Utilisation combinée de la péridurale thoracique et de la lidocaïne intraveineuse pour la prévention de l'hyperréflexie autonome en période périopératoire

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Audrey Foaleng Publié dans la revue de : Décembre 2019 Rubrique(s) : Anesthésie
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Résumé de l'article :

Un homme de 50 ans avec une section médullaire complète au niveau C6-C7 ancienne et une suspicion d'hyperréflexie autonome (HA), devait bénéficier d'une cystectomie avec dérivation urinaire non continente de type Bricker. En plus de l'anesthésie générale, l'analgésie péridurale thoracique et la lidocaine intraveineuse ont été utilisées pour prévenir l'HA pendant la période per-opératoire et faciliter la réhabilitation post opératoire. Le patient est resté stable tout au long de l'intervention et n'a présenté aucun problème majeur en post opératoire. Une alimentation orale a pu être débutée au jour 3. Les avantages de l'analgésie péridurale et de la lidocaïne par voie intraveineuse pour la gestion des patients à risque de présenter une hyperréflexie autonome sont décrits.

Mots-clés 

Lésion médullaire, anesthésie, hyperréflexie autonome, péridurale, lidocaïne

Article complet :

Introduction

Les troubles vésico-sphinctériens sont quasi constants en phase chronique d’une lésion médullaire. Ces patients ont donc souvent recours à une chirurgie urologique. La gestion de leur anesthésie pose des problèmes spécifiques et l’hyperréflexie autonome (HA) en est un majeur. Elle est fréquente chez les patients présentant une lésion médullaire complète d’un niveau supérieur ou égal à T6 (1). Chez ces patients, la stimulation chirurgicale peut déclencher une activation sympathique incontrôlée menant à une hypertension et à des arythmies potentiellement létales. L’iléus postopératoire peut également être particulièrement prolongé et avoir un impact négatif sur la réhabilitation postopératoire chez des patients tétraplégiques subissant une chirurgie abdominale. (2) Nous rapportons un cas d’utilisation combinée de lidocaïne par voie intraveineuse et d’une analgésie péridurale chez un patient tétraplégique, bénéficiant d’une cystectomie avec dérivation urinaire non continente de type Bricker, pour lequel une HA était suspectée.

Vignette clinique

Une cystectomie avec déviation urinaire était programmée chez un homme de 50 ans, porteur d’une section complète de la moelle épinière au niveau C6-C7 survenue trois ans plus tôt, lors d’un accident de la voie publique. Le patient était tétraplégique. Sa taille et son poids étaient respectivement de 68 kg et 170 cm. Dix jours avant l’opération, lors d’une cystoscopie souple réalisée sans anesthésie, il a eu une violente céphalée et une poussée d’hypertension artérielle à 195 mmHg menant au diagnostic d’HA.

Le jour de l’intervention, dès son admission en salle d’opération, nous avons installé un monitoring de surveillance de base composé d’un électrocardiogramme à 5 dérivations, un brassard de pression artérielle non invasive et un oxymètre de pouls. Un cathéter péridural a été inséré au niveau T10-T11 sous anesthésie locale. Une anesthésie générale a ensuite été induite avec 10 µg de sufentanil, 2 mg de midazolam, 100 mg de lidocaïne et 60 mg de propofol. Une relaxation musculaire complète a été obtenue avec un bolus intraveineux de 70 mg de rocuronium avant l’intubation endotrachéale. Le sévoflurane a été utilisé dans un mélange air: oxyène 50/50 pour le maintien de l’anesthésie. La concentration de sévoflurane en fin d’expiration a été ajustée pour maintenir l’entropie (M-Entropie, Acertys-GE, Madison, WI) entre 40 et 60. Une ligne artérielle et un cathéter veineux central ont été insérés après l’induction de l’anesthésie générale. Un bolus de 5 ml de ropivacaïne 0,2% a été administré par voie épidurale avant l’incision cutanée et suivi d’une perfusion continue à 5 ml / h. Une perfusion intraveineuse continue de lidocaïne 2% 50ml (avec de la kétamine 1mg/ml) a également été débutée à un débit de 1,5mg/kg/h et poursuivie jusqu’à la fin de la chirurgie. En outre, un bolus de 50 mg / kg de magnésium a été administré en une heure juste après l’induction de l’anesthésie.

