Arrêt de l’alimentation et de l’hydratation en « faim » de vie

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Thibaud De Blauwe (1), Michèle Pieterbourg (2) Publié dans la revue de : Avril 2023 Rubrique(s) : Gériatrie
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Résumé de l'article :

L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation en fin de vie est une décision parfois difficile, tant pour les soignants que pour les familles. Il s’agit d’une action à haute valeur symbolique et à charge émotionnelle/affective tout aussi importante. Il y a, parmi les équipes soignantes, une méconnaissance de la physiopathologie de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, responsable d’une crainte de « faire mourir de faim ou de soif » le patient. La compréhension de ces mécanismes physiopathologiques et des symptômes en lien avec le jeûne prolongé, acquise grâce à des expériences américaines et anglaises durant la seconde guerre mondiale, nous permet de les expliquer aux familles ou aux équipes en souffrance et, ainsi, tenter d’apaiser leur crainte entourant cette situation. Ce travail tente de résumer ces problématiques, afin de proposer aux soignants des pistes pour anticiper leurs questions et celles des familles au sujet de la question de l’arrêt de l’alimentation/hydratation en situation palliative avancée.

Mots-clés

Soins palliatifs, fin de vie, arrêt de l’alimentation, arrêt de l’hydratation, arrêt de la nutrition

Article complet :

Introduction

« Docteur, va-t-il mourir de faim/ de soif ou souffrir de l’arrêt de l’alimentation/hydratation ? »

Cette question est récurrente chez les familles en souffrance lorsqu’on aborde avec elles l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Fréquemment, elle se pose lors d’une situation palliative avancée (SPA), lorsque la pathologie a rendu le patient incapable de s’alimenter/s’hydrater seul ou lorsque les apports deviennent insuffisants et peuvent générer plus d’inconfort (pneumonie d’inhalation, encombrement respiratoire, œdème pulmonaire, œdèmes périphériques, phlébites, etc.) que de confort (plaisir). D’ailleurs, 25% des patients dans cette situation souffrent d’anorexie, et de 50 à 80% de cachexie (1). Comment aborder un sujet aussi sensible, symbolique et à lourde charge émotionnelle ? Il est important d’accompagner le patient et/ou sa famille, afin qu’ils puissent être rassurés et/ou comprendre l’intérêt de la démarche dans le but d’anticiper la détresse et l’angoisse générées par cette situation. Ce travail n’abordera pas l’arrêt de l’alimentation volontaire, c’est-à-dire lorsque le patient souhaite écourter sa vie, devenue intolérable.

Définitions

Tout d’abord, pour le dictionnaire Larousse, on appelle « nutrition » l’introduction d’éléments plastiques et énergétiques dans un organisme et leur utilisation dans celui-ci ainsi que l’assimilation et la dégradation d’aliments dans l’organisme, lui permettant d’assurer ses fonctions essentielles et de croître (2). En ce qui concerne l’alimentation, il s’agit, toujours selon le Larousse, de l’action de s’alimenter et, par extension, des processus menant à l’ingestion d’aliments ainsi que de l’ensemble des interactions entre le sujet et ceux-ci. Enfin, l’hydratation est l’introduction d’eau dans l’organisme, son apport étant vital malgré son caractère « non nutritionnel ». Elle est complémentaire à la nutrition (3).

Cas clinique

Une patiente de 76 ans est admise dans le service de gériatrie suite à une dégradation de son état général consistant en une asthénie avec inappétence et des difficultés de s’alimenter et de s’hydrater, surtout depuis quelques jours (avec arrêt complet des apports depuis trois jours). L’hétéro-anamnèse révélera une infection bucco-dentaire actuellement traitée par antibiotiques.

Il s’agit d’une patiente institutionnalisée en raison d’une perte d’autonomie dans un contexte de démence fronto-temporale diagnostiquée plusieurs années auparavant. Dépendance modérée à sévère au sein de sa maison de repos, notamment pour la toilette, l’habillage, les déplacements. Le contact est pauvre en raison des troubles cognitifs dont elle souffre.

Aux soins d’urgences, avant l’admission dans l’unité, on met en évidence une bronchopneumonie, probablement d’inhalation, ainsi qu’une hypernatrémie sévère, témoin d’une déshydratation tout aussi importante. Un traitement à base d’antibiotique intra-veineux et de perfusion d’eau libre est mis en place.

