Il était une fois …. les trans

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Jean-Yves Hayez Publié dans la revue de : Mars 2023 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Avant 2010, les personnes se revendiquant d’être transgenre (en abrégé dans la suite du texte : trans) ne couraient pas les rues. C’était très mal vu par la société.

Article complet :

Bref historique

I. Avant 2010, les personnes se revendiquant d’être transgenre (en abrégé dans la suite du texte : trans) ne couraient pas les rues. C’était très mal vu par la société.

Un enfant prépubère de loin en loin, tel Patrick qui me disait à 7 ans : « Jésus s’est trompé ; il m’a donné un corps de garçon, mais je suis une fille ». Et elle a tenu bon dans la durée !

L’un ou l’autre adulte aussi prenait le risque de sortir de l’ombre après de longues années de secret, pendant lesquelles il s’était souvent bricolé discrètement de maigres compensations (p.ex., des moments solitaires de travestissement).

Le déclarer pendant l’adolescence était quasi-impensable, vu la stigmatisation cruelle par les pairs !

Il subsistait donc bien quelques personnes frustrées et malheureuses qui n’osaient rien faire malgré un fort vécu de « dysphorie de genre2 ».

II. Vers 2010, dans les pays occidentaux, les personnes homosexuelles étaient en train de gagner largement leur combat pour une reconnaissance positive officielle. Tout naturellement, les quelques trans déclarés ou secrets se sont satellisés dans les associations LGB de l’époque pour y faire cause commune.

Au même moment, le mouvement « wokiste » a pris de l’ampleur. Il prône notamment la totale égalité en valeur de tous les humains, quelles que soient leurs différences, et le droit pour chacun d’être soi-même, mais ici, en poussant à l’extrême le droit de réaliser ses projets individuels au détriment du groupe.

Soutenir les quelques trans indécis ou à la dérive déjà existant, et plus radicalement agiter l’idée de la transidentité dans la société, comme un super-modèle de réalisation de soi, a constitué et constitue toujours du pain bénit pour ce mouvement. En s’entremêlant comme deux torons d’une corde avec les associations LGB -vite devenues LGBT – les wokistes y ont trouvé une application de terrain idéale, symbolique pour promouvoir leurs idées sur le droit individuel à l’autodétermination.

Malheureusement, une ambiance prosélyte a éclaté et s’est aussi adressée aux mineurs d’âge, auxquels ces associations veulent faire reconnaître le même droit à l’autodétermination qu’aux adultes. Balayées donc ces réalités que les mineurs passent par des périodes de développement vulnérable, qu’ils ont besoin d’éducation et que l’autorité parentale doit s’imposer parfois pour dire non !

III. Outre ce soutien direct des associations, d’autres incitants sociaux ont également catalysé l’efflorescence contemporaine des trans de tous âges ; et notamment :

A. L’activisme wokiste dans la société civile a été à l’origine de bien d’autres injonctions sociales dites progressistes, en aval des stricts adeptes du mouvement. En témoignant et en prenant position dans la vie professionnelle, en contactant des journalistes, etc…les wokistes ont su séduire ou embrouiller bien des idées. En ce sens, la précipitation des injonctions émanant de nombre de ministères est des plus préoccupantes.

B. Les idées pro-trans ont également pénétré positivement dans une partie du monde soignant. Partie minoritaire, mais bien active. Par opportunisme économique, par conviction nouvelle, par curiosité intellectuelle et besoin de nouveautés, des médecins, des psy, des firmes pharmaceutiques ont créé des produits, des protocoles, des équipements en faveur des trans : bloqueurs de puberté et hormones, pendant et après l’adolescence, chirurgie d’affirmation, groupes de paroles, centres pluridisciplinaires spécialisés… tous ces items ont constitué comme une légitimation par la science de la validité du projet trans.

C. Et parallèlement il y a Internet, les informations de Google, les échanges de paroles et d’expériences sur les réseaux sociaux, les déclarations péremptoires des influenceurs. Les prises de position « pour » y sont bien plus nombreuses que les mises en garde.

IV. Existe-t-il des réactions dans la partie de la société qui n’est pas sous influence ?

A. La communauté sociale lambda a été et demeure peu informée objectivement des tenants et aboutissants des questions liées à la transidentité et de leur insertion dans le wokisme. Elle reste donc plutôt indifférente à ce qui se passe, le vivant comme une curiosité qui fait le buzz et met un peu de piment dans la culture.

