Faut-il s’inquiéter d’un nodule thyroïdien positif au PET-scan ?

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Cédric Reichel, Maude Berckmans, François Jamar Publié dans la revue de : Mars 2019 Rubrique(s) : Session de Thyroïdologie
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Résumé de l'article :

La découverte fortuite (appelée incidentalome) de structures focales hypermétaboliques au PET-CT utilisant le 18F-fluorodéoxuyglucose est assez fréquent. Il concernerait environ 1,5 à 2% des cas. La prévalence de cancers identifiés est cependant assez faible, largement en-dessous de 1%. En prenant en compte que le PET-CT est essentiellement effectué chez des patients atteints de cancer, parfois avancé, il est important de ne pas se précipiter sur une mise au point exhaustive dont l’impact clinique peut être limité par rapport au pronostic du patient. De manière synthétique, la mise au point d’anomalies focales rejoint celle de la prise en charge des nodules thyroïdiens, soit une classification échographie rigoureuse et un complément par cytoponction à l’aiguille fine dans les cas proposés par les recommandations en vigueur. Dans le cas d’un hypermétabolisme diffus, une mise au point endocrinienne, clinique et biologique est indiquée.

Mots-clés 18F-fluorodéoxyglucose, PET-CT, incidentalome thyroïdien

Messages clés

• La découverte d’un nodule thyroïdien positif au PET-scan est fréquente, mais peu spécifique.

• La mise au point doit inclure une recherche d’anticorps auto-immuns, une échographie ciblée et pour les nodules suspects, une cytoponction à l’aiguille fine.

• Le contexte général du patient, souvent oncologique, doit conduire à une certaine réserve en fonction de son pronostic global.

Article complet :

Introduction

La découverte par hasard d’anomalies non recherchées lors d’examens d’imagerie médicale est de plus en plus fréquente. Un néologisme a été inventé pour les décrire : l’incidentalome.

L’incidentalome est défini comme la découverte d’une anomalie lors d’une imagerie médicale qui n’était pas connue initialement et qui n’est pas liée au motif de l’examen d’imagerie (1). Il existe de multiples exemples, à mesure que l’utilisation de l’imagerie corps-entier se généralise. Dans le passé, la mise au point d’un nodule pulmonaire se concentrait sur le thorax, celle d’un cancer du côlon, sur l’abdomen. Avec le développement de techniques rapides et efficaces d’imagerie corps-entier, la découverte d’anomalies non recherchées est devenue quotidienne…et leur gestion de plus en plus problématique.

La glande thyroïde ne fait pas exception à cette tendance nouvelle et la question des nodules thyroïdiens de découverte fortuite a toute son importance. On exclut ici le screening systématique ou les bilans généraux de santé qui incluent – on ne sait trop pourquoi- des échographies thyroïdiennes. Le véritable problème vient réellement de la découverte d’un nodule thyroïdien alors que l’examen d’imagerie est effectué pour une toute autre raison, le plus souvent dans un contexte oncologique, parfois avec une maladie agressive et avancée.

Séméiologie

Le PET-scan au 18F-fluorodéoxyglucose (FDG) est quasi toujours effectué avec un CT-scan (CT) à faible dose à des fins de localisation anatomique (PET-CT). La distribution du FDG dépend de l’expression des récepteurs GLUT dans les tissus et organes. Normalement cette expression est faible dans la glande thyroïde. Elle peut augmenter de manière diffuse dans de nombreuses pathologies fonctionnelles (maladie de Basedow, thyroïdite chronique ou subaiguë, …) et ceci sort du cadre de cet article. Brièvement, on peut dire que dans ce cas, un bilan clinique et biologique est indiqué, mais certainement pas une imagerie complémentaire ciblée de manière systématique. Il faut garder à l’esprit la possibilité d’une thyroïdite de De Quervain, comme cause de fièvre ou de syndrome inflammatoire d’origine indéterminée, ce diagnostic étant le plus souvent clinique et biologique.

Plus intéressante est la découverte d’une formation isolée, nodulaire au PET-CT. Il peut s’agir d’une structure anormale au PET ou au CT ou dans les deux modalités. Cet article se focalisera sur les anomalies au PET, reflétant la captation accrue de FDG dans une structure thyroïdienne. La composante CT de l’examen est souvent peu déterminante car celui-ci est réalisé sans produit de contraste. On peut noter la présence d’une structure nodulaire, de calcifications, de ganglions suspects. Un CT-scan à blanc peut toutefois être instructif, lorsqu’il montre une structure ‘hypodense’. En réalité, il faut ici voir une structure dont l’absorbance est inférieure à celle tissu thyroïdien normal. Ce tissu se traduit au CT par une plus grande absorbance due à la quantité d’iode naturel contenu. Lorsqu’un nodule est constitué de cellules qui n’expriment pas le récepteur destiné à capter l’iode (Natrium-iodine-symporter ; NIS), celui-ci va apparaître modérément ‘hypodense’ au CT, parce que moins absorbant. Ceci est cependant peu spécifique de quelque maladie.

