Hier, aujourd’hui, demain : une dermatologie de pointe en héritage

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Stéphanie Olivier, Diane Declaye, Jean-Marie Lachapelle, Marie Baeck, Dominique Tennstedt (1) Publié dans la revue de : Décembre 2017 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

La réunion PEAU’se Dermatologique du 21 mars 2016 a été consacrée aux connaissances dermatologiques du passé, du présent et du futur, ou comment la dermatologie du passé a façonné la dermatologie d’aujourd’hui et de demain. Le Professeur émérite Jean-Marie Lachapelle a fait part de son expérience concernant des pathologies sujettes à controverse comme la dermatite granulomateuse interstitielle, l’eczéma nummulaire, ainsi que la dermatite à Paederus. L’équipe de dermatologie des cliniques universitaires Saint-Luc a exposé une série de « trucs et astuces » à ne pas oublier dans la pratique quotidienne en dermatologie

Que savons-nous à ce propos ?

- La dermatologie est une spécialité pour laquelle l’expérience clinique est et reste très importante.

- Les traitements ont beaucoup évolué en dermatologie ces dernières années. Les préparations magistrales par exemple laissent progressivement la place aux préparations commerciales. Cependant de nombreux traitements gagnent à ne pas être oubliés.

Que nous apporte cet article ?

- Il rappelle les particularités de certaines pathologies plus rares comme la dermatite interstitielle granulomateuse.

- Il fait le point sur des traitements, techniques et outils ayant démontré leur efficacité et à ne pas oublier dans la pratique quotidienne.

Mots -clés

Dermatite granulomateuse interstitielle, eczéma nummulaire, dermatite à Paederus

Article complet :

DERMATOLOGIE, 50 ANS DE PASSION: « À LA RETRAITE ON RÉALISE L’OCÉAN DE SES MÉCONNAISSANCES »

Jean-Marie Lachapelle

 

La dermatite granulomateuse interstitielle (ou syndrome d’Ackerman) est une entité mystérieuse qui présente sur bien des aspects des similarités avec le granulome annulaire généralisé. Le syndrome d’Ackerman associe des lésions cutanées linéaires « en cordes » (rope sign) douloureuses et tendues des régions axillaires et thoraciques ou des plaques érythémato- violacées indurées du tronc et des membres, à des épisodes inflammatoires articulaires à évolution potentiellement destructrice (Figure 1).

En général c’est l’examen anatomopathologique qui permet de faire le diagnostic et d’éclairer la présentation clinique. Des histiocytes laminés CD68+ et lymphocytes CD3+ - CD4+ - CD8+ sont mis en évidence entre les fibres de collagène et sont organisés en rosette autour de fibres homogénéisées.

Cette pathologie peut soit être isolée soit associée à une pathologie systémique sous jacente. Une maladie autoimmune peut ainsi être associée à cette affection cutanée : polyarthrite rhumatoïde, polyarthrite séronégative, lupus érythémateux systémique, sclérodermie, sarcoïdose, réticulohistiocytose multicentrique ainsi que vasculite systémique. Les associations avec des pathologies rhumatismales sont les plus fréquentes mais en général sans gravité. Une cause médicamenteuse peut aussi être incriminée, par exemple : gabapentine, allopurinol, febrixostat, etanercept et ipilimumab. Enfin une origine paranéoplasique peut également être retrouvée: syndrome myélodysplasique, lymphome B anaplasique à grandes cellules, carcinome spinocellulaire de l’œsophage voire métastases de tumeurs viscérales.

La dermatite granulomateuse interstitielle est donc une pathologie rare présentant des symptômes parfois atypiques. Il est important de ne pas la méconnaître notamment au vu des pathologies sous-jacentes qui peuvent y être associées.

L’eczéma nummulaire ou eczéma discoïde est une pathologie très fréquente et bien plus facile à diagnostiquer que la dermatite granulomateuse interstitielle. Cette affection vraisemblablement d’origine multifactorielle continue à intriguer le monde dermatologique quant à sa véritable étiologie. Une altération de la barrière cutanée, conduisant à une xérose cutanée représente certainement un facteur très important. La dermatite atopique semble être un facteur prédisposant et certains décrivent même l’eczéma nummulaire comme une variété d’atopie. Plusieurs facteurs aggravants peuvent être suspectés, notamment le tabagisme et la consommation de boissons alcoolisées. Une origine médicamenteuse peut également être envisagée, comme par exemple l’isotrétinoine (étant donné la xérose cutanée induite), ainsi que l’interféron et la ribavirine (traitements utilisés dans le traitement de l’hépatite C). Les facteurs environnementaux exogènes ne doivent pas être négligés, en particulier les irritants (utilisation domestique ou professionnelle) stimulant l’immunité innée. Les allergènes (cosmétiques et médicamenteux) générateurs d’immunité adaptative pourraient également jouer un rôle dans l’eczéma nummulaire. Il peut donc être utile de réaliser des tests épicutanés chez certains patients atteints d’eczéma nummulaire, en particulier certains conservateurs comme la méthylisothiazolinone, pouvant provoquer des réactions cutanées allergiques très déroutantes (Figure 2).