B. Un signal d’alarme a cependant fini par être lancé un peu partout dans le monde par de nombreux scientifiques œuvrant de près ou de loin en sciences humaines. Leurs protestations sont-elles vraiment entendues ? Les wokistes, puissants et installés un peu partout, ne discutent pas avec eux : à peine un scientifique ouvre-t-il la bouche pour exprimer un doute qu’il se fait littéralement hurler dessus : « Transphobe…boomer… valet de l’extrême-droite ». Des conférences sont annulées, à cause des vociférations de contradicteurs rassemblés par les réseaux sociaux. Des plaintes sont même déposées à la Justice, tentant de faire passer pour racisme ou thérapie de conversion ce qui n’est qu’une invitation à se mettre en question. Il reste donc énormément de chemin à faire courageusement !

Qui sont les trans en 2023 ?

On s’accorde pour dire que leur nombre a explosé en moins de cinq ans, sans pouvoir avancer de chiffres fiables.

I. Un premier sous- groupe à mon sens le plus indiscutable, mais de taille très modeste est constitué par celles et ceux qui souffrent d’une lourde dysphorie de genre et se sentent appartenir à l’autre sexe « depuis toujours ». Ils existaient déjà avant 2010.

II. Second sous-groupe de taille très modeste aussi, rendu possible par l’ambiance sociale encourageante contemporaine : il concerne surtout l’un ou l’autre enfant entre 5 et 12 ans, qui aime et admire son parent de l’autre sexe : inconsciemment, il veut l’incorporer, afficher son genre et commence à prétendre avoir son sexe. De son côté, le parent concerné est tout sauf neutre. Il admire lui aussi, secrètement, cet enfant différent et si proche de lui et se montre ultra compréhensif. Et l’on retrouve la dyade enfant-parent sur les plateaux des télés qui se veulent branchées…

III. Le plus gros des nouvelles troupes trans est constitué par des adolescents : l’idée d’affirmer une identité nouvelle en adoptant « l’autre genre » leur traverse vraiment l’esprit, parfois dès le déclenchement de la puberté.

A. Ce peut être simplement le fruit de leur capacité nouvelle à s’introspecter : divagation imprévisible, aux racines mystérieuses ; plus souvent, tentative radicale de mettre fin à une souffrance morale d’apparition récente : dégoût pour les caractères sexuels secondaires occupés à apparaître, refus d’une orientation sexuelle momentanément homo, etc. : « Je me sens moche avec mon corps de fille, mes petits seins, mes règles… les autres se fichent de moi… je voudrais être un garçon…. Et après tout, si j’étais vraiment un garçon, égaré jusqu’à présent dans un corps de fille qui n’est pas fondamentalement le mien? »

Ce type de solution, ils se l’inventent aussi pour résoudre un conflit intra-psychique ou relationnel typique de cet âge de la vie, par exemple autour de leur rivalité avec un parent, autour de l’ambivalence dépendance - indépendance. Conflit souvent inconscient, du moins en partie, et solution consciente qui ne sait pas qu’elle est solution : « Ça me dégoûte de devenir physiquement comme mon père, cette espèce de gorille… Ça me fait peur aussi : il pourrait être jaloux, je pourrais coucher avec ma mère mieux que lui ».

En d’autres temps, peu d’entre eux auraient persévéré. Mais aujourd’hui, côté social, c’est plutôt l’encouragement. Viennent aussi consacrer l’affirmation d’une nouvelle identité des facteurs plus personnels, d’intensité variable d’un ado à l’autre : la joie d’épater des copains, jusqu’à faire le buzz ; la joie de défier l’école, la famille et souvent de les soumettre ; la joie de sortir de l’ombre et de se sentir enfin important, etc…

En mettant ensemble tous ces facteurs, la pression résultante peut être forte, et l’on évoque même parfois de petites contagions, surtout à partir de 15-16 ans. Elles ne sont pas sans évoquer les crises d’hystérie collective, à la Charcot au début du XXe siècle.

Espoirs et recommandations

I. Nous espérons d’abord que la société civile soit objectivement informée sur les nouvelles idées dites progressistes, porteuses de bien des enjeux sur la vision de l’humain à l’avenir. Et qu’elle s’engage pour défendre et faire évoluer son projet propre, sans se laisser intimider ni embrouiller les idées.