Peu après son arrivée dans l’unité, durant les premiers jours, stabilisation de son état. Le bilan nutritionnel, réalisé par la diététicienne chez tout patient admis en gériatrie, confirme une dénutrition sévère et des apports oraux limités voire inexistants. Au bilan logopédique, mise en évidence d’un risque de fausse déglutition majeure. Proposition d’envisager une alimentation artificielle dans un premier temps, soit par sonde naso-gastrique, soit par voie parentérale. Un avis auprès des médecins ORL confirmera une gingivite purulente, expliquant la difficulté de l’alimentation et de l’hydratation par la bouche. Par ailleurs, persistance du syndrome inflammatoire malgré l’antibiothérapie à large spectre bien conduite durant plus de 72 heures et évocation d’une possible transformation de la bronchopneumonie en empyème, engageant le pronostic vital de la patiente.

Endéans la première semaine, étant donné l’absence d’amélioration de la situation tant clinique que biologique (malgré des traitements adéquats) et face à l’inconfort de la patiente, discussion avec sa famille (étant donné sa capacité décisionnelle altérée par l’atteinte cognitive sévère dans le contexte de la démence fronto-temporale et par sa situation médicale) au sujet d’une prise en charge palliative, axée sur le confort. À ce moment, les différents symptômes accompagnant la fin de vie et l’arrêt de certains traitements sont anticipés, afin d’apaiser autant que possible la famille et notamment la fille de la patiente, très touchée par la situation. L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation est discuté avec elle, de même que l’absence de plus-value de la mise en place d’une alimentation ou hydratation artificielle (sonde naso-gastrique, alimentation parentérale via une voie centrale, hypodermoclyse) et de l’importance de viser le confort à tout prix. L’équipe avait le sentiment que l’information avait été entendue et intégrée.

Plusieurs jours se passent sans qu’une temporalité n’ait été donnée à la famille, afin d’éviter une souffrance supplémentaire liée à l’attente du décès avec une date limite précise. La patiente reste stable et, pour l’équipe, confortable. Poussée par certains membres de sa famille, et, en raison de ses propres interrogations, la fille revient vers les membres du service lors du passage en chambre, afin de parler à nouveau de la possibilité d’une alimentation et hydratation artificielles. Le mal-être de la fille de la patiente s’est accentué et sa souffrance, malgré nos explications, s’est muée en colère envers l’équipe, tant médicale que paramédicale. Interpellation alors de l’équipe mobile de soins palliatifs (EMSP) avec passages de jour en jour, à l’appel, vu les demandes de plus en plus soutenues de la fille. Premières discussions au sujet des mécanismes expliquant les raisons des décisions prises quant à l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation (jeûne prolongé, encéphalopathie, etc.) Finalement, la patiente décédera confortablement dans l’unité, entourée des siens. Bien qu’elle ait bénéficié de maintes explications, la fille semblait quand même en colère face à cette situation, mais n’est ensuite pas revenue vers l’équipe après la sortie du corps de la patiente du service.

En ce qui concerne l’équipe médicale, l’angoisse grandissait chaque jour, avant de rentrer dans la chambre de la patiente. En effet, le fait de remettre sans cesse en question la prise en charge était difficile à vivre. Probablement que l’explication des mécanismes liés à l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation aurait dû être plus précoce, afin de poser d’emblée les bases de la prise en charge, afin de permettre une cohérence ensuite au fur et à mesure de l’accompagnement. Cela a permis aux membres de l’unité, notamment aux médecins, d’éviter d’autres situations similaires par la connaissance de la physiopathologie en lien avec l’arrêt de l’alimentation/hydratation artificielle (AHA).

Réflexion éthique

Si on se limitait à la théorie utilitariste (s’intéressant à la qualité des résultats, dont le père fondateur est Jeremy Bentham, 1748-1832) ou à celle du devoir d’Emmanuel Kant (1724-1804), on poursuivrait sans doute l’AHA coûte que coûte. Cependant, les principes de bioéthiques (tableau 1) décrits par Childress et Beauchamp (4) en 1979 ont permis de modifier notre attitude face à certaines situations difficiles. L’autonomie n’était pas mentionnée par Hippocrate ou Claude Bernard et est clairement en opposition avec le privilège thérapeutique qui a prévalu durant longtemps. La délibération éthique est devenue une nécessité dans un système évoluant rapidement, afin d’éviter des dérives et trouver du sens aux actes posés (paradoxalement, à l’heure de l’autonomie, on assiste à une augmentation de la réponse médicale). En 1994, un article était publié pour dénoncer la politique de sédation sans alimentation ni hydratation en cas de phase terminale et dans certaines circonstances en médecine palliative. Il soutenait que cette attitude était dangereuse médicalement, éthiquement, juridiquement et, peut-être, dérangeante pour les familles (5). En 1995, Ashby et al. (6), en réponse à l’article précédent, mentionnait que la déshydratation est un processus physiologique de fin de vie et que l’AHA n’était pas justifiée (sauf si la soif ou la faim étaient présentes et ne pouvaient être soulagées autrement). Pour lui et ses collègues, l’alimentation et l’hydratation « naturelles » orales ne devaient pas être arrêtées. La sédation n’était pas utilisée pour traiter (masquer) les symptômes de la déshydratation/famine.

