Fibrillation Auriculaire : les montres connectées pour la détecter, les guidelines pour la traiter

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Christophe Scavée Publié dans la revue de : Juillet 2021 Rubrique(s) : Webinaires
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Résumé de l'article :

Les derniers Guidelines de la fibrillation atriale (FA) ont été publiés fin août 2020, coïncidant avec le Congrès Européen de Cardiologie (ESC)1. Cet épais document de 126 pages insiste sur de nombreux points dont la prise en charge qui devient non seulement spécialisée mais surtout pluridisciplinaire

Article complet :

Contexte des nouvelles recommandations de la fibrillation atriale

Les derniers Guidelines de la fibrillation atriale (FA) ont été publiés fin août 2020, coïncidant avec le Congrès Européen de Cardiologie (ESC)1. Cet épais document de 126 pages insiste sur de nombreux points dont la prise en charge qui devient non seulement spécialisée mais surtout pluridisciplinaire. Elle intègre dans le diagnostic et le traitement de l’arythmie différents acteurs des soins de santé : le cardiologue en passant par l’endocrinologue, le pneumologue, le diététicien, éventuellement le gériatre et bien entendu le médecin généraliste. Le patient doit rester au centre de ces interactions, en particulier dans le choix du traitement. Toute option thérapeutique est supposée être prise par un médecin qui a débattu avec son patient et son entourage des avantages de l’option choisie (voir figure 1).

Ce point est particulièrement important lorsque l’on est confronté à de la FA, laquelle peut faire l’objet de nombreux choix thérapeutiques y compris d’une certaine abstention si la situation clinique le justifie. Il faut rappeler toutefois que cette arythmie altère la qualité de vie de plus de 60% des patients, et que l’attente de ces derniers vis-à-vis de la médecine reste forte.

Des statistiques inquiétantes

Les recommandations rappellent que la FA est de loin l’arythmie cardiaque soutenue la plus fréquente chez l’adulte. En Europe, un adulte sur trois âgé de ≥55 ans vivra un jour l’expérience de cette arythmie complexe. La FA concernerait environ 150.000 personnes en Belgique2, et au moins 30 millions de gens dans le monde. À ce titre, elle représente donc un problème de santé publique majeur qui malheureusement devrait s’aggraver au fil du temps et ce malgré tous les efforts consentis. Ceci représentera aussi un coût important pour la sécurité sociale, en particulier à cause des hospitalisations que requièrent ces patients (risque de 10 à 40%/an/patient). Les recommandations rappellent également que prévalence et pronostic sont sexuellement déterminés. Les hommes sont plus à risque de présenter de la FA (x1.5 vs sexe féminin), alors que la mortalité liée à l’arythmie est plus élevée chez les femmes. Cette arythmie est en effet loin d’être bénigne puisqu’elle multiplie le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) par 5, d’insuffisance cardiaque par 3, et de décès par 2. L’AVC est une des complications majeures de l’arythmie.

Environ 15% de ceux-ci sont liés à de la FA. Le risque annuel d’AVC des patients en FA dépend de l’âge : il est de 1.5% entre 50-59 ans, mais atteint 23.5% entre 80-89 ans. Ce risque est par ailleurs estimé à ~5%/an si le patient n’est pas traité. Les thromboses cérébrales sont souvent sévères et s’accompagnent de déficits majeurs, avec des risques de séquelles débilitantes. Notons que la FA paroxystique comporte le même risque d’AVC que la FA chronique et ne devrait donc pas être un frein à l’anticoagulation. Les Guidelines soulignent par ailleurs que des risques de démence et de dépression semblent être majorés chez ceux qui présentent cette arythmie, et ceci indépendamment des AVC cliniques. La démence serait secondaire à l’accumulation de lésions cérébrales infra-cliniques (risque doublé de détecter des micro-thromboses en IRM), à des processus inflammatoires, et une hypoperfusion cérébrale significative lors des épisodes de FA. La dépression est secondaire à la « privation » de liberté, aux contraintes de l’arythmie que les patients rapportent. Les effets secondaires des médicaments, les hospitalisations récentes, sont autant de raisons de perdre confiance en la médecine et son médecin.