L’intervention chirurgicale a duré trois heures et s’est déroulée sans incident. Aucun épisode d’hypertension ou de bradycardie évocateur d’HA n’est survenu. Un total de trois bolus d’éphédrine à 9 mg a été administré pour corriger les épisodes transitoires d’hypotension artérielle. Aucun médicament antihypertenseur ni bolus supplémentaire de sufentanil n’a été utilisé. Le patient a été extubé en salle d’opération peu après la fermeture de la peau et est sorti de l’unité de soins post-anesthésies six heures après la fin de l’opération. Un gramme de paracétamol par voie intraveineuse a été administré toutes les 6 heures et la perfusion péridurale de ropivacaïne 0,2% a été maintenue à 5 ml / h jusqu’au matin du quatrième jour postopératoire. Après le retrait du cathéter péridural, une perfusion intraveineuse de lidocaïne 2% a été reprise pendant 48 heures à un débit de 4,5 ml / h (1,33 mg / kg / h). Le patient est resté parfaitement stable pendant toute la période postopératoire avec une note rapportée constamment à 0 sur 10 sur l’échelle visuelle analogique de la douleur. Lors de l’examen physique, le transit était audible dès le premier jour postopératoire. La sonde nasogastrique a été retirée le matin du deuxième jour postopératoire et le patient a repris progressivement une alimentation orale à partir du troisième jour. Une infection urinaire nécessitant une antibiothérapie par voie intraveineuse a prolongé son séjour intrahospitalier. Il a finalement quitté l’hôpital au vingtième jour postopératoire.

Discussion

En plus du déficit sensitivomoteur qu’elle entraine, l’interruption de conduction au niveau de la moelle cervicale et thoracique haute provoque un déséquilibre entre le système sympathique et le système parasympathique. Ce déséquilibre est responsable d’hyperréflexie autonome dont les conséquences peuvent engager le pronostic vital. La réalisation d’une anesthésie pour tout geste invasif, même sur un territoire insensible, est donc nécessaire afin de prévenir ce phénomène (2). La prévalence de l’HA est la plus élevée chez les patients présentant des lésions complètes de la moelle épinière au-dessus du niveau T6 chez qui elle se situe entre 48% et 85% (3,4). Le signe le plus commun de l’HA est une élévation de la pression artérielle systolique déclenchée par une stimulation (douloureuse ou non douloureuse) en dessous du niveau de la lésion (3). Ces épisodes d’hypertension peuvent être accompagnés de céphalée, sudation profuse, flush cutané souvent localisé au niveau de la tête et du cou, et de modification du rythme cardiaque consistant le plus souvent en une tachycardie. L’hypertension résulte d’une activation sympathique incontrôlée et d’une vasoconstriction intense du territoire inférieur au niveau de la lésion de la moelle épinière, tandis que le flush et les céphalées s’expliquent par une activation réflexe du système nerveux parasympathique provoquant une vasodilatation. (5) Les critères diagnostiques incluent une augmentation de la pression artérielle systolique de 20 mmHg au-dessus de la ligne de base. Cependant, des niveaux de pression artérielle systolique atteignant 250 à 300 mmHg ont été rapportés chez des patients souffrant d’hypertension artérielle aiguë (1). Il est donc essentiel d’éviter ces hausses de pression artérielle lors d’une stimulation chirurgicale afin de prévenir des complications potentiellement mortelles telles que des hémorragies cérébro-méningées et rétiniennes, une ischémie myocardique, une insuffisance cardiaque, des troubles du rythme voire un arrêt cardiaque (6).

Les stimulations des voies urinaires inférieures, telles que les cystoscopies et la chirurgie viscérale (3,7) sont parmi les déclencheurs les plus fréquents d’HA et révèlent souvent le diagnostic. Le fait que le patient ait présenté des signes et des symptômes évocateurs d’HA lors d’une cystoscopie souple réalisée sans anesthésie quelques jours avant l’opération nous a amené à le considérer comme ayant un risque élevé d’HA périopératoire. Plusieurs techniques anesthésiques ont été proposées pour bloquer l’activation sympathique au cours de la chirurgie et prévenir l’HA chez les patients prédisposés.

Les anesthésiques volatils modernes tels que le sévoflurane ont à la fois des propriétés vasodilatatrices et la capacité d’atténuer les réflexes sympathiques. Chez les patients subissant une litholapaxie transurétrale, la CE95% de la concentration de sévoflurane en fin d’expiration, dans un mélange O2 : N2O à 50%, nécessaire pour bloquer l’HA était de 3,8% (8). Cette concentration peut être réduite de 30% par l’administration de rémifentanil à une concentration cible de 3 ng/mL (9).