La même année, Dunlop et al. (7) précisaient que les patients cancéreux arrêtaient d’abord de manger, puis de boire, et qu’il fallait donc baser le processus décisionnel sur la connaissance des risques et bénéfices du traitement ou de son abstention. Ils rappelaient qu’il n’y avait pas de preuves qu’augmenter l’alimentation ou l’hydratation modifiait le confort ou la survie. Selon eux, on pouvait parfois mettre en route une hypodermoclyse uniquement sur demande de la famille (si celle-ci restait en souffrance malgré les explications quant à l’absence de bénéfice médical par rapport aux risques). La même année, Slomka (8) écrivait que bien que les soignants puissent intellectuellement accepter que l’alimentation via une sonde soit un traitement médical et non un soin de base, leur pratique quotidienne suggérait le contraire. Il y a une dizaine d’année, Monod et al. (9) mentionnaient encore que la décision de suspendre ou d’arrêter la nutrition (alimentation et hydratation), notamment chez le sujet âgé gravement malade, était très difficile. En effet, la réflexion requiert d’intégrer les connaissances scientifiques aux considérations juridiques, culturelles, religieuses, éthiques et émotionnelles. Bien que ce processus prenne beaucoup de temps, il était, pour eux, nécessaire de l’investir afin de construire, de manière la plus morale, le meilleur plan de soins possible avec la famille.

La grille qu’ils proposaient est résumée dans le tableau 2 et 3. Bolly et al. (10) ont également proposé une grille éthique en quatre temps (Figure 1) utilisée lors d’ateliers de réflexion éthique (ateliers G.I.R.AF.E. pour Groupe Interprofessionnel de Recherche, d’Aide à la décision et de formation en Ethique clinique). Cette grille d’aide à la décision s’appuie sur d’autres comme celle de H. Doucet et G. Durand ou celle du centre d’Ethique Médicale de Lille.

Symbolique

Depuis notre plus tendre enfance, l’alimentation (boire et manger) joue un rôle central dans notre vie. En effet, le tout jeune enfant est nommé « nourrisson », tant le rituel alimentaire est présent dans sa vie. « Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger… » disait Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, dans L’Avare. Manger est également un acte hautement collectif (11).

La valeur symbolique de l’alimentation est importante et offrir de la nourriture est un moment de partage, de convivialité, de compassion ainsi que d’amour (12). Lorsque les patients sont en phase terminale de leur pathologie, les soignants sont souvent confrontés à l’impossibilité complète ou partielle de les nourrir (alimenter et hydrater). Bien sûr, manger permet au corps de survivre et comble un besoin physiologique. Cependant, cela dépasse le simple objectif biologique, ce qui explique pourquoi les familles ou les soignants s’attachent particulièrement à faire manger correctement le malade. Cette action est porteuse d’une charge affective et sociale si grande qu’elle provoque une angoisse importante si on ne peut pas la réaliser (13).

Explications physiopathologiques de l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation

Selon Denis Oriot (14), une déshydratation extra-cellulaire (déficit en sodium dans le milieu extra-cellulaire) s’installe rapidement. Ensuite, celle-ci devient mixte, intra- et extra-cellulaire. Une insuffisance rénale se développe, de même qu’une hypernatrémie et, par conséquent, une hyperosmolarité. On peut déjà noter ici que la sensation de soif diminue entre 290 et 295 mOsm/L, et disparaît lorsqu’elle dépasse 292 mOsm/L chez le patient jeune, et 296 mOsm/L chez le patient âgé. De plus, cette hyperosmolarité est responsable d’une encéphalopathie et diminue les sécrétions respiratoires, la toux, les nausées et les vomissements. Par contre, le manque d’apport hydrique va entraîner une xérostomie (sécheresse des muqueuses buccales) responsable, elle, d’une sensation désagréable, notamment de soif. Elle sera plus efficacement soulagée par des soins locaux-régionaux que par une hydratation parentérale ou entérale via sonde. Enfin, il est utile de rappeler qu’il suffit d’un très faible apport hydrique (350 à 300 mL), dès lors que la diurèse et les pertes insensibles sont réduites (15).