Le Professeur Lachapelle a profité de cette Peau’se pour faire part d’une pathologie qu’il a côtoyée lors d’un voyage au Vietnam : la dermatite à Paederus. Cette pathologie a, au fil des ans et selon les endroits, reçu diverses appellations, comme par exemple la « dermatite vésiculeuse saisonnière » (1915 au Congo Belge, par Rodhain et Houssiau), ou la « dermatitis linearis » (1917 au Japon, par Asahi) ou encore la « paederus dermatitis » (1966 au Vénézuela par Kerdel-vegas). Elle est provoquée par un coléoptère, le paederus, présent dans les régions tropicales et subtropicales, dont la prolifération est favorisée par la chaleur et l’humidité. Cet insecte ne pique pas, mais lors de son écrasement sur la peau, l’hémolymphe contenant les molécules toxiques (la pédérine, la pseudopédérine ainsi que la pédérone) entre en contact avec l’épiderme et provoque des vésicules. Ces molécules serviraient en tant que défense contre les prédateurs : elles inhibent la synthèse de l’ADN et des protéines sur cultures de cellules humaines, bloquant ainsi les mitoses.

Cette dermatite est souvent signalée de manière épidémique et touche les enfants comme les adultes. Sur le tronc et les membres, les lésions sont principalement liées à l’écrasement direct, contrairement au visage et au cou où les lésions seraient plutôt manuportées. La pédérine provoque une dermatite vésicante à type de brûlure à l’endroit de contact. Les lésions évoluent en général en une dizaine de jours, avec risque d’impétiginisation, et peuvent laisser des hyperpigmentations post-inflammatoires persistantes (Figures 3 et 4).

 

TRUCS ET ASTUCES : POURQUOI NE PAS LES OUBLIER

Équipe de Dermatologie UCL

 

La dermatologie est une spécialité dans laquelle l’expérience clinique a toute sa place. D’anciennes « formules magiques » permettent parfois de traiter des pathologies de façon simple ou plus appropriée selon les cas. Voici un résumé de plusieurs préparations qui font encore leurs preuves aujourd’hui. Par ailleurs, certains « trucs et astuces » peuvent faciliter notamment le diagnostic d’une infection mycosique, le dépistage du mélanome ou le diagnostic d’allergie.

- « Shake lotion » : cette lotion magistrale est fréquemment utilisée pour diminuer les sensations de prurit et assécher rapidement les lésions de varicelle.

R/ Chlorbutol 2g
Menthol 200mg
Liqueur de Burrow 30g
Alcool 94°
Glycérine 30g
Oxyde de zinc 30g
Xylocaïne 1g
Aqua ad 300ml

- Pâte à l’eau : elle est utilisée notamment pour assécher des lésions érosives et suintantes du siège. Il s’agit d’ailleurs d’un des traitements les moins couteux pour le soin des fesses du nourrisson. Elle est également employée comme seconde couche dans les fameux traitements « bicouches » permettant ainsi d’augmenter la puissance du corticoïde appliqué en « première couche » (effet occlusif). Elle permet également d’ajouter de l’ichtyol (1%) à la préparation pour ses propriétés antibactériennes et asséchantes.

R/ Talc
Oxyde de zinc Glycérine
Eau ana 25g

- Corticostéroïdes topiques : l’intérêt des préparations magistrales de corticostéroïdes topiques est entre autres de pouvoir prescrire de plus grands conditionnements que ceux disponibles en pharmacie. Ils nous permettent également d’adapter la concentration du corticoïde à la pathologie. Le choix actuel serait plutôt d’utiliser un traitement puissant mais sur une courte durée.

Par exemple :
R/ Valérate de diflucortolone 0.1 à 0.3%
Cold cream ad 100g

- Traitement bicouche : l’utilisation d’un traitement bicouche consiste en l’application d’une pâte à l’eau ichtyolée « au-dessus » d’un corticoïde topique puissant. Cette technique est utilisée principalement pour traiter les eczémas sévères localisés, lichénifiés ou résistants, ainsi que les prurigos.

