Diverticule jéjunal perforé et abcédé : revue de la littérature

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Miroslava Kuzmova, Mikhael Salame, Philippe Colonval (1) Publié dans la revue de : Octobre 2021 Rubrique(s) : Cas cliniques
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Résumé de l'article :

Les diverticules acquis de l'intestin grêle sont formés par une hernie de la muqueuse et de la sous-muqueuse à travers la couche musculaire de la paroi intestinale.

Ces diverticules restent asymptomatiques dans 60 à 70% des cas. Les symptômes, lorsqu'ils sont présents, sont peu spécifiques et peuvent imiter d'autres affections intra-abdominales aiguës. Le diagnostic étiologique est souvent difficile á établir au terme du bilan réalisé. Dans la plupart des cas, une laparoscopie exploratrice est nécessaire pour poser un diagnostic précis.

Le but de cet article est de proposer une revue exhaustive de la littérature concernant cette pathologie.

Que savons-nous à ce propos ?

La diverticulose jéjuno-iléale est une entité peu commune, contrairement á la diverticulose colique, et touche principalement les hommes de plus de 60 ans. Le tableau clinique est varié et non spécifique. La majorité des patients atteints sont asymptomatiques, mais certaines complications peuvent nécessiter une intervention chirurgicale urgente et entrainer des taux de morbidité et de mortalité élevés.

Que nous apporte cet article ?

L'article illustre, sur base d'une revue de la littérature, les présentations cliniques possibles de la maladie diverticulaire de l'intestin grêle qui peuvent être variées, aspécifiques, ou sous forme de complications avec une morbidité et mortalité élevées, nécessitant une intervention chirurgicale urgente. Il est donc primordial de penser à cette pathologie afin de la prendre correctement en charge à temps.

Mots-clés 

Jéjunum, diverticulose, perforation intestinale, abcès

Article complet :

Introduction

Il existe deux types de diverticules de l’intestin grêle, congénitaux et acquis (1). Les diverticules congénitaux sont situés sur le bord antimésentérique de l’intestin. Ce sont de véritables diverticules et ils se composent de toutes les couches de la paroi intestinale. Lorsqu’ils sont présents, ils sont généralement solitaires. Le diverticule de Meckel en est un exemple (2, 3). Les diverticules acquis sont formés par une hernie de la muqueuse et sous-muqueuse à travers la couche musculaire de la paroi intestinale, faux diverticules (4) (Figure 1), probablement due à un dysfonctionnement moteur du muscle lisse ou du plexus myentérique de l’intestin grêle, générant une augmentation des pressions intraluminales (dyskinésie jéjuno-iléale) (5, 6). Ils sont situés sur le bord mésentérique de l’intestin grêle, au niveau des vaisseaux sanguins perforants (locus minoris resistentiae de l’intestin grêle).

La grande majorité des diverticules jéjunaux sont du type acquis. Ils sont le plus souvent multiples, parfois solitaires (1).

Épidemiologie

La diverticulose acquise de l’intestin grêle a été décrite pour la première fois par Baillie et Sommering en 1794 (7). En 1807, Sir Astley Cooper décrit spécifiquement les diverticules jéjunaux, 75% d’entre eux touchant le jejunum proximal, 20% le jejunum distal et 5% l’iléon, respectivement (8, 9). L’augmentation de l’incidence des diverticules dans le jéjunum proximal par rapport au jéjunum et à l’iléon distaux est attribuée au plus grand diamètre des vaisseaux sanguins dans le jéjunum proximal, au vasa recta ou aux arcades d’anastomose entre les artères jéjunales et iléales, provenant de l’artère mésentérique supérieure (10).

Contrairement à la diverticulose colique, la diverticulose jéjuno-iléale est une entité peu commune (4). Malgré plus de 200 ans d’histoire en tant qu’entité anatomique définie, la prévalence réelle de ce trouble est difficile à déterminer. Il est probable que de nombreux chirurgiens n’ont pas documenté la présence de ces lésions, simplement parce que leur signification clinique est faible. De plus, comme les diverticules sont souvent enfouis dans la graisse mésentérique, leur découverte est corrélée aux efforts pour les rechercher (11).

L’incidence rapportée dans la littérature est inférieure à 1% (12). La prévalence augmente avec l’âge, le pic étant situé entre 60 et 70 ans selon une étude clinique de Baskin et al. (13). Liu et al. ont rapporté un âge moyen de 62,6 ans dans une série de 28 patients atteints de diverticules jéjuno-iléaux prouvés chirurgicalement (14). Les diverticules du jéjunum se retrouvent plus fréquemment chez les hommes, (58% versus 42%) d’après une analyse rétrospective de 112 de cas de diverticulose jéjunale réalisée entre 1975 et 1990 par Tsiotos et al. (15, 16).

Présentation clinique

Il existe trois modes de présentations possibles : la maladie asymptomatique, la symptomatologie chronique et la complication aiguë (42%, 40% et 18% respectivement) (15). Les diverticules jéjunaux restent asymptomatiques dans 60 à 70% des cas. Il existe un large spectre de symptômes peu spécifiques, allant de la gêne abdominale chronique, flatulences post-prandiales, diarrhées, constipation, dyspepsie, nausées, vomissements, malabsorption.