II. Dans la perspective d’une information complète de la communauté, nous espérons ensuite que le droit à la libre expression et au débat démocratique des idées soit rétabli, parce que cela fait partie des droits humains.

III. Espérons encore que la communauté maintiendra des valeurs sociales modernes, humanistes, mais qui ne mettent pas l’individu au centre du centre. Félicitons nous de l’existence de la justice sociale, de l’égale valeur reconnue à tous les êtres humains, du droit de chacun à l’expression, pourvu qu’elle ne soit pas anti-sociale, et même du respect porté à tous les vivants, dans la mesure du possible.

Mais au-delà, nous ne souhaitons pas tout sacrifier au confort et au sentiment de plénitude de l’individu, même en ajoutant le bémol que le consentement de l’autre doit exister pour des actions partagées.

Ce serait la porte ouverte à une profonde anarchie. Or, l’avenir de l’espèce humaine - qui, pour nombre de généticiens, est le sens ultime de l’existence de chaque phénotype - exige la présence d’un ordre - ordre juste mais ordre quand même - dans lequel existent droit à la légitime défense et relations positives, compromis et négociations pour que chacun puisse trouver au moins une part de son compte.

IV. Nous espérons que chaque candidat trans procédera à une réflexion approfondie pour évaluer s’il va aller de l’avant dans son projet ou s’il va plutôt travailler mentalement sur sa dysphorie de genre, pour essayer de la réduire, ou sur d’éventuels autres problèmes de vie. L’aide d’un psychothérapeute compétent, bienveillant et neutre est souvent bien utile !

V. Les mineurs qui s’affirment trans, et déjà ceux qui montrent des signes persistants de dysphorie de genre, méritent une sollicitude sociale particulière.

A. Dans un premier temps, parents, familles et écoles devraient « garder la tête froide ». Certes, ces mineurs doivent être respectés ; certes, nous devons comprendre que leur dysphorie est inconfortable pour eux, et que leur demande de changement d’identité leur apparaît comme la meilleure manière actuelle de se réaliser ou/et comme une solution à leurs problèmes de vie. D’où l’importance d’une réflexion approfondie via l’accompagnement psychologique tout juste évoqué ! En outre, l’ambiance générale de la vie quotidienne a beaucoup d’importance :

- Faire dans toute la mesure du possible un « non-évènement » des demandes et des attitudes du jeune ;

- Eviter l’étiquetage qui rend prisonnier ;

- Les adultes sont invités à s’aligner sur l’état civil du jeune qui, dans la majorité des situations, continue à mentionner son sexe et son genre de naissance. Ainsi en va-t-il pour les parents, enseignants, médecins et psychothérapeutes : qu’ils l’appellent par son prénom de naissance et lui demandent de participer aux activités de son sexe de naissance (piscine, toilettes, etc…). Les jeunes, entre eux, s’appellent comme ils l’entendent.

B. Dans une (petite) minorité de cas, tout le monde - jeune, famille et psy qui accompagne - se convainc que la dysphorie est profonde et stable et que la demande trans du mineur gagne très probablement être prise en compte!

1. En Belgique, on pourrait alors s’appuyer sur la loi du 25/06/2017 et ses aménagements, qui permet de changer de prénom devant l’Etat civil dès 12 ans à certaines conditions : après, tant les parents que les écoles devraient acter qu’il y a changement de genre au-delà du changement de prénom…

2. Mais ces cas avérés sont très minoritaires. La majorité du temps on a affaire à des adolescents indécis, souffrant de problèmes de vie divers, ou désireux de toute-puissance, souvent sous suggestion d’incitant sociaux Chez eux, l’idée de changer est récente, même si elle a souvent l’air impérieuse ! Dans ce contexte, il nous semble souhaitable de prolonger ce que nous avons décrit plus haut comme « un premier temps ».

1 Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre, docteur en psychologie, professeur émérite à la faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain (Belgique).
www.jeanyveshayez.net

2 Dysphorie de genre : ce terme se veut phénoménologique en a remplacé d’autres, davantage médicaux (p.ex., trouble de l’identité) pour désigner une souffrance morale significative et suffisamment durable à propos de la sexuation de naissance du corps et à propos du genre que le groupe-au moins lui- demande de lier à cette sexuation : les garçons jouent à la guerre et les filles à la poupée…