Épidermolyse aigüe staphylococcique chez un adolescent

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Marylou Lefèvre, Audrey Bulinck, Pierre-Paul Roquet-Gravy Publié dans la revue de : Janvier 2020 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

L’épidermolyse aigüe staphylococcique (EAS) est une dermatite exfoliative affectant principalement les nourrissons et les jeunes enfants. Cet exanthème infectieux caractérisé par un décollement superficiel de l’épiderme est dû à une infection par un S. aureus producteur d’exfoliatines A et/ou B. Le cas décrit va nous permettre d’illustrer la clinique de l’EAS caractérisée par une éruption érythrodermique et bulleuse associée à des lésions érythémateuses suintantes dans les zones de frottement et accompagnée d’une pyrexie. Le dignostic est établi cliniquement. Une évolution favorable est observée sous antibiothérapie intraveineuse anti-staphylococcique par flucloxacilline associée à des soins locaux et une ré-équilibration hydro-électrique.

Nous abordons également la physiopathologie et le diagnostic différentiel de l’EAS en soulignant l’importance d’un diagnostic précoce. Nous discutons ensuite des lignes directrices concernant la prise en charge, notamment le bénéfice de l’association de la clindamycine et d’un laxatif osmotique ou encore l’utilisation de plasma frais congelé ou d’immunoglobulines en cas de non-réponse aux antibiotiques.

Mots-clés

Épidermolyse aigüe staphylococcique EAS, dermatite exfoliative, adolescent, bulles, toxines exfoliatives, clindamycine

Que savons-nous à ce propos ?

- L’épidermolyse aigüe staphylococcique (EAS) est une dermatite exfoliative due à une infection par un S. aureus sécréteur d’exfoliatines A et/ou B (ETA et ETB).

- Elle concerne surtout les nourrissons, les jeunes enfants avant l’âge de 10 ans et les adultes immunodéprimés ou atteints d’insuffisance rénale.

Le diagnostic est essentiellement clinique.

Le traitement repose sur une antibiothérapie intraveineuse anti-staphylococcique. 

Que nous apporte cet article ?

 - Cet article nous informe sur l’importance et les étapes d’une reconnaissance rapide des signes cliniques pour un diagnostic précoce de l’EAS et illustre la présentation clinique du phénotype adolescent.

- À partir d’une revue de la littérature, il permet de détailler la physiopathologie de l’EAS, de différencier l’EAS de la nécrolyse épidermique toxique (NET) ou de l’impétigo bulleux, de rappeler les lignes directrices de la prise en charge, et de discuter des bénéfices de l’ajout de la clindamycine et d’un laxatif osmotique, ou de l’injection de plasma frais congelé ou d’immunoglobulines IV en cas de résistance aux antibiotiques.

Article complet :

Introduction

L’épidermolyse aigüe staphylococcique (EAS) ou staphylococcal scaled skin syndrome (SSSS) est une dermite exfoliative due à une infection par un S. aureus sécréteur d’exfoliatines A et/ou B (ETA et ETB) (1). ETA et ETB sont des protéases clivant la desmogléine 1 entraînant un décollement de l’épiderme au niveau du stratum granulosum (1). Le foyer infectieux staphyloccocique se trouve souvent à distance des zones de décollement cutané. A partir du foyer infectieux, les ETA et /ou ETB diffuseraient par la circulation sanguine pour agir au niveau de la peau.

L’EAS est une maladie rare avec une incidence de 0.09 à 0.56 cas par million d’habitants (2). Elle concerne surtout les nourrissons et les jeunes enfants avant l’âge de 10 ans (3). Le manque de production d’anticorps contre les toxines exfoliatives et l’immaturité de la fonction rénale avec une mauvaise clairance de ces toxines augmentent l’incidence à cet âge (4,5). Parallèlement, les adultes immunodéprimés ou atteints d’insuffisance rénale présentent une incidence plus élevée d’EAS (5). Le pronostic est bon chez l’enfant, 3.6% à 11% de mortalité. Chez les adultes, la mortalité atteint par contre 63% (2).

