Innovations 2022 en Dermatologie

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Axel De Greef, M.D., Marie Baeck, M.D., Ph.D. Publié dans la revue de : Février 2023 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

L’arrivée des inhibiteurs de Janus-Kinase (JAKi) dans l’arsenal thérapeutique en dermatologie permet une évolution considérable de la prise en charge de certaines pathologies inflammatoires comme la dermatite atopique, ou les maladies auto-immunes comme la pelade (alopecia areata) ou le vitiligo. Le profil d’action large des JAKi au niveau du blocage des cytokines, bénéfique en termes d’efficacité, implique toutefois une certaine prudence au niveau du profil de sécurité de ce groupe de molécules. Cet article se veut faire le point sur les dernières données de sécurité des JAKi. Il en ressort qu’il est fondamental de distinguer le risque en fonction des populations traitées et des pathologies ciblées par ces molécules. La prudence reste de mise chez les patients âgés, les patients présentant des facteurs de risque cardiovasculaires incluant un tabagisme actif ou ancien conséquent, et les patients présentant des antécédents oncologiques

Mots-clés

Dermatite atopique, pelade, vitiligo, maladies inflammatoires, inhibiteurs de Janus kinase, sécurité

Article complet :

Les inhibiteurs JAK en dermatologie : innovation, mais quid en terme de sécurité ?

Qu’est-ce que la voie JAK-STAT et quel rôle pour les inhibiteurs de JAK (JAKi) ?

La voie JAK-STAT est l’une des voies de transduction des signaux extracellulaires vers le noyau de la cellule, entraînant des modifications de la transcription des gènes, notamment des cytokines impliquées dans les réponses inflammatoires. En raison de sa capacité à cibler simultanément les fonctions effectrices des récepteurs de différentes cytokines, cela lui confère un effet très large au niveau du système immunitaire et une implication dans de nombreuses pathologies inflammatoires ou auto-immunes.

Les molécules JAK sont des tyrosine kinases dont il existe quatre isotypes (JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2) qui permettent la transduction des signaux d’origine cytokinique via la voie JAK-STAT. La plupart des récepteurs de cytokines sont associés à une paire de molécules de la famille JAK. Les inhibiteurs de JAK (JAKi) sont de petites molécules qui empêchent la phosphorylation des JAK, bloquant ainsi la cascade de phosphorylation intracellulaire qui s’ensuit et qui est nécessaire à la transcription des cytokines. Les JAKi semblent ainsi avoir un effet bénéfique dans un large éventail de maladies inflammatoires à médiation immunitaire. Chaque JAKi présente un profil de sélectivité différent pour JAK1, JAK2, JAK3 et TYK2.

Quelle innovation ? Quelles indications pour les JAKi ?

Les JAKi ont révolutionné la prise en charge d’un large éventail de pathologies, comme les syndromes myéloprolifératifs ou la maladie du greffon contre l’hôte, la polyarthrite rhumatoïde, les maladies intestinales inflammatoires, mais aussi plusieurs dermatoses inflammatoires (3).

Tout particulièrement en dermatologie, l’arrivée des JAKi dans l’arsenal thérapeutique permet une évolution considérable de la prise en charge de certaines pathologies inflammatoires comme la dermatite atopique (DA) (4), de maladies auto-immunes comme la pelade (Alopecia areata ou AA) (5) ou le vitiligo (6), ou encore certaines pathologies granulomateuses (7). Les résultats des études cliniques et les premières données d’efficacité en vie réelle avec ces molécules sont extrêmement encourageants, permettant notamment d’envisager enfin un contrôle à long terme de maladies comme la DA ou un véritable espoir thérapeutique dans les pathologies comme la pelade ou le vitiligo. Plusieurs JAKi (baricitinib, upadacitinib et abrocitinib) ont ainsi obtenu l’autorisation de mise sur le marché dans la DA.De même, le baricitinib est le premier JAKi à l’avoir obtenu dans l’AA. En Belgique, seul le baricitinib bénéficie actuellement d’un remboursement comme 3e ligne de traitement dans la DA.

Mais quel profil de sécurité ?