On va donc trouver au PET-CT trois types d’incidentalomes : les nodules thyroïdiens négatifs au FDG, les nodules thyroïdiens avides au FDG (Figure 1) et plus rarement les foyers positifs au FDG sans traduction tomodensitométrique. Il est difficile de définir les incidentalomes sur base d’une seule modalité, car en imagerie hybride, deux modalités sont associées. La suite de cet article portera essentiellement sur les structures positives au FDG sous une forme nodulaire. Un article de Russ et al. (2) indique néanmoins que la stratégie diagnostique est assez similaire qu’il s’agisse d’un incidentalome au CT-scan ou en IRM.

Prévalence

D’assez larges séries ont été publiées sur le sujet mais il s’agit le plus souvent de séries rétrospectives et de quelques méta-analyses. La prévalence des incidentalomes thyroïdiens lors de PET-CT effectués chez des patients sans cancer thyroïdien connu varie de 1.5 à 3.8 % suivant la revue présentée par Barrio et al. (3). Il existe toutefois une grande hétérogénéité dans la présentation des données (captation focale ou diffuse, exclusion des patients avec antécédents thyroïdiens, et a fortiori de cancer thyroïdien, …). Si l’on regarde les méta-analyses sur le sujet, on note que Nayan et al. concluent sur près de 200.000 examens à une prévalence de 1.8% (4) alors que pour Bertagna et al., la prévalence est de 2.5% sur 147.505 patients, ramenée à 1.5% en ne tenant compte que des anomalies focales (5).

La littérature sur le sujet identifie deux outliers remarquables. Thuiller et al. sont les seuls à avoir réalisé une étude prospective à large échelle en France (6). Ils trouvent une prévalence plus basse de 1.3%, avec au final une incidence de cancer de l’ordre de 0.1%. Il faut toutefois noter que la moitié des patients seulement ont eu une échographie et qu’au moment de la publication seule la moitié des patients suspects avaient un diagnostic histologique. À l’opposé, l’étude de Barrio et al. (3) rapporte plus de 13% d’incidentalomes : c’est la seule étude qui rapporte non seulement les foyers anormaux au FDG mais aussi les anomalies isolées au CT. Un petit nombre de patients seront opérés, ce qui peut ne rendre compte que d’une proportion limitée des cancers potentiels. Retenons donc en moyenne 2% d’incidentalomes sur les PET-CT tout venant. Ce chiffre est bien inférieur à celui observé pour le CT-scan ou l’IRM et bien sûr de l’échographie cervicale, très souvent pratiqués dans d’autres contextes (ORL, neurochirurgie, screening des carotides, …).

Probabilité de cancer

La probabilité de cancer de la glande thyroïde dans un incidentalome est en réalité mal connue car la majorité des études sont rétrospectives et bien sûr les deux méta-analyses publiées sont basées sur ces données. Chez les patients qui ont été conduits vers la chirurgie, la probabilité de cancer thyroïdien ou de métastase thyroïdienne est de l’ordre de 30 à 50%. Dans la méta-analyse de Nayan et al. (4) sur 197.296 patients inclus, et 1341 analyses cytologiques ayant conduit à la chirurgie chez 1340 patients, on dénombre 479 cancers dont 391 carcinomes papillaires et 28 métastases de cancers solides. Soit, en termes de prévalence, 0,24% de cancer et 0,01% de métastases. L’étude prospective de Thuiller et al. (6) aboutit à des chiffres un peu inférieurs, soit environ 0.1% de cancer. Globalement, dans la majorité des études publiées, les métastases du cancer primitif pour lequel l’examen est demandé représentent moins de 5% du contingent. Il est probable d’ailleurs, car ceci n’est pas rapporté, qu’il ne s’agit qu’exceptionnellement de métastases uniques, dont l’exérèse n’aurait dès lors que peu d’impact sur le pronostic global.

Démarche clinique

Il est difficile de proposer à ce jour une démarche clinique univoque basée sur l’évidence. Deux raisons à cela : l’hétérogénéité extrême des séries publiées, et pour cause –l’incidentalome est ce que l’on ne s’attend pas à trouver et dès lors une attitude prospective ne vient pas directement à l’esprit. Deuxièmement, le changement récent de stratification du risque sur base échographique entre TIRADS et EU-TIRADs, de plus en plus utilisé en Belgique. Nous nous sommes donc inspirés de l’algorithme proposé par G. Russ et al., en imaginant que sa traduction en EU-TIRADS resterait valable (2). À ce stade, cette proposition n’a pas été publiée à notre connaissance. Stratégie assez simple, si l’on se concentre sur les nodules hypermétaboliques au PET-CT. 1) Biologie : exclure une hyperthyroïdie infraclinique qui peut trahir un adénome autonome ou toxique, pas rare dans une population de patients oncologiques et, si histoire familiale relevante, dosage de la calcitonine. 2) Scintigraphie uniquement indiquée si TSH basse isolée ou hyperthyroïdie fruste. 3) Échographie de qualité adaptée, suivie le cas échéant d’une cytoponction à l’aiguille fine (FNAB) en fonction des critères (EU)-TIRADS. Cette stratégie est résumée par les Figures 2 et 3. C’est d’ailleurs celle globalement proposée par les guidelines ATA de 2015, même si certains l’on qualifiée de ‘too zealous’ parce que ne tenant pas compte de l’état global du patient (7). On peut imaginer que la migration du paradigme vers la classification EU-TIRADS se traduira quasi par un copier-coller. Ceci est par ailleurs confirmé par une étude incorporant à la fois les recommandations américaines (8) et coréennes (9).