Le foyer infectieux est cutané (omphalite, impétigo facial, …), ORL (rhynopharyngite, otite) ou provenant exceptionnellement d’un foyer profond (3,6). L’EAS débute par un exanthème scarlatiniforme. L’enfant est fébrile, il devient irritable, grognon et fatigué (6). Dans les 24 heures, un décollement plus ou moins important apparaît.

Des vésicules de grande taille apparaissent sur la peau érythémateuse puis se rompent rapidement laissant des érosions. Les bulles sont souvent présentes dans les zones de frottement, comme les plis et le siège, ou peuvent être provoquées lorsque l’on presse doucement la peau (signe de Nikolski) (3,6). Les muqueuses sont habituellement épargnées (1). Le diagnostic est essentiellement clinique (1).

La prise en charge repose sur le traitement du foyer infectieux. Un traitement antibiotique anti-staphylococcique par voie intraveineuse associé à une bonne hydratation, des antidouleurs et des soins locaux, mène rapidement à la guérison sans séquelle.

Observation clinique

Un garçon de 13 ans était adressé dans le service de dermatologie pour une éruption cutanée généralisée, bulleuse, desquamative et suintante sur environ 70% de la surface corporelle (Figure 1). Le jeune adolescent, sans antécédents médicaux particuliers, n’avait pas pris de médicaments ou de substances toxiques dans les jours précédents. Il n’avait pas d’antécédents allergiques et était en ordre de vaccinations.

L’éruption avait débuté sur le thorax et l’abdomen cinq jours plus tôt. Examiné dans un premier temps par le médecin traitant, une scarlatine avait été écartée après un frottis de gorge négatif à la recherche d’antigènes streptocoque A.

Le lendemain, il se présentait aux urgences alors que l’éruption atteignait 60% de l’ensemble du corps. Le diagnostic d’eczéma surinfecté était posé et le patient était renvoyé à son domicile sans traitement mais avec une demande d’avis dermatologique.

La survenue d’une pyrexie à 38,7°, d’une asthénie et d’une extension de l’éruption sur 70% de la surface corporelle (Figure 1) entraînait le retour aux urgences et le transfert en consultation de dermatologie. L’examen clinique révélait une érythrodermie micro-bulleuse avec des suintements jaunâtres (ombilic et conduits auditifs externes), une hyperhémie des limbes cornéennes et des conjonctives palpébrales (Figure 1). Les muqueuses étaient saines. Le diagnostic d’EAS était posé cliniquement.

Un contrôle biologique mettait en évidence une augmentation de la CRP à 188 mg/l (norme : 0-10 mg/L) associée à une hyperleucocytose à prédominance neutrophilique à 14,52 x 103/mm3 (norme : 2,0 – 7,7 x 103/mm3) et une hypoalbuminémie à 24,8 g/L (norme : 38 - 54 g/L). Une antibiothérapie par flucloxacilline, des mesures d’hydratation et des soins locaux sous méopa étaient instaurés. L’extension des lésions à l’ensemble de la surface corporelle (Figure 2A) avec un signe de Nikolski positif (Figure 2B), témoignant de l’aggravation de l’épidermolyse, motivait le transfert vers le centre des grands brûlés pour assurer des soins cutanés adéquats.

Les résultats de l’antibiogramme du frottis cutané positif pour S. aureus indiquait alors une résistance à la pénicilline. La culture des autres sites étaient stériles. L’évolution clinique permettait de confirmer le diagnostic d’EAS. L’antibiothérapie intraveineuse (voie veineuse centrale) par flocloxacilline (floxapen®) et clindamycine (Dalacin®) était poursuivie. Du movicol, du pantomed, de la fraxiparine, et un remplissage liquidien complétaient le traitement. La douleur étant très vive, les soins locaux étaient réalisés sous sédation.

