVC non fatal, est en effet réduit de 16 %. Les risques de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisation pour décompensation cardiaque sont réduits de 38 et de 35 %, respectivement, sous empagliflozine. Cet essai, présenté à l’EASD à Stockholm en septembre 2015 est, sans doute, un jalon dans l’histoire moderne de la diabétologie.

Il y a donc aujourd’hui enfin des avancées dans ce combat mené pour réduire les complications cardiovasculaires du patient diabétique de type 2. Cette assertion est encore renforcée par les résultats de l’étude VADT publiés dans le New England J Med par Hayward et al. : une différence d’HbA1c de 1.5% (6.9 % dans le groupe intensif vs. 8.4 % dans le groupe conventionnel) pendant 5.6 ans réduit, dix ans après l’initiation de l’étude, de 17 % les évènements cardiovasculaires (objectif composite) dans une cohorte de diabétiques de type 2 âgés à haut risque cardiovasculaire (10).

Plusieurs travaux publiés en 2015 balisent également les objectifs glycémiques et le traitement des personnes diabétiques âgées. Comme déjà indirectement mentionné, les recommandations internationales (ADA ; EASD) mettent en effet en relief l’importance chez eux d’une approche « sur mesure », évitant chez eux à la fois l’hyperglycémie sévère et les hypoglycémies – événements encore trop fréquents (11). L’hyperglycémie chronique et les hypoglycémies graves et récurrentes font en effet, à côté des facteurs de risque habituels associés au diabète, le lit de troubles cognitifs, y compris de la démence, du diabétique âgé, comme nous l’avons revu en 2015 (12).

Dans un autre cadre, cette prise en charge globale du patient diabétique, au-delà du défi glycémique, s’applique également aux patients diabétiques de type 1. Plusieurs articles en 2015 ont en effet insisté sur la comorbidité amenée, chez les jeunes diabétiques de type 1 par les troubles psychiatriques, directement liés à la maladie. C’est le cas d’une étude suédoise qui, dans une cohorte de 17 000 enfants et adolescents diabétiques de type 1, met en évidence un doublement du risque de pathologie psychiatrique par rapport à une population contrôle. Ce risque est encore majoré au cours des premiers mois après le diagnostic du diabète. Le constat est important en termes de prise en charge « inaugurale » de ces patients (13). Ces résultats sont en phase avec les données de Galler et al. qui, dans une étude menée en Allemagne et en Autriche, « sur le terrain », mettent en évidence chez les diabétiques de type 1 une consommation significativement plus importante d’antipsychotiques typiques et atypiques (vs. les sujets contrôles), avec une palette de conséquences délétères sur le poids, la dyslipidémie et l’HbA1c (14).

Ces quelques messages – il en est d’autres – sont clairs et doivent orienter notre pratique diabétologique sur le terrain. Il ne faudrait cependant pas gommer le fait qu’un diagnostic de diabète (de type 2) est a priori précédé d’une période de « prédiabète ».Comme nous l’avons revu de manière exhaustive, identifier – et traiter – le prédiabète limite, dans un grand nombre de cas, l’évolution vers le diabète « vrai » (15) et évite les événements cardiovasculaires qui peuvent déjà, à ce stade, hypothéquer le pronostic. Dans cette perspective, le dépistage – c’est notre mission à tous – est essentiel.

Bref, l’année 2015, en amont et en aval du diabète, a été riche d’informations, d’innovations et d’implications pratiques et thérapeutiques.

Recommandations pratiques

L’année 2015 a amené une palette de nouveautés, y compris thérapeutiques, qui contribuent directement à une meilleure prise en charge du patient diabétique.

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique

Correspondance
Professeur (Ém.) Martin Buysschaert
martin.buysschaert@uclouvain.be
Références
 

1. Inzucchi SE, Bergenstal RM, Buse JB, Diamant M, Ferrannini E, Nauck M, et al. Management of hyperglycemia in type 2 diabetes: a patient-centered approach: position statement of the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetes Care 2012 Jun;35(6):1364-79.