Le profil d’action assez large des JAKi au niveau du blocage des cytokines, bénéfique en terme d’efficacité, implique toutefois une certaine prudence au niveau du profil de sécurité de ce groupe de molécules. Etant donné un potentiel immunosuppresseur non négligeable, la prescription de ces molécules est associée à des recommandations en terme de bilan pré-thérapeutique et de suivi en cours de traitement. Un bilan infectieux, avec notamment exclusion d’un tuberculose active ou latente, doit être réalisé avant traitement. De même, un antécédent ou des facteurs de risque cardio-vasculaires ou oncologiques doivent être identifiés et évalués avant toute décision thérapeutique.

Les principaux points d’attention concernant la sécurité des JAKi dans les indications dermatologiques concernent :

- les infections : avec principalement le risque d’infection virale notamment herpétique et d’eczéma herpéticum (syndrome de Kaposi-Juliusberg). Ce risque ne semble toutefois, d’après les dernières méta-analyses concernant la sécurité des JAKi, que très peu différent par rapport à la population de patients sous placebo ;

- les accidents thromboemboliques ; les accidents cardio-vasculaires sévères (MACE) ;

- le risque de malignité (principalement lymphomes, cancer du poumon et cancer cutanés non mélanocytaires) pour lequel des études à plus long terme sont attendues.

Pourquoi tant d’inquiétude ?

Le 4 février 2022, la FDA a publié une étude montrant un risque accru d’événements cardiovasculaires indésirables majeurs, de thromboses, de cancer et de décès chez les patients exposés au tofacitinib (un inhibiteur non sélectif de JAK1, JAK2 et JAK3) par rapport aux inhibiteurs du TNF-α (8). Il est important de noter que cette étude concernait des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR), âgés de ≥50 ans, traités simultanément par méthotrexate et présentant au moins un facteur de risque cardiovasculaire préexistant. Cette étude a toutefois eu l’effet de mettre tous les JAKi dans le « même panier » et de créer un vent de panique. Depuis, de nombreuses « review » et (network) meta-analyses ont été publiées, évaluant sur le plus long terme et sur de plus grandes cohortes de patients l’incidence de ces effets secondaires en fonction des indications (9).

Il en ressort notamment et avant tout, qu’il est fondamental de distinguer le risque en fonction des populations traitées et des pathologies ciblées par ces molécules. En effet, la population concernée par les pathologies dermatologiques est très différentes de celles d’autres indications. À titre d’exemple, un patient de ≥65 ans atteint de PR n’est pas exposé au même risque qu’un patient plus jeune atteint de DA ou d’AA, pour autant qu’il ne cumule pas d’autres facteurs de risque. Il y a donc une différence du risque, intrinsèque à une population et pour une pathologie spécifique.

C’est la raison pour laquelle récemment le PRAC/EMA (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee/European Medicines Agency) a émis, en novembre 2022, de nouvelles recommandations/précautions dans la prescription des JAKi. Elle inclut notamment d’éviter la prescriptions des JAKi sauf si aucune autre alternative n’est disponible chez :

- les patients de 65 ans et plus ;

- les patients avec des antécédents de maladies cardiovasculaires athérosclérotiques ou d’autres facteurs de risque cardiovasculaires (comme les fumeurs de longue date actuels ou passés) ;

- les patients avec des facteurs de risque de malignité (par exemple, malignité actuelle ou antécédents de malignité).

Ces précautions lors de la prescription des JAKi et les RCP (Résumés des Caractéristiques du Produit) des molécules concernées mises à jour peuvent être retrouvées dans un Folia paru le 6 décembre 2022 sur le site du CBIP (10).

À noter également que ces études et recommandations n’ont pas considéré le possible « effet inverse ». À savoir, le potentiel rôle protecteur, notamment au niveau cardio-vasculaire, de cette classe de molécule (11,12). Ceci doit bien évidemment faire l’objet d’une évaluation approfondie.

Le suivi des patients traités par JAKi doit comporter un contrôle biologique régulier de l’hémogramme, de la fonction hépatique et des lipides sanguins, un réévaluation régulière des facteurs de risque cardio-vasculaires et un dépistage oncologique régulier.

Que doit-on retenir ?

