Implications neurologiques de l’infection à SARS-CoV-2

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Pietro Maggi, Antoine Guilmot, Sofia Maldonado Slootjes, Caroline Huart, Bernard Hanseeuw, Thierry Duprez, Julien De Greef, Leila Belkhir, Jean Cyr Yombi, Adrian Ivanoiu, Vincent van Pesch Publié dans la revue de : Mai 2020 Rubrique(s) : Neurologie
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Résumé de l'article :

Le nombre de cas rapportés dans la littérature comportant des manifestations neurologiques potentiellement liées au COVID-19 est en constante augmentation. Il s’agit le plus souvent d’une anosmie brutale, de céphalées, d’états d’encéphalopathie ou d’accidents vasculaires cérébraux. Les mécanismes physiopathologiques sous-tendant le « Neuro-COVID » sont encore largement méconnus alors que le génome viral est très rarement détecté au niveau du liquide céphalorachidien. La recherche d’anomalies à la ponction lombaire chez ces patients ainsi que la présence d’une infection directe du virus au sein des cellules du neuroépithélium olfactif fait actuellement l’objet d’une étude aux Cliniques universitaires Saint-Luc.

Mots-clés

COVID-19, SARS-CoV-2, encéphalite, liquide céphalorachidien, neuroépithélium olfactif

Article complet :

Dans le contexte actuel de pandémie de SARS-CoV-2, la question des potentielles complications neurologiques ainsi que de leur implication pronostique se pose. De nombreux cas comportant des signes neurologiques sont rapportés (1). Le tropisme neurologique des coronavirus est connu de longue date, notamment celui du SARS-CoV-1 qui présente une séquence génomique hautement similaire à celle du SARS-CoV-2, suggérant des propriétés biologiques analogues (2). Quelques cas d’atteintes neurologiques ont été rapportés pour le SARS-CoV-1 et le MERS et leur fréquence pourrait avoir été sous-estimée (1).

Le COVID-19 est une maladie totalement nouvelle dont la physiopathologie est encore peu connue, de même que ses conséquences à court et à plus long terme. Même si la présentation clinique la plus fréquente est évidemment l’atteinte respiratoire, le nombre de cas rapportés comportant des manifestations neurologiques potentiellement liées au COVID-19 est en constante augmentation (https://braininfectionsglobal.tghn.org/COVID-neurology-resource/). Celles-ci incluent : anosmie et agueusie, céphalées, états d’encéphalopathie, méningo-encéphalites et polyradiculonévrites para ou post-infectieuses, accidents vasculaires cérébraux (AVC) et crises d’épilepsie. L’anosmie brutale sans obstruction nasale semble devenir un signe « classique », presque pathognomonique de l’infection (3). Des états d’encéphalopathie ont été décrit chez 20% des patients hospitalisés avec des symptômes neurologiques en Chine (1) et chez près de 70% des patients admis aux soins intensifs d’une étude observationnelle monocentrique française (4). L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) de ces patients montre souvent des anomalies peu spécifiques, sans pléiocytose (4). À l’heure actuelle, le génome viral du SARS-CoV-2 a été détecté dans le LCR d’un seul patient, présentant une altération de l’état de conscience, sans pléiocytose ni d’autres arguments clairs pour attester d’une infection directe du système nerveux central (SNC). À noter que nous ne disposons pas encore de données d’autopsie, démontrant une infection neuronale, alors que cela a été démontré pour le SARS-Cov (5). Deux cas d’encéphalite avec pléiocytose lymphocytaire ont été décrits en Chine, dont l’un associé à une lésion temporale sur les images par résonance magnétique (IRM) cérébrale (6,7). Plusieurs patients souffrant de polyradiculonévrite para ou post-infectieuse ont été rapportés, souvent avec une dissociation albumino-cytologique au niveau de l’analyse du LCR et parfois avec des anticorps anti-gangliosides dans le sérum (8,9). Les AVC ischémiques ou hémorragiques ont été surtout décrits chez des patients COVID-19 ayant d’autres facteurs de risque cardiovasculaires (1,10). Il est intéressant de noter que ces patients présentaient un état pro-inflammatoire et pro-coagulant au niveau biologique (augmentation de CRP et D-dimères) comparés aux autres malades COVID-19 (10).

D’un point de vue physiopathologique, l’entrée du virus dans le SNC pourrait se faire 1) par voie neurotrope via le nerf olfactif et le bulbe olfactif, 2) par voie hématogène via l’altération de la barrière hémato-encéphalique ou 3) indirectement, par le biais de leucocytes infectés (2). Les lésions du SNC pourraient être induites directement par l’infection des cellules du SNC ou secondaires à une réponse immunitaire disproportionnée induisant l’infiltration de cellules inflammatoires, la production de cytokines et de dommages cellulaires.

Par ailleurs, l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE-2), récepteur utilisé par le virus pour entrer dans les cellules, est également exprimée au niveau de l’endothélium vasculaire cérébral (11). Son atteinte pourrait non seulement contribuer à altérer la barrière hémato-encéphalique (12) mais aussi expliquer l’état pro-coagulant/thrombotique favorisant les AVC chez ces patients (13). Un processus vasculitique pourrait aussi jouer un rôle physiopathologique important. Enfin, le SARS-CoV-2 semble avoir une prédilection pour le tronc cérébral, notamment le noyau ambigu et le tractus solitaire -impliqués dans le contrôle respiratoire- ce qui pourrait suggérer une contribution neurogène dans les tableaux de défaillance respiratoire aigüe (14).

Le service de Neurologie en collaboration avec le service ORL et le service de Radiologie des Cliniques universitaires Saint-Luc a commencé une étude visant à comprendre 1) si la présence de signes neurologiques chez les patients COVID-19 est associée à des anomalies au niveau du LCR ou de l’IRM (Maggi P., Guilmot A. et al. Neurology, under revision), et 2) si la présence du virus au niveau du neuroépithélium olfactif est associée à des signes biologiques et radiologiques d’atteinte du SNC.

En conclusion, plusieurs tableaux cliniques neurologiques peuvent être observés chez les patients COVID-19. Les malades COVID-19 qui présentent une altération de l’état de conscience sont généralement plus âgés et présentent plus de comorbidités : il convient donc d’exclure toute autre cause pouvant expliquer le tableau neurologique avant de suggérer le rôle étiologique du virus. Celui-ci demeure hypothétique, les preuves d’inflammation active du SNC (sur le LCR ou à l’IRM) étant jusqu’à présent rarement mises en évidence.

Affiliations

1. Département de Neurologie
2. Département de Otolaryngologie
3. Département de Radiologie
4. Département de Maladies infectieuses

Cliniques universitaires Saint-Luc, Université catholique de Louvain, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Dr. Pietro Maggi
Cliniques universitaires Saint-Luc
Département de Neurologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

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