Les jours suivants étaient marqués par un œdème diffus, plus important aux mains et aux pieds (Figure 3). Sur le plan biologique, on notait une diminution progressive de la CRP (92 mg/L) et de l’hyperleucocytose, ainsi qu’une hypoalbuminémie (17,3 g/L) secondaire à l’oedème. Un traitement par diurétique était instauré pour une durée de 3 jours.

Après six jours d’antibiothérapie par flucloxacilline et clindamycine intraveineuse, on constatait une nette amélioration des lésions (Figure 4), des paramètres stables, un appétit retrouvé et un syndrome inflammatoire en voie de normalisation (CRP à 19 mg/L) motivant le passage à une antibiothérapie per os par floxapen® et un retour à domicile.

Discussion

L’épidermolyse aigüe staphylococcique est causée par certaines souches de S. aureus sécrétant des toxines exfoliantes A et B munies d’une activité protéolytiques responsable d’un clivage de la desmogléine 1 (6). La desmogléine 1 est une cadhérine desmosomale qui se trouve dans l’épiderme supérieur mais pas dans la membrane muqueuse. L’hydrolyse du domaine extracellulaire amino-terminal de la desmogléine 1 par les toxines exfoliatives staphylococciques ETA et ETB entraîne une perturbation de l’adhérence des kératinocytes dans le stratum granulosum, ce qui entraîne la formation de bulles et la desquamation diffuse subséquente (4). À partir du foyer infectieux, se trouvant à distance des zones de décollements cutanés, les ETA et/ou ETB diffusent par voie hématogène pour agir au niveau de la peau (7).

L’EAS se présente comme une maladie vésiculobulleuse avec un signe de Nikolski positif, un aspect d’enfant ébouillanté et une mise à nu de vastes surfaces rouges recouvertes de lambeaux épidermiques. Face à ce tableau clinique, le diagnostic différentiel se pose principalement avec la nécrolyse épidermique toxique (NET) composée du syndrome de Lyell et de Stevens-Johnson. On utilise le nom du syndrome de Lyell pour les formes les plus étendues (> 30% de la surface corporelle) et celui de syndrome de Steven-Johnson pour les formes limitées de nécrolyse épidermique (< 10% de la surface corporelle) (8). Cette distinction est toutefois très théorique, un syndrome de Stevens-Johnson pouvant, en quelques heures, évoluer vers un syndrome de Lyell.

Ceux-ci se distinguent de l’EAS par plusieurs caractéristiques.

- L’atteinte des muqueuses est habituelle (8).

- L’histopathologie montre une nécrose épidermique de toute l’épaisseur des kératinocytes (8) et pas uniquement au niveau du stratum granulosum. Le clivage se produit en effet à la jonction dermo-épidermique (6).

- Des antécédents de prise médicamenteuse sont mis en évidence lors de l’anamnèse (réaction immunologique à un médicament) (9).

- La maladie survient à tout âge. Il s’agit d’une urgence vitale, le pronostic est grave : 20-25% de mortalité (8).

Si le diagnostic n’est pas cliniquement évident, une biopsie cutanée permet de différencier ces deux pathologies (9). Une PCR détectant les toxines staphylococciques peut également aider au diagnostic (10).

Parmi les autres diagnostics différentiels, l’impétigo bulleux généralisé est également causé par les toxines exfoliatives staphylococciques. Dans l’impétigo bulleux, ces toxines diffusent localement et le S. aureus peut être identifié à l’écouvillonnage d’une bulle contrairement à l’EAS où le contenu bulleux est stérile car les toxines se propagent par voie hématogène (11). Cliniquement, la bulle est nettement démarquée sans érythème n’environnant ni généralisé et le signe de Nikolski est typiquement négatif (4).

Le traitement de l’ESA requiert une approche combinée, parfois avec un meilleur accompagnement en unité des grands brûlés ouvrant ainsi la possibilité de faire les soins locaux sous sédation. Un remplissage intraveineux est indispensable pour compenser les troubles de l’équilibre thermique et hydro-électrolytique suite aux décollements (2).