- Les JAKi représentent en réelle avancée dans la prise en charge de certaines maladies inflammatoires dermatologiques comme la dermatite atopique ou la pelade. Les données d’efficacité sont très encourageantes, permettant d’envisager de réels contrôles à long terme de ces maladies et un impact considérable sur les comorbidités et la qualité de vie de ces patients.

- Il convient toutefois de rester attentif au profil de sécurité de ce groupe de molécules :

 - Avant tout, il est important de distinguer/identifier la population traitée et la pathologie pour laquelle est prescrit le JAKi : le risque intrinsèque est très différent d’une population et d’une pathologie à l’autre. Les populations et indications dermatologiques semblent exposer le patient à un risque beaucoup plus limité.

- Les principaux points d’attention en terme de sécurité sont : les infections sévères, les accidents cardiovasculaires sévères et les malignités.

- La prudence reste de mise chez les patients âgés, les patients présentant des facteurs de risque cardiovasculaires incluant un tabagisme actif ou ancien conséquent, et les patients présentant des antécédents oncologiques.

Références

  1. Adapted from Garber K (2011) - Garber K. Pfizer's JAK inhibitor sails through phase 3 in rheumatoid arthritis. Nat Biotechnol. 2011;29(6):467-468. Published 2011 Jun 7. doi:10.1038/nbt0611-467.
  2. Adapted from Clark JD (2014) - Clark JD, Flanagan ME, Telliez JB. Discovery and development of Janus kinase (JAK) inhibitors for inflammatory diseases. J Med Chem. 2014;57(12):5023-5038. doi:10.1021/jm401490p.
  3. McLornan, D.P., et al. Current and future status of JAK inhibitors. Lancet. 2021; 398(10302): 803-816.
  4. Chovatiya R, Paller AS. JAK inhibitors in the treatment of atopic dermatitis. J Allergy Clin Immunol. 2021;148(4):927-940. doi:10.1016/j.jaci.2021.08.009
  5. Lensing M, Jabbari A. An overview of JAK/STAT pathways and JAK inhibition in alopecia areata. Front Immunol. 2022; 13:955035. Published 2022 Aug 30. doi:10.3389/fimmu.2022.955035
  6. Qi F, Liu F, Gao L. Janus Kinase Inhibitors in the Treatment of Vitiligo: A Review. Front Immunol. 2021; 12:790125. Published 2021 Nov 18. doi:10.3389/fimmu.2021.790125
  7. Rosenbach M. Janus kinase inhibitors offer promise for a new era of targeted treatment for granulomatous disorders. J Am Acad Dermatol. 2020; 82(3):e91-e92. doi:10.1016/j.jaad.2019.06.1297
  8. Ytterberg SR, Bhatt DL, Mikuls TR, et al. Cardiovascular and Cancer Risk with Tofacitinib in Rheumatoid Arthritis. N Engl J Med. 2022;386(4):316-326. doi:10.1056/NEJMoa2109927
  9. Olivera PA, Lasa JS, Bonovas S, Danese S, Peyrin-Biroulet L. Safety of Janus Kinase Inhibitors in Patients With Inflammatory Bowel Diseases or Other Immune-mediated Diseases: A Systematic Review and Meta-Analysis. Gastroenterology. 2020;158(6):1554-1573.e12. doi:10.1053/j.gastro.2020.01.001
  10. Restrictions de prescription des anti-JAK dans les maladies inflammatoires chroniques en raison d’effets indésirables graves. 20-01-2023]; Available from: https://www.cbip.be/fr/restrictions-de-prescription-des-anti-jak-dans-le....
  11. Kume K, Amano K, Yamada S, et al. Tofacitinib improves atherosclerosis despite up-regulating serum cholesterol in patients with active rheumatoid arthritis: a cohort study. Rheumatol Int. 2017;37(12):2079-2085. doi:10.1007/s00296-017-3844-9
  12. Wang Z, Wang S, Wang Z, Yun T, Wang C, Wang H. Tofacitinib ameliorates atherosclerosis and reduces foam cell formation in apoE deficient mice. Biochem Biophys Res Commun. 2017;490(2):194-201. doi:10.1016/j.bbrc.2017.06.020

Affiliations

Service de Dermatologie, Département de Médecine Interne, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles

Correspondance

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