Le blocage neuraxial par les anesthésiques locaux est un autre moyen efficace pour bloquer le système sympathique et ainsi atténuer l’HA peropératoire(12). Son utilisation est associée à une bonne stabilité cardiovasculaire et, bien que des difficultés techniques puissent survenir, la rachianesthésie semble réalisable dans la grande majorité des cas (11). L’utilisation de la péridurale a également été rapportée (13), les difficultés techniques et une installation incomplète du bloc sont plus fréquentes qu’avec la rachianesthésie en raison de déformations de la colonne vertébrale et de la distorsion de l’espace épidural après le traumatisme. La péridurale reste utile en postopératoire pour faciliter le contrôle de la douleur postopératoire, réduire les besoins en opioïdes et accélérer la réhabilitation postopératoire (10). Bien qu’il n’y ait aucune preuve formelle pour l’affirmer, l’utilisation de la péridurale en postopératoire pourrait théoriquement aider à prévenir la douleur viscérale et l’HA associée au retour du transit intestinal.

La lidocaïne par voie intraveineuse est de plus en plus utilisée pendant la chirurgie en tant que composante de l’analgésie multimodale. Elle contribue également à atténuer la réponse sympathique à la laryngoscopie (14) et a récemment été utilisée pour le traitement de l’HA (15). De plus, la lidocaïne par voie intraveineuse accélère la reprise du transit intestinal après une chirurgie abdominale (16). Lidocaïne et kétamine partagent plusieurs effets communs médiés par des mécanismes différents : elles ont des propriétés anti-inflammatoires, inhibent les récepteurs NMDA probablement par interaction au niveau de sites différents de ce récepteur, bloquent également les canaux sodiques. Pour toutes ces raisons, il semble pertinent de spéculer sur une potentialisation des effets de la lidocaïne et de la kétamine lors de leur infusion combinée par voie intraveineuse, comme cela a été rapporté lors d’infiltration périphérique et d’administration périmédullaire(23).

Le magnésium est aussi un adjuvant anesthésique fréquemment utilisé. En plus de ses propriétés anti-NMDA, il diminue les résistances vasculaires systémiques et réduit l’hypertension induite par les catécholamines(17) Le magnésium a également été utilisé avec succès pour traiter l’HA (18,19).

La place de l’analgésie péridurale au cours de la chirurgie a régulièrement diminué au cours des dernières années avec l’avènement de la chirurgie mini-invasive et le développement de schémas thérapeutiques d’analgésie multimodale (20). Nous pensons toutefois que cette technique a toujours un rôle à jouer dans des populations de patients spécifiques, telles que des patients avec des antécédents de lésions médullaires. Elle possède en effet une capacité unique à bloquer à la fois les voies sensorielles et les sorties sympathiques, ce qui présente un intérêt particulier pour la prévention de l’HA. Elle facilite également en postopératoire, la récupération de la fonction intestinale par son effet sur l’équilibre sympathique / parasympathique (10). L’utilisation per-opératoire de la lidocaïne par voie intraveineuse permet de diminuer les besoins en anesthésiques volatils (21). La lidocaïne possède des propriétés analgésiques et anti-hyperalgésiques et donc réduit les besoins en opioïdes permettant de limiter leurs effets secondaires (16). Grâce à ses propriétés anti-inflammatoires et à son effet excitateur direct sur les muscles lisses intestinaux, la lidocaïne contribue à raccourcir la durée de l’iléus postopératoire (22). La lidocaïne intraveineuse et l’analgésie péridurale partagent plusieurs effets communs. Néanmoins, des mécanismes différents sous-tendent certaines de leurs propriétés communes, notamment l’effet antihyperalgésique, l’effet anti-inflammatoire, l’effet sur le transit intestinal, l’effet antitumoral. Cette complémentarité pharmacodynamique laisse présager un effet additif, jusqu’à présent non testé. Nous associons parfois ces deux techniques pendant la période opératoire uniquement pour éviter le risque de toxicité systémique en cas de coadministration prolongée (23).

En conclusion, les patients traumatisés médullaires sont amenés à subir fréquemment des interventions chirurgicales en rapport avec leur handicap ou pour des pathologies intercurrentes. Malgré l’absence de sensibilité, ils doivent systématiquement bénéficier d’une anesthésie pour prévenir les risques de survenue de crises dysautonomiques et réduire la morbidité et la mortalité de ces patients vulnérables. Il n’existe pas de consensus actuellement concernant la gestion anesthésique de ces patients. Nous avons présenté l’utilisation combinée de lidocaïne par voie intraveineuse et d’analgésie péridurale. Cette approche s’est avérée particulièrement efficace pour notre patient et mérite d’autres investigations.

Correspondance

Dr. Audrey FOALENG
CHR Mons Hainaut
Anesthésie
Avenue Baudouin de Constantinople 5
B-7000 Mons
audrey.foaleng@jolimont.be

Références

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