Première couche :
Diprolène® crème
Deuxième couche :
R/ Ichtyol 1g
Pâte à l’eau ad 100g

- Tacrolimus à 0.3% : dans plusieurs indications comme le pyoderma gangrénosum, la nécrobiose lipoïdique et les manifestations cutanées de la maladie de Crohn (en particulier dans les stomies), le tacrolimus à 0.1% (comme présent dans la spécialité commerciale sous le nom de « Protopic® ») semble être insuffisamment concentré. Il est alors possible d’augmenter la concentration du tacrolimus en le prescrivant sous forme magistrale à partir de comprimés de Prograft®.

R/ tacrolimus 0.3%
Gel au carbomère ad100g

- Traitement des verrues récalcitrantes : le traitement des verrues vulgaires peut s’avérer très difficile dans certains cas. En effet il arrive que les verrues résistent aux traitements traditionnels, étant donné leur localisation, leur nombre, leur taille… C’est la raison pour laquelle certaines préparations magistrales ou des techniques d’immunosensibilisation peuvent être utilisées.

- Préparation magistrale à base d’Efudix® et d’acide salicylique. Celle-ci peut être utilisée seule (à raison d’une application par jour) où en association avec du Verumal vernis®.

R/ Acide salicylique 1g
Efudix® crème ad 20g

- L’immunothérapie par diphencyprone (DPCP) est une technique utilisée pour traiter des verrues multiples, résistantes aux traitements classiques ou situées dans des localisations difficiles à traiter par les moyens classiques (par exemple des verrues périunguéales multiples). Cette technique est également utilisée dans le traitement de la pelade en plaque.

Le traitement se déroule de la manière suivante : dans un premier temps, une phase de sensibilisation a lieu. Un patch de DPCP à 1-2% est appliqué sur une partie du corps (généralement la fesse du patient) durant 24-48h, ce qui provoque une sensibilisation et dermatite allergique de contact. Par la suite, les verrues sont badigeonnées à l’aide de solution de DPCP à concentration variable selon la localisation et la sensibilité du patient. Un titrage progressif sera effectué jusqu’à obtention d’une réaction eczémateuse. Il est important de couvrir les lésions badigeonnées durant 24h et de les rincer ensuite. La répétition de l’application se fera à intervalle de 7 à 28 jours. L’application sur une localisation (par exemple les mains), peut parfois (lors de la réaction immunitaire) faire disparaitre de façon concomitante les verrues situées en d’autres endroits, même là où le produit n’a pas été appliqué.

Ce traitement est contre-indiqué chez les patients greffés ou immunodéprimés, pendant la grossesse, l’allaitement et chez les enfants de moins de 10 ans. Les effets indésirables sont fréquents : apparition de vésicules ou de bulles localement, éruption eczémateuse localisée ou généralisée, lymphadénopathie régionale, urticaire de contact, réaction érythème-polymorphe-like ainsi que dyschromie. Les résultats sont variables, mais globalement encourageants. La difficulté est qu’il est impossible d’évaluer la part de régression spontanée des verrues (estimée à 2/3 des verrues endéans les deux ans). La durée moyenne du traitement est d’une semaine à 14 mois, le nombre moyen de badigeons est de cinq. Le résultat serait meilleur en cas d’association d’un traitement kératolytique ou d’un décapage mécanique.

- Que mettre dans la bouche ? Un gel de carbopol ou un gel de carbomère avec incorporation d’un corticoïde ou de tacrolimus peuvent être utilisés dans diverses pathologies.

- Traitements par injections :

- Vincristine® : le sulfate de vincristine est destiné à la prise en charge du sarcome de Kaposi comprenant moins de 10 nodules. On dilue 1mg de produit dans 2,5ml de sérum physiologique (=dilution à 0,4mg/ml), puis on l’utilise en injections intralésionelles. Les effets secondaires locaux sont fréquents : douleur, érythème, œdème, érosion, ulcération, bulle ou induration.

- Glucanthime® : l’antimoniate de méglumine à 1.5g/5ml (les ampoules sont prêtes à l’emploi), est utilisé pour le traitement de la leishmaniose cutanée : moins de cinq lésions et diamètre de celles-ci inférieur à 4cm. Une injection intralésionnelle de 1ml/cm2 aux 4 points cardinaux est réalisée. Les injections sont à répéter toutes les 2 semaines jusqu’à guérison complète. Les effets secondaires sont rares, hormis un petit risque de nécrose cutanée. Un suivi rapproché est également nécessaire.