De même que pour l’hydratation (cf. point précédent), les premières modifications organiques liées au jeûne surviennent en 24-48h. Les substrats énergétiques glucidiques émanent alors plutôt des réserves, étant donné le manque d’apport. Il s’agit d’abord des réserves lipidiques (87%), puis protidiques (13%).

La néoglucogenèse hépatique permet le maintien de la glycémie, mais diminue ensuite par l’utilisation cérébrale du glucose. Le glucagon s’élève alors, et l’insuline diminue, ce qui entraîne une libération des acides gras libres des tissus périphériques et des acides aminés cérébraux (le catabolisme protidique cérébral s’accélère). Au bout de sept jours (une semaine), le cerveau utilise exclusivement les corps cétoniques. Cette cétonémie diminue la néoglucogénèse, la quantité d’urée formée, ainsi que d’osmoles et d’urines produites. Elle permet également une diminution de la sensation de soif et de faim, via une anorexie centrale (16). Au bout donc de deux jours, il n’existe plus aucune sensation de faim (15). Par contre, il est important de rappeler que l’introduction d’une petite quantité de glucose a pour conséquence la réapparition d’une sensation douloureuse de faim. Sur modèle animal, le jeûne complet durant 24h augmente le seuil nociceptif (laissant suspecter une production d’endorphine). Il existe une euphorie concomitante à la phase de jeûne. Le métabolisme de base est diminué par la réduction du taux de thyroxine et de catécholamines, elles-mêmes induites par une baisse du cortisol (14). Enfin, les symptômes liés à ces arrêts sont résumés au tableau 4.

Arrêt de l’alimentation et/ou de l’hydratation en situation oncologique

Dans une revue de la littérature récente (1), il n’y avait pas de directives claires sur l’utilisation de l’AHA en SPA en oncologie. Le système le plus utilisé pour définir l’intervention adéquate était basé sur 3 stades de cachexie oncologique (tableau 5).

En 2021, Wu CL et al. mettaient en évidence que l’hydratation artificielle (HA) ne prolongeait pas la survie et n’améliorait pas de manière significative les symptômes de déshydratation chez les patients oncologiques en situation terminale. Ils soulignaient également l’importance de la communication avec le patient et sa famille sur l’effet de l'HA pour les accompagner le mieux possible et leur fournir une prise en charge palliative de qualité.

Pour Cotogni P et al., toujours en 2021, chez les patients avec une espérance de vie de plusieurs semaines ou plusieurs mois devenus incapables de subvenir à plus de 60% de leurs besoins énergétiques quotidiens sur le long terme malgré des apports oraux conservés, l’accès gastro-intestinal devrait être envisagé. La gastrostomie endoscopique percutanée était le traitement standard. En cas de cancer du cou et de la tête avec dysphagie, une sonde naso-gastrique ou une gastrotomie devait être envisagée afin de permettre de maintenir des apports suffisants et d’augmenter le score de performance et prolonger la survie au-delà de 22.9 semaines. Par contre, l’AHA ne devait pas être mise en route en cas d’espérance de vie limitée (moins de 2 mois), alors qu’elle devait l’être si le patient était plus à risque de décéder plus tôt à cause de la dénutrition, plus qu’à cause de la progression de la maladie maligne. En cas de péjoration de la situation oncologique (dysfonction sévère d’organe ou symptômes non contrôlés), de réduction de l’espérance vie à quelques jours, de diminution du score de performance et en fonction des souhaits du patient, l’AHA devait être arrêtée.

Discussion

Tout d’abord, force est de constater que la littérature à ce sujet est pauvre. Qui plus est, il n’existe aucune étude randomisée et contrôlée sur le sujet, probablement en raison des conflits éthiques que cela soulève et des contraintes liées au contexte palliatif. Il n’y a pas non plus de consensus clair sur l’utilisation de l’AHA en SPA (1).

L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation est une situation difficile tant pour les familles que pour les soignants. Les uns comme les autres ont peur de laisser le patient mourir de faim et/ou de soif. Cela peut être vécu comme un abandon. Certes, les conséquences de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation devraient inéluctablement conduire au décès du patient. Cependant, il est important de comprendre qu’il n’y a pas, peu ou moins que ce que l’on pourrait penser, de souffrance pour le patient, bien au contraire. Le jeûne permet l’abolition rapide de la sensation de faim, la douleur est moindre et il diminue le risque d’encombrement, d’œdème, de vomissements.