Dépistage et diagnostic

La FA s’accompagne de symptômes divers, toutefois environ 50 à 80% des sujets ne rapportent aucunes plaintes. La prise des pulsations (palpation du pouls radial, auscultation) reste donc très recommandée chez les sujets de ≥ 65 ans pour détecter un rythme irrégulier (dépistage opportuniste), en particulier de sujets asymptomatiques (Classe I). Toutefois, le diagnostic de FA repose toujours sur un tracé électrique confirmant l’absence de rythme sinusal, remplacé par un rythme cardiaque irrégulier (intervalles des ondes R variables) sans onde P visible. Le tracé sera celui de la consultation (tracé 12 dérivations), soit un tracé 1 dérivation (généralement DI) de ≥30 secondes, ce qui peut être enregistré par un appareil monocanal portatif.

La réalisation systématique d'un tracé ECG est quant à elle recommandée chez les sujets de plus de 75 ans, et chez ceux dont le risque d’AVC est élevé (Classe IIa). Notons également l’attention portée aux arythmies soutenues asymptomatiques détectées « par hasard » dans les mémoires des pacemakers ou défibrillateurs lors des contrôles de patients non connus pour de la FA. Ces arythmies peuvent éventuellement correspondre à des épisodes de FA sous-cliniques. Dénommées AHRE pour « atrial high-rate episode » ces possibles FA doivent durer au moins 5 minutes, mais devront-elles aussi être identifiées comme de la FA par des ECG, holters systématiques. À l’heure actuelle, il n’est pas déterminé si ces tachycardies sont liées à un risque plus important d’AVC. Une anticoagulation systématique n’est donc pas actuellement recommandée mais il faut les rechercher à chaque contrôle de l'appareil implanté.

Classification de la FA

Une classification des FA a été établie il y a plusieurs années, et figurait déjà dans les précédentes guidelines qui datent déjà de 2016. Les définitions de FA paroxystique, persistante, persistante de longue durée, ou permanente restent inchangées. Par contre, on recommande de ne plus utiliser des terminologies « anciennes » comme « FA isolée » (ou lone AF = FA sans cause détectée), « FA valvulaire/non valvulaire », « FA chronique », lesquelles pouvaient porter à confusion. La FA valvulaire concerne les patients appareillés de valves mécaniques, et ceux souffrant d’une valvulopathie mitrale significative (sténose mitrale au moins modérée).

L’approche 4S : AVC, symptôme, charge et substrat

Lors d’un contact avec un patient avec FA, il faut d’abord caractériser cette arythmie en utilisant l’algorithme « 4S » :

- Le 1er S correspond au risque de survenue d’AVC : on confirme l’usage du score CHA2DS2-VASc dans l’évaluation de ce risque.

- Le 2ième S correspond à la sévérité des symptômes (évalué selon le score EHRA modifié (voir figure 2), et un questionnaire de qualité de vie.

- Le 3ième S correspond à la sévérité clinique et économique de la charge en FA : s’agit-il d’une forme paroxystique, persistante, ou permanente, combien d’épisodes et leur durée, combien d’hospitalisations, quelles complications ?

- Le 4ième S correspond à la sévérité du substrat : quelles sont les comorbidités, les facteurs de risque cardiovasculaires, l’éventuelle cardiomyopathie sous-jacente qui contribuent au développement de l’arythmie (évalué par échographie cardiaque, test d’effort, IRM si nécessaire, …) ?

La stratégie A-B-C : atrial fibrillation better care

Le traitement de la FA passe par une prise en charge dite « holistique » abréviée sous l’acronyme A-B-C.

- A pour «Anticoagulation/avoid stroke» : usage systématique du CHA2DS2-VASC, HAS-BLED (score hémorragique) avec une bonne utilisation des traitements anticoagulants disponibles. On donnera la préférence pour un AOD (anticoagulant oral direct) sur les AVK. Le score HAS-BLED ne constitue pas une contre-indication à l’anticoagulation.

- B pour «Better management», c’est à dire optimaliser le contrôle du rythme ou de la fréquence cardiaque, avec des objectifs clairs prédéfinis.