Ouvrir dans Pubmed

2. Buysschaert M. Place de la canagliflozine (Invokana®), un nouvel inhibiteur SGLT2 dans le traitement du diabète de type 2. Louvain Med 2014 ; 133 (10) : 686-691.

3. Buysschaert M. L’empagliflozine (Jardiance®), un nouvel inhibiteur SGLT-2 dans le traitement du diabète de type 2. Pourquoi ? Comment ? Avec quels résultats ? Louvain Med 2015 ; 134 (7) : 339-346.

4. Buysschaert M, D’Hooge D, Preumont V; for the ROOTS Study Group. ROOTS, a multicenter study in Belgium to evaluate the effectiveness and safety of liraglutide (Victoza®) in type 2 diabetic patients. Submitted

5. Scirica BM, Bhatt DL, Braunwald E, Steg PG, Davidson J, Hirshberg B, et al. Saxagliptin and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2013; 369 (14): 1317-26.

Ouvrir dans Pubmed

6. White WB, Cannon CP, Heller SR, Nissen SE, Bergenstal RM, Bakris GL, et al. Alogliptin after acute coronary syndrome in patients with type 2 diabetes. N Engl J Med 2013; 369 (14): 1327-35.

Ouvrir dans Pubmed

7. Green JB, Bethel MA, Armstrong PW, Buse JB, Engel SS, Garg J, et al.; TECOS Study Group. Effect of Sitagliptin on Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2015 Jul 16;373(3):232-42.

Ouvrir dans Pubmed

8. Zinman B, Wanner C, Lachin JM, Fitchett D, Bluhmki E, Hantel S, et al.; EMPA-REG OUTCOME Investigators. Empagliflozin, Cardiovascular Outcomes, and Mortality in Type 2 Diabetes. N Engl J Med. 2015 Sep 17. Online

Ouvrir dans Pubmed

9. Buysschaert M. L’empagliflozine (Jardiance ®), un nouvel hypoglycémiant dans le traitement du diabète de type 2, diminue aussi le risque cardiovasculaire : analyse d’une étude princeps. Louvain Med 2015; 134 (8): 403-408.

10. Hayward RA, Reaven PD, Wiitala WL, Bahn GD, Reda DJ, Ge L, et al; VADT Investigators. Follow-up of glycemic control and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015 Jun 4;372(23):2197-206.

Ouvrir dans Pubmed

11. Bordier L, Buysschaert M, Bauduceau B, Doucet J, Verny C, Lassmann Vague V, Le Floch JP; SFD/SFGG Intergroup. Predicting factors of hypoglycaemia in elderly type 2 diabetes patients: Contributions of the GERODIAB study. Diabetes Metab 2015 Sep;41(4):301-3.

Ouvrir dans Pubmed

12. Buysschaert M, Bordier L, Bauduceau B, Le Floch JP, Verny C, Doucet J et l’intergroupe de Diabéto-Gériatrie SFD/SFGG. La dysfonction cognitive chez le diabétique âgé et ses causes : que nous apprend en plus la littérature récente ? Médecine des maladies Métaboliques 2015 ; 9 (1) : 47-52.

13. Butwicka A, Frisén L, Almqvist C, Zethelius B, Lichtenstein P. Risks of psychiatric disorders and suicide attempts in children and adolescents with type 1 diabetes: a population-based cohort study. Diabetes Care 2015 Mar;38(3):453-9.

Ouvrir dans Pubmed

14. Galler A, Bollow E, Meusers M, Bartus B, Näke A, Haberland H, Schober E, Holl RW; German Federal Ministry of Education and Research (BMBF) Competence Network Diabetes Mellitus. Comparison of glycemic and metabolic control in youth with type 1 diabetes with and without antipsychotic medication: analysis from the nationwide German/Austrian Diabetes Survey (DPV). Diabetes Care 2015 Jun;38(6):1051-7.

Ouvrir dans Pubmed

15. Buysschaert M, Medina JL, Bergman M, Shah A, Lonier J. Prediabetes and associated disorders. Endocrine 2015; 48: 371-393.

Ouvrir dans Pubmed

Identification