- L’acide trichloracétique (TCA) : le TCA à 33% est utilisé pour le traitement de xanthélasmas ainsi que pour des cautérisations superficielles. Il faut éviter le contact avec les yeux et employer une protection vis-à-vis du soleil durant 6 semaines après application au coton-tige. Le TCA à 70% est utilisé par certains pour fermer des cicatrices de piercings ainsi pour le traitement de cicatrices en pic à glace de l’acné. Il est appliqué à l’aide de l’extrémité d’un cure dent ou d’une aiguille. L’effet secondaire local principal est un risque de nécrose cutanée.

- KOH-Parker® : cet examen permet de mettre en évidence par examen direct des dermatophytes ainsi que des levures présentes à la surface de la peau. Pour réaliser cet examen, on utilise du KOH à 20% (ou 40%) avec ou sans glycérol. La potasse caustique est un réactif éclaircissant : dissolution des éléments non fongiques, du ciment interkératinocytaire et des débris protéinés, et blanchissant les pigments.

La récolte de l’échantillon nécessite une désinfection de la surface à l’aide d’une solution alcoolique, puis l’application du matériel (squames, cheveux, frottis vaginaux ou buccaux, …) sur une lame et dépôt d’une goutte de potasse caustique diluée à 20 % (40% pour les ongles), préalablement mélangée à de l’encre Parker®. Le tout est recouvert par une lamelle. Il faut 10 à 15 minutes afin d’obtenir un éclaircissement de la lame et la dissolution des squames, cheveux et/ou débris. L’examen direct microscopique permet de mettre en évidence les filaments septés aisément distincts des spores de dermatophytes, des levures ovalaires du candida ou encore de l’aspect en « spaghetti boulette » du Malassezia.

Cette technique peu onéreuse nous aide à poser, avec peu de matériel, un diagnostic facile et rapide des infections fongiques. Elle nécessite cependant d’avoir un microscope optique à disposition, et d’avoir un minimum d’expérience pour la réalisation de l’examen ainsi que pour l’interprétation.

- Les biopsies de surfaces : nous pouvons utiliser cet examen pour démontrer la présence d’une mycose, d’une scabiose ou d’une démodécie. Il consiste en l’application pendant dix secondes d’une lame avec colle au cyanoacrylate sur la peau du patient. Elle est ensuite décollée délicatement et examinée au microscope optique.

- Dépistage du mélanome : au cours des années 1980, les « outils » pour poser le diagnostic de mélanome cutané étaient pauvres. En 1985, la règle ABCD a été proposée pour détecter le plus précocement possible un mélanome cutané.

Initialement destinée aux médecins avant l’avènement de la dermoscopie, elle est aujourd’hui principalement employée pour l’éducation des patients à l’autosurveillance cutanée trimestrielle.

En 2004, la règle ABCD est complétée par l’introduction du critère E (peut-être le critère le plus important) pour Evolution.

A= asymétrie
B= bordure irrégulière, dentelée
C= couleurs différentes
D=diamètre >5-6mm
E= évolution (modification rapide, saignement, prurit)

Cette méthode a cependant ses limites, notamment pour le dépistage du mélanome nodulaire, desmoplasique, achromique, unguéal et de l’enfant.

En 1998, suite au constat que chaque individu est caractérisé par un pattern naevique spécifique, est apparue la règle du « vilain petit canard ». Elle consiste à rechercher le naevus qui ne ressemble pas aux autres naevi d’un individu.

- ROAT test (Repeated Open Application Test ou test ouvert d’application répétée), permet de tester les produits personnels du patient en vue de mimer l’exposition réelle. Il est facile à réaliser, car ne nécessite pas de matériel. Il suffit de faire appliquer une à deux fois par jour pendant 7 à 14 jours, dans le pli du coude le produit suspecté. Ce test est utilisé chez les patients pour qui un résultat rapide est nécessaire. On peut également faire usage de ce test pour des collyres ou produits oculaires hautement suspectés d’avoir occasionné un eczéma de contact, lorsque les tests épicutanés sont négatifs. La peau du pli du coude ressemble en effet plus à celle des paupières que la peau du dos, plus épaisse.

- Nickel spot test : ce test permet de détecter la présence de nickel dans les objets métalliques ; Il s’agit d’un test à la diméthylglyoxime et ammoniaque. Il suffit d’en appliquer une goutte sur la partie métallique suspecte à l’aide d’un coton tige. Si ce dernier devient rose, cela signifie que ce métal contient du nickel (qui est susceptible de provoquer une réaction allergique de contact).

 

Conflits d’intérêts : aucun

 

AFFILIATIONS

(1) Service de Dermatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles, Belgique

 

CORRESPONDANCE

Pr. Marie Baeck, MD., PHD.

Université catholique de Louvain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Département de Dermatologie
Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Brussels
Belgium
Tel 00 32 2 764 14 72
Fax 00 32 2 764 80 27