- C pour «Cardiovascular and Comorbidity optimization» : identification et correction des facteurs de risques modifiables et comorbidités. À ce titre ; les Guidelines insistent beaucoup sur la surcharge pondérale, et l’abus d’alcool. Le diabète, l’HTA, le syndrome d’apnées du sommeil sont également dans le radar.

L’importance de suivre ces recommandations est démontré dans différentes études et se traduit par un meilleur contrôle de la charge de la FA, mais aussi une réduction significative de la mortalité toutes causes, des AVC ischémiques, des complications hémorragiques et hospitalisations pour raisons cardiovasculaires3.

Usage des montres connectées

Pour de nombreux patients, tensiomètre automatique, plaquette ECG, ECG portable monocanal, ceintures connectées, font partie de leur arsenal diagnostic qu’ils utilisent à loisir à domicile. Dans l’étude REHEARSE-AF, l’usage d’un petit moniteur cardiaque (plaquette AliveCor), utilisé 2x/semaine pendant 12 mois par a permis de multiplier par 4 le nombre de cas de FA détectés chez des sujets âgés de >65 ans non connus pour souffrir de cette arythmie4. Ceci confirme l’importance du diagnostic précoce, en particulier des sujets asymptomatiques. La plupart des montres connectées disposent d’un cardio-fréquencemètre qui à tout instant donne une information sur la fréquence du pouls (voir photo 1) généralement par la technique de la photo-pléthysmographie (analyse du pouls par le LED de l’appareil).

Toutefois, cette information ne donne pas une indication détaillée quant à l’activité électrique cardiaque. L’intégration d’un ECG directement dans des montres intelligentes est maintenant une réalité et donne cette information précieuse. Initialement dédiées à l’activité physique, les montres comme l’AppleWatch (série 4, 5 et 6), plus récemment la Withings (ScanWatch) sont des modèles disponibles sur le marché belge qui proposent à tout un chacun d’enregistrer de façon volontaire un strip ECG de 30 secondes (voir photo 2). Il s’agit d’un enregistrement monocanal, correspondant à la dérivation périphérique bipolaire DI selon le triangle d’Einthoven.

Les montrent disposent également d’algorithmes de détection automatique de la FA et avertissent le patient lorsque l’arythmie est suspectée (voir photo 3).

Un tracé en PDF (figure 3) d’excellente qualité peut être facilement généré, ce qui rend l’interprétation ultérieure de l’ECG aisée (par exemple en consultation). Il faut rappeler au patient que l’usage de ces montres ne remplace en rien la consultation d’un médecin, et que même des intelligences artificielles de qualité peuvent se tromper de diagnostic. Les champs d’applications de cet ECG sont très larges : détection de la FA, bilan de palpitations, bilan de malaises, extrasystoles, suivi d’un traitement antiarythmique, analyse du QT, …Notons également que la ScanWatch, et l’AW série 6 disposent également d’un saturomètre.