Par contre, le maintien a minima d’une alimentation peut, quant à elle, générer de l’inconfort au travers de la résurgence d’une douloureuse sensation de faim (14). La peur de l’abandon doit être prise en compte et le temps repas devrait être remplacé par un temps « soins de confort ». En effet, il est important de prendre en compte la souffrance morale des familles (et des soignants) qui, par ce geste de l’alimentation, se sentent encore acteurs et conservent le sentiment que le patient est vivant. Cette interruption rompt ce dernier lien de partage, de convivialité et génère la crainte de la dégradation corporelle (état plus proche du cadavre) (14). Il est donc important de remplacer ce temps de l’alimentation, par exemple, par un temps « soins de bouche ». Impliquer les proches dans les soins du patient permet de pallier ce sentiment de culpabilité et, finalement, d’améliorer leur propre confort. Pour les équipes soignantes, il est donc important qu’elles comprennent les mécanismes en lien avec l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, afin d’assurer, d’une part, une collégialité (cohérence de l’explication donnée à la famille) et, d’autre part, de diminuer leur sentiment d’inaction (cette impression de ne plus servir à rien), de culpabilité (de laisser le patient mourir de faim et de soif).

La poursuite de l’hydratation ne diminue pas la sensation de soif. Par contre, elle peut générer de l’inconfort soit en augmentant l’encombrement pulmonaire ou pharyngé et les œdèmes pour ce qui est de la voie intra-veineuse (19), soit en étant responsable d’hématome, de douleur au point de ponction et, également, en majorant encombrement et œdème pour la voie sous-cutanée (20). Dans certains stades, elle nuit donc à la qualité de vie des patients.

En moyenne, le décès du patient survient entre sept et quatorze jours après l’arrêt des apports. Le temps de survie est d’autant plus court que l’indice de performance (index de Karnofsky) ou l’albumine sont bas et il est directement liés aux réserves lipidiques. En ce qui concerne les patients déments, sans doute de par leurs faibles réserves au départ, cela survient dans 60% des cas lors de la première semaine. Ce temps sera plus long en cas d’agitation, de maintien de l’état de conscience, mais plus court en cas d’apathie ou de dyspnée (14).

Dans certains cas particuliers, comme chez les sujets âgés déments, il a bien été démontré que l’AHA n’apportait aucune plus-value, que cela soit en termes de survie, de confort/qualité de vie ou de prévention/guérison d’escarre. Par contre, la littérature confirme bien le risque d’effets secondaires liés à son utilisation comme l’augmentation de la contention, les infections, la majoration de la confusion ou la perte du contact social par arrêt de la prise alimentaire orale (3).

Ce que nous dit la loi

Depuis 2002, en Belgique, il est clairement mentionné que le patient a le droit à des soins de qualité, dans le respect de son autonomie. En France, depuis 2005 (21), il est interdit au médecin de s’obstiner déraisonnablement, offrant la possibilité d’interrompre des traitements dont le seul but est la prolongation artificielle de la vie. Toujours en France, en 2016, la loi Leonetti-Claeys (22) parachevait celle datant de 1999, qui garantissait l’accès pour tous aux soins palliatifs. Elle clarifiait également les conditions de l’arrêt de traitement et remettait le patient au cœur du processus décisionnel (en rendant contraignantes, pour les médecins, les directives de santé anticipées). Elle réaffirmait également le droit du patient à la sédation profonde et continue, en cas de SPA avec pronostic vital engagé à court terme. À notre connaissance, il n’y a pas, en Belgique, de cadre légal précis entourant la pratique de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, ni de lignes de conduite claires. Cet acte est laissé à l’appréciation de l’équipe médicale et paramédicale, au regard des directives de la loi sur les droits du patient.

Conclusions

L’annonce, en SPA, de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation (artificielle ou naturelle) est difficile, tant pour les familles qui la reçoivent, que pour les soignants qui l’évoquent. D’une part, se nourrir est une action hautement symbolique, dont la dimension dépasse le simple besoin physiologique. D’autre part, la méconnaissance des mécanismes physiopathologiques liés au jeûne prolongé, notamment les mécanismes de cétose, génère de l’angoisse au sein des équipes, voire de la culpabilité. Il est donc important de sensibiliser les équipes à ces données afin qu’elles puissent accompagner le mieux possible le patient en fin de vie ainsi que sa famille.

Affiliations

1. Département de gériatrie, Groupe Jolimont asbl ; La Louvière, Hainaut, Belgique
2. Unité Saint-Alexis, soins palliatifs, Groupe Jolimont asbl ; La Louvière, Hainaut, Belgique

Correspondance

Dr.Thibaud De Blauwe
Groupe Jolimont
Département de Gériatrie
Rue Ferrer, 159
B-7100 Haine-Saint-Paul
thibaud.deblauwe@outlook.be

Références

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