La plupart des S. aureus causant l’EAS étant sensibles à la méthycilline mais résistant à la pénicilline (5), l’oxacilline ou la flucloxacilline sont les antibiotiques de première ligne à administrer le plus rapidement possible pour une durée de 10 à 14 jours (12). La clarithromycine peut être utilisée en cas d’allergie à la pénicilline. Si l’état du patient ne s’améliore pas, il faut considérer que les toxines sont produites par un S. aureus méthycilline résistant et opter pour de la vancomycine (2). Dans notre cas, nous avons associé la flucloxacilline à la clindamycine. En effet, la clindamycine est un agent bactériostatique caractérisé par une excellente pénétration dans la peau et une capacité à inhiber la production des toxines bactériennes causant l’exfoliation (4,13,14). Une étude chez des enfants atteints d’EAS note cependant 86% de sensibilité à l’oxacilline et 52% de résistance à la clindamycine. Dès lors, les auteurs suggèrent d’utiliser la pénicilline du groupe M (flucloxacilline ou oxacilline) en association avec la clindamycine pour le traitement empirique initial à ajuster ultérieurement en fonction du résultat de l’antibiogramme (13). Ensuite, en fonction de la réponse au traitement, l’antibiothérapie peut être substituée par voie orale (4).

De plus, l’utilisation de lactulose et l’accélération subséquente du transit gastro-intestinal permettent au patient d’excréter les toxines plus rapidement et facilement via le tube digestif. En effet, l’immaturité rénale de l’enfant ne permet pas une excrétion urinaire efficace des toxines de S. aureus (10). Une étude rapporte ainsi des titres élevés d’anticorps anti-S. aureus dans le sérum de 57 patients atteints de constipation, qui ont été efficacement traités avec des laxatifs osmotiques (5). Dans ces conditions, Il est impératif d’assurer un apport liquidien suffisant pour éviter la déshydratation (10).

Enfin, si aucune amélioration n‘est constatée avec les antibiotiques, l’injection intraveineuse d’immunoglobulines pendant cinq jours (0.4 g/kg/jour) ou de plasma frais congelé d’un adulte (10 ml/kg) s’est déjà avérée être efficace chez des enfants atteints d’EAS. La théorie repose sur le fait que 91% des adultes de plus de 40 ans produisent des anticorps pouvant neutraliser les toxines exfoliantes des S. aureus responsables de l’EAS (2,5).

Si le traitement est bien mené, la guérison peut être obtenue rapidement. Dans notre cas, la prise en charge interdisciplinaire composée de pédiatres, de dermatologues, d’infectiologues et d’anesthésistes a permis une évolution favorable de la maladie sans complication, ni séquelle malgré l’importance de l’atteinte cutanée de départ.

Conclusion

Cet article souligne l’importance de la reconnaissance rapide des signes cliniques de l’EAS autorisant un diagnostic précoce et un traitement bien conduit permettant d’éviter des complications et d’assurer une guérison complète. La prise en charge thérapeutique associe la flucloxacilline et la clindamycine combinée à la prise d’un laxatif osmotique, un remplissage vasculaire et des soins locaux. Cependant, et en l’absence de consensus ou de guidelines précis, davantage d’études devront être réalisées pour prouver le bénéfice potentiel de l’association de la clindamycine, du movicol ou encore de l’utilisation de plasma frais congelé et des immunoglobulines.

Affiliations

1 Faculté de médecine, Université catholique de Louvain
2 Service de Dermatologie, Grand Hôpital de Charleroi, site IMTR, Loverval
3 Service de Dermatologie, Grand Hôpital de Charleroi, site IMTR, Loverval

Correspondance

Dr. Marylou Lefèvre
Hôpital Erasme
Médecine Interne
Route de Lennik 808 B-1070 Bruxelles
marylou.l@hotmail.com

Conflit d’intérêts

L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt.

Références

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