Il peut s’agir également de douleurs abdominales épigastriques irradiant du côté gauche de l’abdomen, associées á une sensation de ballonnement post-prandial (11). Mais les tableaux cliniques dans les cas rapportés sont variés (4, 17). Aucun symptôme n’est pathognomonique.

Les diverticules jéjunaux peuvent également être le siège des complications aiguës, telles que la diverticulite, l’occlusion, l’hémorragie et la perforation, qui surviennent dans 6 à 10% des cas (9, 18).

Cette pathologie peut donc être à l’origine d’un dilemme diagnostique et thérapeutique suite à ce tableau clinique varié et non spécifique.

Mise au point

Le CT scanner abdominal joue un rôle important dans l’évaluation des maladies inflammatoires du tube digestif, en particulier des maladies susceptibles de former des abcès : maladie de Crohn, appendicite et diverticulite. Une diverticulite de l’intestin grêle doit être incluse dans le diagnostic différentiel en présence d’une masse inflammatoire entreprenant l’intestin grêle visualisée au CT scanner (17). Le CT scanner a la valeur diagnostique la plus élevée pour identifier la présence, le site et la cause d’une perforation intestinale (12). Il peut permettre le diagnostic de la perforation diverticulaire du jéjunum, sur base des clichés suivants : air libre intra-péritonéal, bulles d’air extraluminales concentrées à proximité de la paroi intestinale, épaississement asymétrique de la paroi, œdème ou épaississement des tissus adipeux environnant. Un diagnostic précis est cependant rarement établi avant une laparotomie ou laparoscopie exploratrice (19,20).

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel inclut les néoplasmes (avec ou sans perforation), la perforation par un corps étranger, l’hématome traumatique, l’ulcération provoquée par un médicament (anti-inflammatoire non stéroïdien) ou la maladie de Crohn (19).

Traitement

En cas de découverte fortuite chez des patients asymptomatiques, aucun traitement n’est habituellement requis. L’exérèse de principe n’est pas recommandée.

Lorsqu’ils sont symptomatiques, le traitement des diverticules duodéno-jéjunaux diffère selon leur localisation et leur mode de présentation clinique, notamment en cas de survenue de complications sévères, telles que hémorragies, perforations ou occlusions.

Une symptomatologie peu spécifique, survenant dans une population souvent âgée, peut parfois entrainer un retard de diagnostic, ce qui pourrait expliquer pourquoi cette affection est encore associée à une mortalité élevée, entre 21 et 40% en cas de diverticule perforée (17, 21- 23).

En l’absence de péritonite diffuse, chez des patients stables, un traitement conservateur est envisageable selon les résultats de Spasojevic et al. publiés en 2012 (24). C’est notamment le cas des perforations couvertes de diverticules jejunaux. En l’absence de réponse favorable au traitement médical ou en présence d’une péritonite diffuse, une exploration chirurgicale, un lavage abondant et une résection segmentaire avec anastomose primaire restent le traitement de choix (18,25).

Le choix de la laparoscopie par rapport à la laparotomie est recommandé en premier lieu (Figure 2). Associant les avantages d’une exploration complète de la cavité abdominale, d’une morbidité post-opératoire moindre, notamment sur le plan algique et pariétal, la laparoscopie consistera en une toilette abdominale avec chirurgie dirigée. On pourra réaliser une résection intestinale du segment pathologique par une incision mini-invasive (24).

Les modes opératoires alternatifs tels que la fermeture primaire et la diverticulectomie sont associés à des résultats extrêmement médiocres et à un taux de mortalité élevé et doivent être évités.

Au cours des dernières décennies, on a observé une nette amélioration en terme de diagnostic étiologique posé, grâce aux progrès de la radiologie notamment. On a également observé un plus grand nombre de cas traités de façon médicale, lorsque la pathologie est rapidement diagnostiquée chez des patients stables. Lorsqu’une résection intestinale est réalisée, les taux de complications sont de plus en plus bas (24).

Conclusions

La diverticulose jéjunale acquise est un trouble rare de l’intestin grêle, qui touche généralement les hommes de plus de 60 ans. Des complications, telle que la perforation d’un diverticule jéjunal, ont une présentation clinique peu spécifique, pouvant retarder le diagnostic et entraîner des taux de morbidité et de mortalité élevés.

La mise au point consiste en une biologie et une imagerie. L’examen de choix est le CT scanner abdominal.

Le traitement de choix, chez les patients présentant une perforation diverticulaire du jéjunum associée á une péritonite, est la résection du segment de l’intestin grêle impliqué et l’anastomose primaire. La laparoscopie est recommandée en premier lieu. Le traitement conservateur est possible dans certains cas et présente une alternative appropriée à la chirurgie, d’autant plus que cette pathologie touche souvent une population âgée avec des nombreuses comorbidités.

Affiliations

1. Service de Chirurgie Générale et Digestive, CHR Haute Senne, B-7060 Soignies, Belgique

Correspondance

Dr. Miroslava Kuzmova
CHR Haute Senne
Service de Chirurgie Générale et Digestive
Chaussée de Braine 49
B-7060 Soignies

Références

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