Une place privilégiée pour l’ablation par radiofréquence

Lorsqu’un patient passe en FA, la stratégie repose sur deux options : le maintien du rythme ou le contrôle de la fréquence cardiaque en supposant dans ce cas de figure que la FA sera consacrée. Pour le maintien du rythme, il y a deux options : rétablir un rythme normal soit par l’entremise d’un médicament avec ou sans cardioversion électrique, soit l’ablation par radiofréquence. Durant le suivi, le cardiologue peut toutefois, après concertation avec le patient décider de changer de stratégie. Le choix d’une option n’est donc pas un renoncement définitif aux autres alternatives. Fin des années nonantes, Michel Haissaguerre fut le premier à Pessac en France à introduire les techniques ablatives de la FA, qui restent encore aujourd’hui le seul traitement curatif5. Ces techniques d’ablation restent parmi les plus difficiles et délicates de l’électrophysiologie, car elles impliquent la manipulation de sondes dans des structures à la paroi fine, et au contact d’organes voisins fragiles comme l’œsophage. Habituellement, l’ablation est proposée en cas d’échec du traitement antiarythmique, comme souligné par les Guidelines qui la hissent en Classe I (précédemment Classe IIa). L’isolation permanente des veines pulmonaires (VP) est recommandée dans cette indication (Classe I, niveau d’évidence A). Dans certains cas (sujets jeunes symptomatiques), l’ablation peut être réalisée comme traitement de 1er choix (Classe IIa) avant même d’entamer un traitement par antiarythmique. L’expérience de cette intervention est grande depuis les travaux de Haissaguerre, et de nombreuses études ont mis en exergue la supériorité de cette technique (quel que soit l’énergie utilisée : radiofréquence, cryothérapie, Laser) comparée aux antiarythmiques seuls6. Plus récemment, des investigateurs ont réussi à démontrer un bénéfice qui va au-delà de l’amélioration de la qualité de vie puisque l’ablation de FA permet chez les sujets avec une insuffisance cardiaque d’améliorer leur fraction d’éjection ventriculaire gauche, mais surtout leur taux de survie7. Ceci a bien entendu modifié les recommandations concernant la FA (parox, ou persistante) associée à de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite. Dans cette situation particulière mais fréquente, l’ablation peut être proposée en 1ère ligne avec un niveau de Classe I. L’objectif visé est une amélioration de la morbi/mortalité du patient. Ce bénéfice n’a toutefois pas été prouvé dans le groupe de sujets avec fonction cardiaque normale.

Message à retenir

- Le diagnostic de FA doit être confirmé par un tracé ECG.

- Une caractérisation précise et structurée de la FA, incluant : le risque d’AVC, la gravité des symptômes, de la charge ainsi que du substrat de la FA, permet d’améliorer le traitement personnalisé des patients (approche holistique).

- Les principaux facteurs de risque de récurrence de la FA doivent être évalués et pris en compte dans la prise de décision concernant le traitement.

- L’usage des nouveaux outils diagnostics comme les montres ECG pour le dépistage augmentent considérablement les possibilités d’identifier des patients développant l’arythmie.

- Les patients dont le risque d’AVC est établi doivent être protégés par des anticoagulants. Les AOD sont les anticoagulants à utiliser en première intention.

- L’ablation est un traitement curatif par excellence et est une alternative sûre et supérieure aux antiarythmiques qui améliore de manière très nette la qualité de vie. En présence d’une cardiomyopathie avec altération de fonction, l’ablation par cathéter améliore la fonction du ventricule gauche et la survie de la plupart des cas.

Correspondance

Professeur Christophe Scavée
Responsable de l’Unité de Rythmologie, Service de Cardiologie, Cliniques universitaires Saint-Luc
Tel : +32 2 764 2808 (ligne directe), Twitter : @ScaveeC, christophe.scavee@uclouvain.be

Références

  1. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association of Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 2020 Aug 29:ehaa 612. doi: 10.1093/eurheartj/ehaa 612.
  2. Source BeHRA, https://www.monrythmecardiaque.be/voorkamerfibrilatie.php. Consulté le 17 juin 2021.
  3. Pathak R, Middeldorp M, Lau D. et al. Aggressive Risk Factor Reduction Study for Atrial Fibrillation and Implications for the Outcome of ablation. The ARREST-AF Cohort Study. J Am Coll Cardiol 2014;64:2222–31.
  4. Halcox JPJ, Wareham K, Cardew A, Gilmore M, Barry JP, Phillips C, Gravenor MB. Assessment of remote heart rhythm sampling using the AliveCor heart monitor to screen for atrial fibrillation: the REHEARSE-AF Study. Circulation 2017;136:1784_1794.
  5. Haissaguerre M, Jais P, Shah DC, et al. Spontaneous initiation of atrial fibrillation by ectopic beats originating in the pulmonary veins. N Engl J Med 1998;339:659-66.
  6. Jais P, Cauchemez B, Macle L, Daoud E et al. Catheter ablation versus antiarrhythmic drugs for atrial fibrillation: the A4 study. Circulation 2008;118:2498_2505.
  7.  Marrouche NF, Brachmann J, Andresen D, et al. CASTLE-AF Investigators. Catheter ablation for atrial fibrillation with heart failure. N Engl J Med 2018;378:417_427.