La majorité des patients avec captation diffuse ont une maladie fonctionnelle de la thyroïde qui mérite le suivi requis. Ne pas oublier, cas rare mais plausible, la thyroïdite subaiguë atypique, peu douloureuse avec une thyrotoxicose modeste et un gros syndrome inflammatoire (10).

Il est important de garder à l’esprit que près de 75% des patients qui bénéficient d’un PET-CT sont des patients oncologiques et environ 10% des patients souffrant de démence ou de troubles cognitifs sévères. Le pronostic vital de ces patients peut être limité et il est essentiel de se poser la question du bien-fondé d’une mise au point thyroïdienne, lorsque l’on connait le pronostic généralement bon de ce type de tumeur. Pour exemple, Pattison et al. ont montré que, sur 500 patients avec un incidentalome (focal) thyroïdien d’une série de plus de 45.000 patients, 362 décédaient avec une médiane de survie de 20 mois (7). À noter dans cette étude incontestablement biaisée – sans doute à raison- que seuls 1/3 des patients avaient eu une étude cyto- ou histologique. Cette étude toutefois confirme qu’il faut en tout cas raison garder !

Conclusion

Il est important, devant tout incidentalome de repositionner la pathologie découverte par rapport à la question posée. Par exemple, un méningiome découvert lors d’un CT des sinus et un adénome hypophysaire découvert fortuitement dans un bilan de céphalées méritent certainement une attention suivie. Mais qu’en est-il d’un microadénome hypophysaire découvert lors de la mise au point d’un glioblastome ou d’un adénome surrénalien non sécrétant dans une mise au point de mélanome métastatique. Il est essentiel de remettre la découverte fortuite dans le contexte et de ne pas pousser trop loin une mise au point qui n’aura pas de bénéfice en termes de qualité de vie et de survie. Ceci est certainement essentiel aussi pour le patient qui ne doit pas se voir distraire de son objectif principal. Car, se préoccuper de manière excessive d’un incidentalome chez un patient avec une maladie agressive peut aussi être anxiogène et finalement contreproductif. La stratégie proposée est une opinion personnelle puisqu’à ce jour, des recommandations basées sur la classification EU-TIRADS ne sont pas disponibles. Nous espérons qu’elle se révèlera pratique. Et que des recommandations internationales verront le jour sous peu pour traiter ce problème de plus en plus fréquent.

Affiliations

Service de Médecine Nucléaire, Cliniques universitaires St-Luc, Avenue Hippocrate, 10, 1200 Bruxelles.

Correspondance

Pr. François Jamar, MD, PhD

Cliniques universitaires Saint-Luc – UCLouvain

Service de Médecine Nucléaire

Avenue Hippocrate, 10

B-1200 Bruxelles

Tél : 32-2-764 25 71

francois.jamar@uclouvain.be

Références

  1. Goldfarb M. and the American Thyroid Association. FDG-PET positive thyroid incidentaloma. Clin Thyroidol. 2018; 11 (3): 11-12.
  2. Russ G., Leboulleux S., Leenhardt L., Hegedüs L.Thyroid incidentalomas: epidemiology, risk stratification with ultrasound and workup. Eur Thyroid J. 2014, 3(3):154-63.
    ouvrir dans Pubmed
  3. Barrio M., Czernin J., Yeh MW., Palma Diaz MF., Gupta P., Allen-Auerbach M. et al. The incidence of thyroid cancer in focal hypermetabolic thyroid lesions: an 18F-FDG PET/CT study in more than 6000 patients. Nucl Med Commun. 2016, 37(12):1290-1296.
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  4. Nayan S, Ramakrishna J, Gupta MK. The Proportion of Malignancy in Incidental Thyroid Lesions on 18-FDG PET Study: A Systematic Review and Meta-analysis. Otolaryngol Head Neck Surg. 2014, 151(2):190-200.
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  5. Bertagna F, Treglia G, Piccardo A, Giubbini R. Diagnostic and clinical significance of F-18-FDG-PET/CT thyroid incidentalomas. J Clin Endocrinol Metab. 2012, 97(11):3866-75.5.
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  6. Thuillier P, Roudaut N, Crouzeix G, Cavarec M, Robin P, Abgral R, et al. Malignancy rate of focal thyroid incidentaloma detected by FDG PET-CT: results of a prospective cohort study. Endocr Connect. 2017, 6(6):413-421.
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